Jurisprudence : Logiciel
Cour de Cassation, 1ère chambre civile, Arrêt du 27 novembre 2001 (cassation partielle)
SA Fiat auto France / Silas B.-G.
contrefaçon - logiciel
La Cour de cassation, première chambre civile, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Fiat auto France, en cassation d’un arrêt rendu le 7 octobre 1999 par la cour d’appel de Versailles (12e chambre, 2e section) au profit de Silas B.-G., défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La Cour, composée selon l’article L. 131-6 alinéa 2 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 24 octobre 2001, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Gridel, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, Mme Petit, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre.
Sur le rapport de M. Gridel, conseiller, les observations de la SCP Thomas-Raquin et Benabent, avocat de la société Fiat auto France, de la SCP Parmentier et Didier, avocat de Silas B.-G., les conclusions de Mme Petit, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu’un logiciel, dit GHA, avait été commandé à la société Centaure logiciel ; qu’à la suite de la liquidation de celle-ci, le 22 mai 1990, la société Fiat auto France en devint propriétaire et chargea, par contrat de septembre 1990 périodiquement reconduit, puis renouvelé le 30 juin 1993 jusqu’au 30 décembre 1993, Silas B.-G., commerçant personne physique, ancien salarié de la société liquidée, de ses assistance technique et maintenance, avec clauses de mutuelle confidentialité et réservation exclusive de l’étude du développement d’applications à ce prestataire ; que les logiciels dits GHA 2, GHA 3 et GHA 4 furent mis au point dans ces conditions ; que, courant 1993, la société Fiat confia à des tiers l’étude et la réalisation d’une transposition du GHA, version 4, dans un autre environnement technique, permettant ainsi d’obtenir le logiciel GAP ; que Silas B.-G., après avoir, le 26 janvier 1994, déposé à l’Agence pour la protection des programmes le logiciel GHA 4 en le déclarant “œuvre composite par lui développée à laquelle est incorporée une première version préexistante et inachevée développée par la société Centaure logiciel en liquidation sans reprise”, assigné la société Fiat en contrefaçon et violation de ses engagements de confidentialité et exclusivité ; que la cour d’appel a accueilli cette double demande ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Fiat fait grief à l’arrêt d’avoir jugé qu’elle avait commis des actes de contrefaçon du logiciel GHA 4 appartenant à Silas B.-G. et de l’avoir en conséquence condamnée à lui verser des dommages-intérêts alors qu’en se déterminant d’après le seul fait que la société Fiat l’en aurait contractuellement reconnu propriétaire, et en disant sans incidence une recherche sur l’originalité de l’apport de celui-ci, la cour d’appel se serait fondée sur un motif inopérant, violant ainsi les articles L. 112-1, L. 112-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu’en déduisant de la reconnaissance par la société Fiat, dans la convention intervenue en 1993, de la propriété de Silas B.-G. sur le logiciel GHA en l’état dans lequel il existait et avait été déposé par lui, son droit d’en revendiquer l’exploitation à son encontre, l’arrêt, qui n’avait pas à se prononcer sur l’originalité d’un apport personnel conventionnellement tenu pour constant par les parties, a légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que la société Fiat reproche également à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à Silas B.-G. des dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon perpétrés à son endroit alors que :
1°/ en n’expliquant pas en quoi l’exposante, si elle n’avait pas commis la contrefaçon reprochée, se serait nécessairement adressée à lui pour la réalisation et la maintenance d’un nouveau logiciel ;
2°/ en réparant au prix d’une réalisation nouvelle ce qui n’était quel a perte d’une chance, d’évaluation nécessairement intérieure, la cour d’appel a doublement violé l’article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l’arrêt rappelle que, aux termes des articles L. 122-6 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon d’un logiciel porte atteinte au droit de l’auteur d’effectuer ou autoriser toute reproduction, traduction, adaptation ou modification ; qu’il relève l’intention de la société Fiat, en 1993, de développer le nouveau logiciel, sa concomitance avec sa volonté de résilier le contrat la liant à Silas B.-G. et les confidentialité et exclusivité antérieurement consenties à celui-ci sur l’étude de développement d’applications de l’ancien logiciel ; qu’il constate, après l’expert, que le logiciel GAP, en service dans les locaux de la société Fiat à la date de la saisie, est la copie du logiciel GHA, qui a servi de documentation préparatoire, dont l’architecture est reproduite, et dont les moyens automatiques de transposition sont utilisés ; qu’il a ainsi pu établir un lien de causalité entre la contrefaçon établie et les manques à gagner invoqués par Silas B.-G., et justifié sa recherche du préjudice par référence au prix de réalisation et maintenance d’un logiciel transposé du modèle GHA 4 ; que le moyen est donc sans fondement ;
Mais sur la troisième branche du second moyen :
Vu l’article 1382 du code civil ;
Attendu que la somme allouée au titre de la réparation d’un dommage ne peut excéder la réalité de celui-ci ; que, pour arrêter la somme due, l’arrêt additionne les coûts des usage et maintenance d’un logiciel similaire, augmentés d’un forfait couvrant la maintenance évolutive non comprise dans le poste précédent ; qu’en statuant ainsi, alors que le préjudice éprouvé consistait dans les seuls bénéfices à attendre après déduction des prix de revient, l’arrêt a violé le texte visé ;
Par ces motifs :
. casse et annule, mais seulement en ce qu’il n’a pas limité le préjudice réparable au bénéfice réellement escomptable, l’arrêt rendu le 7 octobre 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;
. condamne Silas B.-G. aux dépens ;
. vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de Silas B.-G. ;
. dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé.
