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Jurisprudence : Diffamation

lundi 07 juillet 2003
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre, Presse civile Jugement du 7 juillet 2003

Dominique D. / M6 Web et autres

diffamation

La procédure

Vu l’émission intitulée « Zone Interdite » diffusée sur la chaîne M6 comportant un reportage titré « petites combines et gros trafics » consacré au thème « Viande : la nouvelle arnaque » ;

Vu l’assignation délivrée le 22 février 2002, à la requête de Dominique D., tendant à obtenir, au vu des articles 9-1 du code civil, 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, du code de procédure pénale, 226-13 et 321-1 du code pénal, la condamnation solidaire de Nicolas B., directeur de publication, de la société Métropole Television et de la société M6 Web, civilement responsable, de Jean Baptiste G., journaliste, et la société Productions Tony Comiti à lui payer les sommes de 25 000 € à titre de dommages-intérêts et de 9000 € en application de l’article 700 du ncpc, ainsi que la condamnation solidaire de ces mêmes personnes physiques et morales et l’Etat français à lui payer, au vu de l’article L 781-1 du code de l’organisation judiciaire, les sommes de 25 000 € à titre de dommages-intérêts et 9000 € en application de l’article 700 du ncpc,

aux motifs que :

– l’émission précitée, réalisée par la société Productions Tony Comiti et rediffusée le 29 novembre 2000 à 23h30, laquelle expose une enquête effectuée par la brigade nationale d’enquêtes vétérinaires, et le montre comme un trafiquant, animateur et concepteur d’un réseau de distributeurs de médicaments ne respectant aucune règle, et notamment pas celles posées par le code de la santé publique, a porté atteinte à la présomption d’innocence dont il doit pourtant bénéficier, en le présentant comme coupable des faits faisant l’objet d’une instruction en cours au tribunal de grande instance de Vannes, puisqu’on y voit les gendarmes rendre compte de leurs investigations, le juge d’instruction en action au palais de justice et le vétérinaire du Morbihan concerné par les recherches décrit comme un praticien de la médecine qui se contente de vendre des médicaments sans exercer le moindre contrôle, au risque de « bourrer » d’antibiotiques les consommateurs de la viande provenant des animaux qu’il est censé soigner, alors qu’on lit son nom sur les lèvres de l’adjudant C.,

– ce point de vue a été adopté par le juge des référés, qui, dans une décision du 29 novembre 2001, ordonnait aux défendeurs :

« De clôturer le reportage en indiquant clairement qu’en l’état de la procédure pénale en cours, le vétérinaire qui est au cœur du reportage (mais dont il n’apparaît pas nécessaire d’indiquer le nom) ne fait l’objet n’aucune interdiction d’exercer la profession de vétérinaire ni d’une quelconque autre mesure restreignant sa liberté et qu’il doit bénéficier complètement de la présomption d’innocence que lui accorde l’article 9-1 du code civil. »

– le site internet de la société M6 Web a, de même que l’émission diffusée sur la chaîne M6, violé le principe posé par l’article 9-1 du code civil, puisque l’une de ses pages est ainsi rédigée :

« Viande : la nouvelle arnaque »
« Viande suspecte sur les étals des bouchers : l’escalope de veau était orange ! La brigade nationale d’enquêtes vétérinaires a remonté la filière. En Bretagne, un vétérinaire était corrompu. Depuis des années, il prescrivait à tour de bras des antibiotiques pour des veaux qui n’étaient pas malades. Des éleveurs sans scrupules dopaient leurs animaux aux médicaments pour obtenir une viande de meilleure apparence. Des milliers de consommateurs ont acheté cette viande… jusqu’au jour où le scandale a été découvert. Des médecins tirent la sonnette d’alarme… Quelles conséquences pour les consommateurs ? »,

les expressions employées dans le sujet, telles que « corrompu », « prescrivait à tour de bras », « des veaux qui n’étaient pas malades », « sans scrupules… » constituant des conclusions définitives manifestant un préjugé de sa culpabilité,

