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Jurisprudence : Contenus illicites

mardi 10 juin 2008
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 2ème section Jugement du 30 mai 2008

FFT / Expekt.com

contenus illicites - jeux - marques - monopole - parasitisme - paris en ligne - sport

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

La Fédération Française de Tennis (ci-après la FFT), association régie par la loi du 1er juillet 1901, reconnue d’utilité publique par décret du 13 juillet 1923, a pour objet statutaire “l’accès à tous à la pratique du tennis et de la courte paume” au moyen, notamment, de “l‘organisation et la promotion de toutes épreuves ou manifestations sportives entrant dans le cadre de son activité, en particulier des championnats internationaux de France de Roland-Garros et de l’Open de Paris “, ce dernier tournoi étant également présenté sous le nom de Masters de Paris-Bercy.

Elle justifie être titulaire :
– de la marque semi-figurative française “RG Roland Garros” déposée le 3 décembre 1990, enregistrée sous le n°1 630 774, renouvelée le 22 septembre 2000, en classes 3, 6, 9, 14, 16, 18, 22, 24, 25, 26, 28, 32, 41, 42, pour désigner notamment les “services d’éducation et de divertissement ; l’organisation de concours et de manifestations sportives , l‘attribution de prix ou de récompenses, la remise de trophées “, se présentant comme suit :

– de la marque verbale communautaire “Roland Garros French Open” déposée le 31 octobre 2003, enregistrée sous le n°003 498 276 en classes 3, 6, 9, 12, 14, 16, 18, 20, 22, 24, 25, 26, 28, 30, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 42, pour désigner notamment les “services de jeux électroniques fournis à partir d’une base de données informatiques ou via internet, l’organisation de concours, de loteries ».

Le 8 juin 2007, Me Dymant, huissier de justice à Paris a constaté sur le site internet de paris en ligne www.expekt.com, dont le nom de domaine a été réservé par la société de droit maltais Expekt.com (ci-après Expekt), la présence :
– en page d’accueil, d’un intitulé “Roland Garros – demi-finales hommes !”, suivi d’un texte incitant à parier sur les demi-finales du tournoi,
– sous une dénomination “tennis “, de deux sous- rubriques “Roland Garros” et “WTA, French Open (C) “ donnant accès à un calendrier des matchs de tennis de la façon suivante :

“Fri 08-06-2007
Heure de clôture Epreuve genre
13:05 R. Federer-N. Davydenko Roland Garros
14:30 N Djokovic-R. Nadal Roland Garros“.

La FFT, estimant être victime d’une atteinte aux droits privatifs qu’elle détient sur les marques précitées, d’agissements parasitaires, et d’une violation du monopole légal dont elle disposerait s’agissant de l’exploitation de la manifestation sportive que constitue le tournoi de Roland-Garros, a mis en demeure la société Expekt, organisatrice des paris, d’y mettre fin.

Faute d’avoir reçu une quelconque réponse, et dans la perspective de l’organisation de l’édition 2008 du tournoi de Roland-Garros, la FFT, dûment autorisée par ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal de grande instance de Paris en date du 30 janvier 2008, a, par d’huissier de justice du 5 février 2008, assigné la société Expekt à comparaître devant la juridiction de céans, à l’audience de jour fixe du 28 mars 2008.

Elle demande au Tribunal :
– de la juger recevable et fondée en ses demandes,
– de juger qu’en exploitant commercialement le tournoi des Internationaux de France de Tennis, également connu sous le nom de Tournoi de Roland-Garros, sans autorisation, par l’offre de services de paris en ligne portant sur le déroulement, les résultats et l’issue du tournoi, Expekt a porté atteinte au droit exclusif d’exploitation de son organisateur, la FFT, engageant ainsi sa responsabilité civile délictuelle,
– de juger qu’en associant sans autorisation ses activités et son nom à la manifestation des Internationaux de France de Tennis et à sa renommée, Expekt se place délibérément dans le sillage du Tournoi pour assurer à moindre frais la promotion et le développement de ses activités, ce qui caractérise un comportement parasitaire qui engage sa responsabilité civile délictuelle,
– de juger que les usages reprochés de la dénomination Roland Garros pour désigner une offre de services de paris en ligne, services identiques ou similaires aux services visés dans l’enregistrement de la marque française “RG Roland Garros” n°1 630 774 et de la marque communautaire “Roland Garros French Open” n°003 498 276 engendrant au surplus un risque de confusion quant à l’origine des services sont constitutifs de contrefaçon,

