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Jurisprudence : Droit d'auteur

lundi 21 novembre 2016
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Tribunal de grande instance de Paris, 3eme ch. 2eme section, jugement du 18 novembre 2016

Magnum Photos / Yann le Mouel Sas, Viviane Esders Sarl et Etude Binoche & Giquello Sarl

absence de mandat - agence photographique - contrefaçon - défaut de qualité à agir - photographies - ventes en ligne

L’agence de photographies Magnum Photos se présente comme une agence représentant des photographes et exploitant pour leur compte les droits de reproduction et de représentation des photographies dont ils sont les auteurs.

La société Yann le Mouel se présente comme une société de ventes volontaires aux enchères et la société Viviane Esders assiste la société Yann le Mouel en qualité d’expert pour certaines ventes aux enchères de photographies d’art.

La société Binoche & Giquello se présente comme une société de Vente Volontaire aux enchères.

Indiquant avoir constaté que les sociétés Yann le Mouel, Vivane Esders et Binoche & Giquello avaient organisé de novembre 2010 à avril 2013 des ventes consacrées à des photographies qu’elles reproduisaient sur des catalogues papiers et sur internet en s’abstenant de solliciter son autorisation préalable et de s’acquitter des droits d’auteur, la société Magnum Photos a établi des factures de droit d’auteur :
– le 29 novembre 2010 à l’ordre de la société Yann le Mouel pour un montant de 8.420 € HT, et à l’ordre de la société Viviane Esders pour un montant de 700 € HT,
– le 3 mai 2011 à l’ordre de la société Yann le Mouel pour un montant de 10.324,60 € HT et à l’ordre de la société Binoche et Giquello pour un montant de 10.324,60 € HT.

Ces factures étant demeurées impayées, la société Magnum Photos, a par exploits en date des 14 et 15 avril 2014, assigné les sociétés Binoche & Giquello, Yann le Mouel et Viviane Esders en contrefaçon de droits d’auteur.

Par ordonnance du 3 juillet 2015, le Juge de la mise en état, saisi d’une demande de nullité de l’assignation, notamment pour absence de justification par la demanderesse des mandats des photographes, a rejeté la demande en considérant que s’agissant d’une question de recevabilité des demandes elle relevait de la compétence du juge du fond.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 juin 2016, la société Magnum Photos, au visa des articles L. 122-3, L. 122-4 et L. 331-3 du code de la propriété intellectuelle, et de sa qualité de mandataire de ses photographes, demande au Tribunal:

•Faire interdiction à la société Yann Le Mouel, de reproduire les photographies des photographes de Magnum Photos sur les catalogues papier et internet, sans autorisation et dont la liste est la suivante:
– Bruno BARBEY
– Henri CARTIER-BRESSON
– Bruce DAVIDSON
– Elliot ERWITT
– Martine FRANCK
– Burt GLINN
– Philip Jones GRIFFITS
– Ara GULAR
– Ernst HAAS
– Philippe HALSMAN
– Inge MORATH
– David SEYMOUR
– Dennis STOCK
– Sergio LARRAIN
– Cornel CAPA
– Robert CAPA
– Werner BISCHOF
– Carl de KEYSER
– René BURRI
– George RODGER
– Raymond DEPARDON
– Alec SOTH
– Tore JOHNSSON
– Herbert LIST
– Steve MC CURRY
– Martin PARR
– Eugène SMITH
– Marc RIBOUD

•Dire qu’en reproduisant sans autorisation dans les catalogues de vente aux enchères papier et en ligne sur son site internet, les photographies des photographes représentés par Magnum Photos ci-dessous,
– Bruno BARBEY
– Henri CARTIER-BRESSON
– Bruce DAVIDSON
– Elliot ERWITT
– Martine FRANCK
– Ara GULAR
– Ernst HAAS
– Philippe HALSMAN
– Inge MORATH
– David SEYMOUR
– Dennis STOCK
– Sergio LARRAIN
– Robert CAPA
– Werner BISCHOF
– Carl de KEYSER
– René BURRI
– George RODGER
– Raymond DEPARDON
– Alec SOTH
– Herbert LIST
– Steve MC CURRY
– Martin PARR

