Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de Grande Instance de Paris 3ème chambre, 4ème section Jugement du 08 juillet 2010
Aguttes, Symev / Artprice
droit d'auteur
FAITS ET PROCEDURE
La société Aguttes est une société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques qui, dans le cadre de ses activités, réalise des catalogues présentant les œuvres mises en vente.
La société Artprice.com exploite une base de données de résultats de ventes publiques d’œuvres d’art et dans le cadre d’un service annexe intitulé “artprice images”, elle offre également sur le site internet www.artprice.com l’accès à un important fonds de catalogues de ventes publiques.
Constatant que ses catalogues étaient ainsi reproduits sans son accord par la société Artprice.com, la société Aguttes a adressé une lettre de mise en demeure le 18 mars 2008 puis a fait établir un procès-verbal de constat par huissier de justice, le 23 juillet 2008.
Le 18 novembre 2008, la société Aguttes a fait assigner la société Artprice.com devant le tribunal de grande instance de Paris sur le fondement de la contrefaçon de ses catalogues et sur celui de la concurrence déloyale. Elle réclame, outre des mesures d’interdiction et de suppression des fichiers numériques, la somme de 30 000 € en réparation de son préjudice moral ainsi que la somme de 200 000 € en réparation de son préjudice commercial. Elle sollicite, enfin, une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et l’exécution provisoire du jugement.
Par des conclusions du 16 septembre 2009, le Syndicat national des maisons de ventes volontaires (Symev) est intervenu volontairement à l’instance au côté de la société Aguttes.
Dans ses dernières écritures du 26 avril 2010, la société Aguttes soutient que, contrairement aux affirmations de la société Artprice.com, celle-ci exploite l’intégralité des catalogues et non pas seulement les pages de couverture. Pour établir l’étendue de la reproduction, la demanderesse invoque les propres déclarations de la société Artprice.com et ses conditions générales de vente ainsi que le constat d’huissier de justice du 23 juillet 2008.
En second lieu, la société Aguttes fait valoir que la reproduction de ses catalogues constitue des actes de contrefaçon car ceux-ci sont des œuvres protégeables par le droit d’auteur. Pour établir leur originalité, elle invoque l’esthétique de la mise en page, les commentaires personnels, les illustrations recherchées, les couvertures originales et elle énumère pour 86 d’entre eux, les éléments révélateurs de la personnalité de l’auteur. Elle conteste, par ailleurs, la pertinence des arguments de la société Artprice.com pour écarter le caractère original des catalogues tenant à la nécessité de respecter les prescriptions du décret du 3 mars 1981 et l’application du taux normal de la TVA et non pas du taux réduit applicable pour les œuvres de l’esprit. Elle conclut donc que la reproduction de ses catalogues sans son autorisation constitue une contrefaçon, selon l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle.
La société Aguttes expose, en outre, que certains de ses catalogues au nombre de 4, ne sont pas protégeables par le droit d’auteur et que leur exploitation constitue des actes de parasitisme. Elle ajoute que la reproduction de ses autres catalogues pourrait également constituer des actes de parasitisme si leur caractère protégeable par le droit d’auteur n’était pas retenu. Elle fait valoir, en effet, que l’usurpation du travail d’autrui permettant une économie injustifiée, sans autorisation et sans contrepartie, constitue un comportement parasitaire. Elle déclare que pour réaliser les catalogues, elle effectue des investissements importants ainsi que l’atteste son expert-comptable. Elle ajoute que l’exploitation fautive qu’en fait la société Artprice.com, a pour effet de perturber sa politique de distribution de ses catalogues qu’elle remet gratuitement à ses clients ou qu’elle vend par abonnements ou à l’entrée des salles de ventes.
Ainsi, la société Aguttes maintient ses demandes et notamment celle de suppression des fichiers numériques même si la société Artprice.com a supprimé la mise en ligne des catalogues depuis le 9 mars 2009. Elle invoque un préjudice d’image pour caractériser le préjudice moral dont elle réclame réparation à hauteur de 30 000 €. S’agissant de son préjudice commercial, elle mentionne les bénéfices réalisés indûment par la société Artprice.com à son détriment ainsi que son propre manque à gagner.