– le reportage réalisé par la société Productions Tony Comiti est attentatoire à l’honneur et à la considération du demandeur à raison de l’emploi des termes suivants :

L’adjudant C. :

« Lorsqu’on s’aperçoit que ce « véto » a vingt-sept factures d’honoraires et le reste des factures, il y en a presque 2000 ce ne sont que des prescriptions. Autrement dit, il fait vingt-sept visites d’animaux mais il fait 2000 prescriptions. »

M. Maurice S. de la brigade nationale d’enquêtes vétérinaires :

« c’est cela, là apparemment, on a affaire à un praticien qui se paie sur la vente de médicaments. Il est donc directement intéressé à la vente des médicaments, les actes ne représentant qu’une part infime de son activité.
Cela dépasse complètement un fait relativement individuel, et il y a derrière fatalement une organisation, un réseau qui est mis en place pour distribuer ces produits… pour les prescrire.
Donc, on s’est arrêté à ce niveau là… et maintenant étant donné l’ampleur du phénomène, on est vraiment dans une procédure pénale et judiciaire.
Le problème de ces antibiotiques c’est que tous les jours tu bouffes ta petite dose d’antibiotique en mangeant soit ton escalope, soit ton bifteck et que le jour où tu es vraiment malade et bien, les antibiotiques ne font plus d’effet.
C’est toujours la dose qui fait le poison. Savoir à partir de quel moment, sur quel type de sujet, bon, là ça devient dangereux.
Dans le doute, on applique le principe de précaution, on retire la viande de la consommation. »

Puis achevant le reportage, le journaliste de l’émission :

« Le vétérinaire a été mis en examen et il risque une peine de 4 ans de prison et de 100 000 000 F d’amende pour faux et usage de faux. L’affaire devrait être jugée dans les semaines qui viennent. Ce trafic a cessé. »

– il en va de même de la page précitée du site internet de la société M6 Web, également diffamatoire à l’égard du demandeur ;

– par surcroît, ces deux diffusions ont constitué tant une violation du secret de l’instruction, qu’un recel de cette violation, puisqu’il y est fait état du déroulement des investigations judiciaires effectuées sur commission rogatoire du juge d’instruction vannetais et qu’on y entend les intervenants s’étonner du refus de Dominique D. d’être convoqué et entendu en qualité de témoin, alors que la qualité de professionnel du journaliste, auteur du reportage et du site, exclut qu’il ait ignoré les dispositions s’attachant au secret de l’instruction, et qu’il en est de même des sociétés ayant produit, diffusé, ou publié ces prétendues informations, ces révélations ne pouvant être légitimement justifiées par l’exercice de la liberté d’expression, peu important l’autorisation qu’aurait donnée le juge d’instruction quant à la participation des journalistes à ses opérations ;

– l’Etat français doit être déclaré responsable, le magistrat instructeur chargé du dossier de l’information concernant Dominique D. – et tenu, de ce fait, au respect du secret de l’instruction – ayant, en violant la règle édictée par l’article du code de procédure pénale par le tournage, dans son cabinet d’instruction et auprès des gendarmes chargés d’exécuter ses commissions rogatoires, du reportage litigieux, commis une faute lourde qui ouvre droit à réparation pour le demandeur ;

Vu les dernières écritures de Nicolas B., de la société Métropole Television et de la société M6 Web, qui concluent à la nullité de la procédure, à la prescription de l’action en diffamation, à l’irrecevabilité de l’ensemble des demandes de Dominique D., à leur mal fondé et à la condamnation du demandeur à leur payer la somme de 6000 € sous le fondement de l’article 700 du ncpc, et font valoir que :

– l’assignation délivrée le 22 février 2002 est nulle pour créer une confusion sur l’objet et l’étendue de la poursuite en ne précisant pas et en n’articulant pas les passages incriminés au titre de la diffamation et ceux poursuivis pour l’atteinte à la présomption d’innocence et ce, en application de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881,

– l’action en diffamation engagée par Dominique D. est prescrite, celui-ci n’ayant fait signifié aucun acte de procédure, par lequel il aurait manifesté sa volonté de poursuivre la procédure intentée, interrompant la prescription entre le 20 janvier et le 19 mai 2003,

