Jurisprudence : Marques
Cour de cassation Chambre commerciale, financière et économique Arrêt du 23 novembre 2010
Axa et autres / Google France, Google Inc.
marques
Statuant sur le pourvoi formé par la société Axa, la société Avanssur, anciennement dénommée Direct assurance lARD, la société Direct assurance vie, contre l’arrêt rendu le 6 juin 2007 par la cour d’appel de Paris (4e chambre, section A), dans le litige les opposant à la société Google France, à la société Google Inc., défenderesses à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
DISCUSSION
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les sociétés Axa, Finaxa, aux droits de laquelle se trouve la société Axa, Avanssur, anciennement dénommée Direct assurances, et Direct assurance vie ont constaté que lors de l’utilisation du moteur de recherche Google, la saisie des termes Axa, Direct assurances et Agipi faisait apparaître des annonces pour des sites concurrents ou sans rapport avec les sociétés du groupe Axa ; qu’elles ont assigné les sociétés Google Inc. et Google France aux fins de voir constater qu’elles ont commis des actes de contrefaçon de plusieurs marques, françaises et communautaires, porté atteinte à la renommée de leur marque, et commis des actes de concurrence déloyale, de parasitisme, et de publicité trompeuse ; que les sociétés Google ont soulevé devant le juge de la mise en état l’incompétence de la juridiction française pour connaître des demandes à l’encontre de la société Google Inc., concernant les liens apparus sur les sites Google.de et Google.co.uk ;
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense
Attendu que les sociétés Google Inc. et Google France soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi, au motif que l’arrêt attaqué n’a pas mis fin à l’instance ;
Mais attendu que l’arrêt ayant déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître des prétentions dirigées contre la société Google Inc. a, en ce qui la concerne, mis fin à l’instance ; qu’il s’ensuit que le pourvoi est immédiatement recevable ;
Sur le premier moyen
Attendu que les sociétés Axa, Avanssur et Direct assurance vie font grief à l’arrêt d’avoir dit le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître des demandes dirigées contre la société Google Inc., alors, selon le moyen, qu’en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; qu’en cas d’actes de contrefaçon, de concurrence ou de publicité déloyales commis sur un site Internet destiné à un public étranger, la compétence des juridictions françaises doit être retenue dès lors que le site, fût-il passif et rédigé en langue étrangère, est accessible sur le territoire français, le préjudice causé par cette diffusion n’étant alors ni virtuel ni éventuel ; qu’en décidant cependant en l’espèce que la simple accessibilité en France des sites Internet google.de, google.co.uk et googIe.ca «destinés aux publics allemand, britannique et canadien» était insuffisante à fonder la compétence des juridictions françaises et que celle-ci supposait en outre que les sites litigieux aient un «impact économique» sur le public français, la cour d’appel a violé l’article 46 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l’arrêt retient que les liens commerciaux litigieux sont apparus sur les sites google.de, google.co.uk et google.ca destinés aux publics allemand, britannique et canadien de langue anglaise, que les sites mis en cause renvoient eux-mêmes vers des sites étrangers, et sont exclusivement rédigés en langue anglaise et allemande ; qu’il ajoute qu’il ne résulte pas des éléments de la procédure que ces sites aient, de manière délibérée ou non, un impact économique sur le public français ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que les annonces n’étaient pas destinées au public de France, la cour d’appel a exactement décidé que la juridiction française n’était pas compétente pour connaître des demandes dirigées contre la société Google Inc. relatives à ces annonces ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche
Attendu que les sociétés Axa, Avanssur et Direct assurance vie font encore à l’arrêt le même grief, alors, selon le moyen, que s’agissant des demandes formulées par les sociétés exposantes relativement aux liens Adwords apparus sur les sites étrangers google.de, google.co.uk et google.ca, la cour d’appel s’est également bornée à énoncer de façon générale que «n’était pas caractérisée l’existence d’un lien étroit de connexité en l’absence d’une situation de fait ou de droit identique entre les sociétés Google Inc. et Google France» ; qu’en s’abstenant de rechercher si dans le cadre de sa mission d’assistance de la clientèle située en France, la société Google France ne donnait pas aux internautes connectés sur le territoire français les moyens d’accéder aux sites à codes pays étrangers, ce qui établissait l’existence d’un lien de connexité entre les demandes dirigées à l’encontre des sociétés Google France et Google Inc., la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d’appel n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Vu l’article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que l’arrêt a dit le tribunal de grande instance incompétent pour connaître des prétentions émises par les sociétés Axa, Avanssur et Direct assurance vie à l’encontre de la société Google Inc. ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la compétence de cette juridiction n’était pas contestée, s’agissant des liens commerciaux apparus sur le site Google.fr, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l’article 627 du code de procédure civile ;
DECISION
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
. Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître des demandes formées par les sociétés Axa, Avanssur et Direct assurance vie contre la société Google Inc., relatives aux liens apparus sur le site Google.fr, l’arrêt rendu le 6 juin 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
. Dit n’y avoir lieu à renvoi ;
. Dit le tribunal de grande instance de Paris compétent pour statuer sur ces demandes ;
. Condamne les sociétés Google France et Google Inc. aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
. Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Moyens produits par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Axa, de la société Avanssur et de la société Direct assurance vie
Premier moyen de cassation
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître des prétentions émises par les sociétés Axa, Avanssur et Direct Assurance Vie à l’encontre de la société Google Inc. ;
Aux motifs que «sauf à vouloir conférer systématiquement, dès lorsque les faits incriminés ont pour support technique le réseau internet, une compétence territoriale aux juridictions françaises, il convient de rechercher et de caractériser, dans chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué ; que compte tenu de l’universalité de ce réseau, appliquer le critère de la simple accessibilité aurait nécessairement pour conséquence d’institutionnaliser la pratique du forum shopping ; qu’en l’espèce, il convient de relever que les liens Adwords de la société appelante ne sont pas apparus sur le site www.google.fr destiné au public français, mais et sur les sites www.googIe.de, www.google.co.uk et www.google.ca destinés aux publics allemand, britannique et canadien de langue anglaise ;
qu’il n’est pas sans intérêt de relever, ainsi que le mentionne à juste titre la société Google Inc., que pour tout internaute, le « codepays »-fr pour la France, uk pour le Royaume-Uni, ca pour le Canada et de pour l’Allemagne, marque le rattachement du site concerné avec le marché de ce pays, ces codes constituant une indication descriptive comprise par tout internaute comme une référence au pays concerné ; qu’en outre, les sites mis en cause par les sociétés intimées renvoient eux-mêmes vers des sites étrangers ; qu’enfin ces sites sont exclusivement rédigés en langues anglaise et allemande ; qu’enfin, force est de constater que dans ses dernières écritures signifiées devant la Cour qui seules doivent être prises en considération, les sociétés intimées si elles allèguent l’existence d’un préjudice de principe dès lors qu’il n’est pas précisément caractérisé, ne le justifient, en tout état de cause, nullement alors même que, au surplus, seul celui subi sur le territoire national peut être réparé par une juridiction française ; qu’il ne résulte donc pas des éléments de la procédure que les sites litigieux ont, de manière délibérée ou non, un impact économique sur le public français» ;
Alors qu’en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi qu’en cas d’actes de contrefaçon, de concurrence ou de publicité déloyales commis sur un site Internet destiné à un public étranger, la compétence des juridictions françaises doit être retenue dès lors que le site, fût-il passif et rédigé en langue étrangère, est accessible sur le territoire français, le préjudice causé par cette diffusion n’étant alors ni virtuel ni éventuel ; qu’en décidant cependant en l’espèce que la simple accessibilité en France des sites internet google.de, google.co.uk et google.ca « destinés aux publics allemand, britannique et canadien » était insuffisante à fonder la compétence des juridictions françaises et que celle-ci supposait en outre que les sites litigieux aient un « impact économique » sur le public français, la Cour d’appel a violé l’article 46 du nouveau Code de procédure civile.
Second moyen de cassation
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître des prétentions émises par les sociétés Axa, Avanssur et Direct Assurance Vie à l’encontre de la société Google Inc. ;
Aux motifs qu’ «en l’espèce, il convient de relever que les liens Adwords de la société appelante ne sont pas apparus sur le site www.google.fr destiné au public français, mais et sur les sites www.google.de, www.google.co.uk et www.google.ca destinés aux publics allemand, britannique et canadien de langue anglaise» ;
Et que «les sociétés intimées ne critiquent pas sérieusement l’argumentation développée par la société appelante au soutien de sa demande d’irrecevabilité puisque, rappelant que la procédure a été également initiée à l’encontre de la société Google France, elles se bornent à demander l’application des dispositions de l’article 42, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile qui disposent qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un d’entre eux ; qu’elles font valoir qu’en l’absence de convention internationale entre la France et le pays d’origine du défendeur à la procédure, circonstance de l’espèce dès lors que les Etats-Unis ne sont pas partie à la Convention de Bruxelles, les règles de compétence judiciaire territoriale interne déterminent les règles de compétence judiciaire internationale de sorte qu’elles seraient en droit d’attraire la société Google Inc., société dont le siège social est situé aux Etats-Unis, devant la juridiction parisienne du lieu du domicile social de la société Google France ; mais que la prorogation de compétence instituée par le texte précité, effectivement applicable dans l’ordre international, suppose que les diverses demandes, dirigées contre des défendeurs différents, soient dans un lien étroit de connexité ;