En conséquence,
– d’interdire à la société Expekt l’exploitation commerciale, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, de la manifestation sportive des Internationaux de France et particulièrement à travers l’organisation et l’offre de services de paris en ligne portant sur le déroulement, les résultats et l’issue de cette manifestation sportive, dans un délai de 24h à compter de la signification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 500 000 € par infraction constatée ou par jour de retard,
– d’interdire à la société Expekt d’associer son nom et/ou ses activités notamment l’offre de services de paris en ligne, de quelque manière que ce soit, à quelque titre que ce soit, à la manifestation sportive des Internationaux de France et à sa notoriété, dans un délai de 24h à compter de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée,
– d’interdire à la société Expekt toute utilisation, sous quelque forme que ce soit, et à quelque titre que ce soit, de la dénomination Roland Garros, seule ou en combinaison avec d’autres mots, noms, lettres, chiffres, dessins, ainsi que des marques “RG Roland Garros” n° 630 774 et “Roland Garros French Open” n°003 498 276 dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée,
– de condamner la société Expekt à payer la somme de 500 000€ en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte portée au droit exclusif d’exploitation de la FFT et la somme de 500 000 € au titre de la réparation des actes de parasitisme,
– de condamner solidairement la société Expekt à payer la somme de 500 000 € en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon,
– d’ordonner la publication du jugement à intervenir, en entier ou par extrait, dans 5 journaux, au choix de la FFT et aux frais avancés de la société Expekt pour un montant global de 100 000 € HT,
– d’ordonner la publication du jugement à intervenir, en entier, sur la page d’accueil du site internet de la société Expekt, à l’adresse www.expekt.com, pendant une durée de trois mois dans un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement à intervenir
– de condamner solidairement la défenderesse à lui payer la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– d’ordonner l’exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions,
– de condamner la société Expekt aux entiers dépens dont les frais de constats effectués par huissier.

En réponse, par conclusions signifiées le 26 mars 2008, la société Expekt a sollicité la jonction de la présente affaire avec celle enrôlée sous le n°0802006, plaidée le même jour, opposant la FFT aux sociétés Unibet Ltd et Unibet Group Plc, exploitant également un site internet de paris en ligne.

Par ailleurs, la société Expekt, concluant en substance à l’absence de contrefaçon, d’actes de parasitisme et d’atteinte aux droits d’exploitation de la FFT sur le tournoi de Roland-Garros, demande au tribunal :
– de déclarer la FFT irrecevable à agir,
– de la débouter de l’ensemble de ses demandes,
– de la condamner, pour les actes de dénigrement commis à son encontre, à lui verser la somme de 1 € en réparation du préjudice subi,
– d’interdire à la FFT, sous astreinte de 50 000 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, de donner une quelconque publicité aux accusations de contrefaçon de marque et de parasitisme qu’elle a formulées à l’encontre de la société Expekt.

A titre subsidiaire,
– de dire que dans l’hypothèse d’une condamnation de la défenderesse, l’interdiction ne pourrait qu’être limitée au territoire français,
– de dire que la FFT n’a subi aucun préjudice,

En toute hypothèse,
– de condamner la FFT à lui payer la somme de 30 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– de condamner la FFT aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil.

Le délibéré, initialement fixé au 16 mai 2008, a été prorogé jusqu’à ce jour.

