Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 3ème section Jugement du 19 mars 2008
Lancôme Parfums, L'Oréal, GA Moderne / Jean Louis Marie M.
marques
FAITS ET PRETENTIONS
La société Lancôme Parfums et beauté et compagnie (ci-après société Lancôme) est titulaire :
– d’une marque française Lancôme enregistrée sous le n° 1557 084 pour désigner “tous produits de parfumerie” et dont le premier dépôt remonte au 8 février 1935 et qui a été régulièrement renouvelée depuis lors ;
– d’une marque française Trésor n° 1 369 732 dont le premier dépôt remonte au 14 octobre 1976 pour désigner « parfums, eaux de toilette parfumée”, régulièrement renouvelée depuis lors ;
– d’une marque française “Miracle” n° 99 809 054 déposée le 24 août 1999 pour désigner les “produits de parfumerie, cosmétiques et de maquillage” ;
– de la marque communautaire “Miracle” n° 001 286 897 déposée le 24 août 1999 et désignant notamment les “produits de parfumerie”, produits cosmétiques et de maquillage” ;
– de la marque française dénominative Hypnose déposée le 8 décembre 2004 désignant les “produits de parfumerie” ;
– de la marque verbale communautaire Hypnose enregistrée sous le n° 00 4 173 621 déposée le 23 décembre 2004 pour désigner les produits “parfums, produits de parfumerie”.
La société L’Oréal est titulaire de :
– la marque française “Amor Amor”déposée le 3 décembre 2002 et enregistrée sous le n° 02 3 197 314 désignant les “parfums et eau de toilette” ;
– de la marque française Anaïs Anaïs n° 1 655 375 déposée le 16 juin 1977 désignant notamment les “produits de parfumerie” ;
– de la marque internationale Promesse n° 543 319 désignant la France et déposée le 11 octobre 1989 pour désigner les “produits de parfumerie” ;
– de la marque communautaire Promesse n° 00 4 642 864 déposée le 7 octobre 2005 et désignant notamment les produits de parfumerie ;
La société GA Modefine SA est titulaire de :
– de la marque communautaire dénominative n° 00 0 50 56 69 Acqua Di Gio déposée le 3 août 1998 pour désigner notamment les “produits de parfumerie” ;
– de la marque internationale visant la France Armani enregistrée sous le numéro 502 876 pour désigner les “cosmétiques” ;
– de la marque internationale Armani Mania Giogio Armani n° 805 456 visant la France et enregistrée le 23 mai 2003 pour désigner les “parfums, eaux de toilette” ;
– de la marque internationale visant la France Armani Mania Black Code n° 829 222 enregistrée le 24 avril 2004 pour désigner notamment les “parfums, eaux de toilette”.
Ces marques sont exploitées pour désigner des parfums de grande notoriété.
Les sociétés demanderesses ont appris que sous le pseudonyme “jyl2106” étaient commercialisés sur le site internet “ebay.fr” qui appartient à la société eBay France des produits de parfumerie sous les marques précitées.
Lors de l’acquisition d’un de ces parfums (Trésor) qui s’est avéré être un faux, il est apparu que le titulaire du pseudonyme précité était M. Jean-Louis M. qui était un membre actif d’eBay depuis le 7 juin 2005 sur le site duquel il faisait paraître une publicité pour sa boutique “jyl shopping” dans laquelle il commercialisait des soins du visage, des parfums de femme et de la parfumerie.
Après une saisie-contrefaçon opérée au domicile de Jean Louis Marie M., les sociétés L’Oréal, Lancôme et GA Modefine l’ont assigné le 29 mars 2007 en contrefaçon de marques et concurrence déloyale.
Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 16 novembre 2007, les sociétés L’Oréal, Lancôme et GA Moderne demandent au tribunal, au visa des articles L 716-1 :
– dire qu’en commercialisant des parfums sous les dénominations “Trésor, Lancôme, Amor Amor, Anaïs Anaïs, Hypnose, Miracle, Acqua Di Gio, Armani Mania, Black Code, Attraction et Promesse” Jean Louis Marie M. s’est rendu coupable d’actes de contrefaçon des marques précitées et d’actes de concurrence déloyale à leur détriment, les emballages constituant la copie quasi-servile de ceux des produits authentiques ;
– dire qu’en offrant en vente sans fournir les informations prévues aux articles L 121-18 du Code de la Consommation et 19 de la Loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’économie numérique, Mme V. a engagé sa responsabilité sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil ;
– interdire la poursuite de ces actes illicites sous astreinte dont le tribunal se réservera la liquidation ;
– condamner le défendeur à leur payer à chacune :
* une somme de 15 000 € par marque contrefaite, une même indemnité au titre de la concurrence déloyale, une même indemnité au titre de son manquement à son obligation d’identification résultant des dispositions de l’article 19 de la Loi n° 2004-575 sur la confiance dans l’économie numérique et de l’article L 121-18 du code de la consommation ;
* une somme de 7000 € en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
le tout, sous le bénéfice de l’exécution de la décision à intervenir et de l’autorisation de sa publication dans des journaux ou revues ainsi que sur la page d’accueil du site “www.ebay.fr”.
