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Jurisprudence : Jurisprudences

mardi 02 juin 2020
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Tribunal judiciaire de Nanterre, pôle civil, 1ère ch., jugement du 14 mai 2020

Mme X. / Prisma Media

Atteinte au droit à la vie privée - droit à l'image - Personnalité publique - préjudice unique - publication en ligne - réparation intégrale

Jugement prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Vu l’article 450 du code de procédure civile ;

Vu la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;

Vu l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété ;

Vu le plan de continuation d’activité du tribunal judiciaire de Nanterre ;

En raison de la déclaration d’état d’urgence sanitaire et en application du plan de continuation d’activité susvisé, le prononcé de la présente décision, initialement fixé au 14 mai 2020, a été renvoyé au 28 mai 2020, date à laquelle la décision a été mise à la disposition des parties au greffe de la juridiction.

FAITS ET PRÉTENTIONS

La société en nom collectif (ci-après, SNC) Prisma Media, éditrice de l’hebdomadaire Voici, a diffusé le 14 décembre 2018 à 7 heures 41, à 8 heures 43 et à 12 heures 26, sur son site internet « voici.fr », trois articles respectivement titrés « Mme X. a retrouvé l’amour à 54 ans ! », « Mme X. : qui est son nouveau compagnon, M. Y. ? » et « Mme X. amoureuse : la comédienne a pris son « temps pour trouver la personne idéale » ». Ces trois articles sont illustrés par cinq photographies représentant Mme X. et digressent sur sa prétendue relation avec M. Y.

La SNC Prisma Media, éditrice de l’hebdomadaire Voici, a publié dans son numéro 1623 daté du 14 au 20 décembre 2018, un article annoncé en page de couverture sous le titre « Mme X. – Folle amoureuse de M. Y. », sous-titré « Cinq ans après avoir divorcé de M. Z., l’actrice vit depuis cet été une belle histoire dans les bras de ce jeune artiste de 36 ans… », et au sommaire, se poursuivant en page intérieure 18 à 20 du magazine sous le titre « Mme X. – Elle a retrouvé l’amour dans les bras de M. Y.». L’article est illustré de sept photographies, dont deux figurant en couverture, représentant Mme X. aux côtés de M. Y. marchant dans les rue de Paris, et digresse sur sa prétendue relation avec M. Y.

Estimant ces publications attentatoires au droit au respect de sa vie privée ainsi qu’au droit dont elle dispose sur son image, Mme X. a fait assigner, par acte d’huissier de justice du 16 janvier 2019, la SNC Prisma Media devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Aux termes de ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 17 janvier 2020, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, Mme X. demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et au visa des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de :
– débouter la société Prisma Media de toutes ses demandes ;
– condamner la société Prisma Media à lui verser, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral résulté de la violation de ses droits de la personnalité, les sommes de :
• 5 000 euros (« Mme X. a retrouvé l’amour à 54 ans ! ») ;
• 5 000 euros (« Mme X. : qui est son nouveau compagnon ») ;
• 5 000 euros (« Mme X. amoureuse ») ;
• 12 000 euros (Voici n° 1623) ;
– faire interdiction, sous astreinte provisoire de 10 000 euros par infraction constatée, à la société Prisma Media, de céder, reproduire ou diffuser par tout moyen, sur tout support, auprès de quiconque et de quelque manière que ce soit, les photographies volées la représentant dans des moments d’intimité et de détente figurant dans le magazine Voici n° 1623 du 14 au 20 décembre 2018, pages 1, 18, 19 et 20 ;
– condamner la société Prisma Media à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Prisma Media aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de maître Vincent Toledano, avocat aux offres de droit.

Mme X. estime que l’article titré « Mme X. a retrouvé l’amour à 54 ans ! », diffusé le 14 décembre 2018 à 7 heures 41 sur le site Internet voici.fr, a porté atteinte à sa vie privée en révélant sa relation ainsi que l’identité de M. Y. , précisant ne s’être jamais prononcée sur ladite relation.

En ce qui concerne l’article titré « Mme X. : qui est son nouveau compagnon, M. Y. ? », diffusé le 14 décembre 2018 à 8 heures 43 sur le site Internet voici.fr, Mme X. indique que celui-ci a également porté atteinte à sa vie privée en révélant le nom, l’âge, la situation de famille de M. M. Y. ainsi que les prétendues conditions de leur rencontre.

