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Jurisprudence : Logiciel

mercredi 08 décembre 2004
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Cour d’appel de Versailles 12ème chambre, section 1 Arrêt du 07 octobre 2004

Apsys / Coved Industries et autres

contrat - contrefaçon - logiciel

FAITS ET PROCEDURE

Le 20 juillet 1998, un contrat relatif à la fourniture d’un logiciel de gestion de planning ainsi que d’un logiciel de gestion de facturation et statistiques a été passé entre la société Apsys et la société Sorediv France, filiale de la société Alcor, aux droits de laquelle vient la société Seche environnement.

Ces logiciels, livrés au mois de décembre 1998, ont été mis en exploitation au mois de janvier 1999. Ils ont été facturés le 8 décembre 1998 pour un montant de 116 892 F TTC.

Les deux développements ont fusionné en un seul ensemble logiciel dénommé par les parties « Logiciel Apsys » ou « logiciel MKGT ».

Le 1er octobre 1999, Chabane K., informaticien, a été embauché par la société Apsys.

Des pourparlers ont eu lieu ensuite entre la société Apsys et la société Alcor en vue d’une utilisation exclusive de ce logiciel, puis d’une cession des droits de propriété intellectuelle le concernant moyennant un prix de 2 500 000 F. Ces discussions n’ont pas abouti.

Le 9 août 2000, Chabane K. a présenté sa démission.

Ayant appris que Chabane K. avait été embauché par la suite par la société Sorediv et reprochant à cette société ainsi qu’à la société Alcor d’avoir débauché Chabane K. pour s’approprier de manière illicite le logiciel destiné à la planification et à la gestion des retraitements de déchets industriels et poursuivre ainsi de développement de nouvelles fonctionnalités et modules de ce logiciel, la société Apsys a fait assigner les société Sorediv et Alcor devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir juger qu’elle avaient commis des actes de concurrence déloyale et obtenir leur condamnation avec exécution provisoire à leur payer la somme de 3 000 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que 30 000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

En défense, les sociétés Sorediv et Alcor se sont opposées à cette demande et ont conclu à la condamnation de la société Apsys à leur payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts, avec capitalisation des intérêts, 30 000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc. Elles sollicitaient en outre la publication du jugement à intervenir.

Chabane K. est intervenu volontairement à l’instance et a conclu, à titre principal, au débouté de la société Apsys. A titre subsidiaire, il a conclu au sursis à statuer dans l’attente de la décision du tribunal de grande instance de Versailles, saisi d’une procédure distincte et devant statuer sur la propriété du logiciel MKGT. Il sollicitait en outre la condamnation de la société Apsys à lui payer la somme de 200 000 F pour procédure abusive et 20 000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Par jugement du 29 avril 2003, le tribunal de commerce de Nanterre a rejeté une fin de non recevoir soulevée par la société Seche environnement, laquelle prétendait que le débauchage de Chabane K. ne concernait que la société Sorediv, filiale de la société Alcor, et non sa société mère, la société Alcor. Le tribunal a jugé que c’était bien la société Alcor, société mère, qui s’était portée candidate à l’acquisition des droits de propriété intellectuelle attachés au logiciel litigieux, si bien que la fin de non recevoir devait être rejetée.

Sur la demande en concurrence déloyale, le tribunal a observé que le contrat de Chabane K. ne contenait aucune clause de non concurrence et que son embauche par la société Sorediv, qui n’était pas une concurrente de la société Apsys, n’avait pas été à l’origine d’un détournement de clientèle dont elle aurait été victime, ni d’un détournement de son savoir faire, aucune preuve n’étant rapportée en ce sens. Le tribunal a donc débouté la société Apsys de la demande formée de ce chef.

Le tribunal a ensuite jugé qu’il n’était pas établi que la société Sorediv, qui disposait d’un droit d’utilisation, se soit appropriée de nouveaux développements du logiciel litigieux, et en particulier entre le 1er octobre 1999 et le mois de mars 2000, période pendant laquelle Chabane K. avait été salarié de la société Apsys.

Il en a conclu que la responsabilité des sociétés Sorediv et Alcor ne pouvait être retenue, sans qu’il soit nécessaire de surseoir à statuer dans l’attente de la décision à intervenir sur la propriété du logiciel.

S’agissant de l’intervention volontaire de Chabane K., le tribunal a jugé qu’il n’était pas compétent pour statuer sur la propriété du logiciel, et a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par Chabane K. contre la société Apsys, aucun élément n’établissant que la société Apsys ait cherché à le discréditer envers ses nouveaux employeurs.

Le tribunal a également rejeté les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive formées par la société Sorediv et la société Seche environnement, et a condamné la société Apsys à leur payer une indemnité de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc. Il a également condamné Chabane K. à payer une indemnité de 1000 € sur le même fondement à la société Apsys.

Appelante, la société Apsys conclut à la réformation du jugement entrepris et au débouté des intimés.

