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Jurisprudence : Marques

mercredi 13 février 2008
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 1ère section Jugement du 29 janvier 2008

SFR / One Texto, Jacob M.

marques

FAITS ET PROCEDURE

La société SFR est titulaire de la marque française «Texto» déposée le 23 janvier 2001 pour désigner notamment des services de «messagerie écrite pour radio-téléphone».

Or, elle a constaté :
* Le 24 septembre 2003, le dépôt par Jacob M. de la marque semi figurative «One Texto», pour des services en classe 35, 38, 42.
* Le 19 février 2004, l’enregistrement par Jacob M. du nom de domaine « onetexto.com », puis l’exploitation, sous cette adresse, d’un site dont la couleur dominante est le rouge.
* Le 13 décembre 2004, l’enregistrement au RCS de Marseille d’une sarl sous la dénomination sociale «One Texto», puis son utilisation à titre de nom commercial et d’enseigne pour activité de télécommunication.
* Le 4 janvier 2005, le dépôt par Jacob M. d’une marque semi figurative «One Texto Petites Annonces», pour des services en classe 35, 38, 41.

Une procédure d’opposition initiée par SFR a l’encontre de la marque « One Texto » a été déclarée irrecevable par l’Inpi, dont la décision a été confirmée en appel.

Par courrier du 9 juin 2006, SFR a mis en demeure Jacob M. de cesser tout usage illicite de sa marque «Texto».

Sans réponse de sa part, elle a, par acte du 11 juillet 2006, assigné Jacob M. et la société One Texto en contrefaçon de marque et concurrence déloyale et parasitaire.

Dans ses dernières conclusions en date du 4 juillet 2007, SFR répond en premier lieu aux arguments des défendeurs sur le caractère prétendument descriptif de sa marque «Texto».

Elle rappelle à cet égard qu’elle a déposé le 23 mars 1998, la première marque française intégrant le terme « texto », à savoir « Texto, Dites le en toutes lettres, dites le texto» pour désigner des services de messagerie écrite pour radio-téléphone. Les articles cités par les défendeurs ne font que reprendre cette première marque de SFR.

Elle précise que la marque «Texto» n’est pas la désignation nécessaire, générique ou usuelle du service désigné. Elle n’est qu’une déclinaison de la marque distinctive déposée en 1998.

SFR répond en second lieu aux arguments des défendeurs sur la prétendue déchéance pour dégénérescence de la marque «Texto», en justifiant de sa vigilance et de ses réactions quasi-systématiques contre les utilisations de sa marque en tant que terme du langage courant. SFR soutient qu’il s’agit en réalité d’une marque de renommée dont SFR ne peut être déchue du fait de son inaction.

Elle fait ensuite valoir que la reproduction de sa marque «Texto» au sein des marques «One Texto», «One Texto Petites Annonces», du nom de domaine onetexto.com, de la dénomination sociale, du nom commercial et de l’enseigne «One Texto» constitue des actes de contrefaçon par imitation que cette reproduction du terme Texto intervient en effet pour désigner des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque «Texto» a été enregistrée, de sorte qu’un risque de confusion est susceptible d’exister dans l’esprit du public. SFR souligne que le terme Texto conserve son caractère distinctif et prédominant dans les imitations litigieuses.

SFR prétend encore que l’utilisation de la couleur rouge par la société One Texto pour illustrer son site internet constitue un acte de concurrence déloyale et parasitaire dans la mesure où cette couleur est utilisée de longue date par SFR.

En dernier lieu. SFR soutient que la société One Texto a également reproduit à tort sur son site Internet le logo SFR au sein de sa rubrique «Partenaires», alors qu‘aucun partenariat n’a jamais été conclu entre les deux sociétés.

