Jurisprudence : Marques
Tribunal de commerce de Paris 15ème chambre Jugement du 19 octobre 2001
Agence France Presse (AFP) / SARL Expresse-Net
concurrence déloyale - contrefaçon de marque - défaut d'intérêt à agir - exception d'incompétence - marques - nom de domaine - publication décision de justice
Les faits
L’Agence France Presse (AFP), a constaté en 1998 qu’Expresse-Net avait enregistré le nom de domaine « francepresse.com » . Ayant obtenu l’engagement écrit d’ Expresse-Net de « supprimer de son site internet toute mention qui pourrait laisser supposer que l’AFP et son site aient des relations, liens ou intérêts communs », l’AFP a néanmoins constaté qu’Expresse-Net avait conservé son nom de domaine francepresse.com, référencé son site par la dénomination « France Presse » dans les moteurs de recherche et diffusé des messages publicitaires construits sur le détournement de la notoriété et de l’image de marque de l’AFP. Elle estime que l’attitude d’Expresse-Net caractérise sa parfaite mauvaise foi.
La procédure
Le 6 juin 2000, l’AFP assigne Expresse-Net et demande de :
– dire qu’Expresse-Net a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– lui interdire toute utilisation des termes « France Presse » et Presse France, notamment comme nom de domaine ainsi que sur son site internet, avec astreinte de 50 000 F par jour de retard à/c du jugement,
– ordonner le transfert du nom de domaine « francepresse.com » au profit de l’AFP à la charge d’Expresse-Net,
– voir condamnée Expresse-Net à lui payer 500 000 F à titre de dommages et intérêts,
– ordonner la publication du jugement sous forme de communiqué à insérer sur le site d’Expresse-Net et sur deux sites accessibles au public, ainsi que dans trois titres de presse au choix de l’AFP, dans la limite de 30 000 F par insertion,
– voir condamnée d’Expresse-Net à lui payer 50 000 F au titre de l’article 700 du ncpc, ainsi qu’aux dépens,
– ordonner l’exécution provisoire
Elle confirme ces demandes dans ses conclusions du 9 février 2001.
Dans ses conclusions du 17 novembre 2000, confirmées le 29 juin 2001, Expresse-Net demande :
– in limine litis, de déclarer incompétent le tribunal de Paris au profit de celui de Nanterre,
– à titre subsidiaire, de dire le demandeur irrecevable pour défaut de droit d’agir,
– à titre infiniment subsidiaire, de débouter AFP de toutes ses demandes,
– à titre reconventionnel, de prendre acte qu’Expresse-Net se réserve le droit de demander l’annulation des marques, notamment France Presse et de condamner l’AFP à lui payer 50 000 F pour procédure abusive et 50 000 F au titre de l’article 700 du ncpc, ainsi qu’aux dépens.
Les moyens
L’AFP expose qu’Expresse-Net intervient dans le même domaine d’activité qu’elle. En utilisant comme nom de domaine « francepresse.com », elle a cherché à opérer une confusion entre l’AFP et sa propre activité portant atteinte à la dénomination sociale de l’AFP qui en outre ne peut enregistrer ce nom. En associant « France Presse » à ses messages publicitaires sur internet et les moteurs de recherche, elle cherche à induire en erreur le public sur l’origine de son site. La confusion ainsi introduite cause à l’AFP un préjudice commercial résultant du détournement des connexions qui lui étaient normalement destinées.
Expresse-Net expose que son activité, la vente de publications de presse, est sans rapport avec celle de l’AFP et qu’il ne peut s’agir d’une concurrence déloyale ni de parasitisme.
L’internaute qui se retrouverait sur son site comprendrait d’ailleurs aussitôt qu’il ne s’agit pas de l’AFP.
Discussion
Sur la demande d’incompétence territoriale
Expresse-Net a formulé sa demande dans les conditions prévues par le ncpc. Elle est donc recevable.
AFP a signifié son assignation à l’ancien siège social parisien d’Expresse-Net, sans succès, puis à son nouveau siège à Issy-les-Moulineaux. Expresse-Net considère que, ce faisant, l’AFP a choisi de l’assigner devant le tribunal de son siège social, et qu’en conséquence le tribunal de Nanterre est seul compétent.
Le ncpc prévoit qu’une instance peut être introduite non seulement devant le tribunal du siège du défendeur, mais aussi devant celui du lieu où a été commis le dommage. Or l’AFP a constaté les faits litigieux après s’être connectée au site d’Expresse-Net à partir d’un ordinateur installé à Paris.
Conformément à la jurisprudence établie par l’arrêt de la cour d’appel de Paris le 1er mars 2000, le tribunal retiendra que les faits litigieux et les dommages pouvant en résulter ont eu lieu à Paris. Il dira donc la demande d’incompétence ratione loci recevable mais non fondée.
