Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de Grande Instance de Paris 3ème chambre, 2ème section Jugement du 15 octobre 2010
CRM Company Group / Groupe Danone
contrefaçon - droit d'auteur - forme - parasitisme - réalisation - site internet - version
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société anonyme CRM Company Group, agence de conseil en communication “spécialiste de la relation entre les marques et le consommateur”, expose avoir été contactée au mois de juin 2006 par le “groupe Danone” en vue de sa participation à une compétition que celui-ci avait décidé de lancer pour la refonte de son site internet “danoneetvous.com”.
Elle indique avoir présenté le 21 décembre 2006 sa “recommandation” à la société Danone, qui aurait alors manifesté son enthousiasme, et lui avoir alors remis l’intégralité du travail accompli, à savoir ladite recommandation ainsi que les maquettes du site refondu et leur support CD Rom.
Elle ajoute avoir été informée le 10 janvier 2007 de ce que son projet n’avait finalement pas été retenu.
Faisant valoir qu’elle a néanmoins découvert, quelques mois plus tard, que le site “danoneetvous.com” nouvellement mis en ligne constituait, tant dans sa structure que dans son contenu et son organisation, une reproduction à l’identique des préconisations contenues dans sa recommandation en date du 21 décembre 2006, et après une tentative de règlement amiable du litige, la société CRM Company Group a, selon acte d’huissier en date du 13 juin 2008, fait assigner la société “Groupe Danone” devant le Tribunal de Commerce de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et subsidiairement en parasitisme aux fins d’obtenir, au bénéfice de l’exécution provisoire, paiement de dommages-intérêts ainsi que d’une indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement rendu le 18 décembre 2008, le Tribunal de Commerce de Paris s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Grande Instance de Paris.
Dans ses conclusions récapitulatives signifiées le 20 mai 2010, auxquelles il est expressément référé, la société CRM Company Group demande au Tribunal, au visa des articles L.122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle et 1382 du Code civil et en ces termes, de : à titre principal,
– constater l’originalité de sa recommandation,
– constater que la société Danone a reproduit sa recommandation pour l’élaboration de son site “danoneetvous.com”,
– dire et juger que ce faisant, la société Danone a commis une contrefaçon de sa recommandation, à titre subsidiaire,
– constater que la société Danone a reproduit sa recommandation pour l’élaboration de son site “danoneetvous.com”,
– dire et juger que ce faisant, la société Danone a contrevenu aux principes de loyauté qui gouvernent la relation agences-annonceurs,
– dire et juger que ce faisant, la société Danone a ainsi commis des agissements parasitaires fautifs, en toutes hypothèses,
– condamner la société Danone à lui verser la somme de 694 600 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice financier subi,
– condamner la société Danone à lui verser la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice d’image et de notoriété subi,
– condamner la société Danone à lui verser la somme de 15 000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Dans ses dernières écritures en date du 18 mars 2010, auxquelles il est pareillement renvoyé, la société anonyme Danone (et non Groupe Danone) entend voir, en ces termes :
à titre principal,
– constater que la version du site critiquée par la société CRM Company Group n’est pas le site V.2 issu de l’appel d’offres, mais le site V.1 bis provisoire conçu par la société Danone avec Euro, 4D,
– constater que les sociétés Danone et Euro 4D ont conçu en toute indépendance le site V.1 bis sur la base du site V.1 et des évolutions définies par la société Danone avant la remise par la société CRM Company Group de sa propre recommandation pour le site V.2,
en conséquence,
– dire qu’aucun des actes qui lui sont reprochés par la société CRM Company Group n’est fondé, que ce soit de contrefaçon, de parasitisme ou de déloyauté dans l’appel d’offres,
à titre subsidiaire,
sur l’absence de contrefaçon,
– constater que la société CRM Company Group ne revendique pas la protection d’une œuvre, mais celle de simples idées, insusceptibles en tant que telles de protection au titre du droit d’auteur,
– constater que, à supposer qu’une idée puisse être protégeable, la société CRM Company Group ne rapporte pas la preuve de ce que les idées qu’elle revendique au soutien de son action sont originales,
– constater que, en tout état de cause, les idées revendiquées par la société CRM Company Group au soutien de son action sont parfaitement banales en matière de conception de sites internet,
en conséquence,
– dire qu’aucun acte de contrefaçon ne saurait être lui être reproché dans la conception du site V.1 bis, sur l’absence de parasitisme,
– constater qu’elle a développé son site V.1 bis de manière parfaitement indépendante, sur les seules bases du site V.1 et de l’audit dudit site qu’elle a fait réaliser, excluant toute reprise de sa part,
– constater que la société CRM Company Group n’allègue aucun fait distinct des actes de contrefaçon qu’elle lui reproche,
