Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de Grande Instance de Paris, 3ème chambre, 1ère section, jugement du 9 octobre 2014
Playmédia / France Télévisions - FTV
absence d'autorisation - audiovisuel - condamnation - contrat de diffusion - contrefaçon - droit d'auteur - droits voisins - marque - pure player - radiodiffuseur - refus de contracter - site internet - télévision
FAITS ET PRÉTENTIONS
LES PARTIES
la société PLAYMEDIA
Au cours de leurs études à ADVANCIA, école de commerce de la
CCIP à PARIS, courant 2006, MM. CAPPART et GALLOULA ont eu
l’idée de créer un site internet à partir duquel les internautes français
pourraient regarder gratuitement la télévision en direct ou streaming,
par la reprise intégrale et simultanée des programmes des chaînes
diffusées.
Pour ce faire, ils ont créé la société Playmédia, SAS au capital de
212.870 euros, en 2009 qui offre un service de diffusion gratuite et sans
abonnement de chaînes de télévision accessibles sur internet à
l’adresse suivante: « www.playtv.fr ». Ils ont déposé la marque «play
tv» dès le 12 janvier 2007, qu’ils ont apportée à la société
PLAYMEDIA lors de sa constitution.
Le site a été mis en service en février 2009, l’offre de service ayant été
déclarée au CSA le 2 novembre 2009.
La société France Télévisions
La société nationale de programme France Télévisions est éditrice des
services de télévision France 2, France 3, France 4, France 5 et France
Ô c’est-à-dire qu’elle édite ses propres programmes mais également des
oeuvres audiovisuelles produites par des tiers.
Les principaux modes de diffusion des programmes sont :
• la transmission initiale par télévision numérique terrestre (« TNT »);
• la retransmission simultanée et intégrale par satellite;
• la retransmission simultanée et intégrale par câble;
• la retransmission simultanée et intégrale par ADSL pour
réception sur des postes de
télévision (distribution au travers des offres de télévision sur les « box »
des opérateurs ADSL : Orange, Free, Neuf, Bouygues, Darty…);
• et la retransmission simultanée et intégrale pour réception sur
terminaux téléphoniques mobiles (distribution au travers des offres de
télévision des opérateurs mobiles).
Sur le fondement de ses droits exclusifs propres et des
autorisations obtenues des producteurs tiers, la société France
Télévisions a conclu des contrats de reprise de ses programmes
avec l’ensemble des fournisseurs d’accès à internet proposant une offre
de services de télévision, imposant notamment à ces derniers le respect
des conditions imposées par les ayants droit.
Notamment, la diffusion des programmes de France Télévisions par
ces plate-formes s’opère uniquement en réseau fermé à l’arrière d’une
« box » (boîtiers ADSL) ou dans le cadre d’un abonnement mobile, et
tous les contrats excluent la retransmission sur internet, c’est-à-dire hors
du réseau fermé de l’opérateur.
Il en est de même pour la partie « mobile », qui n’est offerte que dans le
cadre d’un réseau fermé mobile 3G (utilisation d’une clé mobile ou d’un
ordinateur avec une puce mobile de l’opérateur).
LES FAITS
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 septembre
2009, la société Playmédia a demandé à la société France Télévisions
de préciser pourquoi les FAI et la société ZATTO pouvaient diffuser les
chaînes publiques sans contrat.
La société France Télévisions a répondu par l’envoi d’une mise en
demeure du 29 septembre 2009, suivie d’une autre le 31 décembre 2009
auxquelles la société Playmédia a répondu le 15 janvier 2010.
Lors d’entretiens entre la société Playmédia et la société France
Télévisions, il a été énoncé par cette dernière l’impossibilité d’accorder
une autorisation de diffusion par internet au motif de l’absence de
disposition de tels droits sur certains programmes.
Sur la proposition faite par MM. CAPPART et GALLOULA que la
société France Télévisions dénonce à la société Playmédia, sous
préavis de 24 heures, les programmes sur lesquels les droits internet de
diffusion ne seraient pas disponibles, de manière que la société
Playmédia puisse suspendre le flux pendant les émissions concernées,
il a été répondu que, si tel devenait le cas, alors l’obligation de « must
carry » ne serait plus respectée par la société Playmédia , ce qui serait
contraire à la loi, et qu’une telle hypothèse n’était donc pas
envisageable.
La société Playmédia a en conséquence décidé de passer outre le refus
d’accord opposé par FTV, mais n’a pas saisi le CSA d’une demande
d’injonction à l’encontre de société France Télévisions.
Dans ce contexte et selon la société Playmédia , la mise à disposition
des flux antenne des chaînes publiques sur le site « pluzz », lancé par
la société France Télévisions le 10 avril 2012, d’une part fonctionne
économiquement de la même manière que le site « play TV » de la
société Playmédia, mis en service en février 2009, et d’autre part
bénéficie d’une promotion indirecte, permanente et gratuite sur les
diverses chaînes de la société France Télévisions qui, par inclusion
d’une mention en fin d’émissions, incitent les téléspectateurs à
consulter son site dans le cadre de la télévision de rattrapage, dans des
conditions susceptibles de constituer une distorsion de concurrence,
éventuellement même une forme de concurrence déloyale à l’égard des
autres sites de consultation de télévision.
Le 3 juillet 2012, la société France Télévisions a mis en ligne un
service d’annonce des programmes de télévision, encore limité à 19
chaînes à l’été 2012 et une application spécifique à internet, dite
«Salto».
C’est dans ces conditions que la société Playmédia a fait assigner la
société France Télévisions en concurrence déloyale devant le tribunal
de commerce de Paris par acte du 25 mai 2012.
Ce dernier s’est déclaré incompétent par un jugement rendu sur le siège
le 24 octobre 2012 ; la cour d’appel de Paris, sur contredit de la société
Playmédia a, par arrêt du 15 janvier 2013, confirmé la compétence du
tribunal de grande instance de Paris et condamné la société Playmédia
à payer 3.000 € à la société France Télévisions au titre de l’article 700
du code de procédure civile.
