Jurisprudence : Marques
Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, arrêt du 15 décembre 2010
Amaury Sport Organisation et Socitéte du Tour de France / Orchester Consulting et Eurocycler
contrefaçon - images - marque communautaire - marque semi-figurative - marque verbale - site internet - usage dans la vie des affaires
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Décembre 2008 -Tribunal de Grande Instance de Paris -RG no 08/00052
ARRÊT
-par défaut
-rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Didier Pimoulle, président et par Mademoiselle Aurélie Geslin, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement réputé contradictoire du 9 décembre 2008 rendu par le tribunal de grande instance de Paris (3eme chambre, 1ère section),
Vu l’appel interjeté le 26 mai 2009 par les sociétés Amaury Sport Organisation (ASO) et Société du Tour de France (STF),
Vu les uniques conclusions déposées le 28 septembre 2009 par les appelantes,
Vu les actes d’accomplissement des formalités de l’alinéa 1 de l’article 684 du
Code de procédure civile des 10 et 28 décembre 2009, aux fins de signification de
l’assignation et de dénonciation des conclusions, respectivement à la société de droit américain Eurocycler LLC (ci-après dite Eurocycler) et à la société de droit suisse Orchester Consulting GMBH (ci-après dite Orchester), non comparantes, les fiches de dépôt de recommandé international des mêmes dates, les avis de réception signés respectivement le 12/12/09 et le 30/12/09 et les retours des entités requises,
Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 21 septembre 2010,
DISCUSSION
Considérant que la STF (p 3 de ses écritures) se prévaut de la titularité
notamment de :
-la marque verbale française « Tour de France » n° 1 368 310 en classes 1 à 42, visant en particulier les informations concernant les voyages (agences de tourisme et de voyage, réservation de places),
-la marque française semi-figurative n°1 554 360 en classes 3, 5, 6, 9, 12, 14, 16, 18, 20, 22, 24, 25, 28, 32, 34, 35, 38 et 41 :
LE TOUR
-la marque communautaire verbale « LE TOUR DE FRANCE » n° 003503216, enregistrée le 19 avril 2005, notamment en classe 39 pour l’organisation de voyages, <
-la marque communautaire semi-figurative n° 003530557 enregistrée le 31 mars 2005 également notamment en classe 39 :
LE
TOUR
DE
FRANCE
Que suivant contrat du 31 décembre 2001, la STF a donné en location-gérance à
AS0 son fonds de commerce d’organisateur d’épreuves cyclistes, comprenant notamment les deux marques françaises précitées ;
Que la STF et l’ASO se prévalant de la « violation de droits de propriété
intellectuelle » ont requis l’Agence pour la Protection des Programmes (dite APP) qui a établi le 16 janvier 2006 un procès-verbal de constat du 16 janvier 2006 faisant apparaître notamment le nom de domaine <
Que l’ASO indiquant avoir constaté sur ce site la commercialisation de la
manifestation sportive, sur laquelle elle détient les droits d’exploitation, au travers des voyages organisés par la société Eurocycler a mis cette dernière en demeure le 26 janvier 2006 de cesser d’utiliser les marques et les photographies du Tour de France et de se rattacher à celui-ci ;
Que le conseil de l’ASO et de STF invoquant la persistance de l’exploitation de
la marque « Le Tour de France », des images du Tour de France et la commercialisation de voyages calqués sur l’itinéraire dudit Tour a renouvelé une mise en demeure le 15 mai 2006 ; que la société Orchester a précisé le 3 juillet 2006 que la société Eurocycler était sous son contrôle à 100% et qu’elle avait fait enlever toutes les images se rapportant au Tour de France du site Web EuroCycler ;
Que le conseil de l’ASO et de STF indiquant que l’examen du site montrait
toujours l’exploitation de ces images, de la marque et annonçait la commercialisation d’itinéraires, a adressé un mise en demeure à la société Orchester le 25 octobre 2006, et la STF et l’ ASO ont à nouveau requis l’APP qui a dressé un constat le 27 novembre 2006, sur le site internet « eurocycler.com » ;
Que c’est dans ces circonstances que l’ASO et STF ont saisi le Tribunal de grande
instance de Paris d’une action en contrefaçon de marques, exploitation injustifiée de la notoriété de marques, atteintes aux droits exclusifs d’organisateur sur la manifestation sportive et parasitisme ;
Que par le jugement déféré, le tribunal a essentiellement :
-dit n’y avoir lieu de se déclarer compétent pour statuer sur les demandes,