DISCUSSION

A titre liminaire

Sur la demande de jonction

Attendu qu’au soutien de sa demande de jonction, la société Expekt affirme que la présente instance concerne des faits similaires à ceux reprochés, par ailleurs, aux sociétés Unibet, assignées à comparaître lors de la même audience par la FFT ;
Mais attendu que la similitude des faits invoqués par la FFT à l’occasion de deux instances n’est pas de nature à créer, entre ces dernières, un lien justifiant qu’il soit statué par une seule et unique décision ;

Qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 0802005 et 0802006.

Sur la fin de non-recevoir

Attendu que dans le dispositif de ses conclusions, la société Expekt demande au Tribunal de juger la FFT irrecevable en son action, aux motifs que l’organisation de paris en ligne n’entre pas dans le champ du monopole d’exploitation dont la demanderesse entend se prévaloir .

Mais attendu qu’un tel argument constitue en réalité un moyen de défense tendant à démontrer le caractère infondé de l’action en responsabilité délictuelle intentée par la FFT, et non une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du Code de procédure civile ;

Que la FFT, qui a intérêt et qualité à agir en réparation des préjudices qu’elle prétend avoir subis, doit être jugée recevable en son action.

Sur l’atteinte au monopole d’exploitation de l’organisateur d’une manifestation sportive

Attendu que la FFT soutient que l’organisation de paris sportifs, dont la teneur porte directement sur l’organisation et le déroulement d’un événement sportif, constitue une activité lucrative et, partant, une exploitation commerciale dudit événement lui étant réservée en application de l’article L. 333-1 du Code du sport, et qu’en proposant, via le site internet www.expekt.com, un service de paris en ligne, la défenderesse a porté atteinte à son monopole d’exploitation et engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ;

Attendu qu’en réponse, la société Expekt soutient que les droits d’exploitation conférés à la FFT par le Code du sport couvrent exclusivement les images et les sons des matches du tournoi de Roland Garros, de sorte que la demanderesse ne peut se prévaloir d’aucun monopole sur l’organisation de paris sur les résultats des rencontres ;

Attendu qu’il n’est pas contesté qu’en application de l’article L. 333-1 alinéa 1 du Code du sport, la FFT, comme toute fédération sportive ou tout organisateur de manifestations sportives au sens dudit texte, est propriétaire d’un droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’elle organise ;

Qu’un tel droit l’autorise, en raison des investissements réalisés, à recueillir les fruits des efforts consacrés à l’organisation de ladite manifestation ;

Attendu que l’organisation de paris en ligne est une activité génératrice de revenus directement liés au déroulement des événements singuliers, en l’espèces des matchs de tennis, dont la manifestation sportive est le théâtre ; qu’elle constitue dès lors un mode d’exploitation de ladite manifestation ;

Attendu que la société Expekt, se référant aux travaux parlementaires ayant précédé l’adoption du texte litigieux, affirme que le législateur a choisi de créer un droit sui generis aux fins de résoudre le conflit entre les différents titulaires potentiels de droits d’exploitations audiovisuels des compétitions sportives, c’est-à-dire les sportifs, les clubs, les fédérations et les organisateurs, et que le droit d’exploitation prévu par l’article L. 333-1 du Code du sport ne porte en conséquence que “sur les images et les sons” relatifs à la compétition proprement dite ;

Mais attendu que le législateur n’a pas défini la portée du droit d’exploitation susvisé ; qu’ il atout au plus ajouté à l’article L. 333-1 du Code du sport un second alinéa aux termes duquel toute fédération sportive peut céder aux sociétés sportives, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie des droits d’exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations organisées chaque saison sportive par la ligue professionnelle qu’elle a créée, dès lors que ces sociétés participent à ces compétitions ou manifestations sportives, la cession bénéficiant alors à chacune de ces sociétés ;
qu’il ne peut s’induire de cette simple faculté une limitation du droit exclusif accordé aux organisateurs de manifestations sportives à l’exploitation audiovisuelle de la compétition que les seules limites au droit d’exploitation prévues expressément par le Code du sport sont définies par ses articles L. 333-6 et suivants, et visent essentiellement à permettre aux journalistes, professionnels des entreprises d’information écrite ou audiovisuelle et services de communication par voie électronique d’assurer l’information du public ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas ; que l’organisation de paris en ligne ne figure pas au rang des exceptions au droit exclusif d’exploitation dont s’agit, et relève dès lors du monopole instauré au profit de l’organisateur de manifestations sportives soit, en l’espèce, de la FFT ;

