Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 6 février 2001
SA Ciriel (représentée par son président du conseil d'administration, Michel F.) et Jean-Claude M. / SA Free
diffamation - fournisseur d'accès - hébergeur - identification de l'auteur du site - loi du 30 septembre 1986 (loi du 1er août 2000) - suppression du site
Faits et procédure
Nous, Président,
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,
Vu l’assignation délivrée le 14 décembre 2000 par la société Ciriel et Jean-Claude M. à la société Free qui nous demande, sur le fondement des articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile, 29 alinéas 1 et 2 de la loi du 29 juillet 1881, R. 621-1 et R. 621-2 du code pénal, L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, à la suite de la diffusion, sur le site internet dénommé « cirielus.free.fr » hébergé par la société Free, de messages diffamatoires et injurieux, utilisant illicitement le nom de domaine « Ciriel » :
– de condamner sous astreinte de 100 000 F par jour de retard la société Free à mettre en œuvre tous les moyens de nature à rendre impossible cette diffusion,
– de condamner la société Free à communiquer à la société Ciriel les informations et données informatiques en sa possession permettant d’établir l’identité des créateurs du site litigieux,
– de condamner la société défenderesse à afficher la décision à venir sur la page d’accueil du site hébergé « cirielus.free.fr » pendant une durée d’un mois à compter de la signification,
– de donner acte à la société Ciriel qu’elle intentera une action au fond en responsabilité civile afin d’obtenir réparation de ses préjudices,
– de condamner la société Free à payer à la société Ciriel la somme de 50 000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et de la condamner aux dépens.
Vu les conclusions et arguments présentés en défense par la société Free, par lesquels il nous est demandé :
– de juger que la juridiction des référés de droit commun est incompétente pour se prononcer sur une mesure d’interdiction présentée sur le fondement d’une marque, en raison de l’existence de la procédure spécifique prévue par l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle ; subsidiairement, de juger sur ce point qu’en application de l’article L. 713-2 du même code, la juridiction saisie ne peut statuer tant que l’enregistrement de la marque n’a pas été publié,
– de juger que la société Free n’a opposé aucune résistance à une démarche judiciaire et que sa responsabilité ne peut être recherchée, conformément aux dispositions de l’article 43.8 de la loi du 30 septembre 1986, modifiée par la loi du 1er août 2000,
– de constater que la société Free remet à l’autorité judiciaire les données mentionnées à l’article 43.9 de la loi susvisée, afin qu’elle décide, s’il y a lieu, de les communiquer aux demandeurs,
– de juger que les demande de « condamnation » sous astreinte n’ont donc pas lieu d’être,
– de condamner in solidum les demandeurs au paiement d’une somme de 10 000 F en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Vu l’indication donnée par le conseil de la société Free, lors de l’audience, selon laquelle celle-ci considérant avoir été abusée par la déclaration de fausses coordonnées, faite en violation de l’article 43.10 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 1er août 2000 par le créateur du site litigieux, a décidé de suspendre celui-ci le 4 janvier 2001.
Sur ce :
Sur l’exception d’incompétence de la juridiction des référés de droit commun en matière de contrefaçon :
Attendu que l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit que lorsque le tribunal est saisi d’une action en contrefaçon, son président, saisi et statuant en la forme des référés, peut interdire, à titre provisoire, la poursuite des actes argués de contrefaçon, ou subordonner cette poursuite à la constitution de garanties ; que cette procédure spécifique, soumise à des conditions particulières, exclut la compétence ordinaire du juge des référés en cette matière ;
Attendu qu’en l’espèce, la société Ciriel fonde sa demande notamment sur les dispositions de l’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle relative à la contrefaçon ; que, par application du texte susvisé, le juge des référés n’est pas compétent pour se prononcer sur ce fondement ;
Sur la demande tendant à la mise en œuvre des moyens rendant impossible la diffusion des informations litigieuses et à la fermeture du site « cirielus.free.fr » :
Attendu qu’il est constant que la société Free, qui a notamment pour objet l’hébergement de sites internet, a accueilli un site dénommé « cirielus.free.fr », accessible à l’aide d’un « pseudo » et d’un mot de passe confidentiel ; qu’à la date du 6 novembre 2000, Me Duperray, huissier de justice, a constaté la présence sur ce site de propos manifestement injurieux et diffamatoires à l’égard de la société Ciriel et de Jean-Claude M., son directeur général ;
Attendu qu’aux termes de l’article 43.8 de la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, modifiée par l’article 1 de la loi du 1er août 2000, les personnes qui assurent le stockage direct et permanent, pour mise à disposition du public, de messages accessibles par les services de communication en ligne « ne sont pénalement ou civilement responsables du contenu de ces services que si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu » ;