que, en outre, il convient d’apprécier si la partie défenderesse qui fixe la compétence, peut être regardée comme étant une partie réelle et sérieuse, et non une personne n’ayant qu’un lien artificiel avec le litige et contre laquelle le demandeur agirait afin d’établir une compétence française à l’encontre d’un codéfendeur ; qu’il y a lieu de relever, d’abord que la société Google Inc. est la seule propriétaire des sites litigieux, ensuite que la technologie Adwords appartient également à cette société, encore qu’elle exploite personnellement les espaces publicitaires disponibles sur l’ensemble de ces sites, alors que la société Google France ne déploie qu’une activité de sous-traitant de la maison mère américaine en charge exclusivement d’une mission d’assistance auprès de la clientèle française ;
qu’en effet le contrat de marketing intervenu le 16 mai 2002 entre la société Google Inc. Et la société Google France dispose, en son article 2.1, que, notamment, «en fournissant un support d’assistance à la vente, le prestataire de services [la société Google France] comprend et accepte qu’il n’a pas l’autorité d’engager la société [la société Google Inc.] ou de contracter pour le compte de celle-ci, pour agir en tant que mandataire ou déclarer qu’il est autorisé à agir en tant que mandataire pour le compte de la société, pour créer ou accepter toute obligation pour le compte de la société ou au nom de la société, ou signer tout contrat pour le compte de la société. Plus spécifiquement, le prestataire de services ne devra pas négocier de contrats ou de licences pour le compte de la société ou accepter des commandes pour le compte de la société et il devra informer les clients ou clients potentiels des restrictions de compétence pesant sur lui» ; qu’ainsi, à l’évidence, n’est pas caractérisée l’existence d’un lien étroit de connexité en l’absence d’une situation de fait et de droit identique entre les sociétés Google Inc. et Google France de sorte que le tribunal de grande instance de Paris est incompétent pour connaître des prétentions émises par les sociétés intimées à l’encontre de la société Google Inc.» ;
Alors que, d’une part, les sociétés exposantes ont formé des demandes à l’encontre des sociétés Google Inc. et Google France en raison de liens hypertextes apparus tant sur le site français google.fr que sur les sites étrangers google.de, google.co.uk et google.ca ; que les sociétés Google n’ont contesté, ni en première instance, ni en appel (cf. conclusions, p. 3 et 25), la compétence des juridictions françaises pour ce qui est de la mise en cause de la société Google Inc. à raison des liens hypertextes apparus sur le site google.fr ; qu’en relevant cependant «que les liens Adwords de la société appelante ne sont pas apparus sur le site www.google.fr destiné au public français, mais et sur les sites www.google.de, www.google.co.uk et www.google.ca destinés aux publics allemand, britannique et canadien de langue anglaise», la Cour d’appel a dénaturé les termes du litige en violation de l’article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Alors que, d’autre part, en s’abstenant de provoquer les observations des parties sur les liens Adwords concernant le site google.fr, la Cour d’appel a en tout état de cause méconnu le principe du contradictoire et violé l’article 16 du Nouveau Code de procédure civile ;
Alors qu’en outre, lorsqu’il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux ; que cette prorogation de compétence, applicable dans l’ordre international, peut être mise en œuvre dès lors qu’il existe un lien étroit de connexité entre les demandes dirigées contre les différents défendeurs ; qu’en l’espèce, une partie des demandes formulées par les sociétés exposantes contre les sociétés Google France et Google Inc. concernaient des liens Adwords apparus sur le site français google.fr ; qu’en se bornant cependant à énoncer, pour décider que le tribunal de grande instance de Paris était incompétent pour connaître l’ensemble du litige opposant les sociétés Axa, Avanssur et Direct Assurance Vie à la société Google Inc., que « n’était pas caractérisée l’existence d’un lien étroit de connexité en l’absence d’une situation de fait ou de droit identique entre les sociétés Google Inc. Et Google France », sans préciser en quoi l’action relative au site google.fr, intentée contre la société Google Inc., ne serait pas liée à l’action identique, concernant ce même site, dirigée contre la société Google France, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 42, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Alors qu’enfin, s’agissant des demandes formulées par les sociétés exposantes relativement aux liens Adwords apparus sur les sites étrangers google.de, google.co.uk et google.ca, la Cour d’appel s’est également bornée à énoncer de façon générale que «n’était pas caractérisée l’existence d’un lien étroit de connexité en l’absence d’une situation de fait ou de droit identique entre les sociétés Google Inc. Et Google France» ; qu’en s’abstenant de rechercher si, dans le cadre de sa mission d’assistance de la clientèle située en France, la société Google France ne donnait pas aux internautes connectés sur le territoire français les moyens d’accéder aux sites à codes pays étrangers, ce qui établissait l’existence d’un lien de connexité entre les demandes dirigées à l’encontre des sociétés Google France et Google Inc., la Cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article 42, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile.
La Cour : Mme Favre (président), Mme Farthouat-Danon (conseiller référendaire rapporteur), M. Petit (conseiller)
Avocats : SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Piwnica et Molinié
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.