-déclaré l’ASO irrecevable en sa demande au titre de l’atteinte à son droit d’exploitation pour la reproduction de la carte officielle et de l’affiche officielle du Tour de France,
-débouté la STF et l’ASO de leurs demandes au titre de la contrefaçon et de l’exploitation injustifiées de leurs marques,
-débouté l’ASO de ses demandes au titre de l’atteinte à son droit d’exploitation pour les itinéraires du Tour de France, et au titre du parasitisme,
-dit qu’en ayant reproduit et diffusé sur leur site internet <
Considérant que les sociétés ASO et STF, qui ont à nouveau requis l’APP qui a
dressé deux autres constats sur le site <
Considérant qu’aucune exception d’incompétence n’ayant été soulevée il n’y a pas
lieu de se prononcer sur ce point, étant observé que même dans les cas visés à l’article 92 alinéa 2 du Code de procédure civile devant la cour d’appel relevé d’office d’une incompétence n’est qu’une simple faculté ;
Considérant qu’il sera rappelé que le français est la langue du procès ; qu’en
conséquence toute pièce produite en langue étrangère et non traduite ne saurait être prise en compte par la cour qui n’est pas en mesure d’en apprécier la pertinence ; qu’il en est ainsi en particulier des pièces 23, 29, 30, 33 et 40 à 42 et des pages du site <
Sur les marques
Considérant que les appelantes font valoir que l’usage de marques sur le site
« eurocycler.com » ne saurait être justifié par les limitations édictées par l’article 6 §1 de la directive communautaire n° 891104 du 21 décembre 1988 qui prévoit que « le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers, l’usage dans la vie des affaires [. .. de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée » ;
Sur les marques communautaires
Considérant que l’ASO et la STF demandent de dire que l’usage sur le site
internet <
Qu’à cet égard elles se prévalent plus particulièrement des constats dressés par
l’APP sur le site <
Que toutefois ainsi que précédemment rappelé la reproduction sans traduction de
pages rédigées en langue étrangère issues de ce site ne permet pas à la cour d’apprécier en particulier l’existence ou la portée de prétendues périphrases ni la présentation ou l’exact contenu des prestations offertes; que par ailleurs le constat du 16 janvier 2006 produit ne permet pas de réellement visualiser les pages du site ;
Que cependant la cour a pu relever de l’examen du constat du 27 novembre 2006
que dans le titre de page et le contenu des balises meta du site apparaît la mention « Tour de France », qu’apparaissent également sur le site les mentions « Le Tour 2007 » et « letour.fr », que des photographies s’affichent représentant des coureurs cyclistes avec la présence du texte « Tour de France », que l’expression « Tour de France » apparaît comme titre ou adresse de page, de même que l’affichage du texte « le Tour de France 2007 » ou de messages intitulés « Tour de France 2006 », d’une carte de France avec un tracé entre différents points, ainsi qu’une affiche reproduisant dans un angle la marque semi figurative « Le Tour de France » ;
Que le constat du 7 novembre 2008 révèle que le contenu des balises meta
mentionne toujours l’expression « Tour de France », que des photographies précédemment visées demeurent reproduites, que la marque semi figurative « Le Tour de France » est reproduite ensuite de l’ouverture d’une fenêtre (impression 9) de même qu’une carte de France avec un tracé entre divers points sur une page intitulée « 2009 Tour de France » (p23/36 du Procès verbal) ;
Qu’il sera ajouté que le constat du 28 septembre 2009 montre la présence de la
même expression dans les balises meta et d’images de coureurs, ainsi que la mention « Tour de France 2010 » à côté de la photographie d’un coureur cycliste ;
Considérant que les premiers juges ont estimé que l’utilisation notamment du
terme « Tour de France » était nécessaire et que l’utilisation de périphrases s’avérait
impossible ;
Que cependant, ainsi que le relèvent les appelantes, il peut être constaté une
réduction de l’utilisation de cette mention ensuite de l’assignation ; que la société
Eurocycler/Orchester précisait par ailleurs dans un courrier du 23 novembre 2006 (selon traduction produite) avoir <
son site et prétendait être conduite comme <
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il est suffisamment
démontré que l’usage des marques communautaires verbale et semi figurative « Le Tour de France » n’est pas absolument nécessaire pour l’activité des intimées, puisqu’elles envisageaient de supprimer ce nom sans invoquer un quelconque risque de ce chef ;
