Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour d’appel de Paris, pôle 5 – ch. 2, arrêt du 17 novembre 2017
RTBF La Une et Endemolshine Belgium / Twicky Records, M. X et autres
audiovisuel - compétence territoriale - contrefaçon - internet - réseaux sociaux - télévision - tribunal français
La RTBF La Une (ci-après RTBF) est une chaîne de télévision publique belge qui diffuse depuis 2011 l’émission télévisée musicale “The Voice”, sur le même modèle que l’émission de télé-crochet diffusée en France sur TF1.
En Belgique, l’émission est produite par la société belge Endemolshine Belgium.
Le groupe Astonvilla est un groupe de rock français, ayant 22 ans d’existence et qui, en 2013, a lancé son propre “label”, créant à cet effet la société, Twicky Records, qui a produit leur album dénommé Joy machine.
A la suite de la diffusion sur la page Facebook de l’émission The Voice Belgique de la chaîne radio-télévision belge francophone RTBF, produite par la société Endemolshine Belgium, une bande annonce de ladite émission utilisant la chanson badminton de l’album “Joy Machine, la société Twicky Records, a fait dresser un procès- verbal de constat par un huissier le 29 février 2016, et, par courrier du 25 avril 2016, a mis en demeure les sociétés Endemolshine Belgium et la RTBF de cesser cette utilisation.
Par actes du 28 juin 2016, monsieur X., monsieur Y., monsieur Z., madame W., auteurs et compositeurs dudit morceau et la société Twicky records ont fait assigner les sociétés Endemolshine Belgium et la RTBF aux fins d’indemnisation sur le fondement de la violation des droits d’auteur.
Par ordonnance en date du 5 mai 2017, le juge de la mise en état a :
– rejeté l’exception d’incompétence soulevée,
– condamné la RTBF la une et la société Endemolshine Belgium à payer à monsieur X., monsieur Y., monsieur Z., madame W. et la société Twicky Records la somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l’aricle 700 du Code de procédure civile,
– renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état du 15 juin 2017
La société RTBF a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 19 mai 2017.
Monsieur X., monsieur Y., monsieur Z., madame W. et la société Twicky records ont formé un appel incident.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 septembre 2017, la société RTBF demande à la cour de :
– dire que le tribunal de grande instance de Paris n’est pas compétent pour se prononcer sur la demande formée à l’encontre de la RTBF, par les demandeurs à l’instance principale, suivant assignation en date du 12 juillet 2016,
– infirmer, en conséquence, l’ordonnance, en date du 5 mai 2017, par laquelle le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de grande instance de Paris compétent,
– déclarer la société RTBF recevable et bien fondé en son appel, et y faisant droit
A titre principal,
– constater que les défendeurs à la présente instance ont leur siège social en Belgique,
– constater que les demandeurs ne limitent par leur demande indemnitaire au fait dommageable commis en France,
– constater que les sites sur lesquels la bande annonce litigieuse a été diffusée n’ont pas d’impact économique en France,
En conséquence,
– constater que les tribunaux français ne sont pas compétents pour connaître du présent litige,
– constater que la présente instance s’en trouve éteinte, y compris à l’égard de la société Endemol shine,
En conséquence,
– déclarer les tribunaux de commerce et de première instance de Bruxelles compétents pour connaître du présent litige,
– renvoyer les parties à mieux se pourvoir,
A titre subsidiaire,
– constater que la compétence du tribunal de grande instance de Paris doit se limiter aux préjudices subis par monsieur X., monsieur Y., monsieur Z., madame W. et la société Twichy Records des seuls faits commis sur le territoire français,
– constater que les tribunaux belges sont compétents pour juger de la partie du litige liée aux préjudices subis par monsieur X., monsieur Y., monsieur Z., madame W. et la société Twichy Records des faits commis sur le territoire belge,
– condamner monsieur X., monsieur Y., monsieur Z., madame W. et la société Twichy Records à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 septembre 2017, la société Endemolshine Belgium demande à la cour de :
– dire et juger que la décision rendue sur l’exception présentée par la société RTBF s’appliquera également à l’égard de la société Endemolshine Belgium,
– condamner monsieur X., monsieur Y., monsieur Z., madame W. et la société Twichy Records au paiement à son profit de la somme de 8 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 septembre 2017, messieurs X., Y., Z., madame W. et la société Twichy Records demandent à la cour de :
– dire et juger que l’appel de la société RTBF est irrecevable et mal fondé,
– dire et juger que l’appel incident monsieur X., monsieur Y., monsieur Z., madame Pillant-Taratte et la société Twichy Records des concluants est recevables et bien fondé,
A titre principal,
– confirmer l’ordonnance du 5 mai 2017 en ce qu’elle a reconnu la compétence française,
– réformer l’ordonnance du 5 mai 2017 en ce qu’elle a limité l’indemnisation éventuelle au seul dommage subi en France,
Statuant de nouveau,
– dire et juger que la juridiction de céans est donc compétente, au titre du lieu de la matérialisation du dommage, pour connaître d’une action en responsabilité pour l’atteinte aux droits d’auteur du fait de la mise en ligne d’une œuvre protégée sur un site Internet accessible dans son ressort,