Et protégeables au titre du droit d’auteur, la société Yann le Mouel s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon de droit d’auteur au préjudice de Magnum Photos,

•Condamner la société Yann le Mouel à payer à la société Magnum Photos la somme de 44.280 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon de droit d’auteur commis à son encontre,

•Ordonner la publication par extraits ou en entier, du dispositif du présent jugement aux frais de la société Yann le Mouel dans les 4 journaux et revues suivants Le Figaro, Le Journal des Arts, Le Monde et La Gazette Drouot, dans la limite de la somme de 5000 € H.T. par publication,

•Condamner la société Yann le Mouel, à afficher à ses frais le dispositif du présent jugement dans les 8 jours de la signification du présent jugement, en tête de la page d’accueil et sur une surface au moins égale à 30 % de celle-ci, du site internet ainsi que sur tout autre site qui lui serait substitué et cependant une durée de 30 jours, sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard et par site pendant une période de 3 mois,

•Dire que la liquidation de cette astreinte restera de la compétence du juge de l’exécution,

•Dire qu’en reproduisant sans autorisation sur son site internet une newsletter reproduisant la photographie de Henri CARTIER-BRESSON représenté par Magnum Photos, et protégeable au titre du droit d’auteur, la société Viviane Esders s’est rendue coupable d’actes de ontrefaçon de droit d’auteur à son préjudice,

•Condamner la société Viviane Esders à payer à la société Magnum Photos la somme de 1.400 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant d’acte de contrefaçon de droit d’auteur commis à son encontre,

•Faire interdiction à la société Viviane Esders, de reproduire les photographies des photographes de Magnum Photos, en entier ou par extraits sur son site internet,

•Faire interdiction à la société Binoche & Giquello, de reproduire les photographies des photographes de Magnum Photos, sur les catalogues papier et en ligne sur son site internet, et concernant les catalogues en ligne des ventes du 30 avril 2011 et 17 avril 2013, sous astreinte de 500 € par infraction constatée dans un délai de huit jours suivant la signification de sa décision, se réservant la liquidation de l’astreinte, et dont la liste des photographes de Magnum Photos, est la suivante,
-Bruno BARBEY
– Henri CARTIER-BRESSON
– Bruce DAVIDSON
– Elliot ERWITT
– Martine FRANCK
– Burt GLINN
– Philip Jones GRIFFITS
– Ara GUleR
– Ernst HAAS
– Philippe HALSMAN
– Inge MORATH
– David SEYMOUR
– Dennis STOCK
– Sergio LARRAIN
– Cornel CAPA
– Robert CAPA
– Werner BISCHOF
– Carl de KEYSER
– René BURRI
– George RODGER
– Raymond DEPARDON
– Alec SOTH
– Tore JOHNSSON
– Herbert LIST
– Steve MC CURRY
-Martin PARR
-Eugène SMITH
-Marc RIBOUD

•Dire qu’en reproduisant sans autorisation dans les catalogues de vente aux enchères papier et en ligne sur son site internet les photographies des photographes suivants représentés par de Magnum Photos,
.Werner Bischof
· René Burri
· Cornell Capa
· Robert Capa
· Henri Cartier-Bresson
· Bruce Davidson
· Elliott Erwitt
· Martine Franck
· Burt Glinn
· Philip Jone Griffiths
· Tore Johnsson
· Erich Hartmann
· Bob Henriques
· Thomas Hoepker
· Hiroji Kubota
· Marc Riboud
· Georges Rodger
· David Seymour
· Eugène Smith

et protégeables au titre du droit d’auteur, la société Binoche & Giquello s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon de droit d’auteur à son préjudice,

