mardi 12 juillet 2011
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 19 mai 2011
H&K, André R. / Google Inc, Google France
responsabilité
DISCUSSION
M. André R. expose qu’il est un photographe de réputation internationale et qu’il a notamment photographié Mme Milla Jovovich et la société H&K indique qu’elle finance l’ensemble des frais de reportage de M. R. et dispose d’un mandat de ce dernier pour vendre ses photographies au niveau mondial.
M. R. précise avoir adressé, le 9 mars 2011, une lettre de mise en demeure aux sociétés Google afin de supprimer le référencement de tous les sites qui proposent les photographies de Milla Jovovich litigieuses au motif qu’il n’a jamais concédé d’autorisation pour exploiter ces images sur internet.
Malgré cette mise en demeure, les photographies auraient été toujours présentes sur internet les 17 mars 2011 et 4 mai 2011.
C’est dans ce contexte que les demandeurs ont assigné les sociétés Google en référé, sur le fondement des articles 808 et 809 du code de procédure civile, pour voir dire que ces dernières, en reproduisant sans autorisation, sur le site accessible à l’adresse http://images.google.fr, la photographie de Mme Milla Jovovich dont M. R. est l’auteur et dont la société H&K est le mandataire, ont commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur au sens de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, pour voir dire que la photographie “reproduite sous une qualité déplorable ne mentionne pas le crédit de M. R. et de la société H&K et a été recadrée sauvagement” et pour demander une mesure de suppression de la photographie litigieuse, d’interdiction de la commercialiser et de publication de l’ordonnance à intervenir sous astreinte ainsi que la condamnation des sociétés Google à payer à chacun des demandeurs la somme provisionnelle de 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice patrimonial et à M. R. celle de 20 000 € en réparation de son préjudice moral, outre le versement de la somme globale de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils font essentiellement valoir, d’une part, leur qualité à agir sur le fondement de l’article L 133-1 du code de la propriété intellectuelle et l’originalité des photographies litigieuses qui évoquent, par les choix artistiques opérés par l’auteur, un “sentiment de sensualité palpable” qui porte l’empreinte de sa personnalité et, d’autre part, la responsabilité des sociétés Google tant dans les termes du droit commun de la contrefaçon sur le fondement de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle qu’en leur qualité de moteur de recherche dont le régime juridique doit être assimilé à celui de l’hébergeur, sur le fondement de l’article 6 de la Lcen.
En réponse, les sociétés Google soulèvent notamment, d’une part, l’irrecevabilité à agir de M. R. et de la société H&K faute d’originalité des photographies revendiquées et de démonstration par M. R. de sa qualité d’auteur des clichés litigieux et par la société H&K de sa qualité de cessionnaire des droits patrimoniaux d’auteur sur les œuvres en cause et, d’autre part, une contestation sérieuse sur la demande de provision en faisant valoir que la société Google France n’a commis personnellement aucun des faits reprochés puisque le site www.images.google.fr est édité par la société Google Inc et que cette dernière, en indexant les images litigieuses dans le cadre de son service Google Images, n’a commis aucun acte de nature à engager sa responsabilité, cette indexation d’images sans contrôle préalable trouvant sa légitimité dans la liberté de communiquer et de recevoir des informations, et au motif qu’elle est a mis en place une procédure de désindexation sur notification des images qui lui sont signalées comme contrefaisantes, conformément aux obligations qui résultent de son statut de prestataire de stockage “cache”.
Les sociétés Google demandent le débouté de M. R. et de la société H&K de l’ensemble de leurs prétentions et leur condamnation in solidum à leur verser les sommes de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 10 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il est constant que, le 9 mars 2011, les demandeurs ont notifié aux sociétés Google la présence des deux photographies litigieuses de Mme Milla Jovovich et les ont mises en demeure de les supprimer et de les déréférencer de manière définitive de tous les sites référencés par Google Images, M. R. n’ayant jamais concédé d’autorisation pour exploiter ces images sur internet.
Ils soulignent que, si les photographies litigieuses associées sur les pages de résultats des sites accessibles aux adresses un http://1.bp.blogspot.com et http://www.alwaysgirls.com ont bien été supprimées, ces photographies étaient toujours reproduites sur le site Google le 4 mai 2011, peu important qu’elles n’aient été accessibles qu’à partir d’une adresse différente de celle portée dans la lettre de mise en demeure du 9 mars 2011.
Ils ajoutent que, s’il n’est pas contestable que les photographies se trouvaient initialement sur un site tiers à la société Google, par le référencement que cette dernière a assuré, “non seulement les photographies ont été diffusées à tous mais elles ont été offertes en téléchargement directement sur le site images.google.fr”.