Qu’en réalité ces marques sont utilisées dans la vie des affaires à des fins
publicitaires pour vendre des prestations identiques ou similaires aux services couverts par les marques communautaires précitées (n°003503216 et n°003530557) en classe 39 ; que leur titulaire et l’exploitant du fonds de commerce sont en droit de s’opposer à une telle exploitation dès lors qu’elle est susceptible de porter atteinte à leurs droits, le consommateur pouvant croire qu’il existe un lien commercial entre l’organisateur du Tour de France et la société Eurocycler détenue par la société Orchester ;
Que, compte tenu de ce qui précède, les sociétés appelantes sont fondées en leurs
demandes en contrefaçon des marques communautaires verbale et semi-figurative « LE TOUR DE FRANCE » (sans qu’il y ait lieu d’examiner le moyen subsidiaire de leur
exploitation injustifiée), et le jugement sera infirmé sur ce point ;
Sur les autres marques
Considérant que les appelantes invoquent en fait pour les marques françaises
verbale « TOUR DE FRANCE » et semi figurative « LE TOUR » (laquelle n’a pas été déposée pour des services concernant les voyages) une exploitation injustifiée de la notoriété de ces marques ;
Qu’elles font valoir qu’il s’agit de marques anciennes (dépôts de 1977 et 1989),
notoirement connues, d’une large partie du public, pour désigner tant l’événement sportif que des produits dérivés, et que le Tour de France créé en 1903 et désigné dès 1947 par l’expression « LE TOUR » a une réelle renommée; qu’elles produisent à cet égard :
-une étude internationale grand public de la SOFRES de mars 2001 qui fait état d’une notoriété exceptionnelle du Tour de France,
-un rapport d’étude du 25 mars 2008, réalisée en décembre 2007, confirmant la notoriété très élevée du « Tour »,
-un bilan du 8 septembre 2009 du Tour de France 2009 révélant une diffusion significative sur les cinq continents ;
Que ces éléments suffisent à établir la renommée des marques en cause justifiant
une protection même au delà des services énumérés lors des dépôts ;
Que manifestement l’usage de signes verbaux similaires sur le site
<
Sur les droits de l’organisateur
Considérant que les dispositions de l’article L.333-1 du Code du sport réservent
à l’organisateur d’une manifestation sportive son exploitation ;
Sur les images
Considérant que les premiers juges ont par des motifs pertinents que la cour approuve, fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en retenant qu’il ressort de la traduction du courrier précité du 23 novembre 2006 que les sociétés Eurocycler et Orchester, ont reconnu avoir utilisé sur leur site des photographies prises lors du tour de France et que cette diffusion sans autorisation de l’organisateur de la manifestation sportive (propriétaire des droits d’exploitation de l’image de cette manifestation) est constitutive d’une faute de nature à engager leur responsabilité à l’égard de l’ASO ; qu’il convient en conséquence de confirmer la décision déférée sur ce point ;
Sur les itinéraires
Considérant que les appelantes soutiennent que les premiers juges ont à tort
estimé que le monopole d’exploitation de l’organisateur de la manifestation sportive doit s’apprécier de façon restrictive et ne peut s’étendre à l’itinéraire de la compétition ;
Que certes l’itinéraire est un élément important nécessitant incontestablement
d’arbitrer des choix et d’apprécier leur pertinence ; que pour autant la simple reproduction de cartes mentionnant un itinéraire rendu public ne saurait porter atteinte aux droits de l’organisateur ; que l’ASO ne rapporte pas réellement la preuve, faute de traduction des textes du site incriminé que les intimées commercialisent des voyages strictement calqués sur le parcours annoncé de l’épreuve ; que ses droits d’exploitation sur la compétition ne peuvent avoir pour effet d’apporter une restriction telle au principe de la liberté du commerce et de l’industrie qu’elle interdise absolument toute référence à l’itinéraire choisi
par tout acteur ne lui étant pas économiquement lié, alors qu’il s’agit d’une manifestation populaire ayant un large retentissement, librement accessible au public ;
Que si les intérêts d’un organisateur de manifestations sportives justifient la
protection accordée par les dispositions précitées afin d’assurer la rentabilité des efforts et des investissements consentis pour en assurer la pérennité et le succès, cette garantie serait disproportionnée à ses fins si elle imposait un tel degré de contrainte ; que la décision entreprise sera donc également confirmée sur ce point ;
