Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 3ème section Jugement du 05 novembre 2008
L'Oréal et autres / Nordine B.A.
e-commerce
FAITS ET PROCEDURE
En novembre 2006, un vendeur commercialisait sur le site www.ebay.fr, sous le pseudonyme “nordine377”, des parfums “Amor amor” de Cacharel, “Hypnose” de Lancôme, “Acqua digio”, “Armani mania” et “sensi armani”.
Les 13 et 16 novembre 2006, les sociétés Lancôme Parfums Beauté et Compagnie, L’Oréal et GA Modefine, titulaires des marques intéressées, font procéder à une commande de deux parfums un flacon de 100 ml et un flacon de 120 ml d’”Amor Amor de Cacharel” et un flacon d’ “Hypnose de Lancôme” auprès d’un internaute qui s’avère être Monsieur Nordine B. A.
A réception, les demandeurs ont constaté que deux des produits étaient des faux. Le flacon de 125ml d’Amor Amor était contenu dans un emballage comportant deux fautes de frappes (“portee” au lieu de “portée” et “destine” au lieu de “destine”) et dont l’aspect miroir de la boîte était absent, le flacon comportant le logo trop bas et étant de mauvaise qualité. Le flacon d’Hypnose était dans un emballage dont le logo était trop éloigné du texte, avec une erreur d’impression et des inexactitudes orthographiques (“dépositarres” au lieu de “dépositaires”, “frangrance” au lieu de “flagrance” et le g de “faubourg” en caractères gras).
Les sociétés ont sollicité une saisie-contrefaçon qui a eu lieu le 02/05/2007. A cette occasion, M.B. A. déclare se livrer à la vente de parfums sur internet depuis un an sous deux pseudonymes “mostall965” et “nordine377” et avoir vendu 434 produits de parfumerie. Il déclare se fournir aux Etats Unis et indique que les produits contrefaits proviennent de Mehdi G. Des captures d’écrans font état de son retour fournisseur de produits de mauvaise qualité. Il déclare également avoir stoppé ses ventes suite à des réclamations sur les produits. Aucun produit n’est découvert à son domicile.
En ses dernières conclusions du 18/03/2008, les sociétés L’Oréal, GA Modefine SA et Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie invoquent la compétence du Tribunal de Grande Instance de Paris pour juger de l’affaire. Elles demandent sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de Nordine B. A. pour contrefaçon de dix huit marques et d’un modèle leur appartenant par la commercialisation de parfums sous ces dénominations ainsi que sa condamnation pour concurrence déloyale et parasitisme par la présentation faite des parfums.
Elles sollicitent la condamnation du défendeur :
– à ne plus faire usage de ces marques, ni des emballages des parfums sous astreinte de 100 €/jour de retard et par infraction constatée à compter du jugement ;
– verser 50 000 € à titre de dommages intérêts pour chaque société en réparation des faits de contrefaçon ;
– payer 20 000 € chacune pour parasitisme et concurrence déloyale ;
– payer 2000 € chacune en réparation du préjudice subi par la non mention des éléments imposés par l’article 19 de la loi 2004-575 du 21/06/2004 sur la confiance en l’économie numérique ;
– publier dans trois journaux ou revues le jugement concurrence de 5000 €/insertion ;
– publier le dispositif de la décision sur la page d’accueil du site www.ebay.fr dans les quinze jours suivant signification du jugement sous astreinte de 500 €/jour de retard, le Tribunal se réservant la liquidation de l’astreinte ;
– verser chacune la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Damien Challamel en application de l’article 699 code de procédure civile.
En réponse, par conclusions du 06/12/2007, Nordine B. A. soulève l’incompétence du Tribunal de Grande Instance de Paris au profit de Tribunal de Grande Instance de Montpellier, lieu de son domicile. Par ailleurs, il demande le débouté en l’absence de preuves suffisantes de la contrefaçon et la condamnation des demandeurs à lui verser 10 000 € pour procédure abusive ainsi que 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que leur condamnation aux dépens.
DISCUSSION
Sur la compétence du Tribunal de Grande Instance de Paris
L’article 771 du Code de procédure civile donnant la compétence exclusive au juge de la mise en état pour trancher les exceptions de procédure, l’exception d’incompétence soulevée devant le Tribunal statuant au fond est irrecevable.
Sur les actes de contrefaçon
– des marques
En application des articles L713-2 du Code de la propriété intellectuelle et 9 du règlement CE n°40 94 du 20/12/1993, la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux visés dans l’enregistrement sont interdits. Les articles L716-1 du Code de la propriété intellectuelle concernant les marques françaises et L717-1 du Code de la propriété intellectuelle pour les marques communautaires permettent d’engager la responsabilité civile des auteurs de toute contrefaçon portant atteinte aux droits du propriétaire de la marque.
