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Jurisprudence : Marques

mercredi 07 février 2007
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Cour de cassation Arrêt du 23 janvier 2007

Argus interactive, Société Nouvelle d'études / E Manitoo, News Morning

concurrence déloyale - enseigne - marques - nom commercial - nom de domaine - site internet

La Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique à rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 19 novembre 2004) que la Société nouvelle d’édition et de publicité (Sneep) qui édite la revue hebdomadaire intitulée « L’argus de l’automobile et des locomotions » et exploite un service télématique sous la dénomination « Argus », a découvert auprès de l’association française pour le nommage internet en coopération (Afnic) que le nom de domaine « Argus.fr » avait été enregistré par la société News Morning pour une page web en construction hébergée par la société E Manitoo company (la société E Manitoo), qui l’a intégrée en tant qu’enseigne commerciale figurant au registre du commerce ; que soutenant que ce comportement portait atteinte à leurs droits, la société Sneep et sa filiale, la société Argus interactive, ont poursuivi les sociétés News Morning et E Manitoo sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme ;

Sur le moyen unique :

Attendu que les sociétés News Morning et Argus interactive font grief à l’arrêt de leur avoir dénié tous droits antérieurs sur le terme « argus » et d’avoir en conséquence rejeté toutes leurs demandes visant à voir interdire aux sociétés News Morning et E Manitoo tout usage du nom « argus », à voir ordonner la radiation de l’enregistrement du nom de domaine « www.argus.fr » et à obtenir des dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que l’usage par une entreprise d’un signe distinctif l’identifiant auprès du public est constitutif de droit ; qu’en retenant en l’espèce que l’usage par la société Sneep de la dénomination « argus » à titre d’accès simplifié à un serveur minitel ne lui conférait aucun droit, tout en constatant qu’il lui permettait « d’être identifiée par un certain public sous ce seul nom », la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;

2°/ qu’un terme banal peut acquérir un caractère distinctif par la durée, l’importance et la notoriété de l’usage qui en est fait, et devenir ainsi un signe distinctif protégeable ; qu’en déniant en l’espèce aux sociétés Sneep et Argus interactive tous droits antérieurs sur le terme « argus », pour la seule raison que ce terme appartiendrait au langage courant et ne présenterait donc aucun caractère distinctif, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le terme « argus » n’avait pas acquis un caractère distinctif par l’usage qu’en avait fait la Sneep et la notoriété que celle-ci y avait attaché, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;

3°/ que la notoriété d’un signe distinctif en étend la protection au delà du domaine de spécialité pour lequel il est utilisé et permet d’en faire sanctionner l’usage par un tiers, lorsqu’en l’absence même de tout risque de confusion, celui-ci cherche à tirer indûment profit de cette notoriété en se plaçant dans son sillage ou y porte atteinte ; qu’en retenant en l’espèce que l’exploitation du site incriminé sous la dénomination www.argus.fr ne porterait pas préjudice à la Sneep, dès lors que ce site ne concernerait pas l’automobile, mais reposerait sur l’achat et la vente de matériel informatique ne concurrençant pas les activités de la Sneep et notamment son service de cotation de véhicules, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’exploitation de ce site ne tirait pas indûment profit de la notoriété attachée au signe distinctif « argus » de la Sneep ou n’y portait pas atteinte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu’après avoir observé, par motifs adoptés, que le site exploité sous la dénomination Argus.fr ne concerne en rien l’automobile mais l’achat et la vente de matériel informatique, l’arrêt relève que la Sneep exerce son activité non pas sous les noms « L’argus » ou « argus », mais sous l’expression « L’argus de l’automobile et des locomotions » son véritable nom commercial qui constitue le titre de sa publication depuis 1942 ; qu’il ajoute que le terme « argus » employé isolément ne sert à la Sneep qu’à un accès simplifié à un serveur minitel ; que l’arrêt relève encore que le terme disputé est passé dans le langage courant et qu’il est aussi utilisé dans d’autres domaines, tels ceux des assurances ou encore de la presse ;
qu’en l’état de ces constatations dont il ressort que les sociétés E Manitoo et News Morning, qui ne sont pas concurrentes de la société Sneep et ne pouvaient donc pas se rendre responsable d’actes de concurrence déloyale à son encontre, n’avaient pas utilisé un terme qui était distinctif de la société Sneep et sur lequel celle-ci aurait développé sa notoriété et qu’elles ne s’étaient pas placées dans son sillage pour profiter sans rien dépenser de son succès, de ses efforts ou de ses investissements, la cour d’appel a, sans encourir les griefs de la première et de la deuxième branches, légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