La société SFR a en conséquence demandé au Tribunal de :
– Constater que SFR est titulaire de la marque française «Texto» déposée le 23 janvier 2001 sous le n°3013078467 pour désigner le service de « messagerie écrite pour radiotéléphone »,
– Dire et juger que la marque «Texto» est une marque de renommée en France,
– Dire et juger que Jacob M. a imité la marque «Texto» en enregistrant les marques «One Texto» et «One Texto Petites Annonces» ainsi que le nom de domaine onetexto.com,
– Dire et juger que la société One Texto a imité la marque « Texto » en adoptant pour dénomination sociale, nom commercial et enseigne «One Texto»,
– Dire et juger que la société One Texto a également commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

En conséquence,
– Prononcer la nullité de la marque «One Texto» déposée le 24 septembre 2003 sous le n°3 247287 et de la marque «One Texto Petites Annonces» déposée le 4 janvier 2005 sous le n°3333068,
– Ordonner la radiation du nom de domaine onetexto.com,
– Interdire, sous astreinte de 5000 € par infraction, à Jacob M. et à la société One Texto d’utiliser et d’imiter la marque « Texto »,
– Condamner solidairement Jacob M. et la société One Texto à verser la somme de 100 000 € à SFR en réparation des actes de contrefaçon de marques,
– Condamner solidairement Jacob M. et la société One Texto à verser la somme de 100 000 € à SFR en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
– Dire et juger que la décision sera inscrite au Registre Nationale des Marques,
– Ordonner la publication dans 5 journaux,
– Condamner solidairement Jacob M. et la société One Texto à verser la somme de 12 000 € à SFR au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux dépens.
– Ordonner l’exécution provisoire.

Dans ses dernières écritures en date du 19 septembre 2007, la société One Texto et Jacob M. font valoir tout d’abord que les marques «Texto» et «Texto, Dites le en toutes lettres, dites le Texto» sont nulles du fait de leur caractère descriptif.

Les défendeurs produisent à cet effet plusieurs articles de presse antérieurs au 23 janvier 2001 et parlant d’un texto comme d’un synonyme de SMS ou d’un petit message écrit envoyé d’un téléphone portable. Ils soutiennent également que le caractère descriptif de la marque Texto doit être apprécié au jour de son dépôt et non en relation avec les marques antérieurement déposées par le même titulaire.
Ils soutiennent encore que la marque «Texto, Dites le en toutes lettres, dites le texto» est également descriptive dans la mesure où SFR y utilise le terme «texto» dans son sens courant, à savoir «Dites-le textuellement, dites-le en message texte».
Subsidiairement, les défendeurs estiment que SFR doit être déchue de ses droits sur la marque «Texto» car elle est devenue la désignation usuelle du service visé, du fait de son inaction. Ils considèrent en effet que les réactions de SFR envers les dictionnaires ou envers les dépôts de marque sont insuffisantes pour échapper à la dégénérescence.

En outre, les défendeurs soulignent que c’est également en raison du fait positif de SFR, à savoir la manière avec laquelle SFR a présenté sa marque au public, que cette dernière est devenue la désignation usuelle d’un SMS. SFR a en effet utilisé «Texto» dans son sens courant, en tant que nom commun, sans jamais préciser qu’il s’agissait de l’une de ses marques.

A titre infiniment subsidiaire, les défendeurs considèrent qu’ils n’ont pas commis d’actes de contrefaçon, puisque les marques en cause diffèrent d’un point de vue visuel et phonétique et étant donné que le mot Texto ne bénéficie que d’une très faible distinctivité.

Quant à l’utilisation de la couleur rouge par les défendeurs, ceux-ci estiment qu’il s’agit d’une tonalité différente de celle utilisée par SFR et que SFR ne peut s’arroger un monopole sur une couleur primaire de base.

Concernant enfin l’utilisation du logo SFR dans ses « partenaires», la société One Texto précise qu’elle a naïvement mis ce logo aux côtés de ceux des autres opérateurs afin de faire comprendre au public qu’elle propose un service d’envoi de SMS vers tous les opérateurs.

Les défendeurs ont en conséquence demandé au Tribunal de déclarer nulles comme descriptives les marques « Texto » n°013078467 et «Texto, Dites le en toutes lettres, dites Ie texto» n°98725085,

– Subsidiairement, prononcer la déchéance de la marque « Texto », devenue du fait de son titulaire la désignation dans le commerce du service de «messagerie écrite pour radio téléphone»,
– Plus subsidiairement, constater l’absence de contrefaçon commise par les défendeurs,
– Constater l’absence d’actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par les défendeurs.
– Condamner SFR à verser aux défendeurs la somme de 15 000 € pour procédure abusive et préjudice commercial,
– Condamner SFR à verser aux défendeurs la somme de 7500 € chacun au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture est intervenue le 14 novembre 2007.

