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Jurisprudence : Contenus illicites

mercredi 20 janvier 2021
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Tribunal judiciaire de Paris, 17ème ch. civ., jugement du 18 Janvier 2021

Monsieur X. / Monsieur Y.

commentaires - excuse de provocation - Injures publiques - réseaux sociaux

Monsieur X. exerce la profession d’interprète, auteur, compositeur et producteur dans le domaine de la chanson. A compter de 2003 et pendant plusieurs années, Monsieur X. et Monsieur Y. ont entretenu, outre des relations amicales, une collaboration professionnelle. Monsieur Y. a notamment créé des pochettes d’album pour Monsieur X., filmé l’enregistrement de certains album, créé et hébergé, en sa qualité de webmestre, un site internet destiné à promouvoir son activité artistique, après avoir été à l’origine d’un premier site de fan de la musique et des chansons de Monsieur X.

Le 12 août 2018, Monsieur Y. a publié sur son compte sur le réseau social Facebook, en réponse à un message de Monsieur Z., manager de Monsieur X., reçu le 04 août 2018 et ainsi libellé “ Monsieur Z. vous invite à aimer M. X.”, un message débutant ainsi “Non, désolé M. Z. Désolé. Toi je t’aime mais je ne veux pas aimer M. X. Je ne peux plus aimer M. X. Je le confesse, je n’ai pas su illico si ma première réaction à ton invitation devait être de rire aux éclats, vérifiant même par deux fois que j’étais bien connecté sur mon propre compte Facebook.” et se terminant par “Alors voilà M. X, j’aimerais te dire que je ne t’en veux pas, que je suis triste pour toi. Triste que tu en sois arrivé à devenir celui-là. Triste que tu te sois comporté ainsi avec tant de gens. Triste que je puisse t’associer dans ma tête ton nom à tant de hashtags répugnants. J’espère que prochainement seule la pitié à ton égard perdurera en moi, et si je te croise de nouveau un jour, même hors d’une rame de métro, même sans avoir à t’offrir un mot, que je serai alors apte à avoir un regard de compassion à te laisser. En somme, j’espère qu’un jour je deviendrai un juif à valeurs chrétiennes.”.

Par acte d’huissier délivré le 12 novembre 2018, Monsieur X. a assigné Monsieur Y. devant ce tribunal sur le fondement des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, estimant que certains propos contenus dans le message publié le 12 août 2018 étaient injurieux à son encontre.

Ladite assignation a été dénoncée au ministère public par acte du 15 novembre 2018.

Dans ses dernières écritures, notifiées le 26 août 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétention, Monsieur X. demande au tribunal de :
– dire que les propos suivants, tels que visés dans son acte introductif d’instance, contenus dans le message publié le 12 août 2018 par Monsieur Y. sur son compte Facebook constituent le délit d’injure publique envers un particulier :
– “M. X lui, m’a prouvé ces récentes années le faussaire qu’il est.”,
– “Il y a encore quelques semaines, peut-être quelques jours, les premiers mots qui venaient pour qualifier M. X étaient ceux d’Edmond de Rostand. “Maraud, faquin, butor de pieds plats ridicule”. J’aurais volontiers ajouté muffle, goujat, malotru, connard.”,
– “M. X. est devenu une triste parodie de celui qu’il a peut-être voulu être un jour. Il est rendu aigri, arriviste, malveillant, peut-être sans s’en rendre compte, certes, mais moi je m’en suis rendu compte. Tu vois, M. Z., M. X. est devenu mon parfait exemple de tout ce qui est humainement à éviter, en qualité d’ami, en qualité de collègue, en qualité d’artiste, en qualité de parent.”,
– “Triste que je puisse t’associer dans ma tête ton nom à tant de hashtags répugnants.”,
– en conséquence :
– condamner Monsieur Y. à supprimer sa publication du 12 août 2018 postée sur son mur Facebook, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé le délai de 15 jour à compter de la signification du jugement à intervenir,
– le condamner à publier sur le mur de son compte Facebook public, pendant une durée de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, l’intégralité du dispositif du jugement sous l’intitulé : “Communiqué judiciaire : condamnation pour injure publique à l’encontre de Monsieur X.”, et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée,
– le condamner à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
– condamner le défendeur à lui verser la somme de 5.000 euros sur le
fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, en ce compris les frais engagés pour faire établir le procès- verbal de constat en date du 07 novembre 2018,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans ses dernières écritures, notifiées le 31 juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétention, Monsieur Y. demande au tribunal de :
– constater, à titre principal, qu’il n’a pas eu l’intention de porter atteinte à la dignité ou à l’honneur du demandeur,
– constater, à titre subsidiaire, qu’il a réagi à une provocation du demandeur,
– constater, en tout état de cause, qu’il a simplement usé de sa liberté d’expression,
– débouter, en conséquence, Monsieur X. de l’intégralité de ses demandes,
– condamner, en tout état de cause, le demandeur à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 septembre 2020.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 23 novembre 2020 et mise en délibéré au 18 janvier 2021, par mise à disposition au greffe.

