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Jurisprudence : Vie privée

mardi 20 juin 2006
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Tribunal de grande instance de Carcassonne Jugement du 16 juin 2006

Ministère public, Carine G. et autres / Christine S.

dénigrement - données personnelles - préjudice - pseudonyme - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Sur l’action publique

Attendu qu’il résulte des éléments du dossier et des débats que les faits sont établis à l’encontre de la prévenue,

Attendu, tout d’abord, que Christine S. a reconnu avoir utilisé et communiqué l’identité et les coordonnées téléphoniques de Carine G., à deux reprises, dans le cadre de conversations qu’elle avait avec des hommes sur des sites internet de rencontres, à savoir « Meetic » et « Wanadoo »,

Qu’elle avait, pour ce faire, choisie l’utilisation de pseudonymes tels que « coquine », « coquinette » ou encore « tocli »,

Attendu, en outre, que Christine S. a été surprise le 7 octobre 2003, par les enquêteurs alors qu’elle commettait les faits reprochés,

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier que lesdites conversations faisaient apparaître Carine G. comme une femme facile, désireuse de relations sexuelles,

Attendu que la communication des coordonnées de Carine G., dans le cadre de conversations sans équivoque, a généré pour cette dernière de nombreux appels téléphoniques émanant d’hommes dont les attentes n’étaient pas moins équivoques,

Qu’il ressort du certificat médical établi par le médecin traitant de la victime, confirmé par le rapport d’expertise médicale déposé par le docteur T. que ces appels non souhaités et inattendus ont causé à Carine G. un important choc émotionnel et psychologique pour lequel une incapacité temporaire de travail d’une durée de 10 jours a été retenue,
Que dès lors, l’incapacité de travail étant parfaitement établie, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la défense tendant à voir ordonner une nouvelle expertise médicale de la victime, étant précisé que les conclusions de l’expertise du docteur T. ont été régulièrement notifiées au cours de l’instruction et qu’aucune demande de contre-expertise n’a alors été formulée ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que la matérialité des faits reprochés à Christine S. est établie ;

Attendu par ailleurs, que bien que Christine S. conteste avoir agi dans l’intention de nuire à la victime, l’élément moral de l’infraction ne fait aucun doute ;

Qu’en effet, il ne peut être sérieusement soutenu que Christine S. ait communiqué les coordonnées de la victime dans le cadre de telles conversations sans avoir l’intention de blesser psychologiquement cette dernière, qu’en effet de pareils agissements devaient nécessairement entraîner pour Carine G. des appels téléphoniques dépourvus de toute ambiguïté,

Que par ailleurs, contrairement à ce qu’allègue la prévenue, aucun élément du dossier ne permet d’établir que Carine G. ait eu une vie sentimentale telle qu’elle n’aurait pu que s’amuser de cette « plaisanterie »,

Enfin, le fait que Christine S. était une collègue de la victime et que de ce fait elle connaissait parfaitement l’état de fragilité de cette dernière, manifesté par la survenance d’un grand nombre de congés maladie, ne pouvait que la conduire à envisager les conséquences dommageables que ses actes entraîneraient pour la victime.

Attendu que, concernant la circonstance aggravante de préméditation, il ressort des éléments du dossier et des débats que Christine S. a agi après avoir réfléchi et conçu son passage à l’acte,
Qu’en effet, celle-ci a commis les actes reprochés à deux reprises et concernant plus particulièrement le second passage à l’acte, la prévenu a utilisé non pas son propre ordinateur mais celui du directeur de la Mission locale d’insertion, ce qui induit nécessairement que les faits n’ont pas été commis de façon spontanée,

Que dès lors, la circonstance aggravante de préméditation ne pourra qu’être retenue à l’encontre de Christine S.,

Attendu qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de déclarer Christine S. coupable des faits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, au préjudice de Carine G., avec cette circonstance que lesdits faits ont été commis avec préméditation.