– il est impossible au demandeur de poursuivre les mêmes faits sous des qualifications cumulatives de délit de presse et de faute civile, et ce principe doit d’autant plus être appliqué, en l’espèce, que les mêmes propos sont visés au titre de la diffamation, de l’atteinte à la présomption d’innocence, de la violation du secret de l’instruction et du recel de cette violation,

– le demandeur est irrecevable en son action, faute d’être identifiable au travers du reportage et de l’annonce internet incriminés, celui-ci ne démontrant aucunement qu’une autre personne que lui-même l’ait reconnu, alors qu’il n’est jamais cité, ni montré, sa seule silhouette étant un très bref instant révélée au téléspectateur et ne pouvant être identifiée et les lieux qui le concernent (domicile ou cabinet médical), étant floutés, à l’exception d’un mur gris d’une banalité extrême,

– au fond, il n’y a ni atteinte à la présomption d’innocence, les auteurs du reportage se bornant à informer, avec le consentement des enquêteurs, le téléspectateur du déroulement d’une affaire judiciaire en cours d’instruction, ni diffamation – le demandeur n’articulant aucun fait précis à ce sujet et les défendeurs devant, le cas échéant, bénéficier de la bonne foi, tant le reportage et l’édition de la page net querellés répondent à un but légitime d’information, sont dépourvus d’animosité personnelle, procèdent d’une enquête sérieuse et sont empreints de la prudence nécessaire en un tel sujet – ni recel de violation du secret de l’instruction, les journalistes n’étant pas tenus par les dispositions des articles 11 du code de procédure civil et 226-13 du code pénal et n’étant astreints, de par leur profession, à aucun secret professionnel (la Cour de cassation ayant, par ailleurs, jugé que l’information, quelle qu’en soit la victime ou l’origine, échappait aux prévisions de l’article 321-1 du code pénal qui ne réprime que le recel de choses et ne relève, au besoin, que des dispositions légales spécifiques à la liberté de la presse ou de la communication audiovisuelle),

– enfin, le demandeur ne justifie pas de la réalité du préjudice qu’il invoque ;

Vu la demande en garantie formée par les mêmes défendeurs à l’encontre de la société Productions Tony Comiti, à raison des articles 9 et 12 du contrat conclu par eux avec cette dernière, suivant lesquels :

« Tony Comiti s’engage… à mettre gratuitement à la disposition de M6 toute autre documentation pour assurer la promotion et la publicité de la production (dossier de presse, articles de presse, kit ou clip de présentation…) ainsi que le conducteur du documentaire dont il remettra à M6 plusieurs exemplaires.
En tout état de cause, ce matériel devra être libre de droits pour l’ensemble des exploitations prévues au bénéfice de M6, à savoir, mais sans limitation : en vue d’insertion dans des plaquettes de promotion de(s) production(s) de M6, dans des revues spécialisées ou non… ainsi que la reproduction numérique sur les listes internet du groupe M6, afin d’assurer la promotion et la publicité du documentaire et/ou celle des activités de M6 et/ou du groupe M6″… »Est stipulé à la charge de Tony Comiti une obligation de garantie de jouissance paisible des exploitations définies aux présentes contre tout trouble, revendications… quelconques. »

Vu les dernières écritures de Jean Baptiste G. et de la société Productions Tony Comiti qui concluent à la prescription et à la nullité de l’action en diffamation engagée par Dominique D., à l’irrecevabilité de son action engagée sur le fondement de l’article 9-1 du code civil, à raison du fait qu’y sont visés les mêmes propos que ceux prétendument diffamatoires et que cette action est dirigée à l’encontre de personnes qui ne sont pas les diffuseurs des propos litigieux, à l’irrecevabilité de son action à l’encontre de la société Productions Tony Comiti, personne morale, du chef du recel de violation du secret de l’instruction, et au débouté de toutes les prétentions du demandeur à l’encontre de Jean Baptiste G. tant du fait de ce même délit de recel de violation du secret de l’instruction, que de celles des atteintes à l’honneur et à la considération et à la présomption d’innocence du demandeur qui serait prétendument le vétérinaire visé dans le reportage poursuivi, ainsi qu’à sa condamnation à payer à la société Productions Tony Comiti la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc et soutient, outre les mêmes arguments que ceux développés par Nicolas B. et les sociétés Métropole Television et M6 Web auxquels il convient expressément de se référer, que :

