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Jurisprudence : Diffamation

vendredi 04 avril 2014
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre correctionnelle Jugement du 14 janvier 2014

Stoppv et autres / Sébastien D.

diffamation - imprécision - injure - nullité de procédure - plainte - qualification - régularité - site internet

FAITS ET PROCÉDURE

Par ordonnance rendue le 4 septembre 2012 par l’un des juges d’instruction de ce siège à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par Yohan D., Allan S. et la société Stoppv le 12 mai 2011, Sébastien D. a été renvoyé devant ce tribunal sous la prévention :

* d’avoir à Paris, le 23 février 2011 et en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription étant le directeur de publication du site internet “www.maitre……com” et l’auteur de l’article incriminé, commis le délit de diffamation publique envers un particulier par un moyen de communication accessible au public par voie électronique, en l’occurrence en rédigeant et en mettant en ligne à l’adresse http://www.maitre….des-arnaques-de-sos-points-et-stop-pv/ l’article intitulé : “Le coup d’arrêt des arnaques de Sos Points et Stoppv” et contenant les passages suivants :
– “ces sociétés ne sont pas constituées par des avocats et que Stoppv ne peut légalement traiter la contestation de vos pv” ;
– “ne confiez pas vos dossiers à ces sociétés car vous paierez des prestations totalement inutiles et illégales” ;

“Un avocat quel qu’il soit vous coutera moins cher et obtiendra des résultats contrairement à ces sociétés”,

lesdits titre et passages contenant des allégations ou des imputations de faits portant atteinte à l’honneur ou à la considération de Yohan D., Allan S. et de la société Stoppv,

faits prévus et réprimés par les articles 23 alinéa 1, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 47 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 et par les articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.

Appelée pour fixation à l’audience du 13 décembre 2012, l’affaire a été contradictoirement renvoyée aux audiences des 12 mars 2013, 4 juin 2013 et 3 septembre 2013, pour relais, et 19 novembre 2013, pour plaider.

A cette dernière audience, le prévenu et les parties civiles, non comparants, étaient représentés par leur conseil respectif.

Le conseil des parties civiles a sollicité le renvoi de l’affaire en raison de la communication tardive des conclusions de nullité par la défense.

Après avoir recueilli les observations du ministère public et de l’avocat de la défense et après en avoir délibéré, le tribunal a décidé de rejeter la demande de renvoi mais de ne retenir que l’examen des moyens de nullité en fin d’audience.

Lors de l’évocation de l’affaire et après lecture de la prévention, le conseil des parties civiles a soulevé, principalement, la nullité de la plainte :
– premièrement, sur le fondement de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 aux motifs, d’une part, qu’il ressort de la dite plainte que les deux articles poursuivis renfermeraient à la fois des expressions diffamatoires et des expressions injurieuses et que l’analyse de ses pages 2, 3 et 8 montre que les mêmes termes sont poursuivis sous ces deux qualifications, d’autre part, que l’acte omet de préciser les propos considérés comme injurieux comme il le fait pour ceux qui seraient diffamatoires, ce qui créé une équivoque préjudiciable à la défense, étant ajouté que le ministère public lui-même soutient la nullité de la plainte pour défaut de précision des alinéas des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881,
– deuxièmement, sur le fondement de l’article 5 du code de procédure pénale qui prohibe une mise en mouvement de l’action publique après une action civile alors que les parties civiles ont agi sur le fondement de l’article 9-1 du code civil, ce qui a conduit à un jugement d’irrecevabilité du 2 mai 2012 et à un désistement ultérieur de l’appel qu’ils avaient interjeté.

Subsidiairement, il a soulevé l’irrecevabilité de l’action des parties civiles pour défaut d’intérêt à agir en application de l’article 2 alinéa 1er du code civil dès lors que dans de récentes procédures judiciaires, les deux personnes physiques parties civiles se présentant respectivement comme président et directeur général de la société Stoppv et comme ayant été diffamées en cette qualité ont pourtant conclu devant les juridictions saisies qu’ils n’avaient aucun lien avec ladite société.

En tout état de cause, l’action des parties civiles revêt selon Sébastien D. un caractère abusif et justifie leur condamnation à lui payer la somme de 5000 € de dommages-intérêts en application de l’article 472 du code de procédure pénale.

Le ministère public a eu la parole en ses réquisitions et a expressément invoqué la nullité de la plainte sur le fondement de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 pour défaut de précision des alinéas des articles 29 et 32 de ladite loi.

Le conseil des parties civiles a plaidé le rejet de tous les moyens liminaires aux motifs que les nullités ont été purgées par l’ordonnance de renvoi devant le tribunal, que les poursuites sont claires et précises relativement à la diffamation, que l’omission du rappel des termes injurieux résulte d’une simple erreur matérielle sans conséquences et qui n’influe pas, en tout état de cause, sur la diffamation poursuivie, que le moyen tiré de l’application de l’article 5 du code de procédure pénale ne concerne que l’action au titre de l’article de presse “papier” qui a été jugée prescrite, qu’enfin, le défaut d’intérêt à agir suppose l’examen du point de savoir si les parties civiles sont identifiables et visées par les propos, ce qui est indépendant des contentieux civils distincts invoqués par le prévenu.