Ils précisent que le service mis en place par Google, à savoir l’indexation de photographies sous forme de vignettes permettant aux internautes de visualiser les images et d’accéder au site d’origine, n’est pas justifié par la fonction de moteur de recherche de ce dernier en ce qu’il autorise cet internaute à sélectionner la photographie, à la télécharger, puis à la modifier selon son gré.
En bref, selon les demandeurs, pour avoir continué à référencer de manière active les photographies litigieuses malgré la mise en demeure du 9 mars 2011, les sociétés Google ont engagé leur responsabilité délictuelle à leur égard.
Par ailleurs, elles ont porté atteinte à l’intégrité de l’œuvre par une reproduction de qualité déplorable et à la paternité de l’œuvre “de M. R. et de la société H&K” par une absence de crédit photographique.
Cependant, les sociétés Google rappellent que, dans le cadre de leur activité Google Images, elles référencent la totalité des images disponibles sur internet sans aucune discrimination ni aucune sélection humaine et qu’en fournissant aux internautes un moyen de consultation de ces images sous forme de vignettes, elle agit en tant que prestataire technique neutre qui “n’excède pas dans son service de référencement les limites d’un prestataire intermédiaire ne mettant pas en œuvre une fonction active au sens de la Lcen”.
Il s’agirait donc d’une indexation automatique des images diffusées sur internet par les millions de sites répertoriés, étant précisé que les éditeurs de sites ont toujours la faculté de donner instructions aux moteurs de recherche de ne pas les référencer en attribuant des balises HTML à leurs contenus.
Dans ce cadre, en tant que prestataire de stockage “cache”, les sociétés Google auraient respecté leurs obligations au sens de l’article L. 32-3-4 du Code des Postes et des Communications Electroniques qui dispose que le prestataire peut voir sa responsabilité engagée notamment s’il n’a pas agi avec promptitude pour retirer les contenus dès qu’il a connaissance de leur caractère illicite.
Plus précisément, la société Google fait valoir qu’elle a rempli son obligation en l’espèce en offrant aux demandeurs l’accès à des formulaires de retrait en ligne qu’ils ont omis d’utiliser et en procédant néanmoins dans les meilleurs délais à la désindexation de chacune des images litigieuses au fur et à mesure qu’elle en a eu connaissance.
A cet égard, force est de constater, d’une part, que Google a mis en ligne sur son site des informations indiquant à tout plaignant éventuel la procédure lui permettant de signaler et de faire retirer rapidement une image indexée sur Google Images, étant observé que l’adresse url de chaque image doit être précisément renseignée, ainsi que les sociétés défenderesses l’ont indiqué dans leur lettre du 15 mars 2011 en réponse à la réclamation relative aux photographies litigieuses.
D’autre part, comme en attestent les deux constats d’huissier en date des 15 mars et 24 mars 2011 versés aux débats, il apparaît que les deux images litigieuses de Milla Jovovich ne figuraient plus à cette dernière date dans les pages de résultat du moteur de recherche Google Images, ce qui tendrait à démontrer que les sociétés Google ont réagi avec diligence pour procéder au retrait des images arguées de contrefaçon qui lui avaient été signalées.
Par ailleurs, les questions relatives à la titularité des droits d’auteur invoqués par les demandeurs sur les photographies litigieuses – notamment de la société H&K qui n’agirait qu’en qualité de mandataire de M. R. – et à l’éligibilité de ces photographies à la protection par le droit d’auteur relèvent de l’appréciation du juge du fond.
Dans ces conditions, aucun trouble manifestement illicite qu’il conviendrait de faire cesser ne peut être reproché par M. R. et la société H&K aux sociétés Google avec l’évidence requise en référé et les demandes de provision qu’ils ont formulées se heurtent à une contestation sérieuse en l’espèce.
En conséquence, il y a lieu de les débouter de l’ensemble de leurs demandes, par application de l’article 809 du code de procédure civile.
Les sociétés Google seront également déboutées de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts provisionnels pour procédure abusive.
L’équité commande l’allocation aux sociétés Google de la somme globale de 5000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.
DECISION
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Vu l’article 809 du code de procédure civile,
. Déboutons M. R. et la société H&K de l’ensemble de leurs demandes.
. Déboutons les sociétés Google Inc et Google France de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
. Condamnons in solidum M. R. et la société H&K à payer aux sociétés Google Inc et Google France la somme de 5000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.
. Les condamnons in solidum aux dépens de l’instance.
Le tribunal : M. Rémy Moncorge (juge)
Avocats : Me Alain de la Rochere, Me Alexandra Neri
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