Jean Louis Marie M. soutient dans ses dernières écritures du 2 janvier 2008 que :
– la saisie-contrefaçon pratiquée a permis de constater qu’il avait vendu via eBay : 11 parfums Trésor de Lancôme, 2 parfums Hypnose de Lancôme et 2 parfums Miracle de même parfumeur soit 15 articles ;
– aucune autre pièce ne justifie de la vente de parfums sous les autres marques opposées ;
– il n’avait pas connaissance du caractère frauduleux de ces parfums car sa venderesse, Mme G. lui avait indiqué qu’elle procédait à un “déstockage de parfums” en raison de défauts mineurs sur l’emballage et lui avait assuré qu’il ne s’agissait pas de contrefaçon ;
– il a stoppé son activité dès qu’il a été informé du caractère illicite de ce commerce ;
– le grief du chef du conditionnement identique à celui des parfums originaux n’est pas distinct de ceux fondant les demandes en contrefaçon de marque ;
– le préjudice allégué n’est pas justifié compte-tenu du nombre très limité des ventes réalisées et ne saurait être indemnisé au-delà d’une somme de 500 €.
DISCUSSION
Sur la contrefaçon
L’article L 7 13-2 du Code de Propriété Intellectuelle dispose que « sont interdits sauf autorisation du propriétaire : a) la reproduction, l‘usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que “formule, façon, système, imitation, genre, méthode“ ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l‘enregistrement“.
L’article 9 du Règlement CE du 20 décembre 1993 prévoit que « le titulaire (d’une marque communautaire) est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement de faire usage dans la vie des affaires : a) d’un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ».
Il ressort des pièces produites aux débats :
* que sous le pseudonyme “jyl21O6” étaient offerts à la vente sur le site “ebay” en avril 2006 des parfums Amor Amor, Trésor de Lancôme dans des conditionnements identiques (emballages et flacons) à ceux des produits authentiques ;
* que le produit “Trésor de Lancôme” qui a été acquis par un enquêteur des demanderesses s’est révélé être un faux en raison d’erreurs figurant sur l’emballage ;
* que lors de la saisie-contrefaçon opérée le 15 mars 2007 chez le défendeur, titulaire du pseudonyme précité, il a déclaré avoir commercialisé sur le site eBay des parfums Lancôme et Trésor qu’il acquérait d’un fournisseur belge Mme G. mais que les papiers concernant ces ventes avaient été détruits en début d’année, son épouse ayant des doute sur “la légitimité de ces produits” ;
* que l’huissier a trouvé sur le fichier “paypal” du site “ebay” sous le pseudonyme concerné, la trace de ventes de produits, Trésor de Lancôme (11) Hypnose de Lancôme (2), Miracle de Lancôme (2).
Ces éléments démontrent que Jean Louis Marie M. a commercialisé des parfums sous ces marques (fichier paypal), vendu 5 flacons de parfum “Amor Amor” (cf mention sur le listing), 3 flacons du parfum “Promesse” (cf mention sur ce même listing)
En revanche, le tribunal considère qu’il n’est pas démontré que Jean Louis Marie M. ait commercialisé des parfums sous les autres marques opposées, le listing trouvé par l’huissier dans l’ordinateur de Jean Louis Marie M. ne mentionnant pour ces marques, aucune quantité.
Les produits commercialisés étant identiques à ceux visés dans l’enregistrement des marques en cause et désignés par des signes identiques à ceux déposés, le grief de contrefaçon est constitué au regard des dispositions légales précitées, Jean Louis Marie M. ne pouvant se prévaloir de sa bonne foi, d’ailleurs inopérante en matière de contrefaçon de marque dès lors qu’il a retourné des parfums acquis auprès de son fournisseurs “s’agissant de vulgaires copies”, ce qui aurait dû le conduire à cesser toute commercialisation de parfums de marque, ces produits n’étant pas connus pour faire l’objet de soldes ou de fin de série et son approvisionnement s’effectuant en dehors de tout circuit de distribution habituel et sans facture (!).