DECISION

Par ces motifs :

. Rejette le pourvoi ;

. Condamne les sociétés Sneep et Argus interactive aux dépens ;

. Vu l’article 700 du ncpc, rejette leur demande.

Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent,
Avocat aux conseils, pour les sociétés Argus interactive et Sneep

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dénié aux société Sneep et Argus interactive tous droits antérieurs sur le terme « argus » et d’avoir en conséquence débouté ces sociétés de toutes leurs demandes visant à voir interdire aux sociétés News Morning et E Manitoo tout usage du nom « argus », à voir ordonner la radiation de l’enregistrement du nom de domaine www.argus.fr et à obtenir des dommages-intérêts ;
Aux motifs propres que « la Sneep exerce en réalité son activité commerciale non point sous les noms « L’argus » ou « argus » mais sous l’expression « L’argus de l’automobile et des locomotions », son véritable nom commercial, qui constitue le titre de sa publication depuis 1942, année lors de laquelle elle l’a acquis auprès d’un tiers, qui la diffusait déjà sous cette même dénomination, vraisemblablement depuis 1927 ; que le terme « argus » employé isolément lui sert seulement à permettre un accès simplifié à un serveur minitel et ne saurait lui conférer le droit de propriété qu’elle revendique, même si elle est certes susceptible d’être identifiée par un certain public sous ce seul nom ;
que le terme en question est au demeurant passé dans le langage courant, comme le montrent les extraits de rubriques du dictionnaires produits ; que dans la neuvième et dernière en date des éditions du Dictionnaire de l’académie française, il est d’ailleurs indiqué que l’argus est une « publication qui fournit des informations dans des domaines particuliers » et « L’argus de l’immobilier » y est cité avant « l’argus de l’automobile », étant ajouté que ledit terme est aussi utilisé dans des domaines autres, tels ceux des assurances (L’argus des assurances étant une publication qui a été fondée en 1877) ou encore de la presse (l’argus de la presse datant de 1879) » ;

