Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 19 mai 2011
H&K, André R. / Google Inc, Google France, Nina S.
responsabilité
DISCUSSION
M. André R. expose qu’il est un photographe de réputation internationale et qu’il a notamment photographié Melle Patricia Kaas et la société H&K indique qu’elle finance l’ensemble des frais de reportage de M. R. et dispose d’un mandat de ce dernier pour vendre sa photographie au niveau mondial.
M. R. précise avoir adressé, le 28 mars 2011, une lettre de mise en demeure aux sociétés Google afin de supprimer le référencement de tous les sites qui proposent la photographie de Patricia Kaas litigieuse au motif qu’il n’a jamais concédé d’autorisation pour exploiter cette image sur internet.
Malgré cette mise en demeure, la photographie litigieuse aurait été toujours présente sur GoogIe Images les 27 avril et 4 mai 2011.
C’est dans ce contexte que les demandeurs ont assigné les sociétés Google en référé, sur le fondement des articles 808 et 809 du code de procédure civile, pour voir dire que ces dernières, en reproduisant sans autorisation, sur le site accessible à l’adresse http://images.google.fr, la photographie de Melle Patricia Kaas dont M. R. est l’auteur et dont la société H&K est le mandataire, ont commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur au sens de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, pour voir dire que la photographie “reproduite sous une qualité déplorable ne mentionne pas le crédit de M. R. et de la société H&K et a été recadrée sauvagement” et pour demander une mesure de suppression de la photographie litigieuse, d’interdiction de la commercialiser et de publication de l’ordonnance à intervenir sous astreinte ainsi que la condamnation des sociétés Google à payer à chacun des demandeurs la somme provisionnelle de 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice patrimonial et à M. R. celle de 20 000 € en réparation de son préjudice moral, outre le versement de la somme globale de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils font essentiellement valoir, d’une part, leur qualité à agir sur le fondement de l’article L. 133-1 du code de la propriété intellectuelle et l’originalité de la photographie litigieuse qui évoque, par les choix artistiques opérés par l’auteur, un sentiment de sensualité qui porte l’empreinte de sa personnalité et, d’autre part, la responsabilité des sociétés Google tant dans les termes du droit commun de la contrefaçon sur le fondement de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle qu’en leur qualité de moteur de recherche dont le régime juridique doit être assimilé à celui de l’hébergeur, sur le fondement de l’article 6 de la Lcen.
Les demandeurs sollicitent en outre la condamnation de Mlle S. à leur payer à chacun la somme provisionnelle de 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice patrimonial et M. R. celle de 5000 € en réparation de son préjudice moral.
En réponse, les sociétés Google soulèvent notamment, d’une part, l’irrecevabilité à agir de M. R. et de la société H&K faute d’originalité de la photographie revendiquée et de démonstration par M. R. de sa qualité d’auteur de ce cliché litigieux et par la société H&K de sa qualité de cessionnaire des droits patrimoniaux d’auteur sur les œuvres en cause et, d’autre part, une contestation sérieuse sur la demande de provision en faisant valoir que la société Google France n’a commis personnellement aucun des faits reprochés puisque le site www.images.google.fr est édité par la société Google Inc et que cette dernière, en indexant l’image litigieuse dans le cadre de son service Google Images, n’a commis aucun acte de nature à engager sa responsabilité, cette indexation d’images sans contrôle préalable trouvant sa légitimité dans la liberté de communiquer et de recevoir des informations, et au motif qu’elle est amis en place une procédure de désindexation sur notification des images qui lui sont signalées comme contrefaisantes, conformément aux obligations qui résultent de son statut de prestataire de stockage “cache”.
Les sociétés Google demandent le débouté de M. R. et de la société H&K de l’ensemble de leurs prétentions et leur condamnation in solidum à leur verser les sommes de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 10 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme S. fait valoir une contestation sérieuse portant sur la qualité pour agir de la société H&K et elle indique qu’elle a téléchargé la photographie litigieuse sans manipulation particulière à partir de la vignette figurant sur le moteur de recherche Google Images et qu’elle a supprimé ladite photographie de son site dès réception de l’assignation et, partant, que le principe de sa responsabilité se heurte également à une contestation sérieuse, tout en sollicitant, le cas échéant, la garantie des sociétés Google.
Il est constant que, le 28 mars 2011, les demandeurs ont notifié aux sociétés Google la présence d’une photographie litigieuse de Melle Patricia Kaas et les ont mises en demeure de la supprimer et de la déréférencer de manière définitive de tous les sites référencés par Google Images, M. R. n’ayant jamais concédé d’autorisation pour exploiter cette image sur internet.
Ils précisent que le service mis en place par Google, à savoir l’indexation de photographies sous forme de vignettes permettant aux internautes de visualiser les images et d’accéder au site d’origine, n’est pas justifié par la fonction de moteur de recherche de ce dernier en ce qu’il autorise cet internaute à sélectionner la photographie, à la télécharger, puis à la modifier selon son gré.