Attendu, à cet égard, que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ; que la société Expekt, qui offre aux internautes un service de paris en ligne directement accessible sur le territoire français, n’est dès lors pas recevable à soutenir que la FFT ne disposerait d’aucun droit exclusif sur l’organisation de paris sportifs en lien avec le tournoi de tennis de Roland Garros aux motifs qu’une telle activité relèverait du monopole de la Française des Jeux ;

Que l’éventuelle levée de ce monopole est indifférente dans le cadre du présent litige, la société Expekt ne démontrant pas en quoi le monopole d’exploitation reconnu à la demanderesse par l’article L.333-1 du Code du sport constituerait une restriction injustifiée, inadaptée, disproportionnée et discriminatoire au principe de la libre prestation de services consacré par les textes communautaires ;

Attendu, en conséquence, qu’en offrant aux internautes la possibilité de parier sur le résultat des rencontres organisées par la FFT dans le cadre du tournoi de tennis de Roland-Garros, la société Expekt a méconnu le monopole d’exploitation instauré par le législateur au profit de la demanderesse ;

Qu’elle a de ce fait commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

Sur la contrefaçon

Attendu qu’il ressort du constat d’huissier dressé par Me Dymant le 8 juin 2007 qu’à cette date étaient visibles sur le site www.expekt.com la mention “Tennis-Roland Garros” ; qu’un second constat, dressé le 25 janvier 2008, révèle la présence, sur le même site internet, d’une mention “Federer bredouille ou vainqueur à RG ?“ renvoyant notamment à la question “Is this the year ? Federer wins French Open singles” ;

Attendu que la FFT soutient que l’usage des dénominations “Tennis-Roland Garros “, “RG “, “French Open” et “Roland Garros” constituent un usage contrefaisant des marques semi-figurative française “RG Roland Garros” n°1 630 774 et communautaire “Roland Garros French Open” n°003 498 276 dans la vie des affaires ;

Attendu qu’en réponse, la société Expekt affirme avoir utilisé les dénominations “RG “, “Roland Garros” et “French Open” dans leur fonction usuelle, pour désigner le tournoi qui porte ce nom et non à titre de marque, qu’elle conclut, en toute hypothèse, à l’absence de contrefaçon, et se prévaut, à titre subsidiaire, des dispositions de l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu’au moyen du site www.expekt.com, la société Expekt offre aux internautes un service de paris en ligne dont elle ne conteste pas tirer une rémunération, de sorte que la prestation proposée s’inscrit incontestablement dans la vie des affaires ; que les dénominations “Tennis-Roland Garros “, “RG”, “French Open” et “Roland Garros “ permettent aux clients de la défenderesse d’identifier les événements sportifs sur lesquels ils entendent placer leur mise, en les associant au tournoi de tennis organisé par la FFT ; que l’usage de ces signes constitue de ce fait un usage à titre de marque, c’est-à-dire dans la fonction d’individualisation de produits ou services ;

Attendu, par ailleurs, que l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose notamment que l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine ;

Attendu que de l’aveu même de la FFT, le tournoi des Internationaux de France de tennis, constituant l’un des quatre tournois du Grand Chelem et réunissant chaque année les meilleurs joueurs mondiaux, est également connu sous le nom de tournoi de Roland Garros ; que les articles de presse produits par la défenderesse démontrent que la dénomination “French Open” est régulièrement employée, par la presse spécialisée ou non, comme synonyme de Roland Garros ;