•Condamner la société Binoche & Giquello à payer à la société Magnum Photos la somme de 21.850 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon de droit d’auteur commis à son encontre, •Ordonner la publication par extraits ou en entier, du dispositif du présent jugement aux frais de la société Binoche & Giquello dans les 4 journaux et revues suivants Le Figaro, Le Journal des Arts, Le Monde et La Gazette Drouot, dans la limite de la somme de 5000 € H.T. par publication,

•Condamner la société Binoche & Giquello, à afficher à ses frais le dispositif du présent jugement dans les 8 jours de la signification du présent jugement, en tête de la page d’accueil et sur une surface au moins égale à 30 % de celle-ci, du site internet ainsi que sur tout autre site qui lui serait substitué et cependant une durée de 30 jours, sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard et par site pendant une période de 3 mois,

•Dire que la liquidation de cette astreinte restera de la compétence du juge de l’exécution,

•Ordonner l’exécution provisoire du jugement,

•Condamner la société Yann le Mouel et la société Binoche & Giquello à payer chacune à la société Magnum Photos la somme de 15.000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et 5.000 €, à la charge de la société Viviane Esders,

•Condamner la société Yann le Mouel, la société Viviane Esders et la société Binoche & Giquello, en tous les dépens.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 avril 2016, les sociétés Yann le Mouel et Viviane Esders demandent au Tribunal, au visa notamment des articles 122,
123, 132 et 142 du code de procédure civile, L.321-1 et suivants et L.321-18 du code de commerce, L.111-1 et L.121-17 du code de la consommation et de l’article 6 de la directive 2011/83/UE, de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, et des articles L.122-1, L.122-8, L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle et de l’article 5 du code civil, de :

 

Sur la recevabilité de la société Magnum Photos :

•Dire et juger que la société Magnum Photos ne rapporte pas la preuve de sa qualité à agir,

•Rejeter l’ensemble de ses demandes pour défaut de qualité à agir.

Sur les actes de reproduction et le droit à la paternité :

•Constater que la société Yann le Mouel, en qualité de société de ventes volontaires, a l’obligation légale d’informer le public sur les oeuvres photographiques mises en vente dans le cadre de ventes volontaires, et juger que la reproduction à titre informatif échappe, pour les reproductions en cause, au droit d’auteur, •En tout état de cause, juger que la liberté d’information autorisait la société Yann le Mouel à présenter les photographies litigieuses pour annoncer leur vente aux enchères publiques volontaires, au sein de catalogues et/ou sur le site internet utilisé pour la vente aux enchères en ligne,

•Dire et juger que les concluants n’ont pas porté atteinte au droit à la paternité des photographes prétendument représentés par la société Magnum Photos, ni au prétendu droit à la paternité de la société Magnum Photos qu’en tout état de cause celle-ci ne démontre pas détenir,

•Rejeter l’ensemble des demandes de la société Magnum Photos.

À titre subsidiaire, sur le préjudice :

•Dire et juger que la société Magnum Photos ne démontre pas l’existence d’un préjudice, et la débouter de l’ensemble de ses demandes sur le fondement des articles L.331-1-3 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle et 9 du code de procédure civile,

A défaut :

•constater que la société Magnum Photos réclame des montants excessifs au regard des utilisations en cause et qu’elle ne démontre pas l’ensemble des actes reprochés à la société YANN le Mouel, et limiter les condamnations à un montant n’excédant pas
1600 €.

•limiter l’éventuelle condamnation de la société Viviane Esders à un montant n’excédant pas 108 €.

Sur les mesures d’interdiction et de publication :

•Rejeter les demandes de la société Magnum Photos, celles-ci étant sans objet, excessives et trop larges.

•Juger que la procédure est abusive et condamner la société Magnum Photos à payer 15 000 € à la société Yann le Mouel et 15 000 € à la société Viviane Esders, à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile.

•Sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile, ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans caution.