LES AUTRES PROCÉDURES
Procédure devant le tribunal de commerce de Paris
A la suite d’une assignation du 30 avril 2012, la société FRANCE
TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ demandait au tribunal de commerce de
Paris :
De juger que le régime de « must carry » n’autorise pas la société
Playmédia à vendre des espaces de publicité associés aux programmes
des chaînes de télévision de la société nationale de programme sans
l’accord préalable de la société FRANCE TÉLÉVISIONS,
De juger que FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ est seule habilitée
à commercialiser des espaces publicitaires associés aux programmes
édités par la société FRANCE TÉLÉVISIONS
De juger que la société Playmédia se livre à des actes de concurrence
déloyale au préjudice de la société FRANCE TÉLÉVISIONS
PUBLICITÉ
D’interdire à la société Playmédia sous astreinte de 5 000 € (CINQ
MILLE EUROS) par infraction et par jour la diffusion de «pré-rolls »
De condamner la société Playmédia à payer à la société FRANCE
TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ 1 146 941 € à titre de dommages-intérêts
en réparation du préjudice subi.
De condamner PLAYMEDIA à lui payer 15 000 € au titre de l’article
700 du code de procédure civile.
Par acte du 25 mai 2012, la société Playmédia a fait assigner la société
FRANCE TÉLÉVISIONS en intervention forcée du fait, notamment,
que les pièces produites par sa filiale la société FRANCE
TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ montraient qu’elles avaient été fournies
par cette dernière, directement à l’origine de l’action intentée par sa
filiale.
Par jugement du 11 décembre 2012, le tribunal de commerce de PARIS
a débouté la société FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ de ses
demandes, et l’a condamnée à payer 10.000 € à la société Playmédia au
titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société FRANCE TÉLÉVISIONS PUBLICITÉ a interjeté appel de
cette décision.
Procédure devant le CSA
Parallèlement à la procédure judiciaire, et avant le jugement du 11
décembre 2012, la société Playmédia avait saisi le CSA du litige
l’opposant à la société France Télévisions le 5 décembre 2012.
La décision du CSA a été rendue le 23 juillet 2013, et acceptée par les
2 parties.
Elle a indiqué (point 8) :
« qu’il importe que, avant la fin de l’année 2013, la société Playmédia
mette fin à la « reprise des services édités par la société France
Télévisions ; que le délai ainsi imparti, « au regard des enjeux du
différend, doit lui permettre d’assurer la mise en conformité de « ses
activités et de rendre également possible, le cas échéant, une
modification des « règles applicables susceptibles de conduire à un
élargissement des conditions de « reprise incluant, le cas échéant, une
contribution compensatoire au bénéfice tiré de la « diffusion de tels
services télévisuels ».
La société Playmédia indique avoir mis en place, dans le respect du
délai imparti, soit dès le1er décembre 2013, un système double de
consultation des chaînes de télévision sur PLAY TV, ce qu’elle a
notifié au CSA le 23 décembre 2013 :
* l’un, d’accès libre, comme par le passé, mais excluant
désormais l’accès aux chaînes publiques.
Pour conduire l’internaute à s’abonner à « play tv » s’il veut accéder
aux chaînes publiques, seul un extrait d’une dizaine de secondes de la
chaîne publique qu’il veut regarder, constituant une brève citation, reste
librement accessible avant d’être bloqué, l’internaute devant passer par
l’abonnement pour accéder à la suite du programme public.
*l’autre, sur abonnement gratuit, permettant l’identification des
abonnés enregistrés et l’accès aux chaînes publiques.
Elle a demandé à la société France Télévisions, par lettre du 11 février
2014, la signature d’une convention, et en a informé en même temps le
CSA.
Le CSA ayant demandé des précisions à la société Playmédia, cette
dernière les a fournies par lettre du 28 février 2014, enregistrée le 4
mars, à la suite de quoi, sur une suggestion de modifications du CSA,
elle a déposé au CSA, le 12 mars 2014 les justificatifs des ultimes
modifications apportées à son site.
Présente procédure devant le tribunal de grande instance de Paris
à la suite de la décision d’incompétence du tribunal de commerce
de Paris.
Dans ses dernières e-conclusions du 14 mars 2014, la société
Playmédia a demandé au tribunal de :
Dire et juger irrecevable et, au moins mal, fondée la société France
Télévisions en ses demandes, fins et conclusions, à quelques fins
qu’elles tendent ; l’en débouter.
Dire et juger recevable la société Playmédia en ses demandes contre
la société France Télévisions l’y déclarant bien fondée :
Donner acte à la société Playmédia de l’aveu de la société France
Télévisions devant le CSA de l’usage, communément admis depuis
2008, que les programmes soient diffusés en «simulcast» sur internet,
même en l’absence de convention d’une telle diffusion.
Constater que la loi du 30 septembre 1986 impose à tout distributeur
de services audiovisuels reconnu par le CSA de reprendre et diffuser à
ses frais entiers, gratuitement pour les spectateurs, la totalité des
chaînes de FRANCE TÉLÉVISIONS de manière intégrale et
simultanée.
Constater que, jusqu’à ses conclusions du 18 février 2014, la société
France Télévisions n’a revendiqué aucune difficulté d’application de
droit d’auteur pour la diffusion d’une oeuvre.
Dire et juger que jusqu’à l’intervention de sa décision du 23 juillet
2013, le CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’AUDIOVISUEL a considéré
les modalités de fonctionnement de PLAYMEDIA conformes à la loi
en le reconnaissant comme distributeur de services audiovisuels, et lui
a fixé un délai au 31 décembre 2013 pour se conformer aux nouvelles
exigences posées par sa décision du 23 juillet 2013.
Constater que PLAYMEDIA s’est conformée à la décision du CSA du
23 juillet 2013 en mettant en place, avant le 31 décembre 2013, un
système d’abonnement.
Dire et juger que les dispositions de la loi du 30 septembre 1986, loi
spéciale, notamment imposant des servitudes aux diffuseurs et éditeurs,
sont d’ordre public, s’appliquent erga omnes, et priment sur les
dispositions du code de la propriété intellectuelle.
Dire et juger que le refus opposé par la société France Télévisions de
donner à la société Playmédia l’autorisation de reprise de ses chaînes
a constitué un abus de droit au regard des dispositions de la loi du 30
septembre 1986.
Dire et juger que l’obligation légale de reprise, transport et mise à
disposition gratuite des clients des chaînes de la société France
Télévisions est exclusive de reversement de tout ou partie des recettes
de publicités collectées par un distributeur.
Condamner la société France Télévisions à payer 75 000 €
(SOIXANTE QUINZE MILLE EUROS) à PLAYMEDIA à titre de
dommages-intérêts à raison du caractère abusif de la procédure et des
demandes fondées sur le refus abusif de la société France Télévisions
de signer un contrat avec la société Playmédia.
Ordonner la publication de la décision à intervenir dans 10 (DIX)
journaux ou revues du choix de la société Playmédia aux frais exclusifs
de la société France Télévisions, dans une limite de 10 000 € (DIX
MILLE EUROS) H.T. par annonce.