Attendu que le reclassement de Christine S. est acquis et que le trouble résultant de l’infraction a cessé, que le dommage causé est en voie d’être réparé,

Attendu dès lors statué qu’il convient d’ajourner le prononcé de la peine, à charge pour Christine S. d’indemniser la victime au cours de la période impartie,

Qu’il sera dès lors sur la peine à l’audience du 16 février 2007 à 9 heures ;

Sur l’action civile :

Attendu que Carine G. s’est constituée partie civile lors de l’instruction ;

Que sa demande tend à voir déclarer Christine S. entièrement responsable de son préjudice ;

Qu’aux termes de sa demande son préjudice s’établit de la manière suivante :

a) préjudices corporels soumis à recours :
– Frais médicaux et pharmaceutiques : 554,19 €
– Indemnités journalières du 7/10/2003 au 29/02/2004 : 3965,63 €
– Troubles dans les conditions d’existence d’octobre 2003 à octobre 2005 (25 mois) 500 € par mois multiplié par 25 soit 12 500 €
– Préjudice professionnel (perte de chance) : 15 000 €
Total : 32 019,82 €

b) Préjudice moral : 35 000 €

Attendu qu’elle demande que Christine S. soit condamnée à lui payer la somme de 62 500,20 € tous chefs de préjudices confondus et déduction faite de la créance de la Caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) ;

Attendu qu’elle demande que le jugement soit déclaré commun à la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aude,

Attendu qu’elle demande, en outre, que soit ordonnée l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

Attendu qu’elle réclame par ailleurs la somme de 3500 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

Attendu qu’elle demande la condamnation de Christine S. aux entiers dépens.

Attendu que la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aude s’est constituée partie civile ;

Attendu qu’elle indique au tribunal, par courrier en date du 17 octobre 2005 avoir payé la somme définitive de 4519,82 € au titre des prestations versées pour le compte de Carine G. selon le détail ci-dessous :
– frais médicaux et pharmaceutiques : 554,19 €
– indemnités journalières du 7/10/2003 au 29/02/2004 : 3965,63 €

Attendu qu’elle demande que Christine S. soit condamnée à lui rembourser la somme de 4519,82 €,

Qu’elle demande en outre que cette dernière soit condamnée à lui rembourser la somme de 760 € en application des articles 9.10 de l’ordonnance n°96.51 du 24 janvier 1996 au titre des frais de gestion ;

Attendu que la Mission locale d’insertion du bassin carcassonnais s’est constituée partie civile,

Attendu qu’elle sollicite la condamnation de Christine S. au paiement de la somme de 5282,51 € au titre du maintien du salaire qu’elle a versé à la victime pendant la durée de son arrêt de travail ainsi que la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

Qu’elle sollicite enfin que Christine S. soit condamnée aux dépens.

En réponse, Christine S. conclut au rejet des demandes formulées par Carine G. ainsi qu’à l’irrecevabilité et, en tout état de cause, au rejet des demandes formulées par la Mission locale d’insertion du bassin carcassonnais,

DISCUSSION

Attendu que la demande de Carine G. est recevable et régulière en la forme ;

Attendu qu’il convient de déclarer Christine S. responsable du préjudice subi par Carine G.,

Attendu qu’en l’état des justifications produites aux débats le tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour évaluer le préjudice subi par Carine G.

Attendu que Carine G. était âgée de 30 ans au moment des faits et qu’elle exerçait à cette date la profession de conseillère en insertion,

Attendu que le préjudice subi par la victime doit être évalué ainsi qu’il suit :

1) Préjudice corporel soumis au recours des organismes sociaux :

– Frais médicaux et pharmaceutiques (avancés par la Cpam) : 554,19 €
– Indemnités journalières du 7/10/2003 au 29/02/2004 (versées par la Cpam) : 3965,63 €
– Troubles dans les conditions d’existence,

Attendu qu’il ressort tant du rapport d’expertise médicale effectuée par le docteur T. que du certificat médical établi par le docteur A. que Carine G. était en capacité de reprendre son activité professionnelle dès le 1er mars 2004 ;

Qu’elle ne produit en revanche aucun élément justifiant de ce qu’elle a effectivement souffert de trouble dans ses conditions d’existence au-delà de cette date ;

Que dès lors, il convient de fixer l’indemnité allouée de ce chef à la somme de 2500 € (5 fois 500 €) ;

– Préjudice professionnel (perte de chance) :

Attendu que Carine G. ne rapporte pas la preuve qu’en l’absence de l’infraction dont elle a été victime de la part de Christine S. elle aurait effectivement pu obtenir une promotion sur le plan professionnel,

Que dès lors, il convient de rejeter sa demande formulée à ce titre.