DISCUSSION

Sur la nullité des marques “Texto, dites le en toutes lettres, dites le texto » et “Texto”.

La société One Texto et Jacob M. soutiennent au visa de l’article L 712-2 du Code de la propriété intellectuelle, que la marque Texto de la société SFR est nulle car elle est descriptive pour utiliser un terme qui dans le langage courant est la désignation usuelle du produit ou service.

Il convient de rappeler que la distinctivité des marques s’apprécie au jour de leur dépôt.

* sur la marque “Texto, dites le en toutes lettres, dites le texto”

La société SFR argue de l’antériorité de sa marque verbale “ Texto, dites le en toutes lettres, dites le texto” pour établir ses droits sur le terme texto.

Cette marque “Texto, dites le en toutes lettres, dites le texto » a été déposée le 23 mars 1998. Elle emploie le terme texto dans son sens courant c’est-à-dire comme une abréviation du mot “textuellement”, en toutes lettres.

Elle a été déposée en classe 38 pour désigner des “services de messagerie écrite pour radiotéléphone”.

La spécificité des messages adressés par la téléphonie mobile est leur brièveté qui a d’ailleurs généré un nouveau langage, avec des mots modifiés qui intègrent des majuscules, des chiffres et des abréviations qui a suscité un livre « parlez vous texto?” versé au débat.

Ainsi, la marque “Texto, dites le en toutes lettres dîtes le texto” déposée par la société SFR en 1998 n’a de fait pas été exploitée (en tous cas SFR n’en rapporte pas la preuve) car elle est bien trop longue, qu’elle est inadaptée au public concerné pour identifier le produit visé.

En tout état de cause, elle est totalement descriptive au regard du service désigné, la messager le écrite par téléphone portable puisqu’elle décrit précisément la façon d’envoyer le message.

En raison de ce caractère descriptif, la marque “Texto, dites le en toutes lettres, dites le texto” est nulle.

* sur la marque Texto

La marque Texto a été déposée le 23 janvier 2001.

Il est régulièrement produit au début plusieurs articles datant de mars 2000, décembre 2001 et janvier 2001 émanant d’un quotidien et d’un hebdomadaire, le Monde et l’Express, qui sont des journaux de grande diffusion qui touchent un large public,

Ces articles utilisent le terme texto pour expliquer ce qu’est un « sms” (l’express du 16 mars 2000) ; il y est précisé le coût d’un texto pour chaque opérateur (Bouygues, SFR, Itineris) ce qui implique que déjà le terme texto était à cette date connu comme définissant le message envoyé par le biais d’un téléphone et qu’il n’était absolument pas associé à la société SFR.

L’article du Monde du 16 décembre 2000 relate le succès de cette messagerie le terme texto est utilisé dans le sens que lui a donné l’article de l’Express ; il est même utilisé au pluriel “textos” ce qui démontre nécessairement son caractère usuel.

L’édition du 11 janvier 2001 de l’Express dans son cahier Economie cite le nombre de messages envoyés le 31 décembre 2000 minuit et précise “soit plus d’un texto par habitant”.

L‘édition du Monde du jour même du dépôt de la marque, rappelle à ses lecteurs que “ceux qui n’utilisent pas internet pourront utiliser le système texto (SMS) des téléphones mobiles ».

Ainsi il est établi qu’au jour du dépôt le terme texto était employé comme un terme usuel désignant les messages courts envoyés par le biais d’un téléphone portable.

La marque précédente “Texto, dites le en toutes lettres, dites le texto” ayant été annulée, marque à laquelle aucun des articles cités plus haut ne fait d’ailleurs référence, est désormais un moyen inopérant opposé par la société SFR pour apprécier la validité de la marque Texto.