Condamner solidairement la société FRANCE TÉLÉVISIONS
PUBLICITÉ et la société France Télévisions à payer à la société
Playmédia 35 000 € (TRENTE CINQ MILLE EUROS) sur le
fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
outre les dépens, dont distraction au profit de la SCP BERNHEIM
ASSOCIES, Avocat, selon les dispositions de l’article 699 du code de
procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 février 2014,
la société France Télévisions a sollicité du tribunal de :
Vu les articles L.113-1, L.121-1, L.331-1-3, L.335-2, L.335-3,
L.335-4 et L.713-2 du code de la propriété intellectuelle 1382 et 1383
du code civil,
Vu le Règlement (CE) n°207/2009 du Conseil du 26 février 2009
sur la marque communautaire, notamment en ses articles 9 et 14,
Vu la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7
mars 2002,
Vu les articles 1er et 34-2 de la loi du 30 septembre 1986,
Vu les pièces produites,
Sur les demandes de la société Playmédia
Débouter la société Playmédia de l’ensemble de ses demandes, fins et
conclusions,
Sur la contrefaçon
Constater que la société Playmédia diffuse sans autorisation ni contrat
depuis au moins le 1er janvier 2010 les programmes constitutifs des
chaînes France 2, France 3, France 4, France 5 et France Ô, sur
son site « PlayTV » accessible à l’adresse “playtv.fr »,
Dire et juger que la société Playmédia ne saurait se prévaloir, pour ces
diffusions, des dispositions de l’article 34-2 de la loi du 30 septembre
1986,
Dire et juger qu’en toute hypothèse, le régime établi par l’article 34-2
de la loi du 30 septembre 1986 exige la conclusion préalable d’un
contrat avec l’organisme de radiodiffusion et ne fait pas exception
aux droits de propriété intellectuelle applicables et à la nécessité
d’obtenir une autorisation à ce titre préalablement à toute diffusion,
En conséquence :
Constater la contrefaçon, par la société Playmédia, des droits
voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle de la société
France Télévisions sur ses programmes France 2, France 3, France 4,
France 5 et France Ô depuis au moins le 1er janvier 2010.
Constater la contrefaçon, par la société Playmédia, des droits
d’auteurs de la société France Télévisions sur les oeuvres
audiovisuelles « Famille d’accueil », « Allo Docteur », « Le jour où tout a
basculé », « Des chiffres et des lettres », « Mot de passe », « C à vous »,
« Chabada », « Faut pas rater ça », « Journal télévisé », « Un village français »
dont la diffusion a été constatée par constats d’huissier en date des 25
et 26 mars 2013 et du 8 octobre 2013.
Constater la contrefaçon, par la société Playmédia, des droits
voisins du producteur de vidéogramme portant sur ces programmes.
Constater la contrefaçon, par la société Playmédia, au travers de
son site « PlayTV », des marques communautaires France 2
n°002599959 et 000684704, des marques françaises France 2 et F2
n°38222290 et 99783655, des marques communautaires France 3
n°002599975 et 002364172, de la marque française France 3
n°92401175, de la marque française France 4 n°3064498, des
marques communautaires France 5 n°002567287 et 002544427 et
des marques françaises France Ô n°3822286 et 3822127.
En conséquence:
Faire interdiction la société Playmédia de reprendre et télédiffuser les
programmes constitutifs des chaînes France 2, France 3, France 4,
France 5 et France Ô, sur son site « PlayTV » ou tout autre site qui
lui serait substitué, sous astreinte de 10.000 euros par infraction
constatée au terme d’un délai de 48 heures suivant la signification
du jugement à intervenir.
Condamner la société Playmédia à verser à la société France
Télévisions la somme de 1.693.549 euros à titre de dommages et
intérêts à raison de l’atteinte à ses droits voisins d’entreprise de
communication audiovisuelle et au titre de ses droits d’auteur et droits
voisins de producteur sur les programmes dont elle est productrice.
Faire interdiction à la société Playmédia d’utiliser les marques
communautaires France 2 n°002599959 et 000684704, les marques
françaises France 2 et F2 n°38222290 et 99783655, les marques
communautaires France 3 n°002599975 et 002364172, la marque
française France 3 n°92401175, la marque française France 4
n°3064498, les marques communautaires France 5 n°002567287 et
002544427 et les marques françaises France Ô n°3822286 et 3822127
sur son site « PlayTV » ou tout autre site qui lui serait substitué, sous
astreinte de 1.000 euros par infraction constatée au terme d’un délai de
48 heures suivant la signification du jugement à intervenir.
Condamner la société Playmédia à verser à la société France
Télévisions la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts
à raison de l’atteinte à ses droits de marque.
Sur la concurrence déloyale
Faire interdiction à la société Playmédia d’exploiter, notamment par
l’insertion de liens profonds, le service de télévision de rattrapage
« Pluzz » de la société France Télévisions, à partir de son site PlayTV ou
de tout site opérant dans des conditions similaires qui lui serait
substitué, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée au
terme d’un délai de 48 heures suivant la signification du jugement à
intervenir.
Condamner la société Playmédia à verser à la société France
Télévisions la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur l’ensemble des dispositions
Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir dans
deux journaux ou périodiques professionnels au choix de France
Télévisions et aux frais de Playmédia, pour une somme maximale de
20 000 euros TTC.
Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant
tout recours et sans constitution de garantie.
Condamner la société Playmédia à verser à la société France
Télévisions la somme de 30.000 euros au titre des dispositions de
l’article 700 du Nouveau “sic”code de procédure civile,
Condamner la défenderesse en tous les dépens, qui pourront être
recouvrés par Maître Kamina conformément aux dispositions de
l’article 699 du code de procédure civile
La clôture a été prononcée le 18 mars 2014.
MOTIFS
sur les demandes de la société Playmédia
La société Playmédia prétend devoir bénéficier du régime du mustcarry
que lui a refusé la société France Télévisions qui a selon elle
commis un abus fautif en lui refusant l’accès aux chaînes de télévision
publiques.
Elle soutient qu’elle a été reconnue par le CSA qui l’affiche comme
distributeur sur son site parmi les 14 autres distributeurs reconnus, que
pour parvenir à son homologation comme distributeur de services de
télévision par le CSA, en novembre 2009, elle aurait eu, entre juillet et
novembre 2009, de multiples échanges avec l’organe de régulation, et
aurait modifié plusieurs paramètres de ses modalités de
fonctionnement.
