Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 1ère section Jugement du 18 mars 2008
SFR / Amäl H.
contrefaçon - e-commerce - marque notoire - marques
FAITS ET PROCEDURE
La Société Française du Radiotéléphone – SFR (ci-après SFR) propose des services de téléphonie mobile et de transmission de données pour les particuliers, les professionnels et les entreprises. Elle est titulaire de la marque française semi-figurative “SFR” déposée le 27 novembre 2002 et enregistrée sous le n° FR 3196683 pour les produits des classes 9, 16, 18, 25, 28, 35, 36, 38, 39, 41 et 42.
Ayant constaté que Amäl H. reproduisait cette marque sans son autorisation pour vendre, sous le pseudonyme “lol.amel” sur le site internet http://www.ebay.fr, 3 lettres-type au prix de 1.99 € permettant de résilier des abonnements SFR selon certaines modalités, SFR l’a fait assigner, par acte du 07/11/2007 selon la procédure à jour fixe pour l’audience du 18 décembre 2007.
L’affaire était renvoyée à l’audience de jour fixe du 30 janvier 2008.
Vu ses conclusions du 16/01/2008, la société SFR demande au Tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, qu’il :
– condamne à lui payer les sommes suivantes :
* 2000 € en réparation des actes de contrefaçon ou d’exploitation injustifiée, soit de l’atteinte portée à son droit de marque,
* 2500 € en réparation du préjudice subi à raison des actes parasitaires,
– interdise à Amäl H. d’utiliser, de reproduire ou d’imiter la marque “SFR” revendiquée ou toute autre marque dont est titulaire SFR, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, pour commercialiser des modèles de lettres de résiliation de contrats d’abonnement SFR, et ce sous astreinte de 2000 € par infraction constatée,
– ordonne la publication du jugement à intervenir dans cinq quotidiens ou revues hebdomadaires ou mensuelles, au choix de la demanderesse, à hauteur de 3000 € HT par insertion, aux frais avancés du défendeur, et ce à titre de dommages et intérêts complémentaires,
– ordonne la publication du jugement à intervenir sur un quart de la page d’accueil du site internet de la société Ebay, accessible à l’adresse http://www.ebay.fr, dans un délai de 8 jours à compter de sa signification, pendant une durée d’un mois sans interruption, et ce sous astreinte de 2000 € par jour de retard,
– dise que l’ensemble des condamnations portera intérêt au taux légal à compter de la signification du jugement à intervenir,
– se réserve la liquidation des astreintes ordonnées,
– rejette les demandes reconventionnelles de Amäl H.,
– condamne Amäl H. à lui payer la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens en ce compris les frais de constat.
En réponse, Amäl H. dans ses conclusions du 24/01/2008, demande au Tribunal :
– de débouter SFR de l’ensemble de ses demandes en l’absence de contrefaçon et d’actes de parasitisme, l’usage de la marque SFR constituant un usage nécessaire,
– de constater le manquement de SFR à son obligation d’information dans le changement de ses conditions contractuelles (L.121-84 du code de la consommation) et de condamner SFR à verser à 10 000 € sur ce fondement,
– constater que SFR ne respecte pas les dispositions de l’article L.121-84 du code de la consommation et condamner SFR à modifier ses conditions générales sous astreinte de 10 000 €/jour de retard à compter d’un délai de trente jours suivants la signification du jugement,
– condamner SFR à lui verser 10 000 € pour procédure abusive,
– condamner SFR à verser une amende civile de 3000 €,
– condamner SFR à lui payer la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Redouane Mahrach.
DISCUSSION
Il ressort du procès-verbal de constat établi le 28/09/2007 par Maître X…, Huissier de Justice, que sur le site internet accessible à l’adresse http://ebay.fr, le vendeur sous le pseudonyme “lol.amel” propose à la vente 3 modèles de lettre de résiliation d’un abonnement SFR sous certaines conditions en ayant reproduit au droit des objets vendus le logo de SFR, en lettres blanches SFR sur fond carré rouge.
La société ebay a indiqué au conseil de SFR que ce pseudonyme était utilisé par Amäl H.
Sur la demande de SFR au titre de la contrefaçon fondée sur l’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle
Aux termes de l’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que “formule, façon, système, imitation, genre, méthode”, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement.
En l’espèce, il ressort du procès-verbal de constat, que Amäl H. a proposé à la vente des modèles de lettre de résiliation des abonnements SFR en ayant reproduit à l’identique, sans l’autorisation de SFR, sa marque semi-figurative SFR n° FR 3196683.