En l’espèce, les sociétés demanderesses se bornent à fournir des examens de deux produits achetés sur le site www.ebay.fr à Nordine B. A. Il apparaît d’après leur expert qu’un flacon de 125ml d’ “Amor Amor” de “Cacharel” est contrefaisant, ainsi que le flacon de 50 ml d’ “Hypnose” de “Lancôme”. Quant au dernier flacon de 125ml d’ “Amor Amor” acheté à la même occasion, aucune expertise n’en est faite. Son caractère contrefaisant n’est nullement démontré. Dès lors, si les ventes ne sont pas contestées par le défendeur, il ne peut être déduit de la contrefaçon établie de deux flacons commercialisés par M. B.A. que les 434 produits impliquant dix huit marques qu’il a commercialisés, étaient également contrefaits. Il indique qu’il se fournissait habituellement aux Etats Unis et que les contrefaçons établies émanaient d’un vendeur de Seine St Denis à qui il aurait renvoyé les produits suite à des plaintes de ses acheteurs, ce qui est attesté par un mail retrouvé lors de la saisie contrefaçon. Lors de cette opération, aucun produit contrefait n’a été retrouvé chez le défendeur. Enfin, aucun élément d’alerte sur e-bay ne visait ce vendeur d’après les pièces fournies au débat. De plus, les sociétés demanderesses ne démontrent pas qu’elles interdisaient à leurs distributeurs américains d’importer à l’intérieur de l’Union européenne leurs produits. En conséquence, aucun élément ne permet d’établir que Nordine B. A. a contrefait d’autres marques que les marques françaises “Lancôme” n°1595133, “Hypnose” n°043328579, communautaire “Hypnose” n°004173621 en classe 3 appartenant à la société Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie et les marques française “Amor Amor” n°023197314 et communautaires “Amor” n°1336437, “Amor Amor” n°003115607 en classe 3 (parfums) appartenant à la société l’Oréal.
– du modèle communautaire
Dès lors que le parfum ”Hypnose” de Lancôme a été reconnu comme faux, la reproduction du flacon objet du modèle communautaire 000221171-0002, constitue une contrefaçon en application de l’article 19 du Règlement CE n° 6/2002 et L522-1 du Code de la Propriété Intellectuelle
Il convient donc de condamner Nordine B. A. à indemniser la société Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie à hauteur de 1500 € et la société L’Oréal à hauteur de 1500 € au titre des marques et à hauteur de 1500 € à la société Lancôme au titre des modèles.
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme
Nordine B. A. se présentait sur internet comme un vendeur de parfums authentiques, qui apparaissaient neufs sous leur emballage habituel. Il portait ainsi atteinte au réseau de distribution sélective mis en place par l’Oréal et Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie de leurs produits.
De même en se présentant sous un pseudonyme M. Nordine B. A. a contrevenu aux dispositions de l’article 19 de la Loi n° 2004.75 du 21 juin 2004 sur la confiance en l’économie numérique.
Ces agissements constituent des actes de concurrence déloyale au détriment des demanderesses.
En vertu de l’article 1382 du Code civil, tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. En l’espèce, les agissements de Nordine B. A. ont causé un préjudice qu’il convient de réparer à hauteur de 1500 € pour la société l’Oréal et 1500 € pour la société Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie, les parfums en cause étant issus de la recherche et du savoir-faire de ces sociétés et leurs renommées de leurs investissements publicitaires.
Sur les autres demandes
A titre de dommages et intérêts complémentaires, il convient d’ordonner la publication du dispositif de la présente décision aux frais du défendeur pendant quinze jours sur la page d’accueil du site.
Eu égard à la nature de l’affaire, l‘exécution provisoire est ordonnée conformément aux articles 514 et suivants du nouveau code de procédure civile.
Les autres demandes des parties sont rejetées, y compris la publication journalistique de la décision qui ne s’impose pas étant donnée les réparations déjà allouées.
La partie succombante doit assumer les frais et dépens de l’instance ainsi que les sommes demandées au titre de l’article 700 CPC, cependant, l’équité conduit à condamner Nordine B. A. à verser la somme totale de 1000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à le condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Damien Challamel conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.
DECISION
Le Tribunal, statuant par remise au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
– Dit que Nordine B. A., en commercialisant des parfums reproduisant les marques françaises “Lancôme” n°1595133, “Hypnose” n°043328579, communautaire “Hypnose” n°004173621 déposées en classe 3 appartenant à la société Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie et les marques française “Amor Amor” n°023197314 et communautaires “Amor” n°1336437, “Amor Amor” n°003115607 également déposées en classe 3 (parfums) appartenant à la société L’Oréal, sans l’autorisation de leur titulaire, a commis des actes de contrefaçon,
– Condamne Nordine B. A. à payer les sommes de 1500 € à la société L’Oréal, 1500 € à la société Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie à titre de dommages et intérêts de ce chef,
– Dit que Nordine B. A. a commis des actes de concurrence déloyale distincts en se présentant comme un vendeur de véritables parfums en dehors du réseau de distribution sélective sur internet et sous pseudonyme et le condamne à payer les sommes de 1500 € à la société L’Oréal, 1500 € la société Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie en réparation,
– Ordonne la publication du dispositif de la présente décision pendant quinze jours sur la page d’accueil du site aux frais de Nordine B. A.,
– Dit y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,
– Condamne Nordine B. A. à payer aux sociétés L’Oréal, et Lancôme Parfums et Beauté et Compagnie la somme totale de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
– Condamne Nordine B. A. aux dépens, dont distraction au profit de Me Damien Challamel, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.
Le tribunal : Mme Elisabeth Belfort (président), Mme Agnès Thaunat (vice-président), Mme Florence Gouache (juge)
Avocats : Me Damien Challamel, Me Hygues de Gaspary, Me Célestin
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