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Jurisprudence : Vie privée

lundi 26 janvier 2009
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Ordre des médecins d’Ile de France Chambre disciplinaire de 1ère instance Décision du 02 décembre 2008

N. G. / Dr M. H.

photographie - secret professionnel - site internet - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Vu, enregistrés au greffe de la chambre disciplinaire le 24 juillet 2007, la plainte, en date du 15 novembre 2006 présentée par madame N. G., élisant domicile à Clichy, transmise par le conseil départemental de la Ville-de-Paris, dont le siège est à Paris, et le procès-verbal de la séance du 14 mai 2007 dudit conseil ; madame
G. demande à la chambre de prononcer une sanction à l’encontre du docteur M.
H., qualifié en médecine générale, élisant domicile à Paris ;

Mme G. soutient que le Dr H., qui l’a opérée d’une liposculpture du menton, aurait mis des photos d’elle sur internet, sans flouter le visage ; que d’autres photos apparaissant en dessous des siennes prêtent à confusion et ont donné lieu à dérision de la part de personnes de son entreprise ; qu’en outre, elle affirme que c’est le Dr H. qui lui a proposé en échange de son retrait de plainte une somme de 25 000 € pour l’aider à élever son fils ; qu’elle conteste donc toute tentative d’escroquerie de sa part ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 31 mars 2008 et le 25 novembre 2008 les mémoires présentés par maître Bluet pour le Dr H., tendant au rejet de la plainte ;

Le Dr H. soutient que pour moderniser ses modes d’information, il a projeté la création d’un site internet pour la réalisation duquel il a fait appel à un professionnel, ingénieur en informatique ; que le grief de Mme G., d’utilisation de son image non floutée, s’inscrit dans la phase préparatoire de création d’une maquette du site ; maquette qui n’est pas conçue pour être accessible, le site n’étant par ailleurs pas référencé ; qu’en outre, l’informaticien atteste que toutes les photos figurant sur la maquette étaient floutées ; qu’en outre, l’examen comparatif des photos produites par Mme G. et de celles figurant sur la maquette met en évidence une différence de résolution ; qu’il en conclut donc que son site a été pillé et qu’il s’agit d’une manipulation d’image ; qu’il conteste le préjudice que Mme G. dit avoir subi et qui à son avis devait simplement servir de base à la tentative d’escroquerie tentée par un intermédiaire au profit de Mme G. ;

[…]

DISCUSSION

Considérant que le docteur M. H. est poursuivi sur plainte de madame N. G. adressée le 15 novembre 2006 au conseil départemental de l’Ordre des médecins de la Ville-de-Paris qui a décidé, aux tenues du procès-verbal de sa séance du 14 mai 2007 de la transmettre au conseil régional de l’Ordre des médecins en application des dispositions de l’article L. 4123-2 du code de la santé publique ;

Considérant que la plaignante reproche au docteur H. d’avoir publié sur un site informatique des photographies d’elle-même et d’autres patientes permettant leur identification et revêtant un caractère publicitaire ;

Considérant qu’aux termes de l’article R. 4127-73 du code de la santé publique : «Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu’il a soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de ces documents. Il en va de même des informations médicales dont il peut être le détenteur. Le médecin doit faire en sorte, lorsqu’il utilise son expérience ou ses documents à des fins de publication scientifique ou d’enseignement, que l’identification des personnes ne soit pas possible. A défaut, leur accord doit être obtenu.» ; qu’aux termes de l’article R. 4127-19 : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale. »

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le docteur H. a entrepris et poursuivi, pendant environ trois années, avec l’aide de l’informaticien dont il a produit l’attestation, la mise en place d’un site informatique dit www.esthetics ; que ce site s’est révélé à plusieurs occasions accessible au public ce que reconnaît au demeurant l’intéressé quand il admet avoir donné l’adresse de ce site à une de ses patientes venue le consulter, laquelle en accédant audit site en août 2006 découvrit les photographies de Mme G. et l’identifia sans difficultés ;
qu’il est établi que ce site comportait des photographies de clientes du docteur H., certaines dénudées, sans que, à supposer même que ces publications aient eu un objet scientifique, le consentement de ces clientes ait été recueilli, et que, par ailleurs, quel qu’ait pu être le soi-disant procédé de floutage utilisé, l’identification des patientes ainsi exposées était aisée ; que, comme il a été dit plus haut, ce site s’est révélé accessible à des tiers sans difficultés majeures peu important en l’espèce la circonstance qu’il se soit agi d’un site expérimental non vraiment mis en ligne ou d’un site personnel mal protégé ;
qu’ainsi le docteur H. s’est rendu coupable de graves manquements aux obligations posées par les articles R.4127-73 et R.4127-19 précités du code de la santé publique ainsi que de violation du secret professionnel (article R.4127-4 dudit code) ;

Considérant que la circonstance que Mme G. ait imprudemment ou maladroitement accepté, à un moment donné, de mener une transaction financière avec le docteur H. est en tout état de cause sans influence sur la nature et la gravité des manquements déontologiques dont il s’est rendu coupable ;

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des fautes commises par le docteur H. en lui infligeant la sanction de l’interdiction d’exercice pendant trois ans dont un an ferme ;

Sur les frais et dépens

Considérant qu’aux termes de l’article R 4126-42 du code de la santé publique : «L’article R 761-1 du code de justice administrative est applicable devant les chambres disciplinaires» et qu’aux termes de l’article R 761-1 du code de justice administrative : « Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partages entre les parties » ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du docteur H., partie perdante, les frais et dépens de la présente instance, qui se sont élevés à la somme de 174,22 €, en application des dispositions précitées du code de la santé publique et du code de justice administrative ;

Considérant, enfin, que la plainte ayant été enregistrée au greffe de la chambre disciplinaire du conseil régional de l’Ordre des médecins après le 1er juillet 2007, madame G. a la qualité de partie à l’instance ; que ses conclusions tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative sont recevables et qu’il y a en conséquence lieu de condamner le docteur H. à verser à madame G. la somme de 3000 € qu’elle demande sur le fondement de ce texte ;

DECISION

Article 1 : la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant trois ans dont deux ans avec sursis est prononcée à l’encontre du docteur H.

Article 2 : sous réserve d’être devenue définitive à ladite date, cette sanction prendra effet, pour la part non soumise au bénéfice du sursis, à compter du 1er avril 2009 à O heure pour finir le 31 mars 2010 à minuit.

Article 3 : les frais de la présente instance s’élevant à 174,22 euros seront supportés par le Dr H. et devront être réglés, par chèque libellé à l’ordre du «Conseil régional de l’ordre des médecins d’Ile de France» dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : le docteur H. est condamné à verser à madame G. la somme de 3000 € sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : la présente décision sera notifiée au docteur H., à maître Bluet, à madame G., à maître Dimeglio, au conseil départemental de la Ville-de-Paris, au préfet de Paris (DDASS), au préfet de l’Ile-de-France (DRASS), au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, au conseil national, au ministre chargé de la santé.

Le tribunal : M. Lamy-Rested (président) ; MM. les Drs Delanoé, Garat, Mme le docteur Grone-Richert, MM. les Drs Kruger, Leparc, Sala et Tolédano (membres titulaires).

Avocats : Me Dimeglio, Me Bluet.

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