Ces modèles de lettres qui ont pour objet la résiliation des abonnements SFR compte tenu de l’augmentation des frais de changements des numéros illimités ou de la modification de tarifs portant sur des services principaux tels que les connexions Wap/3G, ne contiennent pas de conseil ou d’expertise technique dans le domaine des télécommunications et des réseaux informatiques ou de transmission de données.
La reproduction et l’usage de la marque semi-figurative “SFR” n’a donc pas été faite par Amäl H. pour les produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement, à savoir les produits ou services des classes 9, 16, 18, 25, 28, 35, 36, 38, 39, 41 et 42.
Il convient donc de rejeter la demande de SFR au titre de la contrefaçon fondée sur les dispositions de l’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle.
Sur la demande de SFR au titre de la contrefaçon fondée sur l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle
Aux termes de l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, la reproduction l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.
En l’espèce, Amäl H. a reproduit et usé la marque semi-figurative “SFR” pour vendre des modèles de lettres de résiliations contenant des motifs de résiliation des abonnements SFR fondés sur l’augmentation des frais de changements des numéros illimités ou la modification de tarifs portant sur des services principaux tels que les connexions Wap/3G de sorte que cet usage litigieux n’a pas été fait pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, soit les produits ou services des classes 9, 16, 18, 25, 28, 35, 36, 38, 39, 41 et 42.
Au surplus, le public ne peut raisonnablement penser que Amäl H. a été autorisée par SFR à reproduire la marque semi-figurative “SFR” pour vendre des modèles de lettre de résiliation ayant pour objectif de permettre la résiliation d’abonnements SFR. Il ne peut donc résulter de l’usage litigieux un risque de confusion dans l’esprit du public.
Il y a donc lieu de rejeter les demandes de SFR au titre de la contrefaçon fondée sur les dispositions de l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle.
Sur les demandes de SFR au titre de l’exploitation injustifiée
L’article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsable civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.
En l’espèce, il ressort des pièces produites aux débats que la marque semi-figurative “SFR” enregistrée sous le n° FR 3196683 est utilisée par la société SFR dans le cadre de son activité et que cette société a réalisé des investissements importants depuis plusieurs années pour développer son activité et la connaissance de son logo. Cette marque jouit dès lors en France d’une renommée.
Les modèles de lettres vendues par Amäl H. en utilisant cette marque ont pour objet de permettre la résiliation des abonnements SFR et s’adressent à des personnes recherchant le service proposé par ces lettres. L’emploi de la marque semi-figurative “SFR” n’est donc pas de nature à porter préjudice à SFR.
Cependant, il n’était pas nécessaire pour Amäl H. d’utiliser cette marque pour vendre ses modèles de lettres si ce n’est pour rendre facilement identifiable l’objet des lettres vendues, à savoir la résiliation des abonnements SFR, et d’en faciliter ainsi la vente, alors que le logo reproduit n’est pas disponible dans la vie des affaires. En effet, Amäl H. commercialise clairement un produit et ne se contente pas de mettre à disposition du public un modèle type de lettre rendant service aux internautes gratuitement. Elle utilise la renommée de la marque semi-figurative et non simplement sa forme nominative afin de favoriser son commerce.
L’emploi de la marque semi-figurative “SFR” jouissant d’une renommée pour vendre des lettres de résiliation d’abonnements SFR constitue dès lors une exploitation injustifiée de cette dernière de nature à engager la responsabilité civile de Amäl H.
Cette exploitation injustifiée entraîne une dilution de la marque semi-figurative “SFR” en ce qu’elle perd son aptitude à évoquer immédiatement les produits de SFR et une diminution de sa valeur économique.
Il convient donc de condamner Amäl H. à payer à SFR la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice subi suite à l’atteinte portée à sa marque semi-figurative “SFR”.
Conformément aux dispositions de l’article 1153-1 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent jugement.
II y a lieu de faire interdiction à Amäl H. d’utiliser, de reproduire ou d’imiter la marque semi-figurative “SFR” n° FR 3196683 sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit pour commercialiser des modèles de lettres de résiliation de contrats d’abonnements SFR, et ce sous astreinte de 1000 € par infraction constatée passé un délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement. Il convient de se réserver la liquidation de l’astreinte.
Sur les demandes de SFR au titre des actes parasitaires
Amäl H. en vendant des modèles de lettres de résiliation d’abonnements SFR n’a pas incité les abonnés de cette société à rompre leurs abonnements afin notamment de pouvoir souscrire d’autres abonnements auprès d’autres opérateurs de téléphonie mais leur a donné les moyens qu’elle estimait justifiés pour résilier les abonnements et profiter d’offres commerciales plus intéressante quelque soit l’opérateur les proposant.