Que l’utilisation de périphrases pour désigner les rencontres ayant pour cadre ce tournoi s’avère impossible, sauf à risquer d’induire les parieurs en erreur sur l’identité des rencontres sur l’issue desquelles ils entendent spéculer ; que l’usage des termes “Roland Garros” et “French Open” est donc nécessaire pour informer les internautes de l’objet des paris proposés ; que l’existence d’une mention “Expekt” sur la page web comportant les signes incriminés exclut toute confusion quant à l’identité de la société proposant le service de paris dont s’agit ; qu’il en résulte que par exception au monopole dont la FFT dispose sur les marques revendiquées, l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle autorise la défenderesse à faire usage des noms “Roland Garros” et “French Open”, la FFT n’étant pas recevable à tirer argument de l’illicéité de l’activité considérée au regard du monopole de la Française des Jeux sur l’organisation des paris sportifs ;

Attendu, en revanche, que les initiales “RG” ne constituent nullement une référence nécessaire à la désignation du tournoi de Roland Garros ;

Qu’elles sont différentes des marques revendiquées ;

Attendu, dès lors, que s’agissant des demandes fondées sur la marque verbale communautaire “Roland Garros French Open” n°003 498 276, il convient de se référer, non pas aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle, mais à celles de l’article 9 du règlement CE n°40/94 du 20 décembre 1993, lequel dispose que la marque communautaire confère à son propriétaire un droit exclusif, qui l’habilite à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour lequel, en raison de sa similitude avec la marque communautaire et de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public, ce risque comprenant le risque d’association entre le signe et la marque ;

Que s’agissant de l’action en contrefaçon fondée sur la marque semi-figurative française “RG Roland Garros” n°1 630 774, laquelle se présente comme suit,

c’est au regard de l’article 713-3 b) du Code de la Propriété Intellectuelle qui dispose que “sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s‘il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement”, qu’il convient d’apprécier le bien fondé des demandes ;

Qu’il y a lieu plus particulièrement de rechercher si, au regard d’une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits désignés, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ;

Attendu, en l’espèce, que les services de paris en ligne désignés sont identiques, et à tout le moins similaires, d’une part aux services de divertissement, d’organisation de concours et d’attribution de prix ou de récompenses visés lors de l’enregistrement de la marque semi figurative française “RG Roland Garros” n°1 630 774, d’autre part aux services de jeux électroniques fournis à partir d’une base de données informatiques ou via internet, d’organisation de concours, de loteries visés lors de l’enregistrement de la marque verbale communautaire “Roland Garros French Open” n°003 498 ;

Que l’appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants ;
Attendu, à cet égard, que les initiales “RG” ne présentent avec la marque “Roland Garros French Open” aucune similitude, tant sur le plan visuel que sur le plan intellectuel ; que la contrefaçon de la marque communautaire n°003 498 276 n’est donc pas caractérisée ;

Attendu, par ailleurs, que d’un point de vue visuel, la similitude entre la dénomination arguée de contrefaçon et la marque semi-figurative française n°1 630 774 se limite à l’emploi des initiales “RG”; qu’il y a lieu de constater qu’au sein de la marque revendiquée, les dites lettres sont reproduites dans une police et dans des nuances créant un effet de fondu, de sorte que la mention “Roland Garros” apposée sur la bande extérieure constitue l’élément visuel dominant du signe protégé ;

Que phonétiquement, la similitude entre les éléments verbaux de la marque opposée, soit “RG” et “Roland Garros”, et le signe incriminé, se limite à la reprise, par la seconde des termes d’attaques de la première ; que la prononciation des signes comparés produit ainsi un résultat différent ;

Que d’un point de vue intellectuel, les initiales “RG” employées par la défenderesse ne renvoient au tournoi de tennis organisé par la FFT qu’en raison de leur présence au sein de l’ensemble grammatical “Federer bredouille ou vainqueur à RG ?“ évocateur d’un champion de la discipline concernée ;

Attendu qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que, nonobstant la similarité des produits concernés, les faibles similitudes visuelles et intellectuelles ainsi que l’absence de similitudes phonétiques observées entre les signes en cause, pris dans leur ensemble, excluent tout risque de confusion quant à leur origine pour le consommateur d’attention moyenne ;

Que la FFT sera donc déboutée de sa demande en contrefaçon.