Dans ses dernières écritures du 2 juin 2010, le Symev expose sa mission de défense des intérêts de ses membres telle qu’elle résulte de ses statuts et déclare que dans ce cadre, il a adressé à la société Artprice.com une lettre de mise en demeure du 16 novembre 2007. Il fait valoir que la société Artprice.com a mis en ligne l’intégralité des catalogues des maisons de ventes volontaires ainsi qu’il ressort de ses propres déclarations, des opérations de constat effectuées par la société Aguttes et la société Neret-Minet ainsi que de celles qu’il a faites lui-même diligenter les 24 juillet 2009 et 22 mars 2010 et qui démontrent le libre accès aux catalogues des sociétés de ventes volontaires n’ayant pas intenté d’action contre la défenderesse.
Le Symev soutient qu’il est recevable à agir contre la société Artprice.com, selon l’article L 2131-1 du Code du travail, en vue de défendre les intérêts collectifs de ses membres. Il expose que la société Aguttes est un de ses membres et qu’il a intérêt à agir dans une instance qui tend à trancher la question de principe relative à la licéité de la reproduction et de la diffusion par un tiers sans autorisation des catalogues des maisons de ventes volontaires et dont la solution est susceptible d’être étendue à l’ensemble de ses membres. Il ajoute que le comportement de la société Artprice.com porte atteinte à l’intérêt collectif de ses membres qui doivent demeurer libres de décider des conditions d’exploitation de leurs ouvrages. Enfin, il fait valoir que dès lors que le comportement de la société Artprice.com porte atteinte à l’intérêt collectif de ses membres, il importe peu de savoir combien de ces derniers sont directement concernés par la reproduction de leurs catalogues.
Le Symev fait valoir le bien-fondé de l’argumentation de la société Aguttes et il réclame personnellement la publication de la décision judiciaire sur la page d’accueil du site internet de la défenderesse, outre l’allocation de la somme d’un euro à titre de dommages intérêts et de celle de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, le tout avec exécution provisoire.
Dans ses dernières conclusions du 27 mai 2010, la société Artprice.com expose que depuis fin août 2007, elle a ouvert le service “ artprice images” qui propose un fonds d’informations sur les œuvres d’art vendues aux enchères publiques en France et dans le monde. Elle explique que pour constituer ce fonds, elle a trié et retraité les données issues des catalogues des maisons de ventes en retirant tous les textes susceptibles de faire l’objet de droits d’auteur et en se contentant de référencer les œuvres d’art avec leurs cotes. Elle indique qu’elle a répondu à la lettre du Symev en faisant valoir que son activité promouvait celle des maisons de ventes volontaires.
La société Artprice.com s’oppose aux demandes formées à son encontre tout en indiquant avoir, à titre conservatoire, supprimé l’accès aux extraits des catalogues de la société Aguttes ainsi qu’il ressort d’un procès-verbal de constat établi par huissier de justice, le 9 mars 2009. Elle ajoute qu’elle a déposé plainte pour ententes contre la société Aguttes et les autres maisons de vente avec lesquelles elle est en litige.
La société Artprice.com soulève tout d’abord l’irrecevabilité des demandes du Symev, faisant valoir que la présente instance ne vise qu’à assurer la défense des intérêts de la société Aguttes et que le syndicat ne peut prétendre représenter les 3600 maisons de vente concernées par son activité.
La société Artprice.com fait ensuite valoir que la société Aguttes ne rapporte pas la preuve des faits qu’elle avance. La défenderesse soutient, en effet, que le procès-verbal de constat du 23 juillet 2008 n’établit pas l’existence d’une reproduction intégrale des catalogues. Elle ajoute qu’il ne peut être tiré de documents promotionnels la certitude d’une reproduction intégrale.
La société Artprice.com soutient qu’elle ne met en ligne que la page de couverture des catalogues et via son moteur de recherches, des informations brutes sur les ventes et les œuvres d’art, ainsi que le démontre le procès-verbal de constat qu’elle a fait établir par huissier de justice le 30 octobre 2008. Elle déclare donc qu’elle ne met en ligue que des informations accompagnées de commentaires de ses propres rédacteurs. Elle ajoute que chacun des champs “texte” des catalogues de vente est relié à ses différentes banques de données.