– le demandeur manque de loyauté en ne mentionnant pas que, par jugement du 5 septembre 2002, le tribunal de grande instance de Vannes l’a condamné aux peines de 30 mois d’emprisonnement avec sursis et de 30 000 € d’amende, ainsi qu’à une interdiction professionnelle d’une durée de 5 ans, avec une mesure de publication à ses frais, et à payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 15 000 € à l’association Que Choisir, 2000 € au conseil supérieur de l’ordre des vétérinaires, 2000 € au syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, 5000 € au syndicat de la vitellerie française, 4000 € au conseil national de l’ordre des pharmaciens, et 1000 € au bénéfice de la confédération paysanne, laquelle décision relève, notamment, que les dérives, telles que constatées sur les carcasses de veau de Bernard O., sont l’une des conséquences pernicieuses du système strictement commercial mis en place à travers la société Avc, couverte par la qualification professionnelle et le diplôme de son gérant, Dominique D., en ces termes : « pour tenir le rythme commercial de l’entreprise de vente de médicaments pour des élevages peu ou non suivis par ses soins, Dominique D., outre la délivrance de médicaments vétérinaires sans autorisation de mise sur le marché, ne pouvait que se reposer sur le réseau de techniciens et éleveurs pour examiner les animaux malades, relever les symptômes, établir le diagnostic et définir le traitement adapté, y compris, quant à la prescription de médicaments comportant des substances vénéneuses, avec le risque d’excès dans leur administration comme de redistribution à d’autres éleveurs. »

– l’assignation délivrée à Jean Baptiste G. est nulle pour avoir été délivrée au siège de la société Productions Tony Comiti et l’avoir ainsi privé de toute possibilité d’effectuer une offre de preuve des propos poursuivis,

– aucune disposition du code pénal ne permet de poursuivre une personne morale du chef de violation du secret de l’instruction ou de recel de cette violation,

– la société Productions Tony Comiti n’est pas le diffuseur du reportage litigieux, alors que seul l’acte de diffusion dudit reportage est susceptible de caractériser une atteinte à la présomption d’innocence, puisque cette violation est constituée à partir de la présentation publique de la culpabilité de l’auteur des faits pénalement poursuivis,

– elle n’est pas davantage responsable, de quelconque manière, des propos figurant sur la page internet de la société M6 Web ;

Vu la réplique de ces mêmes défendeurs à la demande en garantie formée à leur encontre par Nicolas B. et les sociétés Métropole Television et M6 Web, lesquels indiquent qu’ils ne contestent pas devoir garantir la société Métropole Television pour le reportage diffusé, mais non pour les propos figurant sur le site internet de la société M6 Web ;

Vu les écritures signifiées par l’agent judiciaire du trésor public agissant pour le compte de l’Etat français qui conclut au débouté des prétentions de Dominique D. et à sa condamnation à lui payer la somme de 2000 € par application de l’article 700 du ncpc et prétend que :

– aucune faute lourde – seule susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat au titre du fonctionnement défectueux du service de la justice -, ne peut être retenue au cas présent, le juge d’instruction chargé d’informer, à charge et à décharge, contre Dominique D. n’ayant jamais autorisé le tournage du reportage litigieux, non plus que divulgué les informations retenues contre les défendeurs,

– les propos prêtés à ce même magistrat – qui sont tronqués -, sont totalement déformés et ne sauraient caractériser un défaut d’impartialité de sa part susceptible de constituer une faute de nature à mettre en cause l’agent judiciaire du trésor public,

– le préjudice du demandeur est inexistant, ce d’autant que nul ne l’a reconnu spontanément au travers des propos querellés ;

Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 26 mai 2003 ;

Les faits

La chaîne de télévision M6 a diffusé, le 25 novembre 2001, dans le cadre de l’émission « Zone Interdite », un reportage d’une durée d’une quinzaine de minutes portant sur le thème « viande : la nouvelle arnaque », produit par la société Productions Tony Comiti, évoquant la prescription, en grande quantité, d’antibiotiques par des vétérinaires, à des veaux d’élevage, cette étonnante pratique conduisant à poser la question de savoir si elle est conforme aux intérêts des consommateurs nourris des viandes des animaux ainsi gavés.

Y était évoquée une procédure pénale en cours d’information au tribunal de grande instance de Vannes.

Le site internet de la chaîne M6 devait, en outre, publier un bref article résumant le reportage précité.

Une rediffusion de l’émission étant programmée pour la date du 29 novembre 2001 à 23h30, Dominique D., vétérinaire, mis en examen dans la procédure pénale visée ci-dessus et qui s’estimait identifiable au travers tant des propos et des images diffusés dans le reportage, que des termes de l’article mis en ligne, a saisi le juge des référés, au visa de l’article 9-1 du code civil protégeant la présomption d’innocence.

Par ordonnance du 29 novembre 2001, ce magistrat a estimé que Dominique D. « ne démontre pas qu’une autre personne que lui même l’avait reconnu dans ce reportage » et que, « dès lors, il ne pouvait être fait interdiction à M6 de rediffuser le sujet litigieux comme de publier un communiqué judiciaire » ; il a, toutefois ordonné à la société Métropole Television « de conclure » le sujet querellé en indiquant « que le vétérinaire qui y était mentionné (dont il n’y avait pas lieu d’indiquer le nom) ne faisait l’objet d’aucune interdiction d’exercer sa profession, non plus que d’aucune autre mesure restreignant sa liberté et qu’il devait bénéficier complètement de la présomption d’innocence résultant de l’article 9-1 du code civil ». Cette même information devait figurer sur le site web de M6.

L’ordonnance précitée à été exécutée par les sociétés Métropole Television et M6 Web.

Par ailleurs, Dominique D. a, le 5 septembre 2002, été déclaré coupable des faits de faux et d’usage de fausses prescriptions médicamenteuses par le tribunal de grande instance de Vannes et été condamné aux peines de 30 mois d’emprisonnement avec sursis et de 30 000 € d’amende, ainsi qu’à une interdiction professionnelle d’une durée de 5 ans, décision dont il a fait appel.

La discussion

Sur la prescription de l’action en diffamation

Attendu que l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 énonce que l’action publique et l’action civile résultant des délits prévus par la dite loi se prescriront après trois mois révolus à compter du jour où ils ont été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite, s’il en a été fait ;

Attendu que ces dispositions impliquent, lorsque l’action a été engagée devant la juridiction civile, que le demandeur manifeste sans équivoque à son adversaire, au moyen de tout acte de procédure utile, sa volonté de poursuivre la procédure qui a été introduite ;

Attendu qu’en l’espèce, force est de constater que Dominique D. n’a fait signifier aucun acte de procédure, entre le 20 janvier et le 19 mai 2003, manifestant sa volonté de poursuivre l’action engagée aux termes de son assignation du 22 février 2002 ;

Que, dès lors, cette action se trouve prescrite ;

Sur la non-recevabilité du demandeur tirée du cumul de l’action fondée sur les dispositions de l’article 9-1 du code civil et des articles 11 du code de procédure pénale et 226-13 et 321-1 du code pénal

Attendu que l’article 9-1 du code civil a introduit en droit interne une protection particulière de la présomption d’innocence, renforçant un principe déjà inscrit dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ; que par ces dispositions particulières, le législateur a voulu protéger la personne présumée innocente contre les atteintes susceptibles d’être portées par les organes d’information ;

Attendu qu’il s’agit là d’un droit de la personnalité dont la violation donne lieu à une action spécifique, indépendante de toute autre action, que celle-ci concerne, comme au cas présent, une diffamation (prescrite, ici) ou une violation du secret de l’instruction ou encore le recel de cette violation ;