A l’issue des débats, après que la parole a été offerte en dernier lieu au conseil du prévenu, l’affaire a été mise en délibéré sur les moyens liminaires et le président, conformément à l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, a informé les parties que le jugement serait prononcé le 14 janvier 2014.

A cette date, la décision suivante a été rendue.

DISCUSSION

Sur la nullité fondée sur l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881

Il doit être rappelé que si la plainte avec constitution de partie civile du 12 mai 2011 incriminait, d’une part, un article paru au mois de février 2011 dans le mensuel EVO et, d’autre part, un article publié sur le site internet du prévenu maitre…com et que si les prévenus n’ont été renvoyés devant ce tribunal que du chef du second article en raison de la prescription concernant le premier. Il n’en reste pas moins que la plainte initiale forme un tout indivisible qui doit être analysée dans sa globalité au regard des critiques sur sa régularité formées en défense.

C’est à juste titre que le prévenu fait valoir que les dispositions de l’article 179 du code de procédure pénale et la purge des nullités en résultant ne peuvent être opposées s’agissant de moyens de nullité fondés sur de la loi du 29 juillet 1881, la régularité de la plainte – le cas échéant combinée avec le réquisitoire introductif – devant être examinée par le tribunal.

Il doit donc être rappelé, en effet, qu’en matière de délits de presse, l’acte initial de poursuite fixe définitivement et irrévocablement la nature et l’étendue de celle-ci quant aux faits et à leur qualification.

L’article 50 de la loi sur la liberté de la presse dispose que “si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d’articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquelles la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l’application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite”.

L’articulation ainsi exigée doit permettre de déterminer les propos incriminés avec la précision nécessaire pour que les personnes ultérieurement poursuivies sachent exactement ce qui leur est reproché et qu’elles puissent utilement préparer leur défense, dès lors que l’acte de poursuite initial fixe de façon irrévocable l’objet du litige.

Le texte de la loi qui doit être ainsi indiqué s’entend de l’article qui réprime l’infraction.

Ces dispositions bannissent qu’un même fait puisse recevoir des qualifications cumulatives ou alternatives, dès lors qu’elles sont incompatibles entre elles.

Les dispositions de l’article 50 de la loi sur la presse tendent à garantir les droits de la défense, elles sont substantielles et prescrites à peine de nullité de la poursuite elle-même.

En l’espèce, il ressort clairement de la plainte que l’un des passages incriminés de l’article paru dans le magazine EVO fait l’objet d’une double poursuite sur les qualifications, pourtant incompatibles entre elles, d’injures et de diffamation publique dès lors que la phrase suivante “Qui peut penser qu’une personne n‘ayant aucune compétence en droit de l’automobile, ni juridique d’ailleurs, puisse trouver des failles que nous, avocats très expérimentés, n‘aurions pas trouvées ?“ figure expressément dans le paragraphe “sur les propos diffamatoires” de la page 5 et comme une injure explicitement poursuivie figurant en page 10.

En outre, il est écrit en page 2 de la plainte – à la suite de la citation des extraits incriminés – que les deux articles contiennent à la fois des termes constitutifs d’une diffamation et des termes constitutifs d’une injure publique alors que si les diffamations poursuivies au titre des premier et deuxième articles sont exposées dans chaque sous-partie d’un chapitre consacré aux diffamations, seule des injures poursuivies au titre du premier article sont ensuite explicitées dans un second chapitre dont la deuxième sous-partie est réservée au préjudice, de sorte que tout en annonçant des poursuites pour injures publiques au titre du second article, les parties civiles n’en précisent pas les termes.

Enfin, il est exact, ainsi que l’a relevé le ministère public, que les alinéas des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas mentionnés dans la plainte qui ne cite à aucun moment des poursuites pour injure ou diffamation envers particuliers alors que les dispositions précitées de l’article 50 exigent la mention, sous peine de nullité, du texte répressif.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments une incertitude dans l’esprit du prévenu préjudiciable à sa défense qui doit entraîner la nullité de la plainte et des poursuites subséquentes sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens liminaires.

Sur la demande fondée sur l’article 472 du code de procédure pénale

Il n’est pas démontré que le droit de mettre en mouvement l’action publique par les parties civiles ait dégénéré en abus, de sorte que cette demande doit être rejetée.

DÉCISION

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de Sébastien D., prévenu (art.411 du code de procédure pénale), de la société Stoppv, Allan S. et Yohan D., parties civiles (art.424 du code de procédure pénale) :

. Déclare nulle la plainte avec constitution de parties civiles du 12 mai 2011 et les poursuites subséquentes ;

. Rejette la demande de Sébastien D. fondée sur l’article 472 du code de procédure pénale.

Le tribunal : M. Marc Bailly (président), M. Julien Senel et Mme Marie Mongin (vice présidents)

Avocats : Me Raphaël Chiche, Me Romain Darrière

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