Sur le parasitisme
Considérant qu’à titre subsidiaire les appelantes soutiennent que l’exploitation des itinéraires du tour de France est constitutive de parasitisme, contrairement à ce qui a été retenu en première instance ;
Que les intimées en se référant au Tour de France et en plaçant sur leur site la
carte de France comportant un itinéraire ont accrédité l’idée d’un lien avec l’organisateur ; qu’elles ont en fait manifestement entendu profiter, sans bourse délier, de la notoriété de l’épreuve sportive ; qu’au demeurant la traduction de leur courrier du 23 novembre 2006 démontre clairement que la rentabilité économique des voyages et la promotion de leurs produits dépend de la notoriété de la compétition (puisqu’elles déploraient alors une baisse considérable ensuite du « scandale de la drogue » du « Tour de France ») ;
Que de tels agissements caractérisent suffisamment des actes de parasitisme alors
que l’ASO est en droit d’établir des partenariats commerciaux ; qu’il y a donc lieu à
infirmation de ce chef ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant que, compte tenu de la contrefaçon et de l’exploitation injustifiée de
marques retenues et de leur ampleur, une indemnité de 20.000 euros réparera justement le préjudice subi par chacune des sociétés appelantes à ce titre (l’une en qualité de propriétaire des marques, l’autre en qualité d’exploitant subissant un manque à gagner) ;
Que les premiers juges ont pertinemment évalué le préjudice subi par
l’organisateur du fait de l’utilisation des images du Tour de France à la somme de 10.000 euros, et celui résultant des actes de parasitisme sera entièrement réparé par l’allocation d’une somme de même montant (étant observé que les contrats non traduits invoqués ne sauraient constituer un élément d’appréciation pertinent de ce chef) ;
Que la mesure d’interdiction prononcée en première instance sera confirmée ;
qu’il convient seulement d’y ajouter l’interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon, d’exploitation injustifiée de marques, et de parasitisme, dans les conditions prévues au présent dispositif, sans qu’il y ait lieu à prononcer d’ astreinte ;
Que des mesures de publication judiciaires ne s’imposent pas ;
DECISION
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en qu’il a débouté
les sociétés Tour de France et Amaury Sport Organisation de leurs demandes au titre de la contrefaçon et de l’exploitation injustifiée de leurs marques, débouté la société Amaury Sport Organisation de ses demandes au titre du parasitisme, et rejeté la demande d’interdiction portant sur les marques, le nom des épreuves sportives et les itinéraires ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne in solidum les sociétés Eurocycler LLC et Orchester Consulting GMBH à payer à :
-chacune des sociétés Amaury Sport Organisation et Société du Tour de France la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon et d’exploitation injustifiées de marques,
-la société Amaury Sport Organisation 10.000 euros à titre de réparation du
préjudice subi du fait des actes de parasitisme ;
Interdit aux sociétés Eurocycler LLC et Orchester Consulting GMBH de poursuivre les actes de contrefaçon, d’exploitation de marques et de parasitisme retenus ;
Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation ;
Condamne in solidum les sociétés Eurocycler LLC et Orchester Consulting GMBH aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés par la SCP Grappotte Benetreau Jumel, avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile, et à verser aux sociétés Amaury Sport Organisation et Société du Tour de France, la somme globale complémentaire de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
La Cour : Didier Pimoulle (président), Brigitte Chokron (conseillère), Anne-Marie Gaber (conseillère), Aurélie Geslin (greffier)
Avocats : SCP Fissblier- Chiloux- Boulay, Me Marianne Laborde
En complément
Maître Marianne Laborde est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante :
En complément
Maître SCP Fisselier Chiloux Boulay est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Anne-Marie Gaber est également intervenu(e) dans les 31 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Aurélie Geslin est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Brigitte Chokron est également intervenu(e) dans les 36 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Didier Pimoulle est également intervenu(e) dans les 15 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.