Sur les actes de concurrence déloyale
Les actes de commercialisation litigieux se sont effectués sous un pseudonyme, contrevenant ainsi à l’article 19 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique et à l’article L 121-18 du Code de la consommation qui imposent de mentionner l’identité du fournisseur de biens sur internet et sur les produits vendus.
Le tribunal considère qu’il s’agit d’actes de concurrence déloyale vis-à-vis des demanderesses qui ont pour activité la fabrication et la commercialisation de parfum et qui peuvent se prévaloir du non-respect de ces dispositions qui les empêchent de vérifier l’autorisation des vendeurs des produits portant leurs marques.
De plus, les parfums contrefaisants sont commercialisés dans des conditionnements identiques à quelques erreurs typographiques près aux emballages des produits authentiques, cette commercialisation dans ces conditionnement constitue également des actes de concurrence déloyale à l’encontre des demanderesses qui commercialisent les produits authentiques.
Contrairement à l’argumentation de Jean Louis Marie M., ces griefs sont distincts de ceux fondant l’action en contrefaçon, les signes des marques opposés n’étant pas constitués par la forme des conditionnements des parfums litigieux.
Dans ces conditions, Jean Louis Marie M. est responsable des actes de concurrence déloyale précités et est donc responsable sur le fondement de l’article 1382 du code civil du préjudice résultant pour les demanderesses de ces actes illicites.
Les mesures réparatrices
L’importance de la masse contrefaisante (23 ventes) et la durée de la commercialisation illicite (une année) ont causé aux demanderesses un préjudice important tenant à l’avilissement de leurs marques de grande renommée et de leurs produits.
Aussi, le tribunal considère que les sociétés demanderesses seront justement indemnisées par l’allocation :
* la société Lancôme d’une somme de 4800 € au titre de la contrefaçon de marque et d’une somme de 4800 € au titre de la concurrence déloyale ;
* la société L’Oréal d’une somme de 2400 € au titre de la contrefaçon de marque et d’une somme de 2400 € au titre des actes de concurrence déloyale.
Les marques de la société Modefine n’ayant pas été contrefaites ses demandes tant du chef de la contrefaçon que de celui de la concurrence déloyale sont rejetées.
A titre de dommages et intérêts complémentaires, l’affichage du dispositif de la présente décision sur la page d’eBay pendant une durée d’un mois est autorisé. En revanche, la publication de celui-ci dans des journaux ou revues n’apparaît pas nécessaire eu égard à la nature de l’offre commerciale contrefaisante.
L’équité commande enfin d’allouer à la société Lancôme et à la société L’Oréal à chacune une indemnité de 4000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Eu égard à la nature de l’affaire, l’exécution provisoire de la présente décision est autorisée.
DECISION
Le tribunal, statuant par décision contradictoire, en premier ressort et remise au greffe, sous le bénéfice de l’exécution provisoire,
. Dit qu’en offrant en vente et en vendant des parfums sous les dénominations “Trésor de Lancôme”, “Hypnose de Lancôme”, « Amor Amor “, “Miracle de Lancôme” et “Promesse” dans des conditionnements quasi-identiques à ceux des produits authentiques sous le pseudonyme “jyl2106” en 2006 , Jean Louis Marie M. a commis des actes de contrefaçon par reproduction des marques françaises n° 1557 084, 1 369 732, 99 809 054 04 3 328 579 et des marques communautaires n° 001 286 897 et 00 4 173 621, au préjudice de la société Lancôme et de la marques communautaire n° 00 4 642 864, de la marque française 02 3 197314 et de la marque internationale 543 319 au préjudice de la société L’Oréal et des actes de concurrence déloyale au préjudice de ces deux sociétés ;
. Interdit la poursuite de ces actes illicites sous astreinte de 100 € par jour de retard et par infraction constatée postérieurement à la signification du présent jugement ;
. Dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes ainsi ordonnées en application de la disposition de l’article 35 de la loi du 9 juillet 1991 ;
. Condamne Jean Louis Marie M. à payer :
* à titre de dommages et intérêts, à la société Lancôme une somme de 9600 € et à la société L’Oréal une somme de 4800 € du chefs des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ;
* en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, à chaque demanderesse précitée une indemnité de 4000 € ;
. Autorise la publication du présent dispositif sur la page d’accueil du site d’eBay pendant une durée d’un mois aux frais de Jean Louis Marie M. ;
. Déboute les parties de leurs autres demandes,
. Condamne Jean Louis Marie M. aux dépens,
Le tribunal : Mme Elisabeth Belfort (vice président), Mme Agnès Thaunat (vice président), Mme Florence Gouache (juge)
Avocats : Me Stéphane Guerlain, Me Olivier Guerin-Garnier, Me Almodovar
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.