Mme X. ajoute que l’article titré « Mme X. amoureuse : la comédienne a pris son « temps pour trouver la personne idéale » » porte également atteinte à sa vie privée en digressant et en supputant sa relation « révélée » avec M. Y. ainsi qu’en révélant l’identité, l’âge et la situation de celui-ci.

Enfin, Mme X. indique que l’article diffusé dans le magazine Voici n° 1623 du 14 au 20 décembre 2018 porte également atteinte à sa vie privée en décrivant ses prétendus moments de loisirs et de détente, son prétendu emploi du temps ainsi qu’en procédant à la révélation de l’identité de l’homme qui partage sa vie s’appuyant, pour ce faire, sur un article du journal Paris Match (pièce n° 2 en demande). Mme X. ajoute que l’article est illustré de photographies non consenties la surprenant dans des moments d’intimité et de loisirs prolongeant de ce fait l’atteinte à sa vie privée.

Quant au droit dont elle dispose sur son image, Mme X. précise que les trois articles diffusés sur le site Internet voici.fr précités sont illustrés par des images, détournées de leur contexte de réalisation, avec pour seule fin de corroborer les « révélations » des trois articles en cause. En ce qui concerne la publication litigieuse dans le magazine Voici n° 1623, Mme X. indique que la reproduction non-autorisée de sept clichés, de surcroît pris nuitamment au moyen d’un procédé déloyal, dont deux reproduits en page de couverture et visible du plus large public, méconnaît le droit dont elle dispose sur son image.

Au titre de son préjudice, Mme X. indique subir un préjudice moral aggravé par l’annonce sensationnelle en couverture du n° 1623 du magazine Voici, annonce illustrée par deux clichés volés et présentée comme un « SCOOP VOICI ». Elle ajoute que la surface éditoriale de l’article, publié sur trois pages, tout comme le caractère intrusif des clichés volés, des détails donnés sur son emploi du temps, ses loisirs et les supputations sur ses sentiments les plus intimes, attestent d’une surveillance étroite dont elle se dit victime. Mme X. ajoute qu’il convient de tenir compte de l’importance de la diffusion, papier, du magazine en cause (pièce n° 8 en demande).
En ce qui concerne les trois diffusions réalisées sur le site Internet voici.fr, Mme X. indique que son préjudice moral est aggravé par le caractère répété des atteintes, à travers trois articles successifs, ayant pour seule fin d’inciter les internautes à se procurer le magazine, faisant notamment état du caractère sensationnel de la révélation répétée du nom de son compagnon et ce, au mépris délibéré de sa volonté affichée de discrétion.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 11 décembre 2019, il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société en nom collectif (ci-après, SNC) Prisma Media demande au tribunal de :
à titre principal,
– constater que poursuivant plusieurs articles distincts, et formant des demandes à raison de chacun d’entre eux, Mme X. , dans l’assignation délivrée revendique un préjudice global ;
– dire et juger de ce fait la société Prisma Media ne peut se défendre « article par article » ;
– en l’absence d’éléments d’appréciation pour chacun des articles querellés, débouter Mme X. de l’intégralité de ses demandes ;
à titre subsidiaire,
– constater que Mme X. stigmatise en tant qu’atteinte à sa vie privée, les informations diffusées par Voici selon lesquelles elle vit en couple avec M. Y. ;
– dire et juger que cette information, pour avoir déjà été diffusée avec l’accord de la demanderesse, ne relève de la sphère protégée de sa vie privée ;
– par voie de conséquence, débouter de plus fort Mme X. de l’intégralité de ses demandes ;
– la condamner à lui payer une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux entiers dépens.

La SNC Prisma Media soutient que le dispositif de l’assignation de la demanderesse distingue les réparations qui lui seraient dues à raison de quatre publications qu’elle poursuit mais que la démonstration censé établir le préjudice de Mme X. est traité comme un dommage global ne lui permettant pas de se défendre « article par article », considérant qu’il convient de rejeter l’ensemble des demandes dont le tribunal est saisi, faute pour Mme X. d’en avoir justifié.

Sur l’atteinte à la vie privée de Mme X., la SNC Prisma Media indique n’avoir commis aucune faute en reprenant une information révélée par le magazine Paris Match, édition du 20 mars 2019 (pièce n° 5 en défense). Elle ajoute que le couple est également apparu à de multiples occasions (lancement de la nouvelle création cartier, festival de Cannes, Gala de Mme F. le 6 juin 2019 etc.) avant que Mme X., elle-même, fasse publiquement savoir qu’elle s’était séparée de monsieur M. Y. , constituant ainsi une information légitime du public (pièces n° 10 à 22 en défense).