La société Artprice.com fait valoir que les pages de couverture des catalogues reproduites ainsi que les informations reprises sont dépourvues d’originalité et qu’en toutes hypothèses, la demanderesse ne démontre pas être titulaire des droits d’auteur sur celles-ci. Elle indique ainsi que les photographies d’œuvres d’art sont le résultat d’un travail technique visant à donner une image la plus fidèle possible mais ne sont pas révélatrices de la personnalité de leurs auteurs.
La société Artprice.com ajoute que les catalogues pris en leur ensemble sont également dépourvus d’originalité et ne peuvent être protégés par le droit d’auteur. Elle soutient que ceux-ci répondent à des exigences techniques et commerciales et que l‘originalité éventuelle des éléments pris individuellement ne peut suffire à caractériser l’originalité de l’ensemble.
La société Artprice.com conteste également l’existence d’actes de concurrence déloyale alors qu’elle ne se trouve pas en situation de concurrence avec la demanderesse. Elle déclare, en outre, ne pas commettre d’actes de parasitisme car elle ne reprend pas le travail de la société Aguttes et ne tire pas profit de ses investissements. Elle expose en effet qu’elle exploite elle-même, selon son propre processus, des informations appartenant au domaine public. Elle ajoute qu’elle même a réalisé des investissements financiers et humains très importants.
Elle conclut à l’absence de préjudice moral et de préjudice commercial de la société Aguttes. A titre subsidiaire, elle relève le caractère disproportionné des demandes de la société demanderesse ainsi que de la demande de publication formulée par le Symev.
Reconventionnellement, elle sollicite la condamnation in solidum de la société Aguttes et du Symev pour procédure abusive et elle réclame à ce titre la somme de 630 000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier et d’image alors qu’elle est une société cotée au premier marché de la bourse de Paris. Elle sollicite, enfin, les sommes de 45 000 € et de 7500 € respectivement à l’encontre de la société Aguttes et du Symev sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur la recevabilité de l’intervention volontaire du Symev
Selon l’article L 2132-3 du Code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente
Selon l’article 2 de ses statuts, le Symev a pour objet la défense des intérêts collectifs de ses membres et la réparation des préjudices dont les adhérents peuvent être victimes.
La société Artprice exploite les catalogues de nombreuses maisons de ventes volontaires dans le cadre de son service “artprice images”. Aussi, la solution à la question de principe soulevée par la licéité de cette exploitation dans le présent litige, est susceptible d’être étendue à l’ensemble des membres du Symev et de porter au moins indirectement atteinte aux intérêts collectifs de la profession qu’il représente.
Il y a donc lieu de déclarer recevable l’intervention volontaire du Symev.
Sur la preuve des faits reprochés à la société Artprice.com
La société Aguttes a fait dresser par huissier de justice le 23 juillet 2008 un procès-verbal de constat en vue d’établir l’exploitation de ses catalogues par la société Artprice.com.
En exécution de cette mission, l’huissier de justice s’est connecté sur le site www.artprice.com, il est parvenu sur la page d’accueil et il a cliqué sur l’onglet “rechercher dans 290 000 catalogues”. Il a ensuite dans la rubrique “mot-clé” saisi “Claude Aguttes” puis il a validé. Est alors apparue une page signalant la présence de 243 résultats avec une énumération de catalogues et la reproduction de leurs couvertures. Il a imprimé cette 1ère page de résultats puis pour chacun des catalogues émanant de l’étude Aguttes, il a cliqué sur le lien “consulter ce catalogue” et il a obtenu, à chaque fois, une page de présentation faisant apparaître la couverture. Il a procédé à 190 impressions d’écran.
Chacune de ces impressions d’écran comporte :
– dans la partie gauche supérieure, la reproduction de la couverture du catalogue sélectionné en format vignette avec une énumération de rubriques, l’indication d’un nombre de pages entre parenthèses, la mention “mode zoom”, puis un petit rectangle susceptible de faire apparaître la numérotation d’une page,
– dans la partie gauche inférieure, le mot rechercher ainsi que la reproduction plus ou moins lisible en format vignette de certaines pages (de 2 à 7) puis tout en bas la mention pages spécifiques : information sur la vente, contacts,
– dans la partie centrale, une reproduction de la couverture ainsi que de certaines pages en format vignette plus ou moins lisibles (2 à 4).
Ce constat établit de façon certaine la reproduction des couvertures de 190 catalogues ainsi que d’autres pages dont certaines ont été identifiées par la demanderesse dans un tableau figurant en pages 11 à 16 de ses dernières conclusions.