– constater que les idées de la société CRM Company Group sont banales et à ce titre insusceptibles d’appropriation et qu’elle n’a détourné aucun investissement ni réalisé aucune économie pour la conception du site V.1 bis,
en conséquence,
– dire qu’aucun acte de parasitisme ne saurait lui être reproché dans la conception du site V.1 bis,
sur l’absence de déloyauté dans l’organisation de la compétition,
– constater que l’appel d’offres a abouti à la conception du site V.2 et non à celle du site V.1 bis,
– constater que le site V.2 ne présente aucune ressemblance de forme avec le projet de site contenu dans la recommandation de la société CRM Company Group,
en conséquence,
– dire qu’elle n’a commis aucun acte déloyal dans l’organisation de la compétition,
– débouter la société CRM Company Group de l’ensemble de ses demandes,
sur l’absence de preuve de l’existence et de l’étendue du préjudice prétendument subi,
– constater que le coût de la participation à la compétition n’est pas indemnisable,
– constater que la perte de chance de participer à d’autres compétitions n’est pas indemnisable,
– constater que le supposé préjudice d’image de la société CRM Company Group n’est pas indemnisable,
– constater que le gain manqué du fait de l’exploitation de la recommandation de la société CRM Company Group n’est pas indemnisable à hauteur de 600 000 €,
en conséquence,
– dire et juger que la société CRM Company Group ne prouve ni l’existence, ni l’étendue du préjudice qu’elle prétend avoir subi,
sur l’absence d’exécution provisoire,
– constater que le site V.1 bis, seul critiqué par la société CRM Company Group, n’est plus en ligne depuis plusieurs mois,
en conséquence,
– dire, en cas de condamnation, que l’exécution provisoire ne sera pas ordonnée,
à titre reconventionnel,
– constater que la société CRM Company Group a diligenté son action avec la plus parfaite mauvaise foi afin d’obtenir la rémunération d’un appel d’offres dont elle savait qu’il ne donnerait lieu à aucune rémunération en cas de non sélection,
en conséquence,
– dire que l’action de la société CRM Company Group est abusive,
– condamner la société CRM Company Group à lui payer la somme de 25 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
en tout état de cause,
– condamner la société CRM Company Group à lui payer la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 juin 2010.
DISCUSSION
Sur la contrefaçon de droits d’auteur
Attendu qu’aux termes de l’article L.122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, “toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en va de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque”;
Attendu en l’espèce qu’il est constant que la société CRM Company Group a présenté et remis à la société Danone sa “recommandation” pour la refonte du site “danoneetvous.com” exploité par cette dernière le 21 décembre 2006 et qu’elle a été informée le 10 janvier 2007 de ce que sa proposition n’était pas retenue ;
Qu’elle estime que la version du site “danoneetvous.com” mise en ligne selon elle postérieurement à la remise de cette proposition, et qui est désignée sous la dénomination V.1 bis par la société défenderesse, en reproduit les caractéristiques essentielles, aussi bien s’agissant de la page d’accueil, pareillement découpée verticalement en trois espaces relationnels clairement identifiés et de couleurs différentes, qu’en ce qui concerne son contenu, avec le principe d’entrée dans le site internet par les centres d’intérêt du consommateur et des contenus éditoriaux confortés par la parole d’experts, ainsi que sa structure, fondée sur le principe de contextualisation des produits en fonction des contenus ;
Que la société Danone soutient au contraire, et à titre principal, que la version V.1 bis de son site, seule incriminée dans le cadre de la présente instance, a été conçue en collaboration avec la société Euro RSCG 4D, son “agence historique”, entre avril et novembre 2006, soit avant la remise par la société CRM Company Group de sa recommandation, ce dans l’attente de la refonte définitive de son site, qui a abouti à la mise en ligne de la version dénommée V.2 , et afin de corriger les “faiblesses les plus criantes” du site originaire V1 ;
Que le planning intitulé “contenu du site mai-septembre 2006” qu’elle produit en pièce n° 2 est cependant dépourvu de date certaine, la prétendue analyse informatique présentée en pièce 20 n’étant pas de nature à la lui conférer, et est dès lors insuffisant à rapporter la preuve de telles allégations, sans pour autant que cela justifie son rejet des débats comme il est sollicité en demande ;
Qu’il ressort néanmoins des échanges de courriers électroniques entre la société Danone et l’agence de communication Euro RSCG 4D, versés aux débats en pièces 4, 6bis, 7 et 8, que ces dernières envisageaient dès le mois d’août 2006, et de manière plus concrète au mois d’octobre 2006, la mise en œuvre d’“optimisations opérationnelles à très court terme” du site “danoneetvous.com”, et notamment “des évolutions légères de la home”, ce “car avant d’avoir un site nouvelle version il va forcément y avoir plusieurs mois”, l’un des responsables de la société Danone précisant en outre dans un courrier électronique en date du 03 octobre 2006 : “je souhaite que ce travail soit en ligne pour le début novembre” ;