Sur le parasitisme

Attendu que la FFT reproche à la société Expekt de s’être placée dans le sillage du tournoi de Roland Garros pour profiter de son exceptionnelle notoriété et ainsi offrir ses propres services en bénéficiant indûment des retombées économiques, des investissements et du savoir-faire qu’elle a développés, par l’emploi d’un texte d’annonce sous le titre “Roland-Garros – demi finales hommes” incitant à prendre part aux paris proposés, ainsi que d’une photographie représentant une raquette, une balle de tennis et en arrière plan un terrain de terre battue caractéristique du tournoi en cause ;

Attendu que la société Expekt, en réponse, soutient que ces faits ne sont pas distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon et, en tout état de cause, non constitutifs d’agissements parasitaires ;

Attendu qu’il ressort du constat d’huissier du 8 juin 2007 que les éléments incriminés sont présents dans la marge droite d’une page présentant l’ensemble des sports susceptibles d’intéresser les parieurs, aux côtés de réclames vantant la possibilité de miser des fonds sur l’issue de rencontres de football anglais, de football américain, et faisant état de promotions diverses ; qu’à ce stade, si la qualité d’impression des documents produits ne permet pas d’associer la photographie utilisée aux Internationaux de France, le Tribunal constate que l’emploi d’une référence explicite au tournoi organisé par la demanderesse est ici effectué dans un but purement promotionnel, et nullement nécessaire à la désignation, par la défenderesse, des paris proposés aux internautes une fois passée la page de présentation ;

Attendu que de tels agissements, distincts de ceux invoqués au soutien de l’action en contrefaçon, laquelle s’est en toute hypothèse avérée infondée, démontrent la volonté de la société Expekt de promouvoir son activité de paris en ligne en faisant référence, sans nécessité, aux Internationaux de France de tennis, autrement dénommés tournoi de Roland Garros, compétition dont elle ne conteste pas la notoriété qu’elle s’est ainsi placée délibérément dans le sillage de la demanderesse pour tirer profit, sans bourse délier, des investissements réalisés par cette dernière pour organiser et promouvoir le tournoi dont s’agit ;

Que de tels agissements parasitaires engagent la responsabilité de la société Expekt sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

Sur les mesures réparatrices

Attendu que faute d’exercer une activité de paris en ligne, la FFT ne peut se prévaloir d’un préjudice constitué par les bénéfices indûment tirés par la société Expekt en violation du monopole d’exploitation dont la demanderesse bénéficie sur les Internationaux de France de tennis ; que le dommage résultant de la violation des dispositions de l’article L. 333-1 du Code du sport, constitué de l’atteinte portée au dit monopole, lequel est la contrepartie des investissements exposés par l’organisateur de toute manifestation sportive, justifie en soi la condamnation de la société Expekt au paiement d’une somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts ;

Que de tels actes commandent également d’ordonner une mesure d’interdiction sous astreinte, dans les limites fixées par le dispositif de la présente décision ; qu’une telle mesure est en effet justifiée au regard du choix opéré par le législateur d’accorder à l’organisateur d’une manifestation sportive un droit exclusif d’exploitation sur celle-ci qu’elle constitue le seul moyen susceptible de mettre fin au trouble causé par la violation du monopole dont s’agit, et ne s’avère nullement disproportionnée, sa portée devant se limiter aux paris reposant sur les rencontres ayant lieu pendant le tournoi de Roland Garros et accessibles aux internautes français ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient la société Expekt, la mesure d’interdiction prononcée constitue une exception légitime au principe de liberté des prestations de services consacré par le droit communautaire ;

Attendu que les agissements parasitaires dont la société Expekt s’est rendue coupable justifie d’octroyer à la FFT une somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts ; que de tels actes commandent également d’ordonner, en tant que de besoin, une mesure d’interdiction sous astreinte, dans les limites fixées par le dispositif de la présente décision ;

Attendu qu’il convient, à titre de complément d’indemnisation, d’ordonner une mesure de publication, dans les termes du dispositif du présent jugement.