Cependant, l’huissier de justice n’a procédé à aucune visualisation complète, ne fut ce que d’un seul catalogue et il s’est abstenu de vérifier qu’il était possible de naviguer au sein du catalogue, que les pages présentées en vignette étaient accessibles et que le mode zoom fonctionnait effectivement.
Par ailleurs, le fait que pour un catalogue, la société Artprice.com ait reproduit un erratum ou le rabat d’une 1ère page de couverture ne démontre pas non plus une reproduction intégrale de ces catalogues alors que ces éléments particuliers font partie des pages de couverture.
Ainsi, le constat n’apporte pas la preuve de la reproduction intégrale des catalogues de la société Aguttes à l’exception de quatre d’entre eux constitués chacun de quatre pages, toutes les 4 reproduites sur l’impression d’écran jointe au procès-verbal de constat (pièce 9 annexes 102, 124, 141 et 170).
En sus du constat, la société Aguttes invoque la réponse de la société Artprice.com au Symev du 27 novembre 2007 ainsi qu’une attestation de Thierry E. et Nabila A. du 1er février 2010.
La société Aguttes invoque également le contenu de différents documents promotionnels ainsi que les mentions mêmes du site artprice.com et les conditions générales de vente et d’utilisation du service “artprice images”.
Ainsi, par exemple, le site propose “avec artprice images accédez à tous les catalogues de ventes futures de 2900 maisons de vente et au plus grand fonds documentaire sur le marché de vente avec 290 000 catalogues de vente de 1960 à nos jours et précise que le service “personnal research” donne accès à la page de couverture du catalogue, la page de garde du catalogue, la page de catalogue où se trouve l’œuvre recherchée, un agrandissement de la reproduction de l’œuvre”.
Cependant, il y a lieu de constater que la société Artprice.com ne conteste pas reproduire, après avoir trié et traité les informations, certaines pages non protégeables des catalogues, elle conteste seulement reproduire ces catalogues in extenso par simple numérisation.
Or les pièces susvisées n’établissent pas l’existence de faits autres que ceux admis par la société Artprice.com et n’apportent pas la preuve d’une reproduction intégrale de chacun des catalogues.
Le seul document pouvant faire supposer une reproduction intégrale est une publicité parue dans un journal anglais “Antiques trade gazette” du 16 février 2008 mentionnant la possibilité de naviguer à l’intérieur de “l’entier catalogue”.
Cependant compte tenu du caractère publicitaire et très général de cette mention, elle ne peut constituer une preuve suffisante de la reproduction intégrale des catalogues de la société Aguttes en l’absence de tout autre document venant établir la réalité de celle-ci.
Ainsi, il doit être admis que la société Artprice.com reproduit les pages de couverture des catalogues ainsi que certaines des informations qui y sont contenues. Cependant, en l’absence de toute autre preuve quant à l’exacte étendue de cette exploitation, il y a lieu de ne retenir que les éléments constatés par l’huissier de justice le 23 juillet 2008 tels qu’ils ont été listés par la demanderesse dans les pages 11 à 16 de ses dernières écritures.
L’appréciation de la contrefaçon doit donc s’effectuer au vu de ces seuls éléments.
Sur l’existence d’actes de contrefaçon
Un catalogue peut être protégé par le droit de la propriété intellectuelle dès lors qu’il est le résultat d’un effort créatif, révélateur de la personnalité de son auteur.
Pour établir l’existence de cet apport créatif, la demanderesse invoque l’esthétique de la mise en page, l’existence de commentaires personnels allant au delà de la simple fourniture d’information brute, des illustrations recherchées des œuvres mises en vente, des premières et quatrièmes de couverture qui témoignent d’un véritable effort de création esthétique. Puis elle énumère, en pages 21 à 28 de ses dernières écritures, les éléments qui caractérisent l’originalité de 86 de ses catalogues.
Quatre catalogues constitués chacun de 4 pages sont reproduits intégralement sur le site internet de la défenderesse (pièces 16 102, 16 124, 16 141 et 16 170). Il convient donc de rechercher si ces quatre catalogues sont susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur.