Aussi SFR ne justifie-t-elle pas de préjudices liés directement au comportement de Amäl H. qui n’apparaît à ce titre pas fautif.
A défaut pour SFR d’établir que Amäl H. a agi dans une intention malveillante lui ayant causé un préjudice commercial, il convient de la débouter de sa demande de dommages et intérêts au titre des actes parasitaires.
Sur les demandes reconventionnelles
Amäl H. qui a succombé partiellement aux demandes de SFR est mal fondée à réclamer des dommages et intérêts pour procédure abusive et une condamnation à une amende civile.
Amäl H. justifie être abonnée SFR mais ne justifie pas d’un préjudice subi du fait de l’absence d’information donnée par SFR sur les conditions particulières de résiliation qui s’ouvraient à ses abonnés du fait d’un changement unilatéral dans les conditions contractuelles, dans la mesure où elle n’établit pas avoir voulu résilier son abonnement et n’avoir pas été en mesure de le faire dans la mesure où était mentionné sur chaque facture la possibilité de résilier le contrat suite aux modifications de tarifs conformément aux conditions générales. Aucun lien de causalité n’est ainsi établi entre le défaut d’information attribué à SFR et un dommage subi par le défendeur.
Amäl H. est ainsi mal fondée à réclamer quelque indemnité que ce soit de ce chef.
Concernant la demande de Amäl H. relative à la carence de SFR dans l’exécution de son obligation d’information tendant à voir le tribunal lui enjoindre de prévenir à l’avenir ses abonnés d’une manière conforme à la loi est fondée sur l’article L.121-84 du code de la consommation, elle n’a aucune qualité à agir au nom de tous les abonnés de SFR pour obtenir que SFR remplisse son obligation d’information telle que prévue à l’article L.121-19 et L.121-84-10 du code de la consommation, seule une association de consommateurs telle UFC est habilitée à agir au nom de l’ensemble des consommateurs dans le but de voir éventuellement modifier des clauses ou des pratiques commerciales et ce en application de l’article L.421-1 du Code de la consommation.
Amäl H. sera en conséquence déclaré irrecevable à agir sur ce fondement à l’encontre de SFR.
Sur les autres demandes
Les circonstances de l’affaire n’imposent pas d’ordonner les mesures de publications judiciaires sollicitées par SFR. Il sera débouté de ces demandes.
En application des dispositions de l’article 515 du nouveau code de procédure civile, il convient d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision qui est compatible avec la nature de l’affaire et nécessaire eu égard aux circonstances de l’affaire.
Conformément aux dispositions de l’article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile, Amäl H., partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens.
Il apparaît inéquitable de laisser à SFR la charge des frais qu’elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens, Amäl H. sera condamnée à lui payer la somme de 1000 € au titre de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile.
DECISION
Le Tribunal, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort et mis la disposition du public par le greffe le jour du délibéré,
. Rejette la demande de la Société Française de Radiotéléphone au titre de la contrefaçon fondée sur les dispositions des articles L.713-2 et L.713-3 du code de la propriété intellectuelle,
. Condamne Amäl H. à payer à la Société Française de Radiotéléphone la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice subi suite à l’atteinte portée à sa marque semi-figurative “SFR” sur le fondement des dispositions de l’article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
. Interdit à Amäl H. d’utiliser, de reproduire ou d’imiter la marque semi-figurative “SFR” n° FR 3196683 sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit pour commercialiser des modèles de lettres de résiliation de contrats d’abonnements SFR, et ce sous astreinte de 1000 € par infraction constatée passé un délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement,
. Se réserve la liquidation de l’astreinte,
. Déclare Amäl H. irrecevable à agir sur le fondement de l’article L.121-19 du code de la consommation à l’encontre de la société SFR,
. Déboute de sa demande de dommages et intérêts en raison du défaut d’information de la société SFR à son encontre et pour procédure abusive et de sa demande de condamnation à une amende civile.
. Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision,
. Condamne Amäl H. à payer à la Société Française de Radiotéléphone la somme de 1000 € au titre de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile,
. Condamne Amäl H. aux entiers dépens de l’instance, comprenant notamment les frais de constat de Maître X…, Huissier de Justice, du 7 septembre 2007, qui seront recouvrés par Maître Isabelle Leroux, Avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du Nouveau code de procédure civile.
Le tribunal : Mme Marie Courboulay (vice présidente), Mmes Florence Gouache et Cécile Viton (juges)
Avocats : Me Isabelle Leroux, Me Redouane Mahrach
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