Sur le droit dont dispose Mme X. sur son image, la défenderesse estime que les clichés publiés ne sont pas fautifs dès lors qu’ils illustrent une information publique.

En ce qui concerne le préjudice de Mme X., la SNC Prisma Media indique que Mme X. se refuse à donner le moindre élément d’appréciation sur son prétendu préjudice moral estimant qu’il appartient au tribunal, s’il entre en voie de condamnation, de ne lui allouer d’autre réparation que de principe (un euro). La SNC Prisma Media fait état de la complaisance de Mme X. (pièces n° 3, 4, 6 à 9 en défense), précisant que celle-ci a déjà été soulignée par une ordonnance de référé, rendue le 6 août 2010, et par un jugement du 6 janvier 2011 (pièces n° 1 et 2 en défense). Elle ajoute que Mme X. collabore également avec le magazine Gala et communique, à ce titre, sur sa vie privée (pièce n° 23 en défense).

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 février 2020.

Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l’article 467 du Code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur les atteintes aux droits de la personnalité

En application de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « Droit au respect de la vie privée et familiale », toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre
et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Et, conformément à l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.

Ainsi, chacun dispose, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, du droit au respect de sa vie privée et jouit sur son image d’un droit exclusif lui permettant de s’opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans son autorisation préalable et spéciale : chacun peut s’opposer à la divulgation d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

Par ailleurs, en vertu de l’article 10 « Liberté d’expression » de cette convention :
1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Les droits ainsi énoncés ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre eux et de privilégier, le cas échéant, la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.

Pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu, suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication ainsi, le cas échéant, que les circonstances de la prise des photographies, la définition de ce qui est susceptible de relever de l’intérêt général dépendant des circonstances de chaque affaire.

Sur les atteintes

L’article titré « Mme X. a retrouvé l’amour à 54 ans ! » et diffusé le 14 décembre 2018 à 7 heures 41 sur le site Internet voici.fr, qu’édite la SNC Prisma Media, et dont des captures d’écran sont communiquées par Mme X. (pièce n° 3 en demande), révèle l’identité de son compagnon, ainsi que la différence d’âge existant entre eux « […] M. Y. , un artiste français de 18 ans son cadet […] » ; il est illustré par une photographie de Mme X.

L’article titré « Mme X. : qui est son nouveau compagnon, M. Y. ? » et diffusé le 14 décembre 2018 à 8 heures 43 sur le site Internet voici.fr, qu’édite la SNC Prisma Media, et dont des captures d’écran sont communiquées par Mme X. (pièce n° 4 en demande), révèle l’identité de compagnon « […] un beau trentenaire qui se nomme M. Y. […] un bel homme de 36 ans aux longs cheveux blonds […] né en 1982 à Boulogne-Billancourt […] un père présent pour sa petite fille A., âgée de six ans, et un compagnon aimant pour Mme X. […] », se poursuit sur le moment de leur prétendue rencontre « […] Leur belle histoire a commencé l’été dernier, pour être plus précis […] », digresse sur les prétendus sentiments de Mme X. « […] Mme X. est tombée sous le charme de M. Y. […] Auprès de cet homme qui lui correspond, l’actrice a renoué avec le sentiment amoureux. Au point d’avoir envie de l’épouser ? […] », et est illustré par une photographie de Mme X.

L’article titré « Mme X. amoureuse : la comédienne a pris son « temps pour trouver la personne idéale » et diffusé le 14 décembre 2018 à 12 heures 26 sur le site Internet voici.fr, qu’édite la SNC Prisma Media, et dont des captures d’écran sont communiquées par Mme X. (pièce n° 5 en demande), révèle l’identité du compagnon de Mme X. ainsi que la différence d’âge existant entre eux « […] une femme amoureuse qui ne quitte plus le beau M. Y. […] un homme de dix-huit ans son cadet […] dix-huit ans les séparent […] », digresse sur les prétendus sentiments de Mme X. « […] une femme amoureuse […] un bonheur […] la comédienne qui a pris son temps avant de replonger dans une histoire d’amour […] Les doutes balayés et la confiance retrouvée dans les bras du beau M. Y., Mme X. savoure désormais paisiblement son bonheur et sa nouvelle vie de femme amoureuse […] » ; il est illustré par une photographie de Mme X.