Sur la demande d’irrecevabilité pour défaut d’intérêt à agir
D’après Expresse-Net, l’AFP serait dépourvue de la capacité d’ester en justice sur un terrain commercial, ses statuts et la loi qui l’a créée ne lui donnant que la personnalité civile. N’étant pas soumise aux règles de la concurrence, elle ne pourrait pas intervenir sur le terrain de la concurrence déloyale.
Le tribunal remarque que l’AFP est inscrite au registre du commerce et que, de plus, la loi 57-32 du 10 janvier 1957 qui fixe son statut prévoit qu’elle a pour objet « … de mettre contre paiement cette information à la disposition des usagers », ce qui constitue un acte de commerce. N’ayant pas de monopole légal, elle est soumise à la concurrence.
Le tribunal rejettera donc la demande d’irrecevabilité soulevée par Expresse-Net.
Sur le parasitisme et la concurrence déloyale
L’AFP est notoirement connue sous les dénominations AFP, Agence France Presse, France Presse. En utilisant sur internet les termes France Presse, francepresse.com, Presse France, Expresse-Net qui comme l’AFP commercialise de l’information s’est placée dans le sillage de l’AFP ce qui caractérise le parasitisme. Il était en effet possible pour Expresse-Net de choisir des termes qui, comme « presse française », étaient significativement différents de ceux cités plus haut tout en attirant de la même façon le chaland sur la nature de son activité.
Peu importe pour caractériser la faute que l’AFP offre essentiellement à la vente de l’information sous forme de dépêches, et Expresse-Net sous forme de publications éditées par des tiers. Les agissements d’Expresse-Net ont été susceptibles de conduire à un détournement de clientèle et donc constituent de la concurrence déloyale.
Sur les demandes d’interdiction formulées par l’AFP
De façon à éviter la poursuite des actions fautives d’Expresse-Net, le tribunal interdira à celle-ci toute utilisation des termes France Presse, Presse France ou francepresse sous quelque forme que ce soit, y compris sur internet. En particulier Expresse-Net devra modifier dans les huit jours suivant la signification du présent jugement la dénomination de son site. Le tribunal ordonnera d’office une astreinte de 50 000 F par jour de retard. L’AFP n’ayant pas antérieurement choisi de dénommer son domaine « francepresse.com » il n’y a pas lieu d’en ordonner le transfert à son profit aux frais d’Expresse-Net.
Sur la demande de dommages et intérêts
Expresse-Net s’étant rendue coupable de parasitisme et de concurrence déloyale aux détriment de l’AFP, le tribunal, usant de son pouvoir d’appréciation, fixera à 100 000 F le montant des dommages et intérêts à accorder à celle-ci.
Sur les demandes de publications
Le tribunal fera droit à la demande de publication formulée par l’AFP, en la restreignant au site internet d Expresse-Net aux frais de celle-ci, et dans trois titres de presse au choix de l’AFP dans la limite d’un coût total de 60 000 F.
Sur l’exécution provisoire
Attendu que le tribunal l’estime nécessaire, vu la nature de l’affaire, il y a lieu de l’ordonner sans constitution de garanties.
Sur l’article 700 du ncpc
L’équité commande en l’espèce de faire application de l’article 700 du ncpc à concurrence des 50 000 F sollicités par l’AFP.
La décision
Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire :
.dit l’exception d’incompétence recevable mais non fondée et se déclare compétent,
.dit l’assignation recevable,
.interdit toute utilisation par (la Sarl) Expresse-Net des termes France Presse, Presse France et francepresse, sous quelque forme que ce soit, y compris sur internet et comme nom de domaine, sous astreinte de 50 000 F soit 7622,45 € par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification du présent jugement et ce pendant trente jours, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,
.condamne la société Expresse-Net à payer 100 000 F soit 15 244,90 € à l’Agence France Presse à titre de dommages et intérêts,
.ordonne la publication du présent jugement sous la forme d’un communiqué sur le site internet d’ Expresse-Net, ainsi que dans trois titres de presse au choix de l’Agence France Presse dans la limite d’un coût total de 60 000 F soit 9146,94 €,
.ordonne l’exécution provisoire du présent jugement sans constitution de garanties,
.condamne la société Expresse-Net à payer à l’Agence France Presse 50 000 F soit 7622,45 € en application de l’article 700,
.déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
.condamne la société Expresse-Net aux dépens.
Le tribunal : M. Carrale (président), MM. Sevray, Corpet, Vilarrubla et Mme Romano (juges)
Avocat : S.C.P. Deprez Dian Guignot, Me Halpern
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Halpern est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Maître SCP Deprez Dian Guignot est également intervenu(e) dans les 15 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Carrale est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Corpet est également intervenu(e) dans les 6 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Romano est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Sevray est également intervenu(e) dans les 9 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Vilarrubla est également intervenu(e) dans les 6 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.