•Condamner la société Magnum Photos à payer 10 000 € à la société Yann le Mouel et 10 000 € à la société Viviane Esders au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

•Condamner la société Magnum Photos aux entiers dépens de l’instance, qui seront recouvrés par Maître Brad SPITZ, YS Avocats AARPI.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 avril 2016, la société Binoche & Giquello demande au Tribunal, au visa notamment des articles 4 du code de procédure civile, 5 du Code Civil, 1315 du code civil et de la Loi n°2015-315 du 11 mars
2014, de :

A titre principal,
•Constater que la Société Magnum Photos échoue à justifier des mandats qu’elle revendique.

En conséquence,

•Dire irrecevables les demandes de la Société Magnum Photos en raison de son défaut de qualité à agir.

En conséquence,

•Débouter la Société Magnum Photos de l’intégralité de ses demandes.

A titre subsidiaire,

•Prendre acte de l’autorisation donnée par la Société Magnum Photos à John MORRIS pour la vente du 30 avril 2011 et dire qu’en conséquence, la Société Magnum Photos est mal fondée dans ses demandes.

•L’en débouter.

•Constater qu’en tout état de cause, la Société Magnum Photos ne justifie pas du quantum de ses demandes indemnitaires et l’en débouter.

En tout état de cause,

•Condamner la Société Magnum Photos à verser à la société de ventes volontaires Binoche et Giquello la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 juin 2016.

 

DISCUSSION

Sur l’irrecevabilité pour défaut de qualité à agir de la société Magnum Photos

Les sociétés Yann le Mouel et Viviane Esders soutiennent, sur le fondement de l’article 122 du code de procédure civile, que la société Magnum Photos prétend être “le représentant exclusif des photographes” concernés par la procédure et “exploiter pour leur compte les droits de reproduction et de représentation des photographies dont ils sont les auteurs” sans justifier ni être cessionnaire de l’ensemble des droits objets de son assignation, ni être mandatée pour exploiter lesdits droits. Elles font valoir qu’elles ont signifié le 9 juin 2014 à la société Magnum Photos une sommation de “communiquer les mandats, apports et/ou tout autre contrat établissant que la société Magnum Photos représente les photographes suivants et qu’elle exploite pour leur compte les droits patrimoniaux : Bruno BARBEY ; Henri CARTIER-BRESSON ; Bruce DAVIDSON ; Elliot ERWITT ; Martine FRANCK ; Ara GULER ; Ernst HAAS ; Philippe HALSMAN ; Inge MORATH ; David SEYMOUR ; Dennis STOCK ; Sergio LARRAIN ; CAPA ; Werner BISCHOF ; Carl de KEYSER ; René BURRI ; George RODGER ; Raymond DEPARDON ; Alec SOTH”, et que cette sommation est restée sans suite.

Elles font en outre valoir qu’elles produisent des échanges de courriels avec la Fondation Henri Cartier-Bresson et Monsieur Burri les autorisant à reproduire les photographies en cause, que les photographes Marc Riboud et Ara Güler avaient quitté l’agence avant la date de reproduction des photographies litigieuses, et que le site Internet de l’agence Magnum Photos qui présente les « Photographes de Magnum » ne contient pas les noms de tous les photographes qu’elle prétend représenter dans la présente procédure, outre que la page « Informations Générales », précise que l’agence Magnum Photos n’a pas les droits sur tous les photographes et toutes les photographies mentionnés sur son site et qu’elle précise ne pas être habilitée à accorder des droits directement pour tout ou partie des photographies de certains des photographes revendiqués dans la présente procédure. Elles en concluent que la demanderesse ne justifie pas de ses droits.