Le catalogue 16 102 consacré à une vente de bijoux anciens et modernes du 18 octobre 2001 est composé de trois pages constituées chacune d’une grande photographie représentant différents bijoux mis en vente ainsi que d’une page comportant diverses informations sur leur vente.
Le catalogue 16 124 consacré à une vente de bijoux anciens et modernes du 23 mars 2000 est composée de façon identique.
Le catalogue 16 141 également consacré à une vente de bijoux du 24 juin 1999 a pour couverture la photographie représentant un seul bijou, les autres pages étant identiques dans leur composition aux deux catalogues précédents.
Pour chacun de ces trois catalogues, la demanderesse invoque la mise en scène des objets et photographies reflet d’une recherche créative personnelle.
Cependant la reproduction d’œuvres mises en vente et la mise en page constituent des éléments parfaitement banals qui ne justifient pas que ces catalogues soient protégés par le droit d’auteur.
Le catalogue 16 170 consacré à une vente de différents objets d’art du 14 décembre 1997, comporte en 1ère page de couverture, la reproduction d’une porte ancienne, en 2ème page, des informations techniques sur la vente, en 3ème page la reproduction de quatre tableaux et objets et enfin en dernière page, la reproduction d’un tableau.
La demanderesse invoque le choix iconographique reflet d’une recherche créative personnelle.
Cependant le fait de choisir de représenter 8 œuvres mises en vente ne suffit pas à caractériser un effort créatif dès lors que l’examen de ces pages ne révèle pas que le choix iconographique effectué soit la mise en forme d’une idée particulière et non pas uniquement la juxtaposition des objets et tableaux les plus marquants de la vente, alors que leur mise en page et leur présentation sont par ailleurs d’une très grande banalité.
Ainsi l’examen des quatre catalogues reproduits intégralement ne peut donner lieu à une protection au titre du droit d’auteur, ne réalisant qu’une présentation banale d’objets à vendre.
S’agissant des autres catalogues, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, la société Aguttes échoue à établir que les catalogues sont reproduits intégralement et n’apporte la preuve que de la reproduction des couvertures et d’un nombre très limité de pages pour chacun des catalogues.
Or le caractère très partiel des reproductions constatées fait obstacle à ce que la combinaison d’éléments revendiquée par la demanderesse (77 de ses dernières écritures) soit elle-même reproduite.
La contrefaçon ne peut donc être retenue que si les éléments dont la reproduction est effectivement établie sont en eux-mêmes suffisamment originaux pour que celle-ci soit fautive au regard des règles de la propriété intellectuelle.
En l’espèce, les couvertures des catalogues sont constituées par la photographie d’une œuvre emblématique de la vente, d’un détail de celle-ci ou de la juxtaposition d’objets à vendre, avec quelques informations sur l’objet de la vente, le lieu et le moment de celles-ci.
La société Aguttes revendique “des premières et quatrièmes de couvertures originales qui témoignent d’un effort de création esthétique qui ne peut être assimilé à un banal travail de description de la vente”.
Cependant l’esthétique de ces couvertures tenant à la grande qualité des photographies sur lesquelles la demanderesse ne revendique pas de droit, ne suffit pas à caractériser un effort créatif.
Ainsi faute par la demanderesse de justifier d’autres éléments, la reproduction d’œuvres ou objets d’art mis en vente avec quelques informations relatives à la vente ne permet pas de retenir une originalité particulière dans la conception et la réalisation des couvertures, quelles que soient leurs qualités esthétiques.
S’agissant des autres pages reproduites énumérées pages 11 à 16 des dernières écritures de la demanderesse, leur examen fait apparaître que certaines exposent les conditions générales de vente, le formulaire d’abonnement ou des informations techniques sur la société Aguttes elle-même ou sur la vente en cause. Ces pages situées en début ou en fin de catalogue ne peuvent donner lieu à protection.
D’autres pages situées à l’intérieur des catalogues reproduisent les œuvres ou objets d’art mis en vente avec des informations purement techniques. Leur mise en page est banale et elles ne présentent aucune originalité susceptible de justifier une protection par le droit d’auteur.
Enfin, quelques unes d’entre elles reproduisent une œuvre avec une courte notice biographique ou de présentation de l’œuvre. Mais aucune de ces notices qui présentent de façon sommaire des informations connues ne constituent une analyse ou un commentaire révélateur de la personnalité de leur auteur.