Attendu qu’en l’espèce, la société défenderesse a, sans attendre l’éventuelle injonction de l’autorité judiciaire, prévue par ce texte, et pour des motifs tirés de l’article 43.10, procédé, de sa propre initiative, à la fermeture du site litigieux ;
Qu’il convient seulement de lui en donner acte, la demande n’ayant plus d’objet sur ce point ;
Sur la demande tendant à la communication à la société Ciriel des informations permettant l’identification des créateurs du site litigieux :
Attendu que la loi du 1er août 2000, modifiant la loi du 30 septembre 1986, a institué un régime excluant l’anonymat des personnes éditant, à titre non professionnel, un service de communication en ligne, dans leurs rapports avec les fournisseurs d’hébergement ; qu’elles doivent en effet, à défaut de les tenir à disposition du public, communiquer à ces prestataires les éléments d’identification personnelle prévue à l’article 43.10 (I) nouveau de la loi ;
Attendu qu’en application de l’article 43.9, les fournisseurs d’hébergement sont tenus de détenir et de conserver ces données d’identification personnelle ; qu’en application de l’alinéa 3 du même article, les autorités judiciaires peuvent en requérir communication ; que la référence aux articles 226.17, 226.21 et 226.22 du code pénal, faite in fine de l’alinéa 3, interdit notamment aux détenteurs de ces informations nominatives de les communiquer à des tiers non autorisés ;
Attendu qu’en l’espèce il convient de donner acte à la société Free qu’elle nous a communiqué les éléments d’identification personnelle en sa possession, lors de l’audience ;
Attendu qu’en l’état d’un texte instituant un régime juridique de transparence et excluant tout anonymat des créateurs et éditeurs de services de communication en ligne, mais prévoyant au contraire des dispositifs permettant la mise en jeu de leur responsabilité, en cas de comportements fautifs ou délictueux, il convient de faire droit à la demande de la société Ciriel et d’ordonner la communication à celle-ci des éléments d’identification personnelle qui nous ont été remis par la défenderesse ;
Sur la demande de publication de la présente décision sur la page d’accueil du site « cirielus.free.fr » :
Attendu que le site litigieux a été suspendu le 4 janvier 2001 ; qu’il apparaît inopportun, en l’état, de réactiver, sous la seule responsabilité du fournisseur d’hébergement et pour les seuls besoins d’une publication judiciaire, la source du trouble dénoncé par les demandeurs ; qu’il appartiendra, le cas échéant, au juge du fond, de se prononcer sur les mesures appropriées à cet égard ;
Sur les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, et sur les dépens :
a) Sur les dépens :
Attendu qu’en l’état des dispositions de l’article 43.8 (nouveau) de la loi du 30 septembre 1986, qui pose un principe d’irresponsabilité des fournisseurs d’hébergement, du fait du contenu des services qu’ils hébergent, faute d’injonction de l’autorité judiciaire, il convient d’observer que l’instance n’a pu être engagée, en l’espèce, que dans l’intérêt exclusif de la société demanderesse et de son directeur, aucune condamnation de ce chef ne pouvant être prononcée contre la défenderesse ;
Que, dès lors, la société Ciriel et Jean-Claude M. doivent en supporter les frais ;
b) Sur les demandes formées par les parties au titre de l’article 700 :
Attendu que, pour les mêmes motifs, il apparaît équitable de laisser à la charge des demandeurs les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens et d’accorder à la société défenderesse, qui s’est tenue à l’application stricte de la loi nouvelle et n’a opposé aucune résistance injustifiée aux demandes qui lui étaient faites, une indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance contradictoire :
. constatons l’incompétence du juge des référés de droit commun pour connaître, sur le fondement des articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile, d’une demande fondée sur l’article 713.2 du code de la propriété intellectuelle ;
. donnons acte à la société Free qu’elle a procédé de sa propre initiative à la fermeture du site « cirielus.free.fr » qu’elle hébergeait ;
. donnons acte à la société Free qu’elle a communiqué à l’autorité judiciaire les éléments en sa possession permettant l’identification personnel des créateurs et éditeurs de ce site ;
. disons que ces éléments seront tenus à disposition des demandeurs au greffe de la juridiction, où ils pourront être communiqués à ceux-ci ;
. rejetons la demande de publication de la présente décision sur le site litigieux ;
. déboutons les demandeurs de leur demande formée sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
. condamnons la société Ciriel et Jean-Claude M. à payer à la société Free une somme de 8 000 F en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
. laissons les dépens à la charge des demandeurs.
Le tribunal : M. Jean-Yves Monfort (vice-président au tribunal de grande instance de Paris, tendant l’audience publique des référés par délégation du président du tribunal).
Avocats : Mes Marylin Hagège (du barreau de Paris), Jean-Pascal Chazal (du barreau de Valence) et Yves Coursin (du barreau de Paris).
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.