Qu’il s’ensuit que c’est à tord que les défendeurs soutiennent que l’action de Dominique D. est irrecevable de ce fait ; que leur moyen sera rejeté ;

Sur l’identification du demandeur au travers du reportage et de l’annonce sur le web incriminés

Attendu qu’aux termes de l’article 9-1 du code civil, chacun a droit au respect de sa présomption d’innocence ;

Que l’observation de ce principe fondamental repose sur le fait que celui qui doit en bénéficier est identifié ou identifiable au travers des propos et des images censées se rapporter à lui et dont il invoque le caractère attentatoire aux dispositions précitées ;

Sur le reportage diffusé par la société Métropole Television

Attendu que Dominique D. soutient qu’il est identifiable comme « l’homme » désigné dans le reportage litigieux ou le « vétérinaire », ou encore le « docteur » cité par le journaliste ;

Que cependant, force est de constater qu’il n’y est jamais montré et que son nom, ni même son prénom, n’y sont indiqués ;

Que cette considération tenant à l’absence d’identification du demandeur a été relevée par le juge des référés dans son ordonnance du 29 novembre 2001, aux termes de laquelle il retient que le demandeur ne démontrait pas « qu’une autre personne que lui-même l’avait reconnu dans ce reportage » ;

Attendu que le demandeur prétend avoir été reconnu par son entourage au motif qu’il exerçait, à l’époque, ses fonctions de vétérinaire dans le secteur de Vannes, dans le département portant le nombre « 56 », soit le Morbihan, et que chacun pouvait donc comprendre de l’évocation précitée, au vu des termes employés, qu’il s’agissait de lui ;

Mais attendu qu’il s’avère que le Morbihan recèle pas moins de 12 cabinets de vétérinaires, 18 cliniques exerçant cette activité et 64 personnes seules travaillant de même, alors qu’aucune de ces personnes ne porte le nom du demandeur, lequel ne figure pas sur les listes du minitel relatif à ce département ;

Qu’il en est de même de la commune de Vannes, où sont installées 5 cliniques de vétérinaires et où personne n’exerce à titre individuel ;

Attendu que les seuls propos du sujet querellé susceptibles de désigner Dominique D. sont ainsi conçus : « en Bretagne, un vétérinaire était corrompu » ; que ces termes sont particulièrement vagues et ne permettent aucune identification ;

Attendu que les images des personnes reproduites dans le montage sont toutes floutées, de même que les vitres des véhicules des enquêteurs ; que le visage du suspect est également occulté, les lieux (vus de l’extérieur) où il se rend (domicile et bureau) l’étant également, ou sont d’une telle banalité qu’ils ne peuvent être reconnus ; que, de même, les déclarations des gendarmes et témoins sont « bipées » et qu’enfin, contrairement à ce que le demandeur soutient, le téléspectateur moyen ne peut lire son nom sur les lèvres des enquêteurs, le tribunal, visionnant l’enregistrement de l’émission, n’y étant pas parvenu ;

Attendu qu’au surplus, Dominique D. n’établit pas qu’il ait été reconnu par son entourage – professionnel ou personnel – ;

Qu’en effet, les attestations qu’il produit aux débats ne rapportent pas cette preuve, puisque :

– le docteur S., ancien vétérinaire associé du demandeur, se borne à déclarer que la vision du sujet « un trafic d’antibiotiques » lui a, par la description des faits et les images montrées, évoqué l’affaire concernant Dominique D. ; son témoignage, non daté, n’est assorti d’aucune pièce établissant l’identité de son auteur et n’est pas recevable,

– il en va de même du docteur V., qui affirme au moyen d’un témoignage, envoyé par fax, non daté et dépourvu de toute pièce établissant son identité, qu’il a immédiatement reconnu Dominique D. sans justifier, d’aucune manière, cette assertion,