– dire et juger que les juridictions françaises, en tant que juridiction du pays qui a conférés les droits d’auteur violés par la RTBF, sont compétentes pour connaitre de l’ensemble des dommages subis et non pas des seuls dommages subis en France,
A titre subsidiaire,
– constater que le 23 novembre 2016, la société Endemolshine Belgium a conclu au fond,
– dire et juger que de ce seul fait, la société Endemolshine Belgium a reconnu la compétence des juridictions françaises, ne pouvant plus aujourd’hui soulever l’incompétence de votre juridiction comme le précise la cour de cassation :
« Mais attendu que le juge de la mise en état n’est saisi des demandes relevant de sa compétence que par les conclusions qui lui sont spécialement adressées ; qu’ayant relevé que lors de la procédure de première instance, M. X. avait déposé, avant les conclusions aux fins d’incident saisissant explicitement le juge de la mise en état de l’exception d’incompétence, des conclusions qui formulaient à la fois cette exception de procédure et des demandes au fond, c’est à bon droit que la cour d’appel, sans dénaturer les premières conclusions, a retenu que l’exception d’incompétence était irrecevable, faute d’avoir été soulevée avant toute défense au fond ou fin de
non-recevoir (Civ. 2e, 12 mai 2016n° 14-28086, Publié au bulletin) :
– dire et juger qu’en ce qui concerne la société Endemolshine Belgium la compétence de votre juridiction est donc parfaitement acquise,
– dire et juger que l’exception d’incompétence soulevée par la RTBF ne peut avoir d’effet erga omnes. Rappeler que nul, en France, ne plaide par procureur,
– constater que si retenait l’exception d’incompétence comme le réclame la RTBF, la société Endemolshine Belgium, qui n’a pas contesté votre compétence, n’aura donc d’autres choix que d’attraire de nouveau la RTBF par application de l’article 11 du contrat précité et par application de l’article 6$2 du règlement du 22 décembre 2000 sur la compétence judiciaire et l’exécution des jugements (Bruxelles II) relatif aux appels en garantie,
en conséquence,
– dire et juger que les juridictions françaises, notamment le tribunal de grande instance de Paris, sont compétentes pour trancher le présent litige,
statuant de nouveau,
– dire et juger que les juridictions françaises, en tant que juridiction du pays qui a conférés les droits d’auteur violés par la RTBF, sont compétentes pour connaitre de l’ensemble des dommages subis et non pas des seuls dommages subis en France,
– renvoyer le dossier à la mise en état,
– enjoindre la RTBF de conclure au fond,
– condamner la RTBF et la société Endemolshine Belgium à verser à chacun des concluants, la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens distraits au profit de Maître Croizet sur son affirmation de droit.
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
DISCUSSION
La RTBF soutient que les deux défendeurs en présence ont leur siège social en Belgique, que la bande-annonce litigieuse ayant été mise en ligne sur la page facebook de la RTBP, l’événement causal qui se confond avec le lieu où a été commis le prétendu fait dommageable, se situe au siège social c’est à dire en Belgique et que les demandeurs à l’instance principale n’ont jamais manifesté leur intention de limiter leurs demandes aux préjudices subis du seul fait dommageable commis en France.
La société Endemolshine Belgium ajoute que retenir la compétence de la juridiction française, à son égard, serait contraire au principe de bonne administration de la justice invoquée par les demandeurs au fond.
Messieurs X., Y., Z., madame Pillant-Taratte et la société Twicky Records soutiennent que les juridictions françaises sont compétentes car le dommage a eu lieu en France et font valoir que la CJUE adopte les critères de rattachement déjà existants pour assurer l’effectivité du droit et que dès lors la victime d’une atteinte à ses droits sur Internet peut saisir le tribunal du centre de ses intérêts au titre de l’intégralité du dommage.
Il est établi par constat d’huissier en date du 29 février 2016 que la bande- annonce de l’émission télévisée musicale “the Voice” diffusée sur la page facebook de l’émission utilisait frauduleusement la chanson Badminton; il n’est pas contesté que ce site était élors parfaitement accessible en France; si la RTBF a fait dresser un constat d’huissier le 7 mars 2017 pour faire constater que son site internet est géo bloqué, ce constat a été réalisé près d’un an après celui produit par les demandeurs de sorte qu’il est inopérant au regard des faits incriminés.
De plus, la société Endémolshine Belgium avait conclu au fond sans soulever l’incompétence de la juridiction française de sorte qu’elle ne saurait dès lors invoquer cette exception .
C’est donc à bon droit par des motifs que la cour adopte que le juge de la mise en état a rejeté l’exception d’incompétence.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Messieurs X., Y., Z., madame W. et la société Twicky Records ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
DÉCISION
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME l’ordonnance déférée.
CONDAMNE la société RTBF La Une et la société Endemolshine Belgium à payer à Messieurs X., Y., Z., à madame W. et à la société Twichy Records, chacun, la somme de 4 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNE la société RTBF La Une et la société Endemolshine Belgium aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
La Cour : Colette Perrin (présidente), Véronique Renard (conseillère), Mme Laurence Lehmann (conseillère), Carole Trejaut (greffière)
Avocats : Me Jean-Michel Orion, Me Mathieu Croizet, Me Eric Lauvaux, Me Sylvain Naillat
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