Elle fait valoir qu’elle aurait pris contact avec tous les organismes
chargés de la collecte des différentes taxes ou contributions à payer
dans le cadre de cette activité, SACEM, ANGOA / AGICOA, COSIP
et… FTV (financement de la suppression de la publicité), de manière
à pouvoir acquitter les redevances dues, sommes qu’elle n’a pas payées
mais qu’elle a provisionnées.
Elle estime que l’obligation légale à elle imposée en tant que
distributeur, de diffuser gratuitement, à ses propres frais, des chaînes de
la société France Télévisions, ne peut entraîner le reversement à la
société France Télévisions d’une part des recettes des «pré-rolls», ce
qui constituerait selon elle au profit de cette dernière un avantage
concurrentiel indu.
La société France Télévisions conteste les demandes de la société
Playmédia au motif que le régime du must-carry est inapplicable aux
faits de l’espèce en raison:
– de l’inéligibilité de Playmédia à ce régime (ce que le CSA a confirmé
sur la seule constatation de l’absence d’abonnés, et ce au minimum pour
toute la période allant de la mise en service du site PlayTV jusqu’à
janvier 2014);
– de l’impossibilité, pour des raisons tirées des droits de propriété
intellectuelle, d’assurer la reprise intégrale des services sur la plateforme
de Playmédia;
– de l’incompatibilité manifeste du service proposé avec les missions
de service public de France Télévisions.
– et plus généralement, du détournement dont ce régime a fait l’objet
par Playmédia dans le cadre de son offre, et ce, au regard des principes
posés par l’article 31 (et le considérant 23) de la directive 2002/22/CE.
sur ce
Le présent tribunal constate que la société Playmédia n’avait pas
obtenu et n’a d’ailleurs toujours pas obtenu l’autorisation de la société
France Télévisions de diffuser l’ensemble des programmes diffusés sur
les chaînes de télévision publique, qu’elle ne dispose d’aucun contrat,
que la décision du CSA rendue le 23 juillet 2013, et acceptée par les
deux parties montre à l’évidence que la société Playmédia n’avait pas
le droit de diffuser les services édités par la société France
Télévisions, qu’elle devait cesser de le faire avant la fin de l’année et
utiliser le délai pour se mettre en conformité avec les dispositions
légales applicables.
Il relève encore que la société Playmédia revendique avoir diffusé sans
contrat et sans accord depuis au moins janvier 2010 les programmes
diffusés par la société France Télévisions, continuer à le faire sans
payer la moindre redevance, éditer des publicités avant la diffusion des
émissions de télévision offertes en streaming, publicités qui financent
son site.
Pour apprécier l’éventuelle responsabilité de la société France
Télévisions pour refus de contracter ce qui constitue la demande de la
société Playmédia au principal, il convient d’apprécier les justifications
tirées du droit d’auteur et des droits voisins, et l’existence d’une
éventuelle dérogation, par la loi du 30 septembre 1986, aux principes
posés par les lois de propriété intellectuelle.
En effet, la loi du 30 septembre 1986 est relative à la liberté de
communication ; elle vise la communication au public par voie
électronique et tend à réglementer les services de communication
audiovisuelle à savoir la communication au public de services de radio
et de télévision.
L’article 34-2-1 de cette loi dispose que “tout distributeur de services
audiovisuels n’utilisant pas de fréquences hertziennes doit mettre
gratuitement à disposition de ses abonnés les chaînes de l’audiovisuel
public diffusées par voie hertzienne”.
Cependant, la société France Télévisions diffuse des programmes
contenant des oeuvres audiovisuelles qu’elle a produites ou qui sont
produites par des tiers et qui, à ce titre, sont protégées par le droit
d‘auteur (article L 122-1 et L122-2 du code de la propriété intellectuelle
relatifs au droit d’exploitation) et par le droit voisin des producteurs de
vidéogrammes (article L 216-1 du même code).
Il appartient donc au présent tribunal de préciser comment s’articulent
les dispositions de la loi du 30 septembre 1986 qui est manifestement
un texte contenant des dispositions spéciales et non générales avec les
dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives aux droit
d’auteur et droits voisins, autres dispositions spéciales, et si la loi du
30 septembre 1986 déroge aux dispositions de la propriété intellectuelle
comme le soutient la société Playmédia.
– les textes applicables aux droits sur les programmes diffusés.
Les droits voisins de radio-diffuseur
Un radio-diffuseur bénéficie en France, sur l’ensemble de ses
programmes (c’est-à-dire sur le signal diffusant ses chaînes,
indépendamment de leur contenu), du droit voisin reconnu aux
entreprises de communication audiovisuelle par l’article L. 216-1 du
code de la propriété intellectuelle, qui dispose :
« Sont soumises à l’autorisation de l’entreprise de communication
audiovisuelle la reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise
à la disposition du public par vente, louage ou échange, leur
télédiffusion, et leur communication au public dans un lieu accessible
à celui-ci moyennant paiement d’un droit d’entrée »
Aux termes de l’article L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle:
« La télédiffusion s’entend de la diffusion par tout procédé de
télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de
messages de toute nature.”
Cette définition large recouvre donc toute forme de diffusion sur
l’internet ce qu’ont confirmé les décisions rendues sur ce point
reconnaissant que la télédiffusion telle que visée à l’article L. 216-1 du
code de la propriété intellectuelle, couvre la retransmission en direct ou
streaming sur l’internet, à destination des internautes, des programmes
diffusés par les chaînes de télévision.
La société France Télévisions bénéficie en France sur l’ensemble de
ses programmes des droits voisins reconnus aux entreprises de
communication audiovisuelle par l’article L. 216-1 du code de la
propriété intellectuelle.
Cette protection est indépendante de la qualité d’oeuvre ou de
l’originalité des contenus diffusés. La seule exigence posée par la loi,
les conventions internationales applicables et le droit de l’Union
européenne, est celle d’une diffusion de programmes par un service de
télévision.
Le programme est une notion plus large que celle d’oeuvre et en
particulier il n’est pas exigé la démonstration de l’originalité du
programme ce qui en fait un droit voisin.
Il se définit comme un ensemble construit de signes, sons et images qui
fait l’objet d’une diffusion par l’entreprise de communication
audiovisuelle.
Le droit de cette dernière naît ainsi de la diffusion des signaux, peu
important que le contenu ait été créé par elle ou par un tiers, ce droit
voisin visant à protéger les investissements engagés par l’entreprise aux
fins de permettre la communication au public de divers contenus.