Les demandes de la société Aguttes en ce qu’elles sont fondées sur la contrefaçon d’œuvres de l’esprit seront donc écartées.
Sur le parasitisme
Le parasitisme se caractérise par l’exploitation sans autorisation et sans contrepartie du travail et des investissements d’autrui, afin d’en retirer un avantage injustifié.
La société Artprice.com reconnaît mettre en ligne les couvertures des catalogues et, au moyen de son moteur de recherches, des informations brutes sur les ventes et les œuvres d’art qui y sont contenues mais qui sont triées, sélectionnées et retraitées.
Le fait que les catalogues ne soient pas repris en intégralité ne permet pas d’écarter le parasitisme puisque ne serait ce que la réalisation des couvertures et la reproduction par photographies de nombreuses œuvres ou objet d’art supposent le recours aux services d’un photographe dont le coût s’est élevé pour les années 2007, 2008 et 2009 respectivement à 70 668 €, 126 222 € et 194 982 €.
La société Aguttes justifie également avoir engagé des frais de conception et d’impression pour ces mêmes années de 469 973 €, 559 424 € et 980 341 €.
Ainsi en reproduisant les couvertures et certaines des pages intérieures, la société Artprice.com s’approprie le travail et les investissements de la société Aguttes, ce sans son autorisation et sans contrepartie.
La société Artprice.com sélectionne et retraite les informations contenues dans le catalogues et il ne peut être contesté qu’elle effectue elle-même un travail qui demande des investissements. Néanmoins, la matière première du service “artprice images” est le travail réalisé par la société Aguttes sans que celle-ci y ait consenti ni ait été rétribuée.
La société Aguttes expose qu’elle vend certains de ses catalogues et l’attestation de son expert comptable fait apparaître que pour les années 2007 à 2009, le produit de ces ventes s’est élevé respectivement à 2873 €, 5441 € et 50 982 €.
La société Aguttes fait valoir que l’augmentation importante de son chiffre d’affaires en 2009 est due à la cessation concomitante de la mise en ligne de ses catalogues par la société Artprice.com. Néanmoins il n’est pas contesté que la société Artprice.com a réalisé 6 catalogues en 2007, 28 catalogues en 2008 et 53 catalogues en 2009 de telle sorte que la corrélation établie par la société Aguttes n’apparaît pas certaine.
Néanmoins, la mise en ligne des catalogues par la société Artprice.com est de nature à avoir engendré une diminution des achats par les abonnés au service artprice images. Au surplus elle perturbe la politique commerciale telle que la société Aguttes l’a conçue, elle seule pouvant décider de la manière dont elle entend promouvoir son activité.
Ainsi, il y a lieu d’admettre que la société Artprice.com a commis à l’égard de la société Artprice.com des actes de parasitisme dont il est nécessairement résulté un préjudice.
Sur les mesures réparatrices
Afin de mettre fin définitivement aux agissements fautifs de la société Artprice.com à l’encontre de la société Aguttes, il sera fait droit aux demandes d’interdiction dans les termes du dispositif.
La société Aguttes réclame paiement de la somme de 30 000 € au titre de la réparation de son préjudice moral à raison de l’atteinte à son image et sa réputation. Elle fait valoir que la mise en ligne de ses catalogues laisse croire qu’elle collabore avec la société Artprice.com qui vulgarise en ligne des reproductions de catalogues de mauvaise qualité et mal agencées.
Néanmoins, la société Aguttes n’a pas établi que la société Artprice.com reproduisait ses catalogues dans leur intégralité et il n’est pas démontré que le travail réalisé par la défenderesse serait de mauvaise qualité et de nature à porter atteinte à la réputation de la société Aguttes auprès de sa clientèle.
La société Aguttes verse aux débats la lettre d’un photographe sollicitant des explications sur l’autorisation que la demanderesse aurait pu donner à l’utilisation de ses photographies par la société Artprice.com. Cependant cette unique demande d’explication effectuée en termes courtois qui n’a donné lieu à aucune suite, ne peut suffire à caractériser un préjudice moral.
La société Aguttes invoque également les accusations portées par la société Artprice.com contre Claude A. qu’elle accuse de participer à des infractions au droit de la concurrence, par voie de communiqués diffusés dans la presse spécialisée et sur internet.