Que cette refonte provisoire a d’ailleurs fait l’objet d’un devis établi par la société Euro RSCG 4D le 01er septembre 2006 et intitulé “évolution espace marques” ;
Qu’elle devait au moins partiellement pallier les carences de la version originaire, pointées dans le “brief” remis aux agences de communication participant à l’appel d’offres lancé par la société Danone, et à cette fin prévoyait, ainsi qu’il résulte du document émanant de la société Euro RSCG 4D, intitulé “Evolutions portail” et daté du 20 avril 2006, une “modification de la barre de menu orange”, une “mise en avant des Brs” (pour bons de réductions) et une “personnalisation du bloc “pour vous”” sur la page d’accueil du site ;
Que la comparaison des versions V.1 et V.1 bis permet en effet de constater que de telles évolutions sont présentes sur cette dernière version du site “danoneetvous.com” ;
Qu’enfin il est constant qu’une troisième version du site – dénommée V.2 et issue selon la défenderesse de l’appel d’offres – a été mise en ligne au cours de l’année 2008, sans qu’il soit toutefois possible, au vu des pièces produites, de dater plus précisément cet événement ;
Que l’ensemble de ces éléments permet de démontrer que dès le mois d’avril 2006, et de manière plus effective à compter du mois d’octobre 2006, la société Danone a sollicité la société Euro RSCG 4D en vue d’une refonte provisoire de son site “danoneetvous.com”, ce dans l’attente d’une refonte plus profonde et plus globale ayant fait l’objet d’une mise en compétition entre plusieurs agences de communication ;
Que cette version intermédiaire – ou V.1 bis -, qui est seule arguée de contrefaçon dans le cadre de la présente instance, a donc été envisagée et surtout conçue et réalisée avant la remise par la société CRM Company Group de sa “recommandation” à la société Danone, intervenue le 21 décembre 2006 ;
Qu’il importe peu à cet égard que cette version V.1 bis ne figure pas dans le “brief” remis aux agences par l’annonceur, selon la demanderesse le 08 novembre 2006, dès lors que le travail confié consistait uniquement à refondre la version originaire V.1 ;
Que de la même manière, le fait que les pièces produites ne permettent pas de dater avec certitude la mise en ligne de la version V.1 bis est sans portée, seule sa date de conception étant en l’espèce pertinente ;
Attendu qu’il s’ensuit que l’action en contrefaçon ne peut prospérer, la version du site arguée de contrefaçon ayant été conçue pour le compte de la société Danone avant même que celle-ci ait eu connaissance de la recommandation sur laquelle la société CRM Company Group revendique des droits ;
Que cette dernière verra donc rejeter ses demandes formées de ce chef.
Sur le parasitisme
Attendu que la société CRM Company Group, qui fonde subsidiairement son action sur l’article 1382 du Code civil, fait à ce titre et en substance valoir que la société Danone a commis une faute en organisant une compétition entre plusieurs agences sans intention réelle d’y donner suite et dans le seul but “d’obtenir les idées des jeunes agences, sans frais, et de les restituer à son agence habituelle”, tirant ainsi indûment profit du travail qu’elle lui a présenté et de ses investissements intellectuels et financiers ;
Mais attendu que de tels griefs ne sauraient pas plus être retenus dès lors qu’il résulte des développements qui précèdent que la version V.1 bis litigieuse a été conçue et réalisée antérieurement à la remise par la société CRM Company Group à la société Danone de son projet de refonte et qu’elle ne peut nullement dans ces conditions être qualifiée de fautive ;
Que la société CRM Company Group sera donc également déboutée de ce chef de demandes.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive
Attendu que l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d’erreur grossière équipollente au dol ;
Que la société défenderesse sera déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d’une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de la société CRM Company Group, qui a pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits.
Sur les autres demandes
Attendu qu’il y a lieu de condamner la société CRM Company Group, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;
Qu’en outre, elle doit être condamnée à verser à la société Danone, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 5000 € ;
Attendu que l’exécution provisoire, sans objet, ne saurait être ordonnée.
DECISION
Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,
– Déboute la société CRM Company Group de l’ensemble de ses demandes ;
– Déboute la société Danone de sa demande reconventionnelle de
dommages-intérêts pour procédure abusive ;
– Condamne la société CRM Company Group à verser à la société Danone la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Condamne la société CRM Company Group aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;
– Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire.
Le tribunal : Mme Véronique Renard (vice président), M. Eric Halphen (vice président), Mme Sophie Canas (juge)
Avocats : Me Laurence Mitrani, Me Asim Singh
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.