Sur les propos qualifiés d’injure publique envers particulier

Sur le caractère injurieux des propos

Il résulte de l’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 que l’injure se définit comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. Une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse. Un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé. Une invective prend une forme violente ou grossière.

L’appréciation du caractère injurieux du propos doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message, et de manière objective, sans prendre en considération la perception personnelle de la victime.

Les règles servant de fondement aux poursuites d’injures publiques doivent être appliquées à la lumière du principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle de la liberté d’expression, une expression n’étant constitutive d’injure que si elle excède les limites de la liberté d’expression.

Le juge se doit en conséquence d’exercer un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte portée en particulier à la réputation ou au droit d’autrui et l’atteinte susceptible d’être portée à la liberté d’expression par la mise en œuvre de l’une des restrictions prévues par la loi.

En l’espèce, les propos litigieux s’insèrent dans un long message publié par Monsieur Y. sur son compte sur le réseau social Facebook.

Le caractère public de ce message, accessible sans restriction sur la première page dudit compte comme en atteste le procès-verbal de constat d’huissier dressé le 07 novembre 2018 (pièce en demande n°2), n’est pas contesté.

Il n’est pas non plus contesté que le message, et plus particulièrement les propos considérés comme injurieux, visent Monsieur X. nommément cité à plusieurs reprises.

Il apparaît, au vu du message en son entier, que ce dernier relate la déception du défendeur vis-à-vis du comportement du demandeur à diverses occasions, que ce soit dans le domaine professionnel, familial ou amical. S’en suit l’exposé de critiques, voire d’un certain ressentiment.

Les propos relevés par le demandeur contiennent des termes insultants ou outrageants, portant atteinte à son honneur. C’est le cas de :
“faussaire”, plus particulièrement pour un professionnel de la composition musicale puisqu’il est ainsi sous-entendu qu’il pourrait copier les oeuvres de tiers ou donner de lui une image volontairement fausse dans un but commercial,
“malotru” ou“connard” qui constituent des insultes, étant précisé que les insultes extraites du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, que Monsieur Y. s’approprie afin de les accoler directement à Monsieur X., hors de leur contexte littéraire, perdent ainsi leur caractère de citation pour redevenir des termes insultants,
“parfait exemple de tout ce qui est humainement à éviter” sous- entendant que le demandeur ne présente aucune des qualités habituellement reconnues aux personnes faisant preuve “d’humanité” ou tout simplement aux êtres humains, étant précisé que cette expression est précédée d’une série de termes négatifs décrivant le demandeur, à savoir “aigri, arriviste, malveillant”, se voulant l’illustration de ce qui est notamment “humainement à éviter” et participant ainsi de l’injure faite à Monsieur X.,
– du fait de faire penser à “tant de hashtags répugnants” signifiant que son nom et sa personne peuvent être associés à des qualificatifs de nature à inspirer du dégoût.

Afin de prétendre que les propos sus-visés ne seraient pas injurieux, le défendeur soutient qu’il ne voulait qu’énoncer son opinion personnelle et n’avait pas l’intention d’outrager le demandeur. Il sera néanmoins rappelé qu’en matière d’injure, la mauvaise foi se présume et qu’il appartient le cas échéant à l’auteur des propos de démontrer son absence d’intention fautive. Force est de constater en l’espèce que Monsieur Y. n’apporte nullement cette preuve dès lors que les propos poursuivis sont explicitement outrageants et que le fait qu’ils correspondent par ailleurs à son opinion personnelle ne leur ôte pas leur caractère injurieux. Il sera au surplus souligné que le défendeur a choisi, sous le prétexte d’une “invitation” visiblement promotionnelle qui lui a été envoyée par le manager de Monsieur X., de diffuser publiquement le message litigieux ce qui démontre son intention de porter publiquement atteinte à l’honneur ou la délicatesse de Monsieur X.

Enfin, il n’est nullement établi que ces propos s’inscriraient dans un débat d’intérêt général ou une polémique existant entre les parties de sorte que compte tenu de leur caractère outrancier, il doit être considéré qu’ils se distinguent de la manifestation d’une opinion, même critique ou péjorative, et excèdent les limites de la liberté d’expression.

Il doit donc être considéré que les propos relevés par Monsieur X. dans le dispositif de ses dernières écritures sont constitutifs d’injures publiques envers un particulier.

Sur l’excuse de provocation

L’excuse de provocation peut faire disparaître l’élément intentionnel de l’infraction d’injure publique envers particulier, sous réserve que la provocation soit personnelle, directe, fautive, proportionnée et assez proche dans le temps de l’injure ; elle doit être démontrée par celui qui l’invoque.