Cependant les deux pièces produites se rapportent l’une et l’autre au conflit opposant la société Artprice.com et la société Christie’s et si le nom de la société Aguttes est cité une fois, c’est dans le cadre d’une information générale sur le contexte du conflit.
Enfin, le fait que la société Artprice.com n’ait pas sollicité l’autorisation de la société Aguttes et qu’elle ait maintenu la mise en ligne des catalogues après mise en demeure caractérise la faute plus que le préjudice.
Aussi la demande en dommages intérêts pour préjudice moral de la société Artprice.com doit être écartée.
La société Aguttes sollicite également la somme de 200 000 € au titre de son préjudice commercial.
La société Claude Aguttes invoque l’importance du chiffre d’affaires de la société Artprice.com et sa progression. Cependant il y a lieu de tenir compte du fait que les 190 catalogues de la demanderesse représentaient une part très réduite du fonds documentaire mis à la disposition des abonnés du service “artprice images” et le fait que le succès de ce service repose également sur un travail important de traitement et mise en forme des informations recueillies.
Ainsi, compte tenu du nombre de catalogues au moins partiellement reproduits, de l’importance des investissements de la société Aguttes pour leur réalisation et des gains manqués subis en raison de l’accès à ces derniers dont bénéficient les abonnés au service artprice images, celui-ci sera fixé à la somme de 50 000 €.
La somme allouée présentant un caractère indemnitaire produira intérêt à compter du jugement.
Il sera par ailleurs alloué au Symev la somme d’un euro à titre de dommages intérêts sans qu’une mesure de publication de la décision judiciaire sur le site de la défenderesse, apparaisse nécessaire.
Sur la demande reconventionnelle de la société Artprice.com
Les demandes de la société Claude Aguttes fondées sur le parasitisme ayant été reconnues bien-fondés, la procédure qu’elle a engagée ne présente pas de caractère abusif et la demande en dommages intérêts de la société Artprice.com sera donc rejetée.
Il sera également alloué à la société Aguttes la somme 10 000 €, laquelle s’ajouteront les frais de signification d’ordonnance du 24 juin 2008 et de constat du 23 juillet 2008, et au Symev la somme de 5000 €, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
L’exécution provisoire compatible avec la nature de l’affaire sera ordonnée dans les termes du dispositif, compte tenu de l’ancienneté des faits.
DECISION
Statuant publiquement par mise à disposition du jugement au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
. Déclare recevable l’intervention volontaire du Symev,
. Rejette les demandes de la société Aguttes en ce qu’elles sont fondées sur la contrefaçon des catalogues de vente,
. Dit que la société Artprice.com a commis des actes de parasitisme à l’encontre de la société Aguttes en exploitant sans son accord et sans rémunération, les couvertures et certaines des informations contenues dans ses catalogues,
. Donne acte aux parties de ce que la société Artprice.com a cessé l’exploitation en ligne des catalogues de la société Claude Aguttes le 9 mars 2009,
. Fait interdiction, en tant que de besoin, à la société Artprice.com de reproduire tout ou partie des catalogues de vente de la société Aguttes,
. Enjoint à la société Artprice.com d’effacer de ses bases de données les fichiers numériques reproduisant tout ou partie des catalogues de la société Aguttes,
. Condamne la société Artprice.com à payer à la société Aguttes la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice commercial, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
. Rejette la demande en réparation de son préjudice moral formée par la société Aguttes,
. Condamne la société Artprice.com à payer au Symev la somme d’un euro à titre de dommages intérêts,
. Rejette la demande de publication de la décision judiciaire formée par le Symev,
. Rejette la demande reconventionnelle pour procédure abusive de la société Artprice.com,
. Condamne la société Artprice.com à payer à la société Aguttes la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, à laquelle s’ajouteront les frais de signification d’ordonnance du 24 juin 2008 et de constat du 23 juillet 2008,
. Condamne la société Artprice.com à payer au Symev la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
. Ordonne l’exécution provisoire du jugement à l’exception de la mesure d’injonction relative à l’effacement des fichiers numériques,
. Condamne la société Artprice.com aux dépens.
Le tribunal : Mme Marie Claude Hervé (vice présidente), Mme Agnès Marcade et Rémy Moncorge (juges)
Avocats : Me Guillaume Teissonnière, Me Emmanuel Pierrat
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.