Elle conclut tout d’abord au sursis à statuer dans l’attente de la décision qui sera rendue par la première chambre de la cour de ce siège appelée à statuer sur la propriété du logiciel. Elle précise que par arrêt du 25 septembre 2003, la cour a ordonné une mesure d’expertise et indique qu’elle s’apprête à demander la nullité du rapport déposé par l’expert pour de multiples motifs qu’elle expose. Elle considère qu’en l’état de cette procédure actuellement en cours, Chabane K. ne peut lui demander des dommages-intérêts.

A titre subsidiaire, la société Apsys fait valoir que « l’intelligence du logiciel » a été créée par elle, et que ce logiciel n’était pas encore développé lorsque Chabane K. a été embauché par elle le 1er octobre 1999.

Elle considère que Chabane K. a été engagé de manière malicieuse par les sociétés Alcor et Seche environnement dans le seul but de s’approprier le logiciel commandé à la société Apsys et de poursuivre le développement de certaines fonctionnalités et modules en bénéficiant des connaissances de Chabane K.

Elle demande la condamnation des sociétés Sorediv et Seche environnement à lui payer la somme de 886 122 € à titre de dommages-intérêts ainsi qu’une indemnité de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Intimée, les sociétés Seche environnement et Sorediv concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Apsys de sa demande et à son information en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. Elles demandent à nouveau la condamnation de l’appelante à leur verser la somme de 30 490 € pour procédure abusive avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts à compter du 13 mars 2001, outre une indemnité de 1600 € chacune sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Au soutien de leur position les sociétés Seche environnement et Sorediv font valoir pour l’essentiel que le débat relatif à la qualité d’auteur du logiciel MKGT n’a aucune incidence dans le présent litige. Elles indiquent que la société Sorediv a exploité le logiciel MKGT pendant plus d’un an, et que son droit d’utilisation, auquel elle n’a pas renoncé, ne peut être contesté.

A titre subsidiaire, elles font que le rapport d’expertise ordonné par la cour de ce siège ne peut être sérieusement critiqué.

Les sociétés Seche environnement et Sorediv observent que la société Apsys ne pouvait agir en tant qu’auteur du logiciel MKGT, seul Chabane K. ayant la qualité d’auteur exclusif. Elles soulignent que la société Apsys n’a eu qu’un rôle secondaire dans la phase de création du logiciel, se bornant à une fourniture de moyens et à l’élaboration du cahier des charges. Elles considèrent que le logiciel MKGT n’est ni une œuvre de collaboration, ni une œuvre collective, si bien que la société Apsys ne peut prétendre à la qualité de co-auteur. Elles observent que lorsque Chabane K. a déposé les codes sources, la société Apsys s’est abstenue de déposer plainte pour vol.

Les sociétés intimées contestent qu’un développement complémentaire ait été réalisé pendant la durée du contrat de travail de Chabane K.

Stigmatisant la mauvaise foi de la société Apsys et son absence de préjudice, les sociétés Seche environnement et Sorediv forment à son encontre une demande en dommages-intérêts pour procédure abusive en réparation de leur préjudice qu’elles évaluent à 30 490 € HT.

Pour sa part, Chabane K., intimé et appelant incidemment, conclut à l’infirmation du jugement qui l’a débouté de ses demandes. Il demande à la cour de juger que les allégations de vol proférées à son encontre par la société Apsys portent atteinte à son honneur et à sa dignité et sont constitutives d’un préjudice dont il demande la réparation par l’allocation d’une somme de 60 000 € à titre de dommages-intérêts. Il sollicite en outre une indemnité de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

En substance, Chabane K. rappelle qu’il ressort du rapport d’expertises de M. Thorin, expert judiciaire désigné par la 1ère chambre de la cour de ce siège dans l’instance qui l’oppose à la société Apsys, qu’il est l’unique auteur du rapport MKGT développé et installé au sein de la société Sorediv en décembre 1998, et que les logiciels « Transql » et « Facturation au fil de l’eau » sont des applications totalement distinctes.

Il souligne que le rapport d’expertise, dont il rappelle la teneur, réduit à néant l’argumentation de la société Apsys, tant pour la revendication des droits d’auteur sur le logiciel, que pour l’action en concurrence déloyale initiée à l’encontre des sociétés Sorediv et Seche environnement.

Chabane K. reproche à la société Apsys d’avoir cherché depuis plusieurs années à le discréditer auprès de son nouvel employeur, la société Sorediv, et forme en conséquence une demande en dommages-intérêts.

Dans d’ultimes conclusions, la société Sorediv a dénoncé aux parties sa nouvelle dénomination sociale à savoir société « Coved industries & services ».

DISCUSSION

Sur la demande de sursis à statuer :

Considérant que le logiciel MKGT a été livré à la société Sorediv par la société Apsys en décembre 1998 et a été utilisé par la société Sorediv pendant plus d’un an sans contestation ni réserve de la part de la société Apsys.

Considérant que la société Apsys demande à la cour de surseoir à statuer dans l’attente de la décision qui sera rendue par une autre formation de la cour du siège appelée à statuer, après expertise, sur la propriété du logiciel MKGT.