Enfin, l’article diffusé dans le magazine hebdomadaire Voici n° 1623 daté du 14 au 20 décembre 2018, communiqué en original par Mme X. (pièce n° 6 en demande), révèle notamment, l’identité du compagnon de Mme X. « […] Il s’appelle M. Y. et il a 36 ans. Cet ancien mannequin au look d’Apollon, grand blond, aussi chevelu que charismatique, est un artiste scénographe. Papa d’une petite A., qui a aujourd’hui 6 ans, il partage la vie de l’actrice depuis l’été dernier […] », leur différence d’âge « […] malgré les dix-huit ans qui les séparent […] », décrit les moments de loisirs et de détente de celle-ci ainsi que son prétendu emploi du temps « […] déambuler au bras de son compagnon, le 11 décembre, dans les rues de Paris […] après avoir assisté à une représentation au Théâtre de la Porte-Saint-Martin […] », avant de digresser sur les prétendus sentiments de Mme X. « […] une femme heureuse […] l’actrice a cette fois retrouvé l’amour et son plus beau sourire […] Mme X. se lovait dans les bras d’un homme, échangeant mots doux et regards complices. L’ attitude des amoureux ne laissait aucun doute : leur relation est tout sauf éphémère. […] l’actrice n’avait plus ressenti ce sentiment, cette envie de partager sa vie avec quelqu’un, depuis son divorce […] ».

L’article est illustré de sept photographies représentant Mme X. au bras de M. Y. et marchant dans les rues de Paris.

De l’ensemble de ces éléments il ressort que, en procédant à la révélation de l’identité du compagnon de Mme X., la SNC Prisma Media s’est illicitement immiscée dans un pan de l’intimité de sa vie privée, sur lequel la défenderesse ne rapporte aucune preuve d’expression publique de la part de la demanderesse. A ce titre, si la pièce n° 10 communiquée en défense, datée du 8 novembre 2018, fait état de l’existence d’un « nouvel homme » partageant la vie de Mme X., l’évocation de cette relation, antérieure aux articles litigieux en cause, ne saurait, à elle seule, justifier la révélation de l’identité de M. Y. , étant précisé que l’article du 8 novembre 2018, cité en défense, indiquait que « […] Très discrète sur sa vie privée, Mme X. n’a pas précisé l’identité de son compagnon […] ». En outre, l’article paru dans l’édition n° 3644 du magazine Paris Match du 14 au 20 mars 2019 (pièce n° 5 en défense), sur laquelle la défenderesse s’appuie afin de décliner toute atteinte à la vie privée de la demanderesse, de par son caractère postérieur aux révélations réalisées par la SNC Prisma Media, ne permet pas de retenir l’argument selon lequel l’identité de M. Y. était une information « ancienne et déjà connue », ce raisonnement valant pour l’ensemble des pièces n° 10 à 22 communiquées en défense.

Par ailleurs, les différentes digressions des articles en cause, à savoir sur la différence d’âge pouvant exister entre Mme X. et M. Y., le moment de leur prétendue rencontre, les loisirs de Mme X. ainsi que son prétendu emploi du temps ou les sentiments que celle-ci peut éprouver, constituent autant d’actes attentatoires à sa vie privée, dès lors qu’il n’est pas démontré que Mme X. aurait consenti à la divulgation de ces informations, appartenant à sa sphère privée, ces faits ne pouvant, en outre, être considérés comme des faits d’actualité, pas plus qu’ils ne se rattachent à un débat d’intérêt général, la seule célébrité de Mme X. ne pouvant ici justifier une publication n’ayant d’autre objet que de relater les détails de la vie privée des personnes publiques.

Enfin, la reproduction, sans son autorisation, de sept clichés, représentant Mme X. au bras de M. Y. dans les rues de Paris, manifestement captés dans un moment de vie privée, ce que la défenderesse ne conteste pas, sont de nature à prolonger l’atteinte à la vie privée de Mme X. et à violer le droit dont elle dispose sur son image. Le caractère public du lieu de fixation, lequel ne marque pas les bornes de la sphère privée, étant sans incidence sur la caractérisation de l’atteinte.