Total : 7019,82 €

Attendu que de cette somme il y a lieu de déduire la créance de la Cpam qui s’élève à la somme de 4519,82 €,

Soit au total la somme de 2500 €.

2) Préjudice moral :

Attendu que Carine G. a subi un préjudice moral certain et direct du fait de l’infraction commise par Christine S., qu’en effet, celle-ci a eu à subir des appels téléphoniques répétitifs à connotation sexuelle, outre le fait qu’elle soit apparue auprès de tiers comme étant une femme aux mœurs légères,

Que dès lors, il y a lieu de fixer l’indemnité allouée de ce chef à la somme de 1500 €.

3) Sur la demande tendant à voir ordonner l’exécution provisoire du présent jugement :

Attendu qu’eu égard à l’ancienneté et au caractère indemnitaire des créances invoquées, il convient d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement ;

4) Sur l’article 475-1 du code de procédure pénale :

Attendu qu’il convient de fixer les indemnités allouées de ce chef à la somme de 2000 €.

Attendu que la demande de la Cpam de l’Aude est recevable et régulière en la forme ;

Attendu qu’il convient de déclarer Christine S. responsable du préjudice subi par la Cpam de l’Aude ;

Qu’il convient d’allouer à la Cpam la somme de 4519,82 € au titre des prestations versées à la victime, ainsi que la somme de 760 € au titre des frais de gestion.

Attendu que le fait pour la Mission locale d’insertion du bassin carcassonnais de maintenir le salaire de la victime pendant la période d’arrêt maladie ne constitue pas un préjudice direct résultant de l’infraction commise par Christine S. ;

Que dès lors, il convient de déclarer sa demande irrecevable.

DECISION

Statuant publiquement et en premier ressort,

Contradictoirement à l’égard de Christine S. ;

Sur l’action publique :

. Déclare Christine S. coupable des faits qui lui sont reprochés ;

. Ajourne le prononcé de la peine en application des articles 132-58, 132-60 à 132-62 du code pénal ;

. Renvoie l’affaire à l’audience du 16 février 2007 à 9 heures sans nouvelle citation ;

Sur l’action civile :

Par jugement contradictoire à l’égard de Carine G.,

Par jugement contradictoire à signifier à l’égard de la Cpam de l’Aude ;

Par jugement contradictoire à l’égard de l’association Mission locale d’insertion du bassin carcassonnais,

. Reçoit Carine G. en sa constitution de partie civile,

. Déclare Christine S. responsable du préjudice subi par Carine G. ;

. Fixe à la somme de 7019,82 € le montant des indemnités réparant le préjudice corporel de Carine G. soumis au recours des organismes sociaux ;

. Condamne Christine S. à payer à Carine G. la somme de 2500 € à titre de solde indemnitaire réparant le préjudice corporel soumis à recours ;

. Condamne Christine S. à payer à Carine G. la somme de 1500 € au titre des indemnités réparant son préjudice moral ;

. Reçoit la Cpam de l’Aude en sa constitution de partie civile ;

. Condamne Christine S. à verser à la Cpam de l’Aude la somme de 4519,82 € au titre des prestations versées à la victime ;

. Condamne Christine S. à verser à la Cpam de l’Aude la somme de 760 € au titre des frais de gestion ;

. Déclare irrecevable la constitution de partie civile de la Mission locale d’insertion du bassin carcassonnais ;

. Ordonne l’exécution provisoire de la décision à concurrence des sommes allouées ;

. Condamne Christine S. à verser à Carine G. la somme de 2000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;

. Condamne Christine S. aux dépens de l’action civile.

Le tribunal : M. Moulis (vice président),

Avocats : Me Gérard Haas, Me Solans, Me Domenech et Me Leguay

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