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Jurisprudence : Marques

mardi 25 juin 2002
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Tribunal de Grande Instance de Nanterre 2ème chambre Jugement du 25 juin 2002

SA Louis Vuitton Malletier / François D., SA Free

balise méta - contrefaçon de marque - dénigrement - fermeture du site web - mot clef - reproduction

Faits et procédure

Le 28 mai 2001, la société Louis Vuitton Malletier a assigné à jour fixe François D. et la société Free, sur le fondement des articles L 713-2, L 713-3, L 713-5 du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil, afin :

– qu’il leur soit fait injonction de cesser toute utilisation des termes Louis Vuitton et du sigle LV, objets des marques lui appartenant, tant sur le site lui-même que parmi les mots clés, méta tags ou sources de la page, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard ;

– qu’ils soient condamnés à lui verser la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon, d’atteinte à la renommée des marques ;

– qu’ils soient condamnés à lui payer la somme de 100 000 F en réparation du préjudice subi du fait du dénigrement lié à la diffusion de la page litigieuse ;

– que la décision requise soit publiée sur la page d’accueil du site oedipe.net, pendant une durée de deux mois et dans 4 journaux ou revues aux frais de François D., à hauteur de la somme de 50 000 F ;

– que soit ordonnée l’exécution provisoire du jugement ;

– que François D. et Free soient condamnés à lui verser la somme de 50 000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

La société Free a conclu.

Elle demande qu’il soit jugé :

– qu’en tant qu’hébergeur, elle n’est pas responsable des faits dénoncés ;

– qu’elle n’est pas « utilisateur » des signes distinctifs de la société Louis Vuitton Malletier ;

– que seul François D., éditeur du site oedipe.net, est susceptible d’être qualifié d’ « utilisateur » et de répondre du contenu dont il est légalement responsable ;

– qu’aucune mesure de contrainte et de condamnation sous astreinte ne peut être prononcée à son encontre, dans la mesure où les conditions d’application de l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 ne sont pas remplies ;

– qu’il ne lui appartient pas de supporter la charge de faire un tri sur le service de François D. pour en expurger le contenu susceptible d’être contrefaisant, dénigrant et fautif ;

– qu’il ne lui appartient pas de supporter la mise en oeuvre d’éventuelles mesures de publication sur le service de François D. ;

– que seul François D. doive supporter le coût et la charge des mesures d’interdiction et de publication ;

– que la partie succombante, à savoir la société Louis Vuitton Malletier ou François D., soit condamnée à lui payer 8000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

François D., assigné en mairie, n’a pas constitué avocat.

A l’audience, la société Louis Vuitton Malletier a demandé que soit ordonnée la fermeture du site oedipe.net.

La société Free a fait valoir qu’elle respecterait toutes mesures d’interdiction, dont la fermeture du site ouvert par François D.
La discussion

La société Louis Vuitton Malletier, de réputation mondiale, exerce son activité dans le domaine de la maroquinerie ; elle est titulaire d’une marque Louis Vuitton déposée le 16 novembre 1990 renouvelée le 7 novembre 2000 et d’une marque LV déposée le 12 juillet 1979, puis renouvelée le 1er avril 1999 ; ces marques sont déposées dans la totalité des classes 1 à 42 ;

Elle a appris l’ouverture d’un site sur internet à l’adresse « oedipe.net » dont l’auteur, François D., présente un texte « visant à libérer l’humain de superstitions anciennes comme de faits sociaux d’aujourd’hui » composé d’un certain nombre de chapitres parmi lesquels le numéro 13 fait référence à Louis Vuitton et porte le titre « Louis Vuitton colle au cul de la bourge » ;

La société Louis Vuitton Malletier, après avoir fait constater l’existence de ce site par huissier le 10 mars 2001, a adressé un courrier à François D. le 22 mars 2001, l’invitant à procéder au retrait des propos dénigrants tenus sur le site ;

François D. répondait le 1er avril 2001 en ces termes : « votre demande de retrait de mon écrit relève de l’inquisition, de l’autodafé, du fascisme. Elle est inadmissible » ;