Qui plus est, les photographies détournés de leur contexte de fixation, et utilisées pour illustrer les trois articles diffusés sur le site Internet voici.fr ainsi que l’article du magazine hebdomadaire Voici n° 1623 et ce, afin d’illustrer les propos fautifs, emportent également violation du droit dont dispose la requérante sur son image.

Sur le préjudice et les mesures réparatrices

La seule constatation de la violation de la vie privée ou du droit à l’image ouvre droit à réparation, dont la forme est laissée à la libre appréciation du juge, lequel tient de l’article 9 du code civil le pouvoir de prendre toute mesure propre à empêcher ou à faire cesser l’atteinte ainsi qu’à en réparer le préjudice, son évaluation étant appréciée au jour où il statue, et en fonction des éléments de fait invoqués par les parties : l’atteinte caractérise par elle-même le dommage duquel résulte, ainsi que l’affirme constamment la Cour de cassation, un préjudice qui existe par principe et dont l’étendue, dont la preuve incombe aux demandeurs, dépend de l’aptitude du titulaire de droits lésé à éprouver effectivement le dommage et des pièces produites.

A titre liminaire, il sera indiqué que l’argument soulevé par la SNC Prisma Media selon lequel le dispositif de l’assignation de la demanderesse distinguerait les réparations qui lui seraient dues à raison des quatre publications qu’elle poursuit mais que la démonstration de celles-ci serait traitée, par la demanderesse, comme un dommage global ne permettant pas, à la défenderesse, de se défendre, « article par article », est inopérant dès lors que, comme il sera développé infra, les quatre atteintes en cause, de par l’unité de temps qui les rapproche, ne sont de nature à causer qu’un seul et unique préjudice aggravé.

En effet, chaque publication caractérise une atteinte, elle ne cause pas par principe un préjudice distinct des autres : seules la nature et la multiplicité ou non des données relevant de la vie privée objet de la divulgation ainsi que leurs modalités de diffusion peuvent permettre de déterminer in concreto l’unicité ou la pluralité des préjudices subis.

Or, les révélations ont toutes le même objet et touchent exclusivement à la relation sentimentale prêtée à Mme X. et à M. Y. .Elles ont en outre été diffusées en moins de 24 heures, délai particulièrement bref excluant que Mme X. ait pu en souffrir divisément, leurs conséquences dommageables s’étant ainsi déployées en un trait de temps sur la base d’un élément unique appartenant à sa sphère privée. fait, les révélations qui se sont rapidement succédées sur Internet sont construites comme l’annonce de l’article à paraître puis paru en kiosques, le même jour, ce qui renforce leur indivisibilité.

Par ailleurs, si le public touché sur Internet est plus large et qu’il excède très largement le lectorat du magazine Voici et du site Internet voici.fr, cette variation n’est pas génératrice d’un préjudice distinct mais d’une aggravation d’un préjudice unique.

Ainsi, malgré la pluralité des atteintes, leur stricte concomitance et l’identité de leur objet, sans le moindre ajout significatif touchant à d’autres éléments relevant de sa vie privée, excluent le cumul des réparations : les dommages résidant dans ces atteintes ne génèrent qu’un préjudice unique, certes aggravé par la répétition mais non multiplié, tenant au trouble intérieur occasionné par la révélation d’une information privée à une date déterminée. Le principe de la réparation intégrale s’oppose en conséquence à une quadruple indemnisation d’un même préjudice causé par des actes concurrents.

Par ailleurs, il sera relevé que la notoriété de Mme X. , soulignée par la société éditrice, qui peut certes accroître l’intérêt du public pour des informations la concernant, n’implique cependant pas de ce seul fait une limitation de son droit à indemnisation.

La société Prisma Media, qui est responsable d’une atteinte à la vie privée de la demanderesse ainsi que d’une atteinte au droit dont elle dispose sur son image, ne conteste pas que son magazine bénéficie chaque semaine d’une large diffusion et que le numéro en débat a ainsi joui d’une importante visibilité.

Le caractère intrusif de la révélation de l’identité du compagnon de la demanderesse, ainsi que la publication de clichés, non-consentis, pour illustrer les propos fautifs, dans un but purement commercial, participent du préjudice de Mme X.

De la même manière, l’annonce faite en couverture ainsi que la surface éditoriale et iconographique choisie par la défenderesse, s’étalant sur trois pages intérieures, sont de nature à aggraver le préjudice de Mme X.