– le docteur A. atteste avoir reconnu Dominique D., le 12 décembre 2001 seulement, soit une dizaine de jours après l’intervention de l’ordonnance de référé mentionnée ci-dessus ; cette identification manque indéniablement de spontanéité, dans la mesure où le magistrat des référés avait précisément relevé dans sa décision l’absence de toute reconnaissance de Dominique D. autre que venant de lui-même,

– il en va de même du docteur P. (dont le témoignage n’est assorti d’aucune pièce d’identité) qui a visionné, après l’ordonnance de référé du 29 novembre 2001, l’émission litigieuse et ne pouvait, dans ces conditions, manquer de reconnaître son confrère,

– l’attestation du docteur D. – non datée – n’est pas davantage convaincante, lequel prétend avoir lu sur les lèvres des gendarmes filmés dans le reportage le nom du demandeur et ajoute l’avoir reconnu lorsqu’on aperçoit, de dos, un homme devant la porte d’un garage, alors qu’il apparaît que le témoin a vu l’émission lors de sa rediffusion, à une époque où son attention était attirée par tout signe susceptible d’évoquer la présence de Dominique D., et que, cependant, aucun autre élément que son témoignage ne vient confirmer ses dires quant au fait que le garage filmé est bien celui du demandeur, aucune photographie de ce lieu n’étant produite aux débats ;

Attendu qu’il ne peut en être conclu que Dominique D. a été reconnu, fut-ce par ses proches, lors de la diffusion incriminée ;

Qu’il s’ensuit qu’il n’est pas recevable à agir sur le fondement de l’article 9-1 du code civil, l’identification de la personne qui invoque ces dispositions étant une condition nécessaire à leur application ;

Sur l’annonce parue sur le Web

Attendu que le texte de l’annonce parue sur le site de la société M6 Web et reproduite ci-dessus est dépourvu de toute indication permettant d’identifier la personne qu’elle concerne, en l’absence de tout élément susceptible de la désigner s’y rapportant ;

Que Dominique D. est donc irrecevable à agir de ce chef, en application des dispositions de l’article 9-1 du code civil ;

Attendu qu’il en va de même de ses autres chefs de demandes concernant une violation du secret de l’instruction et le recel de cette violation, lesquels ne peuvent davantage prospérer, dès lors que le demandeur n’est pas identifiable aux travers des propos et images qui en seraient le support et qu’il poursuit ;

Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des défendeurs les frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’exposer à l’occasion des présentes ;

Qu’il convient de leur allouer :

– à Nicolas B., à la société Métropole Television et à la société M6 Web ensemble la somme de 1500 €,

– à Jean Baptiste G. et à la société Productions Tony Comiti ensemble la somme de 1500 €,

– à l’agent judiciaire du trésor la somme de 1000 €

et ce, en application de l’article 700 du ncpc ;

La décision

Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

. Déclare l’action en diffamation par Dominique D. prescrite,

. Dit qu’il est irrecevable en ses actions fondées sur les articles 9-1 du code civil, 226-13 et 321-1 du code pénal et 781-1 du code de l’organisation judiciaire, faute d’être identifiable au travers des propos et images poursuivis tant lors des diffusions réalisées sur la chaîne M6 du reportage « Petites combines et gros trafics, Viande : la nouvelle arnaque », que dans les termes de l’annonce en ligne parue sur le site de la société M6 Web,

. Le condamne à payer :

– à Nicolas B., à la société Métropole Television et à la société M6 Web ensemble la somme de 1500 €,

– à Jean Baptiste G. et à la société Productions Tony Comiti ensemble la somme de 1500 €,

– à l’agent judiciaire du trésor la somme de 1000 €,

en application de l’article 700 du ncpc ;

. Dit que les dépens seront recouvrés par Me Richard Malka, la SCP Deprez Dian Guignot et la SCP Normand-Sarda & associés avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du ncpc.

Le tribunal : Mme Dubreuil (vice président), M. Bonnal (vice président), Mme Depardon (juge)

Avocats : Me Geneviève Sroussi, DCP Deprez Dian Guignot, Me Richard Malka, SCP Normand-Sarda & Associés

 
 

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