Contrairement à ce que prétend la société Playmédia, les droits de
communication au public ne sont pas restreints à la seule
communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant
paiement d’un droit d’entrée mais couvre bien tous les modes de
communication au public moyennant un droit d’entrée en l’espèce une
taxe de la redevance pour les chaînes diffusées par la société France
Télévisions.
La Cour de justice de l’Union européenne dans son rendu le 7 mars
2013 dans l’affaire ITV Broadcasting Ltd. e.a. / TVCatchup Ltd (C-
607/11) a confirmé cette interprétation et dit pour droit que :
« La notion de «communication au public», au sens de l’article 3,
paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du
droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit
être interprétée en ce sens qu’elle couvre une retransmission des
oeuvres incluses dans une radiodiffusion télévisuelle terrestre
– qui est effectuée par un organisme autre que le radio-diffuseur
original,
– au moyen d’un flux internet mis à disposition des abonnés de cet
organisme qui peuvent recevoir cette retransmission en se connectant
au serveur de celui-ci,
– bien que ces abonnés se trouvent dans la zone de réception de ladite
radiodiffusion télévisuelle terrestre et puissent recevoir légalement
celle-ci sur un récepteur de télévision. »
La société France Télévisions dispose donc des droits voisins de
communication au public de ses programmes de télévision.
Les droits d’auteur de France Télévisions et des producteurs sur
les oeuvres diffusées
Les auteurs et producteurs de contenus diffusés bénéficient sur les
oeuvres audiovisuelles qu’ils créent, produisent ou co-produisent
(journaux d’information, documentaires, magazines, téléfilms, films),
de droits d’auteur protégés par le code de la propriété intellectuelle et
les conventions internationales en vigueur (notamment la Convention
de Berne du 9 septembre 1886 modifiée, le Traité OMPI de 1996 sur le
droit d’auteur et l’accord ADPIC de 1993) pour autant que celles-ci
répondent au critère d’originalité qui n’est pas dans le débat de l’espèce.
Or l’article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle dispose:
« Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de
représentation et le droit de reproduction. »
L’article L.122-2 ajoute:
« La représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au
public par un procédé quelconque, et notamment :
1° Par récitation publique, exécution lyrique, représentation
dramatique, présentation publique, projection publique et transmission
dans un lieu public de l’oeuvre télédiffusée ;
2° Par télédiffusion.
La télédiffusion s’entend de la diffusion par tout procédé de
télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de
messages de toute nature.
Est assimilée à une représentation l’émission d’une oeuvre vers un
satellite. »
La société France Télévisions est donc présumée titulaire des droits
d’auteur sur les émissions qu’elle a produites elle-même et notamment
sur les journaux d’information, documentaires, magazines, téléfilms,
films.
Sur les droits voisins des producteurs de vidéogramme
Les producteurs de contenus audiovisuels bénéficient enfin, au regard
de l’ensemble des oeuvres audiovisuelles diffusées qu’ils produisent, des
droits voisins du producteur de vidéogrammes reconnus aux
producteurs d’oeuvres audiovisuelles par l’article L. 215-1 du code de
la propriété intellectuelle, qui dispose :
« Le producteur de vidéogrammes est la personne, physique ou morale,
qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une
séquence d’images sonorisée ou non.
L’autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute
reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange
ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme”.
La communication au public couvre également la diffusion à
destination du public sur le réseau internet, ce que confirme le
considérant 23 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 :
« La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de
communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large,
comme couvrant toute communication au public non présent au lieu
d’origine de la communication.
Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature,
d’une oeuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion.
Il ne couvre aucun autre acte. »
En conséquence, toute diffusion sur le réseau interne de programmes
d’un organisme de radiodiffusion, d’oeuvres protégées par le droit
d’auteur incluses dans ces programmes, ou de fixation de ces oeuvres
également incluses dans ces programmes, est soumise à l’autorisation
préalable des ayants droit concernés, et en l’espèce de la société France
Télévisions pour les droits qu’elle détient sur ces éléments.
La société France Télévisions revendique des droits d’auteur et de
producteur sur un certain nombre d’émissions, de séries diffusées
qu’elle a coproduites ou dont elle a acquis les droits.
Elle verse au débat un certain nombre de contrats concernant ces
programmes dont :
– « Famille d’accueil » (téléfilm, France 3) diffusé le 25 mars 2013 sur
France 3 à 14h45, contrat de cession des droits d’exploitation de ce
programme par « diffusion linéaire » du 5 février 2013.
– « Allo docteur » (magazine, France 5) diffusée le 25 mars 2013 sur
France 5, 14h35, contrat de cession des droits d’exploitation de ce
programme par « diffusion linéaire » du 29 août 2011.
– « Le jour où tout a basculé » (docu-réalité, France 2) diffusée le 25 mars
2013 sur France 2,16h15,
contrat de cession des droits d’exploitation de ce programme par
« diffusion linéaire » du 6 août 2012.
– « Des chiffres et des lettres » (jeu, France 3) diffusée le 25 mars 2013
sur France 3,
L’émission « Des Chiffres et des Lettres » a été produite par les sociétés
France 2, puis France 3 depuis sa création le 1er janvier 1975. Par
l’effet de l’article 86 de la loi n°2009- 258 du 5 mars 2009, la société
France Télévisions est venue aux droits des sociétés France 2 et France
3 dans le cadre de la présente procédure.
Contrat du 6 décembre 2006 conclu avec les héritiers de M. Armand
Jammot.
– « Mot de passe » (jeu, France 2) diffusée le 25 mars 2013 sur France 2,
contrat de cession des droits d’exploitation de ce programme par
« diffusion linéaire » du 15 septembre 2011.
– « Journal télévisé » (information, France 3)
La société France Télévisions prétend bénéficier sur ses journaux
télévisés, de la présomption posée par les juges selon laquelle
l’entreprise qui exploite commercialement une oeuvre est réputée, à
l’égard des tiers contrefacteurs, être titulaire des droits sur cette oeuvre.
– « C à vous » (magazine, France 5) diffusée le 25 mars 2013 sur France
5, 19h00, contrat de cession des droits d’exploitation de ce programme
par « diffusion linéaire » du 6 août 2012,
– « Chabada » (magazine culturel, France 3) diffusée le 26 mars 2013 sur
France 3, contrat de cession des droits d’exploitation de ce programme
par « diffusion linéaire » du 15 août 2012.
La société France Télévisions démontre suffisamment au moins pour
ces exemples de la titularité des droits d’auteur et de producteurs qui
y sont attachés, ce que d’ailleurs la société Playmédia ne lui conteste
pas.