L’article L 712-2 du Code de la propriété intellectuelle qui exclut la validité d’un terme pour caractère usuel ou génétique doit s’appliquer puisque le terme texto est dépourvu de caractère distinctif pour désigner les services d’une messagerie ; en effet, il est suffisamment démontré qu’il est la désignation nécessaire de ce service dans le langage courant ; la société SFR ne peut s’approprier ce terme et en interdire l’utilisation.

En conséquence, la marque Texto sera déclarée nulle pour manque de distinctivité sans qu’il soit nécessaire d’examiner les moyens relatifs à la déchéance.

La société SFR sera déboutée de ses demandes de contrefaçon de sa marque et des demandes visant la dénomination sociale et l’immatriculation de la société One Texto, le nom de domaine onetexto.com.

Sur la concurrence déloyale

La société SFR prétend que la société One Texto a commis des actes de concurrence déloyale en utilisant la couleur rouge qui est employée par elle de longue date et en utilisant le logo SFR sur son site internet aux côtés des logos des autres opérateurs.
La société SFR ne peut là encore monopoliser la couleur rouge sans que celle-ci soit clairement définie et revendiquée avec un indice pantone dans une marque, et empêcher les autres sociétés qui travaillent dans le domaine de la téléphonie mobile d’employer une couleur rouge.

En l’espèce, le rouge utilisé par la société One Texto est différent de celui employé par la société SFR, il est plus foncé et il s’accompagne pour la marque One Texto d’une couleur bleue.

Enfin, l’apposition du logo SFR est reprochée au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et non pas au titre de la contrefaçon de la marque.

Il convient de remarquer que le logo SFR est apposé avec les logos de nombreux autres intervenants dans le domaine économique, autres que les opérateurs mobiles (Maaf, Sony, Citroen, Parc Asterix, Quick, Air France, UGC, etc..) car l’activité de la société Cinetexto consiste à vendre des services de publicités par texto.

La volonté de se mettre dans le sillage de la société SFR «est donc pas établie car elle n’est pas la seule à voir son logo apposé sur le site internet de la société défenderesse et que la société One Texto a seulement indiqué à ses clients qu’elle pouvait faite diffuser leur publicité sur les différentes messageries exploitées en France.

En conséquence, les faits de concurrence déloyale et parasitaire ne sont pas établis et la société SFR sera déboutée de cette demande.

Sur les demandes de la société One Texto et de Jacob M.

La société SFR a pu se méprendre sur l’étendue de ses droits puisqu’elle était titulaire de la marque Texto ; en conséquence le caractère abusif de son action n’étant pas démontré, la société One Texto et Jacob M. seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts jour procédure abusive.

L’exécution provisoire est sans objet, elle ne sera pas ordonnée.

Les conditions sont réunies pour allouer à la société One Texto et à Jacob M. la somme de 6000 € chacun par application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

DECISION

Le tribunal statuant par remise au greffe et par jugement contradictoire et en premier ressort,

. Dit que la marque verbale française Texto, enregistrée sous le n°013078467 et la marque semi-figurative “Texto dites le en toutes lettres, dites le texto” enregistrée sous le n°98725085 au nom de la société SFR sont nulles pour défaut de distinctivité.

En conséquence,

. Déboute la société SFR de l’ensemble de ses demandes fondées sur ces marques.

. Dit que mention de la nullité de ces marques sera inscrite au registre National des Marques à l’Inpi par le greffe ou à la requête de la partie la plus diligente par application de l’article R 714-3 du Code de la propriété intellectuelle, une fois la décision devenue définitive.

. Déboute la société SFR de sa demande en concurrence déloyale formée à l’encontre de la société One Texto.

. Condamne la société SFR à payer à la société One Texto et à Jacob M. la somme de 6000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

. Déboute la société One Texto et Jacob M. de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive.

. Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

. Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

. Condamne la société SFR aux entiers dépens.

Le tribunal : Mme Maire Courboulay (président), Mmes Florence Gouache et Cécile Viton (juges)

Avocats : Me Isabelle Leroux, Me Vanessa Bouchara

Voir décision de cour d’appel

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.