Dans ces conditions, le 24 avril 2001, la société Louis Vuitton Malletier faisait établir à Levallois Perret un rapport d’expertise par le Celog, Centre d’Expertises des Logiciels ;

Le chapitre litigieux comporte, dans un texte décrivant « la femelle bourge », les propos suivants :

« …l’incontournable sac Louis Vuitton, indispensable aux bourgeoises, semble-t-il. Le sac à main des femmes, cette enveloppe génitale symbolisée, balance aux hanches, aux fesses … De la toile marron du Louis Vuitton, ressort des inscriptions en or, dont des armoiries, voilà qui flatte l’orgueil, des initiales, on n’est pas n’importe qui, LV, c’est chic. Marron et or, ces couleurs sont celles des excréments, cet admirable fondement de l’orgueil. Caca et pipi, le sac LV fonde, légitime, rend naturel la puanteur bourgeoise ; il lui est aussi vital que le tampon aux femmes. Pierre philosophale de la femme bourge, la toile de l’alchimiste Louis Vuitton transforme la merde que sont les bourgeois en or. Coupée du plaisir génital (la coupe Louis Vuitton là encore) … la bourgeoise a besoin d’un bon coup de queue dans le cul. La toile merdâtre Louis d’or Vuitton colle au cul de la bourgeoise et c’est bien dommage. Car moi, je lui mettrais bien volontiers autre chose » ;

Il a été également constaté que lors de l’utilisation du moteur de recherche Google.com, à l’interrogation des mots clés « sac vuitton » et « toile louis vuitton », apparaissait en tête de liste des sites pertinents, et ce, avant même, celui de la société Louis Vuitton Malletier, la page du site de François D. ; en effet, ce dernier a donné comme balise titre à son site, la dénomination « Louis Vuitton » et a retenu comme adresse URL : http:/www.oedipe.net/Louis%20Vuitton.htm ;

Sur la contrefaçon de marques :

Il est certain qu’en adoptant comme balise titre « Louis Vuitton » et en se référençant à l’adresse URL « oedipe.net/Louis%20Vuitton.htm » François D. a reproduit la marque Louis Vuitton sans l’autorisation de son titulaire et au surplus, malgré l’interdiction dont la société Louis Vuitton Malletier lui a fait part dans son courrier du 22 mars 2001 ; ces faits constituent des actes de contrefaçon de marques au sens de l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle ;

Ces faits de contrefaçon ont ainsi permis à François D. de faire ressortir son site « oedipe.net », de manière prioritaire lors des interrogations de moteurs de recherche et d’attirer les internautes, à la recherche des mots clés « sac vuitton » et « toile louis vuitton » ;

Sur le dénigrement :

Il y a lieu de rappeler que les dispositions de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle instaurent une action spécifique en responsabilité exclusive de l’application de l’article 1382 du code civil, dès lors que la marque jouissant d’une renommée est employée pour désigner des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

En l’espèce, les propos tenus par François D. n’ont pas pour but la promotion de produits ou services mais sont constitutifs d’une critique sociale associant la marque Louis Vuitton à une description personnelle de « la bourge ».

Cette activité est étrangère au domaine de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle mais relève du régime de la liberté d’expression.

Il est incontestable qu’outre le titre « Louis Vuitton colle au cul de la bourge », les propos tenus par François D. sur son site pour présenter des produits de la société Louis Vuitton Malletier sont péjoratifs, vulgaires et grossiers ;

Ils n’ont pour but que de discréditer les produits vendus par la société Louis Vuitton Malletier dans des termes qui sont dénigrants et constituent un abus de la liberté d’expression, répréhensibles sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;

Ils causent à la société Louis Vuitton Malletier un préjudice d’autant plus considérable que le site ouvert par François D. a été incontestablement consulté par de nombreux internautes ;