– sur les dérogations
La société France Télévisions communique au public des films, séries
ou événements sportifs dont les producteurs ou titulaires de droit
d’exploitation restreignent la diffusion et exclu(ai)ent totalement la
diffusion de leurs oeuvres sur internet au travers de tous services de
« streaming »(visionnage en direct) ou de vidéo à la demande, édités ou
non par France Télévisions.
Les licences les plus récentes issues des négociations avec les studios
de cinéma américains et les détenteurs de droits sportifs autorisent le
« simulcast internet » (c’est-à-dire diffusion en simultané sur internet des
chaînes concernées), mais uniquement (a) sur les sites édités par France
Télévisions, et (b) sous réserve du respect de conditions techniques
extrêmement précises sur les mesures de protection à mettre en oeuvre
pour éviter notamment la copie des oeuvres ainsi diffusées, étant précisé
que les producteurs demeurent contractuellement libres d’autoriser la
reprise de leurs programmes sur tout service de l’internet.
Ces restrictions expliquent également que ces programmes ne soient
pas (sauf autorisation ou négociation spéciales) repris en vidéo à la
demande sur le service de télévision de rattrapage « Pluzz » édité par
France Télévisions.
Cette politique des ayants droit est commune à tous les
diffuseurs, et les chaînes généralistes diffusant ce type de
programmes sont dans une situation comparable ; ainsi il est établi
que les chaînes TF1 et M6 par exemple ne sont pas diffusées en
simultané et en intégral pour réception sur des sites web autres que
les sites édités par ces chaînes.
Il apparaît ainsi au vu des contrats régulièrement mis au débat que les
titulaires de droits sur certains de ces programmes n’ont autorisé la
société France Télévisions à diffuser ou à faire diffuser ces
programmes sur des services du type de celui opéré par la société
Playmédia.
Le contrat signé avec la société Walt Disney série « Private Practice » le
1er juin 2011 (Pièce n°4-1 de la société France Télévisions) précise en
ses articles 3 et 5 les conditions de diffusion de la série sur internet et
les précautions que doit prendre la société France Télévisions pour
assurer la protection de cette diffusion.
S’agissant du must carry légal, l’autorisation donnée est limitée aux
réseaux de téléphonie mobile.
Certains contrats conclus avec les détenteurs de droits sportifs
comportent les mêmes restrictions comme le démontre le Contrat ASO
/ FTV (Avenant n°2 -Renouvellement 2014-2015, rétroactif à compter
de la saison 2011 mis au débat en pièce n°31-1.
La société France Télévisions qui ne dispose pas des droits qui ne lui
ont pas été cédés ne peut en conséquence donner une autorisation de
diffusion de ses programmes sur des sites web comme celui opéré par
la société Playmédia.
En tout état de cause, la société Playmédia ne conteste pas les droits de
la société France Télévisions sur les programmes qu’elle diffuse ; elle
se contente d’indiquer que le régime du must carry déroge aux droits
des éditeurs sur leurs programmes quelle que soit la nature du droit.
Or, les règles de must carry relèvent de la réglementation audiovisuelle
et ne sont pas visées au titre des exceptions aux droits d’auteur et aux
droits voisins figurant dans le code de la propriété intellectuelle.
Elles ne sont pas non plus visées dans la liste des exceptions possibles
autorisées par la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du
Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit
d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Cette liste est, aux termes mêmes de la directive, limitative:
« (32) La présente directive contient une liste exhaustive des exceptions
et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au
public. »
(Considérant 32)
Ainsi si la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 sur la liberté de
communication, qui établit le régime du must-carry, indique que:
« La communication au public par voie électronique est libre »”,
elle précise que :
« L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure
requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine,
de la liberté et de la propriété d’autrui,… »
Or le Conseil Constitutionnel, dans sa décision 2006-540 DC du 27
juillet 2006 a jugé que les droits d’auteur et les droits voisins étaient des
droits de propriété protégés en tant que tels par la Constitution.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la réglementation du régime du
must carry prévoit la conclusion d’un contrat avec les titulaires de droits
afin de préserver les droits des éditeurs sur les programmes diffusés et
ceux des titulaires des droits sur les oeuvres cédées en vue de leur
exploitation sur leur réseau à certaines conditions.
L’article 2-1 de la loi précise :
Pour l’application de la présente loi, les mots : « distributeur de
services » désignent toute personne qui établit avec des éditeurs de
services des relations contractuelles en vue de constituer une offre de
services de communication audiovisuelle mise à disposition auprès du
public par un réseau de communications électroniques au sens de
l’article L.32 du code des Postes et communications électroniques.
Est également regardée comme distributeur de services toute personne
qui constitue une telle offre en établissant des relations contractuelles
avec d’autres distributeurs.
Il ressort clairement de ce texte que le distributeur de services ne peut
proposer de diffuser les services de communication audiovisuelle d’un
éditeur qu’une fois un contrat conclu entre les deux parties.
En l’espèce, aucun contrat n’a été conclu à compter de janvier 2010 et
jusqu’à ce jour entre la société Playmédia et la société France
Télévisions.
Il apparaît ainsi que la loi de 1986 modifiée par la loi de 2004 doit
s’appliquer dans le strict respect des droits de propriété intellectuelle de
chacun des créateurs et producteurs d’oeuvres audiovisuelles,
cinématographiques ou des droits des titulaires sur les événements
sportifs; qu’elle n’y déroge aucunement et qu’il convient de s’assurer
que le droit de propriété de chacun est préservé.
Le must carry n’est pas un régime mis en place pour permettre l’accès
des utilisateurs finals sans s’assurer du respect des droits de propriété
intellectuelle.
B-sur le must and carry
La Directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7
mars 2002 dite directive « service universel » du 7 mars 2002 prévoit
en son article 31 la possibilité d’imposer, au niveau national, « des
obligations raisonnables de diffuser (« must carry »), pour la
transmission des chaînes ou des services de radio et de télévision
spécifiés, aux entreprises qui, sous leur juridiction, exploitent des
réseaux de communication électroniques utilisés pour la diffusion
publique d’émissions de radio ou de télévision, lorsqu’un nombre
significatif d’utilisateurs finals de ces réseaux les utilisent comme leurs
moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de
télévision. De telles obligations ne peuvent être imposées que
lorsqu’elles sont nécessaires pour atteindre des objectifs d’intérêt
général clairement définis et doivent être proportionnées et
transparentes. Ces obligations sont soumises à un réexamen
périodique».