Sur la demande reconventionnelle

Attendu que pour solliciter reconventionnellement la condamnation de la demanderesse au paiement de dommages et intérêts, la société Expekt fait valoir que la FFT, responsable de la diffusion massive, dans la presse, des accusations de parasitisme et de contrefaçon dont elle a fait l’objet, s’est rendue coupable de dénigrement ;

Qu’à l’audience, la FFT a demandé au Tribunal de débouter la société Expekt de sa demande reconventionnelle ;

Attendu que la défenderesse produit divers articles de presse faisant état de poursuites judiciaires intentées par la FFT notamment à son encontre ;

Attendu, cependant, que ces articles ne permettent pas d’imputer avec certitude la responsabilité de la divulgation de l’identité des sociétés assignées à la demanderesse ; qu’il apparaît, de plus, que ces articles font tout au plus état de la volonté de la FFT de lutter contre les paris en ligne, sans retranscrire des propos dénigrant nommément la société Expekt ;

Qu’aucune faute n’est caractérisée, de sorte que la société Expekt sera déboutée de sa demande reconventionnelle.

Sur les autres demandes

Attendu que la nature de l’espèce et l’ancienneté du litige justifient d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement ;

Attendu que la société Expekt, succombant, sera condamnée aux entiers dépens ;

Qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la FFT la totalité des frais irrépétibles ; qu’il convient, en conséquence, de lui allouer la somme globale de 10 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

DECISION

Par ces motifs, le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition du présent jugement au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile,

Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

– Dit n’y avoir lieu à joindre la présente affaire avec celle enrôlée sous le n°08/02006,
– Rejette la fin de non-recevoir opposée par la société Expekt,
– Dit qu’en offrant, par l’intermédiaire du site internet www.expekt.com, un service de paris sportifs en ligne portant sur les rencontres ayant pour théâtre les Internationaux de France de Tennis, la société Expekt a porté atteinte au monopole d’exploitation conféré par l’article L. 333-1 du Code du sport à la Fédération Française de Tennis, organisateur du tournoi,
– Condamne en conséquence la société Expekt à payer à la Fédération Française de Tennis la somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice résultant de l’atteinte à ce monopole,
– Interdit, en tant que de besoin, la poursuite de ces agissements sous astreinte de 25 000 € par jour de retard, passé un délai de 24 h à compter de la signification du présent jugement,
– Dit qu’en faisant figurer sur le site internet www.expekt.com un texte d’annonce incitant les internautes à prendre part aux paris proposés sous le titre “Roland-Garros – demi finales hommes “, la société Expekt s’est rendue coupable de parasitisme,
– Condamne, en conséquence, la société Expekt à payer à la Fédération Française de Tennis la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice en résultant,
– Interdit, en tant que de besoin, la poursuite de ces agissements sous astreinte de 25 000 € par jour de retard, passé un délai de 24 h à compter de la signification du présent jugement,
– Autorise la publication du dispositif de la présente décision dans trois journaux ou revues au choix de la Fédération Française de Tennis, aux frais avancés de la société Expekt, dans la limite de 3500 € hors taxes par insertion,
– Ordonne à la société Expekt de publier le dispositif du présent jugement, en page d’accueil du site internet www.expekt.com pendant une durée d’un mois, dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision,
– Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
– Condamne la société Expekt à payer à la Fédération Française de Tennis la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamne la société Expekt aux entiers dépens, frais de constats d’huissier des 8 juin 2007 et 25 janvier 2008 compris,
– Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement en toutes ses dispositions.

Le tribunal : Mme Véronique Renard (vice président), Mme Sophie Canas et M. Guillaume Meunier (juges)

Avocats : Me Fabienne Fajgenbaum, Me Grégoire Triet

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