Et aux motifs adoptés que « l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de la Sneep, selon l’extrait Kbis versé aux débats, date seulement du 17/12/1957 ; qu’en fait, la référence à l’année 1927 pour l’utilisation de la marque de l’hebdomadaire ou de la dénomination commerciale revendiquée, repose par déduction sur la mention « 75° année » figurant en bas de la première page du journal ;
que la consultation de différents dictionnaires datant peu ou prou de la date d’immatriculation de la Sneep prouve que le terme « L’argus » est passé dans le langage courant, n’est donc plus un terme distinctif autonome et est devenu au contraire un terme générique ; que cela ressort d’ailleurs très nettement de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 24/03/1986, qui sans ambiguïté aucune, précise qu’il ne peut être prétendu « que le terme Argus aurait en lui-même un caractère distinctif le rendant protégeable en application de la loi du 31/12/1964 » ;
que l’argumentation développée par les demanderesses consistant à nier la référence à l’arrêt cité de la cour d’appel de Paris, du fait qu’il porte sur la marque et non sur la dénomination commerciale du périodique, est ici sans effet puisque précisément le titre de cet hebdomadaire, en fait sa dénomination commerciale, est beaucoup plus large et n’est pas composée uniquement du terme Argus mais s’intitule : « L’argus de l’automobile et des locomotions », seule appellation commerciale sur laquelle les demanderesses peuvent revendiquer un droit de propriété, dès lors que ces termes forment dans leur ensemble une expression originale et distinctive ;
qu’il existe par ailleurs un nombre important de marques et de dénominations sociales ou commerciales comportant le terme Argus, dont certaines sont antérieures à la date d’immatriculation de la Sneep, tel l’argus des collectivités fondé en 1952 (cf. cour d’appel Paris 24/03/1986) ou à la date d’utilisation (1927) avancée par l’éditrice de l’hebdomadaire, tels l’Argus Journal International des Assurances fondé en 1877 (cf. cour d’appel Paris 24/03/1986), l’Argus de la presse fondé en 1879 (cf. Quid 1998-2000), appellations antérieures qui anéantissent l’argumentation de la Sneep en matière d’appréciation quant au jour et à la date de l’appropriation du nom de domaine ; qu’il convient d’observer que la société News Morning a déposé un nom de domaine, en harmonie avec les exigences de la charte de nommage de l’Afnic sur l’appellation « argus.fr » et non sur le terme « L’argus » ;
que de surcroît au moment où ce dépôt a été enregistré de manière régulière, soit le 19/06/2000, le terme argus était bien dans le domaine public en tant que terme générique dont personne ne revendiquait la propriété, ce qui annule toute suspicion de fraude dans la démarche de la société News Morning, s’il en était besoin ; que cette dernière apporte la preuve qu’elle fait usage de cette enseigne ; que le site www.argus.fr est donc exploité, fonctionne régulièrement et son enregistrement ne constitue pas une appropriation « dormante » dommageable pour quiconque ; que le site précité ne concerne en rien l’automobile mais repose sur l’achat et la vente de matériel informatique, ce qui ne concurrence pas les différentes activités de la Sneep et notamment son service de cotation de véhicules » ;

Alors d’une part que, l’usage par une entreprise d’un signe distinctif l’identifiant auprès du public est constitutif de droit ; qu’en retenant en l’espèce que l’usage par la Sneep de la dénomination « argus » à titre d’accès simplifié à un serveur minitel ne conférait aucun droit à ladite société Sneep, tout en constatant qu’il lui permettait « d’être identifiée par un certain public sous ce seul nom », la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;

Alors d’autre part que, un terme banal peut acquérir un caractère distinctif par la durée, l’importance et la notoriété de l’usage qui en est fait, et devenir ainsi un signe distinctif protégeable ; qu’en déniant en l’espèce aux sociétés Sneep et Argus interactive tous droits antérieurs sur le terme « argus », pour la seule raison que ce terme appartiendrait au langage courant et ne présenterait donc aucun caractère distinctif, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée (conclusions, p. 18 à 20), si le terme « argus » n’avait pas acquis un caractère distinctif par l’usage qu’en avait fait la Sneep et la notoriété que celle-ci y avait attaché, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;

Alors enfin que, la notoriété d’un signe distinctif en étend la protection au delà du domaine de spécialité pour lequel il est utilisé et permet d’en faire sanctionner l’usage par un tiers, lorsqu’en l’absence même de tout risque de confusion, celui-ci cherche à tirer indûment profit de cette notoriété en se plaçant dans son sillage ou y porte atteinte ;
qu’en retenant en l’espèce que l’exploitation du site incriminé sous la dénomination www.argus.fr ne porterait pas préjudice à la Sneep, dès lors que ce site ne concernerait pas l’automobile, mais reposerait sur l’achat et la vente de matériel informatique ne concurrençant pas les activités de la Sneep et notamment son service de cotation de véhicules, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’exploitation de ce site ne tirait pas indûment profit de la notoriété attachée au signe distinctif « argus » de la Sneep ou n’y portait pas atteinte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil.

La Cour : M. Tricot (président), Mme Michel-Amsellem (conseiller référendaire), M. Métivet (conseiller doyen)

Avocat : SCP Thomas Raquin et Bénabent

Voir la Cour d’appel du 19/11/2004

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