Le régime du must carry a été établi en France par la loi n° 86-1067 du
30 septembre 1986 puis par la loi du 9 juillet 2004 qui dispose :
I.-Sur le territoire métropolitain, tout distributeur de services sur un
réseau n’utilisant pas de fréquences terrestres assignées par le Conseil
supérieur de l’audiovisuel met gratuitement à disposition de ses
abonnés les services des sociétés mentionnées au I de l’article 44 et la
chaîne Arte, diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique
ainsi que la chaîne TV 5, et le service de télévision diffusé par voie
hertzienne terrestre en mode numérique ayant pour objet de concourir
à la connaissance de l’outre-mer, spécifiquement destiné au public
métropolitain, édité par la société mentionnée au I de l’article 44, sauf
si ces éditeurs estiment que l’offre de services est manifestement
incompatible avec le respect de leurs missions de service public.
Lorsqu’il propose une offre de services en mode numérique, il met
également gratuitement à disposition des abonnés à cette offre les
services de ces sociétés qui sont diffusés par voie hertzienne terrestre
en mode numérique.
La loi du 9 juillet 2004 a donc étendu le régime du must carry « réseaux
de communications électroniques n’utilisant pas de fréquences
assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel”
La mise en place du régime must-carry est soumise à plusieurs
conditions, la première tient à l’établissement de relations
contractuelles examinée plus haut la seconde au réseau de
communications audiovisuelles.
L’article 31 de la Directive prévoyait que l’obligation de must carry ne
pèse sur les éditeurs de services de communication audiovisuelle que
pour autant que ‘un nombre significatif d’utilisateurs finals de ces
réseaux les utilisent comme leurs moyens principaux pour recevoir des
émissions de radio ou de télévision.
La CJUE dans son arrêt Commission c. Belgique du 3 mars 2011 a
affirmé QUE / « la possibilité pour les autorités belges de dispenser
d’obligations de diffuser les opérateurs de réseaux dont le nombre
d’utilisateurs finals les utilisant comme leurs moyens principaux pour
capter les programmes de radiodiffusion télévisuelle n’est pas suffisant
leur permet, en cas de refus de cette dispense, d’imposer lesdites
obligations auxdits opérateurs. En outre, l’opérateur concerné doit
prouver que les conditions pour obtenir la dispense sont remplies.
Ainsi, comme les obligations de diffuser prévues à l’article 31 de la
directive «service universel» ne peuvent viser que les opérateurs de
réseaux dont il existe un nombre suffisant d’utilisateurs finals les
utilisant de manière principale, il s’ensuit que l’article 13, quatrième
alinéa, sous b), de la loi du 30 mars 1995 ne transpose pas
correctement l’article 31, paragraphe 1, de la directive «service
universel»”.
En France, il apparaît que les utilisateurs finals disposent en France
d’un réseau câblé et d’un réseau TNT important couvrant tout le
territoire métropolitain.
Il ressort des études diligentées sur ce sujet pour l’année 2012 par
l’Observatoire des usages internet que 12% des Français seulement ont
déjà regardé une émission de télévision en direct sur internet (soit 6,5
millions de Français âgés de 11 ans et plus), et que 8% des Français ont
regardé une émission de télévision en direct sur internet au cours du
dernier mois (soit 4,2 millions de Français âgés de 11 ans et plus).
Dans son questionnaire du 19 février 2013, le CSA a la société
Playmédia sur « le nombre de personnes ou de foyers qui, en France,
utilisent l’offre « playtv.fr » comme moyen principal de réception des
chaînes de télévision », et ce en référence à l’article 31 de la directive
« service universel » même si celui-ci n’a pas été transposé dans la loi de
1986 modifié en 2004.
La société Playmédia a répondu en s’appuyant sur des statistiques de
« visiteurs uniques » (c’est-à-dire d’internautes ayant « visité » son site,
sans autre précision) et d’un « sondage » réalisé exclusivement en interne
sur un échantillon de 1.620 personnes, que « 42,6% d’entre eux [soit
691 personnes] utilisent Play TV comme écran de télévision principal« .
Ce sondage est réalisé de façon interne sans pouvoir apprécier la
méthodologie du sondage, les critères mis en place le privent de valeur
probante de sorte qu’il est sans aucune pertinence.
Il convient donc de constater que la société Playmédia ne démontre pas
que la condition relative au fait qu’un nombre significatif d’utilisateurs
finals de ces réseaux les utilisent comme leurs moyens principaux pour
recevoir des émissions de radio ou de télévision, en raison du manque
d’offre des éditeurs de services de communication audiovisuelle, est
remplie.
L’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 précise que seuls les
services sur abonnement, comme le sont tous les services diffusés par
ADSL ou par satellite peuvent faire l’objet du régime must carry :
Tout distributeur de services sur un réseau n’utilisant pas de
fréquences terrestres assignées par le Conseil supérieur de
l’audiovisuel met gratuitement à disposition de ses abonnés les services
(…). Lorsqu’il propose une offre de services en mode numérique, il met
également gratuitement à disposition des abonnés à cette offre les
services de ces sociétés qui sont diffusés par voie hertzienne terrestre
en mode numérique.
Il s’agit en effet de garantir aux téléspectateurs captifs d’une offre
complète de services de télévision – par câble, satellite ou box ADSL –
l’accès aux chaînes publiques.
Il n’est pas contesté que la société Playmédia a offert un service offrant
aux internautes l’accès aux programmes de télévision de la société
France Télévisions sans que ceux-ci ne soient abonnés ; c’est ce que
rappelle l’avis du CSA du 23 juillet 2013 qui a fait injonction à la
société Playmédia de régulariser sa situation avant le 31 décembre
2013.
En conséquence, cette condition n’était pas remplie jusqu’à cette date
ce que ne conteste pas la société Playmédia.
Elle prétend l’avoir fait à compter de janvier 2014 en offrant un service
d’accès aux internautes non abonnés leur permettant d’accéder à
quelques minutes des programmes de la société France Télévisions
invoquant l’exception de courte citation et un deuxième service offrant
d’accéder à l’ensemble des services de communication audiovisuelle de
la société France Télévisions à des abonnés.
Il ressort du document versé au débat que le formulaire d’abonnement
mis en ligne par la société France Télévisions ne permet un
abonnement effectif car il suffit à l’internaute qui veut s’abonner de
choisir un pseudonyme mais il ne lui est absolument pas demandé de
renseigner son identité et son adresse.
En conséquence, l’offre d’accès faite par la société Playmédia aux
internautes à compter du 1 janvier 2014 ne er remplit toujours pas la
condition relative au fait qu’elle est faite à des abonnés.