En réponse aux moyens adverses elles ajoutent que l’ordonnance de référé invoquée en date du 20 novembre 2009 n’indique pas que la société Magnum Photos serait mandataire pour l’exploitation des photographies objet du litige en cause, cette affaire ne concernant pas les photographies litigieuses ni la titularité des droits d’auteur mais la titularité des droits sur le support matériel lui-même, aucune mesure relative à la propriété intellectuelle n’ayant été prononcée, et qu’en tout état de cause, les ordonnances de référé n’ont pas l’autorité de la chose jugée. Elles estiment que le fait de se rendre à une réunion pour discuter d’un accord amiable et de s’être abstenues de reproduire certaines photographies revendiquées par la société Magnum Photos ne constitue pas une « reconnaissance de la représentativité» dispensant la société Magnum Photos de démontrer ses droits pour agir en contrefaçon.

La société Binoche & Giquello fait valoir que la société Magnum Photos qui se présente comme une coopérative est une société commerciale, et qu’elle se contente d’affirmer qu’elle est “le représentant exclusif des photographes” litigieux sans avoir répondu à la sommation qui lui a été faite de justifier des mandats ou de tout autre contrat établissant qu’elle représente et exploite pour leur compte les droits patrimoniaux des dits photographes. Elle ajoute que 14 des 19 photographes concernés sont décédés, et qu’elle ne justifie pas que les ayants-droit lui ont confié un mandat de représentation de surcroît exclusif. Elle soutient que Henri CARTIER BRESSON, par exemple, a créé une fondation reconnue d’utilité publique pour assurer la gestion des droits patrimoniaux et moraux, que Tore JOHNSSON ou Bob HENRIQUES ne sont pas mentionnés sur le site internet de la société Magnum Photos ou encore que Marc RIBOUD, qui ne figure pas non plus sur le site internet de la demanderesse, vend ses photographies sur son propre site internet. Elle fait observer que la société Magnum Photos ne verse aucun mandat ni contrat ou commencement de preuve de ce que les photographes concernés ou leur ayant-droit lui auraient confié un mandat de représentation exclusif, et rappelle que le conseil des ventes volontaires dans ses écrits auxquels se réfère la société Magnum Photos, a précisé que “seul l’artiste décide s’il cède à titre gratuit ou onéreux son droit de reproduction » et qu’« une agence doit donc être explicitement mandatée par un artiste ». Elle soutient que la Société Magnum Photos ne peut être assimilée à une société de perception et de répartition des droits d’auteur et ne bénéficie d’aucune présomption lui permettant d’ester en justice pour la défense des droits des auteurs dont elle aurait statutairement la charge, ses statuts étant ceux d’une société commerciale sans spécificité aucune. Elle en conclut que faute de justifier des droits qu’elle revendique et de sa qualité à agir la demande de la société Magnum Photos est irrecevable.

La société Magnum Photos oppose qu’elle est mandataire des photographes qu’elle représente même s’il n’existe pas de mandat écrit, son activité étant dévolue à ses photographes pour le compte desquels elle négocie les contrats de commande, les cessions de droits, les expositions et les contrats d’exploitation des droits dérivés. Elle soutient que les photographes Henri CARTIER-BRESSON, René BURRI, BISCHOF, Cornell CAPA, Robert CAPA , Marine FRANCK, Burt GLINN, Philip Jones GRIFFITS, Tore JONHSSON, Erich HARTMANN, George RODGER ,David SEYMOUR et Eugène SMITH, malgré leur décès, sont toujours représentés par elle. Elle soutient qu’elle établit en son nom des factures de cession de droits d’auteur pour tous ses photographes, y compris ceux qui sont décédés, et conclut pour le compte des photographes qu’elle représente les conventions relatives à la cession des droits de représentation et de reproduction des expositions et des livres de ses photographes. Elle ajoute que sa qualité de représentante est mentionnée sur les tirages de presse mis en vente, dont ceux présentés dans les catalogues litigieux, avec la mention TAMPONNE qui consacre également le mandat qui lui est conféré.