Selon les demandeurs, pour avoir continué à référencer de manière active la photographie litigieuse malgré la mise en demeure du 28 mars 2011, les sociétés Google ont engagé leur responsabilité délictuelle à leur égard.
Par ailleurs, les sociétés Google auraient porté atteinte à l’intégrité de l’œuvre par une reproduction de qualité déplorable et à la paternité de l’œuvre “de M. R. et de la société H&K” par une absence de crédit photographique.
Cependant, les sociétés Google rappellent que, dans le cadre de leur activité Google images, elles référencent la totalité des images disponibles sur internet sans aucune discrimination ni aucune sélection humaine et qu’en fournissant aux internautes un moyen de consultation de ces images sous forme de vignettes, elle agit en tant que prestataire technique neutre qui “n’excède pas dans son service de référencement les limites d’un prestataire intermédiaire ne mettant pas en œuvre une fonction active au sens de la Lcen”
Il s’agirait donc d’une indexation automatique des images diffusées sur internet par les millions de sites répertoriés, étant précisé que les éditeurs de sites ont toujours la faculté de donner instructions aux moteurs de recherche de ne pas les référencer en attribuant des balises htlm à leurs contenus.
Dans ce cadre, en tant que prestataire de stockage “cache”, les sociétés Google auraient respecté leurs obligations au sens de l’article L. 32-3-4 du Code des Postes et des Communications Electroniques qui dispose que le prestataire peut voir sa responsabilité engagée notamment s’il n’a pas agi avec promptitude pour retirer les contenus dès qu’il a connaissance de leur caractère illicite.
Plus précisément, la société Google fait valoir qu’elle a rempli son obligation en l’espèce en offrant aux demandeurs l’accès à des formulaires de retrait en ligne qu’ils ont omis d’utiliser et en procédant néanmoins dans les meilleurs délais à la désindexation de chacune des images litigieuses au fur et à mesure qu’elle en a eu connaissance.
A cet égard, force est de constater, d’une part, que Google amis en ligne sur son site des informations indiquant à tout plaignant éventuel la procédure lui permettant de signaler et de faire retirer rapidement une image indexée sur Google Images, étant observé que l’adresse url de chaque image doit être précisément renseignée, ainsi que les sociétés défenderesses l’ont indiqué dans leur lettre du 28 avril 2011 en réponse à la réclamation relative aux photographies litigieuses.
D’autre part, la société Google établit par un constat d’huissier que la photographie de Patricia Kaas ne figurait plus dans les résultats du moteur de recherche à la date des 28 et 29 avril 2011 et qu’elle n’était plus accessible aux adresses www.seafm.fr et www.ninapeople.com identifiées aux termes des constats APP des 12 et 13 avril 2011, étant ajouté que cette désindexation a été confirmée par la lettre précitée adressée au conseil de M. R. le 28 avril 2011.
Par ailleurs, les questions relatives à la titularité des droits d’auteur invoqués par les demandeurs sur la photographie litigieuse – notamment de la société R&K qui n’agirait qu’en qualité de mandataire de M. R. – et à l’éligibilité de cette photographie à la protection par le droit d’auteur relèvent de l’appréciation du juge du fond.
Dans ces conditions, aucun trouble manifestement illicite qu’il conviendrait de faire cesser ne peut être reproché par M. R. et la société H&K aux sociétés Google avec l’évidence requise en référé et les demandes de provision qu’ils ont formulées se heurtent à une contestation sérieuse en l’espèce.
En conséquence, il y a lieu de les débouter de l’ensemble de leurs demandes, par application de l’article 809 du code de procédure civile.
Les sociétés Google seront également déboutées de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts provisionnels pour procédure abusive.
L’équité commande l’allocation aux sociétés Google de la somme globale de 5000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.
DECISION
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort, vu l’article 809 du code de procédure civile,
. Donnons acte à Mlle Nina S. de ce qu’elle s’engage à ne plus remettre en ligne la photographie litigieuse de Patricia Kaas,
. Déboutons M. R. et la société H&K de l’ensemble de leurs demandes,
. Déboutons les sociétés Google Inc et Google France de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
. Condamnons in solidum M. R. et la société H&K à payer aux sociétés Google Inc et Google France la somme de 5000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,
. Les condamnons in solidum aux dépens de l’instance.
Le tribunal : M. Rémy Moncorge (juge)
Avocats : Me Alain de la Rochere, Me Alexandra Neri, Me Patrick Quibel
En complément
Maître Alain de La Rochere est également intervenu(e) dans les 28 affaires suivante :
En complément
Maître Alexandra Neri est également intervenu(e) dans les 99 affaires suivante :
En complément
Maître Patrick Quibel est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Rémy Moncorge est également intervenu(e) dans les 15 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.