Mais considérant qu’à l’occasion du présent litige, il est indifférent de déterminer qui est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur le logiciel MKGT dès lors que la société Sorediv a été régulièrement investie d’un droit d’exploitation sur ce logiciel et qu’il ne peut donc lui être reproché de l’avoir détourné.

Considérant que si diverses propositions ont été faites à la société Sorediv tendant d’abord à lui conférer une licence exclusive d’exploitation, puis ensuite une cession des droits de propriété intellectuelle sur ce même logiciel, le refus de ces propositions par la société Sorediv ne peut être interprété comme une renonciation de celle-ci à son droit d’utilisation.

Considérant en conséquence qu’il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de sursis à statuer formée par la société Apsys, ainsi qu’en ont décidé les premiers juges.

Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur la demande en dommages-intérêts de la société Apsys.

Considérant que la société Apsys reproche à la société Coved industries & services (anciennement société Sorediv France) et à la société Seche environnement (anciennement Alcor) d’avoir commis à son encontre des actes de concurrence déloyale en débauchant Chabane K. et s’appropriant de manière illicite le logiciel MKGT.

Mais considérant en premier lieu que Chabane K., qui a été embauché par la société Apsys du 1er octobre 1999 au 9 août 2000, n’était lié à cette dernière par aucune clause de non concurrence, si bien qu’il était libre de signer un contrat de travail le 1er septembre 2000 avec la société Sorediv.

Considérant qu’il n’est rapporté aucune preuve d’un détournement de savoir-faire de la société Apsys, cette dernière minorant par ailleurs le rôle joué par Chabane K. dans le développement du logiciel MKGT.

Qu’il n’est pas davantage justifié d’un détournement de clientèle.

Considérant enfin que les sociétés Apsys d’une part, et Sorediv et Alcor d’autre part, n’étaient pas dans une situation de concurrence.

Considérant que l’embauche de Chabane K. par la société Sorediv ne peut constituer un acte de concurrence déloyale commis au détriment de la société Apsys.

Considérant en deuxième lieu qu’aucune des pièces communiquées ne permet d’établir que la société Sorediv, qui était titulaire d’un droit d’exploitation du logiciel MKGT, se soit appropriée de nouveaux développements de ce logiciel, ni que de nouvelles fonctionnalités aient été ajoutées au logiciel MKGT entre le 1er octobre 1999 et le 9 août 2000, période pendant laquelle Chabane K. a été salarié de la société Sorediv.

Considérant en particulier qu’il n’est pas établi que les deux logiciels « Transql » et « Facturation au fil de l’eau » constituent des extensions du logiciel MKGT.

Considérant que le jugement entrepris, qui a débouté la société Apsys de sa demande en dommages-intérêts, sera donc confirmé.

Sur les demandes de Chabane K. :

Considérant que Chabane K., se fondant sur les conclusions de l’expertise judiciaire qui l’a désigné comme seul auteur et propriétaire du logiciel MKGT, forme une demande en dommages-intérêts contre la société Apsys qui l’a accusé de faits de vols.

Mais considérant que la présente procédure n’a pas pour objet de déterminer qui est propriétaire du logiciel MKGT.

Considérant qu’il n’est pas établi qu’en introduisant la présente procédure en concurrence déloyale, la société Apsys ait eu pour dessein de discréditer Chabane K. auprès de ses nouveaux employeurs.

Considérant qu’il appartiendra à l’autre formation de la cour, appelée à statuer sur la propriété du logiciel MKGT, d’apprécier la validité et la portée du rapport d’expertise, et de statuer sur la demande de dommages-intérêts également formée par Chabane K. à l’occasion de cette autre procédure.

Considérant que le jugement entrepris, qui a débouté Chabane K. de sa demande indemnitaire, sera donc confirmé sur ce point;

Sur la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive formée par les sociétés Seche environnement et Coved industries & services :

Considérant qu’il n’est pas établi que la présente procédure ait été introduite dans l’intention de nuire aux sociétés Seche environnement et Coved industries & services, lesquelles ne justifient d’ailleurs pas du préjudice dont elles demandent réparation.

Qu’il y a donc lieu de les débouter de leur demande en dommages-intérêts.

Sur l’application de l’article 700 du ncpc :

Considérant que l’équité justifie qu’une indemnité globale de 1500 € soit allouée aux sociétés Seche environnement et Coved industries & services.

Considérant que les autres demandes formées sur le fondement de ce texte seront rejetées.

DECISION

Statuant publiquement et contradictoirement,

. Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris.

. Condamne la société Apsys à payer aux sociétés Seche environnement et Coved industries & services une indemnité globale complémentaire de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,

. Déboute la société Apsys de ses autres demandes,

. Condamne la société Apsys aux dépens de l’instance.

La cour : M. Alain Raffejeaud (président), Mme Marie Josée Valantin et M. André Chapelle (conseillers)

Avocats : Me Olivier Groc, Me De Roquefeuil, Me Christian Mour

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.