En effet, il est démontré d’une part, qu’en interrogeant les mots clés concernant Louis Vuitton, l’internaute est connecté au site de François D. par priorité et que d’autre part, le moteur de recherche Google.com est fondé sur une technique particulière qui détermine le référencement d’un site par l’importance des connexions qu’il reçoit ;

Sur les mesures réparatrices :

Il y a lieu d’enjoindre à François D. de cesser toute utilisation des dénominations Louis Vuitton et LV tant sur le site, que parmi les mots clés, les méta tags ou sources du site, sous astreinte de 2000 F par jour de retard, passé un délai de 8 jours suivant la signification de la présente décision ;

Eu égard aux éléments du dossier, il convient de condamner François D. à payer à la société Louis Vuitton Malletier la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon de marque et la somme de 100 000 F en réparation des actes de dénigrement ;

Il convient, en outre, à titre de dommages-intérêts complémentaires, d’autoriser la société Louis Vuitton Malletier à faire publier, aux frais de François D., la présente décision, dans les termes retenus au dispositif ;

La publication sur le site « oedipe.net » ouvert par François D. n’est pas opportune, eu égard au fait que la société Free s’est engagée à l’audience, à respecter toute mesure d’interdiction prononcée par le tribunal, dont la fermeture du site ;

Sur la responsabilité de la société Free :

La société Free est l’hébergeur technique du site ouvert par François D. ; sa responsabilité ne peut être engagée au sens de l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 que, si saisie par une autorité judiciaire, elle n’a pas agi promptement pour empêcher l’accès à un contenu de services ;

Tel n’est pas le cas en l’espèce ;

La société Free n’est pas l’éditeur du site, elle n’utilise pas les signes distinctifs de la société Louis Vuitton Malletier ;

Dès lors, il n’y a pas lieu de lui interdire l’utilisation des termes Louis Vuitton et du sigle LV, ni à lui faire supporter une quelconque condamnation ;

En revanche, il convient de lui donner acte de ce qu’elle accepte de déférer à toute mesure d’interdiction prononcée par ce tribunal, notamment en ce qui concerne la fermeture du site ouvert par François D. ;

Sur les mesures accessoires :

L’exécution provisoire de la présente décision est nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire ;

Les conditions d’application de l’article 700 du ncpc sont réunies et il convient de condamner François D. à payer à la société Louis Vuitton Malletier la somme de 50 000 F et à la société Free la somme de 8000 F ;
La décision

Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en premier ressort.

. Fait interdiction à François D. de faire usage de la marque Louis Vuitton et du sigle LV dont la société Louis Vuitton Malletier est titulaire, tant sur le site « oedipe.net », que parmi les mots clés, méta tags ou sources de page, sous astreinte de 2000 F (304,94 euros), par jour de retard, passé un délai de huit jours suivant la signification de la présente décision ;

. Le condamne à payer à la société Louis Vuitton Malletier la somme de 100 000 F (15 244,90 euros) en réparation du préjudice lié aux actes de contrefaçon de marque et la somme de 100 000 F en réparation du préjudice subi du fait d’actes de dénigrement ;

. Donne acte à la société Free de ce qu’elle s’engage à respecter toutes mesures d’interdiction prononcées par ce tribunal et notamment la fermeture du site ouvert par François D. ;

. Ordonne en conséquence, la fermeture du site « oedipe.net » ;

. Dit n’y avoir lieu pour ce motif, à ordonner la publication de la présente décision sur ce site ;

. Autorise la publication du présent jugement in extenso ou par extraits, dans 3 revues ou journaux, au choix de la société Louis Vuitton Malletier, aux frais de François D., dans la limite de 15 000 F (2286,74 euros) par insertion ;

. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision ;

. Condamne François D. à payer à la société Louis Vuitton Malletier la somme de 50 000 F (7622,45 euros) et à la société Free la somme de 8000 F (1219,59 euros), sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;

. Le condamne aux dépens.

Le tribunal : Mme Rosenthal-Rolland (vice président), Mmes Braive et Orsini (juges)

Avocats : Me De Cande, Me Coursin

 
 

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