En revanche, sont de nature à minorer le préjudice de Mme X., le ton de l’article, qui n’est pas particulièrement malveillant à son égard, de même que les photographies utilisées, qui ne la présentent pas sous un jour défavorable.

En outre, la réitération invoquée ne peut être retenue à l’encontre de la société Prisma, en considération de l’ancienneté de la décision produite et prononcée le 24 juin 1997 (pièce n° 1 communiquée par Mme X.).

Et, pour sa part, la société éditrice ne peut, pour contredire la volonté de discrétion revendiquée par Mme X., se contenter de produire deux décisions de justice (pièces n° 1 et 2 en défense), afférentes à l’une de ses grossesses et à la naissance de l’une de ses filles, et de surcroît datant de 2010 et 2011, ayant relevé la volonté de la demanderesse d’entretenir l’attention sur sa maternité. En effet, l’absence de déclarations spontanées de Mme X. dans les médias sur sa vie sentimentale ces dernières années doit au contraire être relevée comme un indice tangible de son souhait de préserver sa vie privée, et corrélativement, de sa sensibilité à voir exposer celle-ci sans son consentement, même si, depuis l’article, elle a pu accepter d’officialiser sa
relation, lors de divers événements très médiatisés, ou encore de se confier sur sa rupture avec M. Y. (pièces n° 10 à 22 en défense), ce qui ne tempère que faiblement sa volonté de discrétion.

En revanche, l’évolution désormais publique, au jour où il est statué, de la relation de Mme X. et de M. Y. , ayant bénéficié d’un large écho médiatique, est un élément de minoration du préjudice lié au retentissement de l’article considérablement estompé.

Enfin, si la seule constatation des atteintes suffit à établir l’existence d’un préjudice moral, Mme X. ne produit aucun élément concret, autre que la publication, justifiant du retentissement de l’article en cause sur sa vie personnelle ou professionnelle.

En conséquence, le préjudice moral subi par Mme X., du fait des atteintes portées à ses droits de la personnalité par la publication du numéro 1623 du magazine hebdomadaire Voici et de ses annonces parues sur internet, sera réparé par l’allocation d’une somme de 8 000 euros de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

Succombant au litige, la société Prisma Media sera condamnée à payer à Mme X. la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement par maître Vincent Toledano conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Au regard de la nature du litige et de sa solution, l’exécution provisoire du jugement sera ordonnée en toutes ses dispositions conformément à l’article 515 du code de procédure civile.

 

DECISION

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et mis à la disposition par le greffe le jour du délibéré,

Condamne la société Prisma Media à payer à Mme X. la somme de HUIT MILLE EUROS (8 000 €) au titre de l’atteinte à son droit au respect de sa vie privée ainsi qu’au droit qu’elle détient sur son image causée par la diffusion, 14 décembre 2018 à 7 heures 41, à 8 heures 43 et à 12 heures 26, sur son site internet « voici.fr », de trois articles respectivement titrés « Mme X. a retrouvé l’amour à 54 ans ! », « Mme X. : qui est son nouveau compagnon, M. Y. ? » et « Mme X. amoureuse : la comédienne a pris son « temps pour trouver la personne idéale » », ainsi que par la de l’article, annoncé en page de couverture sous le titre « Mme X. – Folle amoureuse de M. Y. », du numéro 1623 du magazine Voici, paru du 14 au 20 décembre 2018 ;

Fais interdiction sous astreinte provisoire de deux mille euros (2 000 €) par infraction constatée, un délai de cinq mois courant à compter de l’expiration d’un délai de huit jours à compter de la signification du jugement, à la société Prisma Media, de céder, reproduire ou diffuser par tout moyen, sur tout support, auprès de quiconque et de quelque manière que ce soit, les sept photographies volées représentant Mme X. dans des moments d’intimité et de détente figurant dans le magazine Voici n° 1623 du 14 au 20 décembre 2018 en pages 1, 18, 19 et 20 ;

Se réserve la liquidation de cette astreinte ;

Condamne la société Prisma Media à payer à Mme X. la somme de DEUX MILLE EUROS (2 000 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette l’intégralité des autres demandes ;

Condamne la société Prisma Media à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement par maître Vincent Toledano conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions.

 

Le Tribunal : Daniel Barlow (premier vice-président), Sophie Marmande (vice-présidente), Julien Richaud (vice-président), Christine Degny (greffier)

Avocats : Me Vincent Toledano, Me Olivier d’Antin

Source : Legalis.net

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.