Moyens produits par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux Conseils pour la société Fiat auto France
Premier moyen de cassation
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir jugé que la société Fiat auto France avait commis des actes de contrefaçon d’un logiciel appartenant à Silas B.-G. et de l’avoir en conséquence condamné à verser à ce dernier des dommages-intérêts ;
Aux motifs qu’à la date de la mise en liquidation judiciaire de la société Centaure, la société Fiat auto France était copropriétaire avec la société VAG et Mercedes du logiciel GHA en l’état duquel il se trouvait alors ; que “Monsieur B.-G. a été ensuite chargé par la société Fiat auto France de l’assistance technique du logiciel selon contrat en date des 5 et 17 septembre 1990” (…) “que ce contrat a été reconduit pendant trois ans et résilié par la société Fiat le 25 mars 1993, à effet au 30 juin 1993 ; que néanmoins une nouvelle convention d’assistance technique reprenant les causes “d’exclusivité et de confidentialité” a été conclue le 30 juin 1993 pour se poursuivre jusqu’au 30 décembre 1993”, qu’il y est stipulé que “les structures des fichiers, les structures des données et la structure des traitements sont la propriété intellectuelle et inaliéable du fournisseur ; les fichiers sources du progiciel GHA, base de maintenance et d’évolution du progiciel fonctionnant sur le site client pourront lui être cédés moyennant une compensation financière de 510 000 F détaillée sous diverses rubriques. Les informations contenues dans les différents fichiers de données utilisés par le progiciel GHA pourront à tout moment être disponibles sous forme de fichier texte ASCII à la date voulue par le client, quelle qu’en soit la destination. Le format du fichier texte de migration doit être établi et fourni par le client” ; “que ces dispositions complètes et claires constituent une reconnaissance formelle du droit de propriété de Monsieur B.-G. sur le logiciel GHA en l’état duquel il existait et a été déposé par l’appelant, le 26 janvier 1994, à l’APP de la part de la société Fiat auto France” ; (…) “que Monsieur B.-G. ayant été reconnu par la société Fiat auto France propriétaire du logiciel GHA déposé à l’APP est recevable à agir en contrefaçon à son encontre, sans qu’il ne soit nécessaire de reprendre le débat sur son caractère composite” (…) “que, comme le soutient à juste titre Monsieur B.-G., la société Fiat auto France a d’abord reproduit ou fait reproduire illicitement le GHA version 4, puis a utilisé cette copie pour faire développer par la société Brossard le logiciel “GAP” et perpétré ainsi des actes de contrefaçon à son détriment ; que la société Fiat auto France qui ne conteste pas ses constatations, mais seulement celles formulées par le technicien, au titre de l’originalité de l’apport de Monsieur B.-G. et de la taille du logiciel obtenu par la société Brossard Systèmes qui n’ont pas d’incidence sur les premières, et se fonde d’ailleurs à cet égard sur les uniques dires sujets à caution de ses propres salariés, critique inutilement le comportement de l’expert” ;
Alors que, pour bénéficier de la protection du droit d’auteur, un logiciel doit porter la marque de l’apport intellectuel de son auteur et présenter en conséquence un caractère original ; qu’en retenant en l’espèce que Silas B.-G. bénéficiait de droits sur le logiciel GHA version 4 du seul fait que la société Fiat auto France l’en aurait contractuellement reconnu propriétaire sans rechercher l’originalité de l’apport de Silas B.-G. dont elle retient qu’il serait sans incidence, la cour d’appel s’est fondée sur un motif inopérant en violation des articles L. 112-1, L. 112-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Alors que, d’autre part, dès lors que la société Fiat auto France n’avait aucune obligation de confier l’élaboration d’une “réalisation nouvelle” à Silas B.-G., le préjudice subi par ce dernier ne pouvait en toute occurrence consister au plus que dans la simple perte d’une chance de se voir chargé de cette réalisation ; qu’en lui allouant une somme égale au “prix de la réalisation nouvelle”, cependant que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;
Alors qu’enfin, au surplus, le préjudice lié à la perte d’une vente et du service de maintenance n’est pas égal au prix qu’auraient procuré cette vente et cette prestation de services, mais seulement à la marge bénéficiaire du fournisseur ; qu’en statuant comme elle l’a fait, sans déduire du prix de vente et de maintenance le prix de revient correspondant, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil.