Elle soutient que sa qualité de mandataire a été reconnue dans le cadre judiciaire notamment par une ordonnance de référé d’heure à heure du 20 octobre 2009 relative à une interdiction de ventes aux enchères des images de ses photographes par la maison de vente volontaire Cardin Le Fur, et prétend que les défenderesses reconnaissent sa représentativité, et que la société le Mouel a réalisé un aveu judiciaire en indiquant dans ses écritures qu’elle a cessé toute diffusion des oeuvres objets du litige.
Sur ce,

En application de l’article 122 du code de procédure civile, le défaut de qualité à agir constitue une fin de non-recevoir qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond.

En outre, en application de l’article 416 du code de procédure civile, quiconque entend représenter ou assister une partie doit justifier qu’il en a reçu le mandat ou la mission.

En l’espèce, il résulte tant du corps des conclusions de la société Magnum Photos aux termes desquelles elle revendique être “la représentante des photographes” litigieux, être le “mandataire de ses photographes”, établir des factures “pour le compte des photographes”, conclure des conventions de cession de droits de représentation et de reproduction “pour le compte des photographes” et affirme que sa qualité de mandataire lui a d’ailleurs été reconnue dans un cadre judiciaire, que du dispositif desdites conclusions au visa de “la qualité de mandataire de la société Magnum Photos”, que cette dernière agit en qualité de mandataire des photographes litigieux qu’elle représente.

Cependant lorsqu’un plaideur agit pour le compte d’un représenté, il doit pouvoir justifier d’un mandat régulier, le mandat pour agir en justice devant en outre être spécial.

La société Magnum Photos ne peut ainsi être admise à ester en justice pour défendre les droits individuels de photographes qu’à la condition d’avoir reçu de chacun de ceux-ci le pouvoir d’exercer une telle action.

En l’espèce, la société Magnum Photos ne justifie d’aucun mandat d’ester en justice pour le compte de chacun des photographes qu’elle prétend représenter, et ne peut déduire sa qualité pour agir de ce que son action en référé a été déclarée recevable en 2010 dans un litige de ventes aux enchères de photographies sans aucun lien avec la présente action.

Il s’ensuit que la présente action de la société Magnum Photos est irrecevable.

 

Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive

Les sociétés Yann le Mouel et Viviane Esders soutiennent que la société Magnum Photos a engagé la présente action sans justifier des droits qu’elle prétend détenir, et ce malgré plusieurs demandes et sommations, et sollicitent du Tribunal en conséquence la condamnation de la société Magnum Photos à payer à chacun d’eux la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts.

Sur ce,

L’exercice d’une action en justice constitue par principe un droit, qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équivalente au dol.

Les sociétés Yann le Mouel et Viviane Esders seront déboutées de leur demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d’une quelconque intention de nuire de la part de la société Magnum Photos, qui a pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits.

Sur les demandes relatives aux frais du litige et aux conditions d’exécution de la décision

La société Magnum Photos, partie perdante, sera condamnée aux dépens qui seront recouvrés en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

En outre les défenderesses ont exposé des dépenses pour faire valoir leurs droits. Aussi la société Magnum Photos doit être condamnée à verser aux sociétés Yann le Mouel et Viviane Esders la somme globale de 4.000 euros, et à la société Binocche et Giquello la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature du litige, sera ordonnée.

 

DÉCISION

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort :
– DECLARE l’action de la société Magnum Photos irrecevable ;
– DÉBOUTE les sociétés Yann le Mouel et Viviane Esders de leur demande reconventionnelle ;
– CONDAMNE la société Magnum Photos aux dépens recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE la société Magnum Photos à payer aux sociétés Yann le Mouel et Viviane Esders la somme globale de 4.000 euros, et à la société Binocche et Giquello la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision.
Le Tribunal : François Ancel (Premier Vice-President adjoint) , Françoise Barutel (Vice-Présidente), Julien Richaud (Juge), Jeanine Rostal (Greffier)

Avocats : Daphné Juster, Brad Spitz, Roland Rappaport

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