Monsieur Y. invoque l’excuse absolutoire de provocation en affirmant que le message publié serait une réaction proportionnée au comportement de Monsieur X. lors des obsèques de F. évoquées dans le message litigieux. Le défendeur lui reproche de s’être “permis de réecrire et enjoliver l’histoire de son amitié avec le défunt” et produit quatre attestations indiquant notamment que le demandeur était absent lors de la cérémonie mais avait fait lire un message qui avait été jugé “gonflé”, “déplacé” (pièces du défendeur n°3 à 6). Le défendeur évoque de même “l’invitation” de Monsieur Z. comme une provocation “de trop”.

Force est cependant de constater que Monsieur Y. ne précise ni qui était F., ni ses liens avec ce dernier, ni la date des funérailles, de sorte qu’il ne permet pas au tribunal d’apprécier le caractère personnel, direct, fautif de la provocation invoquée, ni le caractère proportionné et assez proche dans le temps de l’injure en réponse. Il faut en effet se référer aux écritures du demandeur pour connaître l’identité de F., à savoir E. F., ainsi que la date de son décès, à savoir le 08 novembre 2017, soit dans un temps ne pouvant en tout état de cause pas être qualifié “d’assez proche” de la publication du message litigieux le 12 août 2018.

De même, “l’invitation” du manager du demandeur, qui n’émane donc pas de ce dernier, ne peut être considérée comme une provocation directe et personnelle de nature à justifier les propos injurieux.

L’excuse de provocation ne sera donc pas retenue.

Sur les mesures de réparation sollicitées

Si la seule constatation de l’existence de propos injurieux ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à l’atteinte ainsi portée à son honneur ou sa délicatesse, il appartient au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.

Afin de réparer l’atteinte portée par la publication de propos injurieux, s’il peut être envisagé, contrairement à ce qu’exclut expressément le demandeur, d’ordonner leur retrait, il ne saurait être enjoint à l’auteur d’un texte dans lequel les propos s’insèrent de retirer l’intégralité dudit texte sous peine de porter une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression. La demande présentée en ce sens par Monsieur X. sera donc rejetée.

S’agissant de l’indemnisation du préjudice moral invoqué par le demandeur, il convient pour évaluer son étendue de prendre en considération notamment le fait que celui-ci subit la publication de propos injurieux ayant donné lieu à 25 commentaires à une époque contemporaine de la diffusion du message, comme en atteste le procès- verbal de constat sus-cité, sans qu’il ne soit démontré que le message ait continué à susciter des commentaires ou ait trouvé un écho en dehors de la page Facebook de Monsieur Y. Aucune autre pièce n’est produite afin d’établir plus amplement le préjudice spécifiquement subi par le demandeur du fait de la publication des propos litigieux.

Au vu de ces éléments, le préjudice moral subi par le demandeur sera justement évalué à la somme de 1.000 euros que Monsieur Y. sera condamné à lui verser à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Le préjudice subi par le demandeur du fait des propos litigieux étant suffisamment réparé par l’octroi de dommages et intérêts, la demande portant sur la diffusion d’un communiqué judiciaire sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Il serait inéquitable de laisser au demandeur la charge des frais irrépétibles qu’il a dû exposer pour la défense de ses intérêts et il y aura lieu en conséquence de condamner Monsieur Y. à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, montant qui inclut les frais de constats d’huissier exposés, lesquels ne constituent ni des dépens ni un préjudice réparable.
Monsieur Y. sera en outre condamné aux entiers dépens. L’exécution provisoire étant compatible avec la nature du litige, il y a lieu de l’ordonner.


DECISION

Statuant, après débats publics, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort :

Dit que les propos suivant, publiés le 12 août 2018 par Monsieur Y. sur son compte sur le réseau social Facebook, sont constitutifs du délit d’injure publique envers un particulier à l’encontre de Monsieur X. :

– “M. X lui, m’a prouvé ces récentes années le faussaire qu’il est.”,
– “Il y a encore quelques semaines, peut-être quelques jours, les premiers mots qui venaient pour qualifier M. X étaient ceux d’Edmond de Rostand. “Maraud, faquin, butor de pieds plat ridicule”. J’aurais volontiers ajouté muffle, goujat, malotru, connard.”,
– “M. X est devenu une triste parodie de celui qu’il a peut-être voulu être un jour. Il est rendu aigri, arriviste, malveillant, peut-être sans s’en rendre compte, certes, mais moi je m’en suis rendu compte. Tu vois, M. Z., M. X est devenu mon parfait exemple de tout ce qui est humainement à éviter, en qualité d’ami, en qualité de collègue, en qualité d’artiste, en qualité de parent.”,
– “Triste que je puisse t’associer dans ma tête ton nom à tant de hashtags répugnants.”,

Condamne Monsieur Y. à verser à Monsieur X. la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral résultant de la publication de propos injurieux à son encontre, outre les intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne Monsieur Y. à verser à Monsieur X. la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne Monsieur Y. aux dépens,

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.

 

Le Tribunal : Sophie Combes (vice-présidente), Roia Palti (vice-présidente), David Mayel (juge), Virginie Reynaud (greffier)

Avocats : Me Romain Darrière, Me Nicolas Barety

Source : Legalis

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