Second moyen de cassation
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la société Fiat auto France à payer à Silas B.-G., à titre de “dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon perpétrés à son encontre”, une somme de 1 825 000 F, portée à 2 500 000 F à la suite d’une rectification d’erreur matérielle opérée par arrêt du 17 février 2000 ;
Aux motifs que “la contrefaçon du logiciel GHA version 4 a privé Monsieur B.-G. du prix de la réalisation nouvelle et de sa maintenance que l’auteur d’un logiciel peut se réserver conformément à l’article L. 122-6 du code de la propriété intellectuelle ; que Monsieur Landre utilisant deux méthodes d’évaluation à partir du droit d’usage d’un progiciel similaire et à partir du nombre d’instructions de GHA pour aboutir aux chiffres respectifs de 1 500 000 F HT et de 1 600 000 F HT, non sérieusement discutés par la société Fiat auto France, a considéré exactement que le premier méritait d’être admis ; que, s’agissant de la maintenance, l’expert retient, à juste titre, après avoir effectué des recherches, une classification en trois catégories : la maintenance corrective destinée à corriger des défauts engendrés par des erreurs de codage des programmes, la maintenance évolutive visant à l’amélioration du fonctionnement du logiciel pour répondre à des évolutions de son cahier des charges ou de ses spécifications et enfin la maintenance adaptative ayant pour objet les modifications du logiciel afin de l’adapter à un nouvel environnement matériel, logiciel ou utilisateur ; que Monsieur Landre indique que les éditeurs de logiciels pratiquent habituellement un coût de maintenant annuel de 10 % à 12 % recouvrant les maintenances correctives et certaines maintenances adaptatives et que l’amortissement d’un logiciel est d’une durée de cinq ans, en sorte que le montant moyen peut être fixé à la somme de 825 000 F (165 000 F HT x 5 ans) qui sera portée forfaitairement pour le surplus à 1 million de francs pour tenir compte de la maintenance évolutive non comprise dans le coût précédent” ;
Alors que, d’une part, en s’abstenant d’expliquer en quoi la société Fiat auto France, si elle n’avait pas commis la contrefaçon qui lui est reprochée, se serait nécessairement adressée à Silas B.-G. pour lui confier la réalisation d’un nouveau logiciel et sa maintenance, la cour d’appel n’a pas caractérisé le lien de causalité entre cette contrefaçon et le gain que Silas B.-G. pouvait retirer de tels travaux, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;
Alors que, d’autre part, dès lors que la société Fiat auto France n’avait aucune obligation de confier l’élaboration d’une “réalisation nouvelle” à Silas Bakary-Gondo, le préjudice subi par ce dernier ne pouvait en toute occurrence consister au plus que dans la simple perte d’une chance de se voir chargé de cette réalisation ; qu’en lui allouant une somme égale au “prix de la réalisation nouvelle” cependant que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;
Alors qu’enfin, au surplus, le préjudice lié à la perte d’une vente et du service de maintenance n’est pas égal au prix qu’auraient procuré cette vente et cette prestation de services, mais seulement à la marge bénéficiaire du fournisseur ; qu’en statuant comme elle l’a fait, sans déduire du prix de vente et de maintenance le prix de revient correspondant, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil.
La cour : M. Lemontey (Président), M. Gridel (conseiller rapporteur), M. Renard-Payen (conseiller), Mme Petit (avocat général), Mme Collet (greffier de chambre)
Avocats : SCP Thomas-Raquin et Benabent / SCP Parmentier et Didier
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