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Jurisprudence : Droit d'auteur

mardi 18 février 2014
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Cour de cassation 1ère chambre civile Arrêt du 22 janvier 2014

Samuel X… / BBC

compétence territoriale - diffusion - Etats membres - internet - lieu du dommage - oeuvre audiovisuelle - tribunal compétent

DISCUSSION

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches

Vu l’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Samuel X…, ayant droit de Guy X…, photographe, prétendant que la société British Broadcasting Corporation, ci-après BBC, avait diffusé sur la chaîne BBC 4 un documentaire reproduisant plusieurs œuvres de Guy X… ainsi qu’une œuvre de M. Y… inspirée d’une œuvre du photographe, et que des extraits du documentaire étaient accessibles en ligne sur le site de partage « You Tube », a assigné en contrefaçon les sociétés BBC et BBC 4, et M. Y… ;

Attendu que pour déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige, l’arrêt retient, d’une part, que l’accès à un extrait du documentaire sur le site de partage « You Tube » est étranger aux sociétés BBC, et, d’autre part, que l’accès en France aux programmes de la chaîne BBC 4 n’est possible que par l’intermédiaire de « citysat » et d’un décodeur « sky », sous réserve d’un abonnement et d’une domiciliation au Royaume-Uni, en sorte que ces restrictions démontrent que le documentaire en cause n’était pas destiné au public de France ;

Attendu cependant que, par arrêt du 3 octobre 2013 (C- 170/12), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’Etat membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d’une action en responsabilité introduite par l’auteur d’une œuvre à l’encontre d’une société établie dans un autre Etat membre et ayant, dans celui-ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu par des sociétés établies dans un troisième Etat membre, par l’intermédiaire d’un site internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie ; que cette juridiction saisie n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre dont elle relève ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que l’accessibilité, dans le ressort de la juridiction saisie, par voie hertzienne ou par le réseau internet, de tout ou partie du documentaire incriminé, est de nature à justifier la compétence de cette juridiction, prise comme celle du lieu de la matérialisation du dommage allégué, la cour d’appel a privé la décision de base légale ;

DÉCISION

Par ces motifs :

. Casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 1er juin 2011, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nancy ;

. Condamne la société British Broadcasting Corporation et M. Y… aux dépens ;

. Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

. Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour M. X…

Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré le juge français incompétent pour connaître de la demande de M. X… ;

Aux motifs que selon l’article 5-3 du Règlement du Conseil 44/2001 du 22 décembre 2000, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être en matière délictuelle attraite dans un autre Etat devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ; qu’il convient donc de rechercher si le documentaire était diffusé ou accessible sur le territoire français ; que cette accessibilité doit être légitime et ne pas résulter d’un accès interdit ou non autorisé par l’exploitant de la chaîne de télévision ou de son diffuseur qui en dehors de toute fraude ne pourraient être tenus de tels accès irréguliers ; que le site internet bbc.co.uk ne permet pas l’accès au programme BBC « seven photographs that changed fashion », le site précisant même que le programme ne peut être visionné que dans le Royaume Uni ; que l’accès à un extrait de l’œuvre sur le site youtube qui provient d’internautes anonymes est totalement étranger à la BBC ; qu’en revanche, l’accès à la chaîne BBC 4 est possible par l’intermédiaire de « cytisat » et d’un décodeur « sky » grâce à un abonnement payant (procès-verbal du 20 juillet 2010 au 3 aout 2010) ; que ce type d’accès correspond aux affirmations de la BBC alors que l’absence de traduction de la page 26 du contrat (lire constat) du 20 juillet 2010 ne permet pas de contredire ces dernières concernant la nécessité d’avoir un domicile au Royaume-Uni ou d’avoir un code postal au sein de ce pays ; qu’aucune précision n’est donnée dans le procès verbal du 3 aout 2010 sur la façon dont Monsieur X… s’est procuré le décodeur « sky » ; que toutes ces restrictions démontrent que le programme BBC 4 n’est pas destiné au public de France,

1°/ Alors que l’action en contrefaçon est de nature délictuelle; qu’en matière délictuelle, l’action est portée devant le juge du domicile du défendeur ou le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit ; que s’agissant d’un délit par voie de diffusion hertzienne, le dommage est localisé au lieu où le programme a été diffusé ; qu’il ressort des propres constatations de l’arrêt que les programmes de la BBC sont diffusés en France par voie hertzienne et peuvent y être visionnés, sous certaines conditions (décodeur, abonnement et domiciliation au Royaume Uni, un service de domiciliation étant généralement proposé avec l’abonnement) ; qu’en déclinant sa compétence, pour le motif inopérant que, compte des restrictions à la diffusion hertzienne, celle-ci n’était pas destinée au territoire français, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si le documentaire, dont il ressort de ses propres constatations qu’il pouvait être visionné depuis la France, y était diffusé, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 5-3 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

2°/ Alors que le juge français est compétent pour connaître des litiges liés à la diffusion sur internet d’un document destiné au public français ; que pour écarter la compétence du juge français s’agissant de la diffusion sur le site internet « youtube » du documentaire litigieux, la cour d’appel a retenu que cette diffusion n’était pas le fait de la BBC ; qu’en se prononçant à nouveau par un motif inopérant au regard de la question de la compétence, qui est préalable, la cour d’appel qui n’a pas recherché si la diffusion sur youtube était destinée au public de France, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 5-3 du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000.

La Cour : M. Charruault (président)

Avocats : SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Piwnica et Molinié

Notre présentation de la décision

 
 

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