En conséquence, la société Playmédia n’a rempli aucune des deux
conditions prévues par la loi de 1986 modifiée par la loi de 2004.
– sur l’atteinte au droit de la concurrence
La société Playmédia prétend encore que la société France Télévisions
aurait opéré une discrimination en acceptant d’autoriser d’autres
opérateurs à diffuser par internet les programmes qu’elle communique
au public et qu’en conséquence le refus de contracter de France
Télévisions ne saurait être abusif
La société France Télévisions répond qu’elle a refusé de conclure un
contrat avec la société Playmédia car celle-ci ne remplit pas les
conditions prévues dans la loi de 1986 modifiée par la loi de 2004,
qu’elle a en outre offert de ne pas diffuser certains programmes ce qui
est contraire à la propre obligation de mission de service public qu’elle même
doit assumer ; elle a ajouté que les opérateurs qui ont été
autorisés à diffuser ses programmes répondent à la condition d’avoir
des abonnés et que les services de visionnage sur ordinateur/tablette ou
téléphone mobile proposés par ces opérateurs ne sont que le
prolongement de l’abonnement « Box » ou « mobile » des opérateurs
concernés.
Sur ce
L’article 34-2 de la loi précise que le must carry ne s’applique pas « si
[les éditeurs des services de télévision visés] estiment que l’offre de
services est manifestement incompatible avec le respect de leurs
missions de service public.”
La société France Télévisions doit donc vérifier que la demande qui
lui est faite de diffuser sur internet ses programmes répond à ses
missions de service public.
Enfin, l’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 impose en outre une
reprise intégrale et simultanée des programmes.
Cette obligation est reprise à l’article 1 du cahier des charges de France
Télévisions, annexé au Décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 modifié
fixant le cahier des charges de la société nationale de programme
France Télévisions.
« France Télévisions est chargée de concevoir et de programmer des
émissions de télévision à caractère national, régional et local ainsi que
des émissions de radio ultra-marines. Elle conçoit également et met à
disposition du public des services de médias audiovisuels à la demande.
Elle est titulaire pour la diffusion de ses services de télévision, de radio
et, le cas échéant, de ses services de médias audiovisuels à la demande
par voie hertzienne terrestre de droits d’usage de la ressource
radioélectrique en application de l’article 26 de la loi n° 86-1067 du 30
septembre 1986 relative à la liberté de communication
Elle assure également la reprise intégrale et simultanée de ces services
par des réseaux de communications électroniques n’utilisant pas de
fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans les
conditions prévues par la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative
à la liberté de communication. »
Ainsi la reprise restreinte aux seuls programmes autorisés par les
producteurs tiers (donc avec occultation de certains programmes),
comme l’a proposé la société Playmédia dans ses courriers à la société
France Télévisions, est incompatible avec le respect, par cette
dernière, de ses missions de service public.
Elle a donc fait une juste appréciation de ce que l’offre faite par la
société Playmédia ne lui permettait pas de remplir l’obligation de
reprise intégrale et simultanée.
Par ailleurs, la société Playmédia qui n’a pas obtenu l’autorisation des
producteurs de programmes sportifs ou de films ou séries américains ne
peut diffuser sur son site les oeuvres communiquées au public par la
société France Télévisions en vertu de contrats de licence limitant les
modes d’exploitation.
La société France Télévisions doit également faire respecter les droits
de ses cédants ; elle ne peut donc autoriser la diffusion de ses
programmes sur internet qu’auprès de diffuseurs ayant développé un
système d’abonnements tels les fournisseurs d’accès à internet ou les
opérateurs de téléphonie mobile.
Ce faisant elle respecte la volonté des cédants de voir le mode
d’exploitation sur internet limité à un réseau dit fermé c’est-à-dire
limité et accessible aux seuls abonnés, pour la partie « Box » au domicile
de l’abonné dans le cadre d’un réseau fermé ADSL et pour la partie
« mobile », dans le cadre d’un réseau fermé mobile 3G.
Enfin et contrairement à ce qu’elle affirme, la société Playmédia n’a
pas démontré disposer d’un quelconque contrat avec les sociétés
d’auteurs (SACEM/SACD/SCAM) et/ou de producteurs
(ANGOA/AGICOA), ni même avoir engagé des négociations avec eux.
En conséquence, la société France Télévisions n’a commis aucun
abus dans l’appréciation de la situation de la société Playmédia et en
refusant de conclure avec elle un contrat l’autorisant à diffuser ses
programmes sur son site playtv.fr.
La société Playmédia sera en conséquence déboutée de l’intégralité de
ses demandes.
sur les demandes reconventionnelles de la société France Télévisions
La société France Télévisions forme des demandes en contrefaçon du
fait de la diffusion de ses programmes sur le site playtv.fr.
La société Playmédia a répondu en évoquant sa bonne foi et en
précisant que les programmes de télévision utilisaient tous le logo des
chaînes pour les identifier.
la contrefaçon des droits voisins
Le simple fait de diffuser les programmes de l’entreprise de
communication audiovisuelle sans son autorisation constitue un acte de
contrefaçon.
Il a été rappelé plus haut que la société Playmédia a diffusé depuis au
moins janvier 2010 l’intégralité des programmes communiqués au
public par France 2, France 3, France 4, France 5 et France Ô et ce,
sans autorisation comme le revendique la société Playmédia.
En tout état de cause la société France Télévisions verse au débat en
pièce 34, 57 et 59 des procès-verbaux réalisés par Me Cherki les 25 et
26 mars 2013, 8 octobre 2013 et 26 janvier 2014 qui établissent la
présence sur le site de playmédia.fr de l’ensemble des chaînes du groupe
France Télévisions à ces dates.
La contrefaçon des droits d’auteur
Les procès-verbaux versés au débat démontrent également la diffusion
en streaming de programmes en cours de diffusion sur plusieurs chaînes
du groupe et notamment : des émissions de jeu, des programmes
d’informations, des documentaires, des films, des séries ou des
magazines:
– « Toute une histoire » (magazine, France 2) (Constat des 25 et 26 mars
2013, p. 6-7)
– « Famille d’accueil » (téléfilm, France 3) (Ibid., p. 8-9)
– « Allo docteur » (magazine, France 5) (Ibid., p. 10-11)
– « Urgences » (série américaine, France 4) (Ibid., p. 12-13 et 22-23)
– « Abismo de pasion » (série brésilienne, France Ô) (Ibid., p. 14-15)
– « Le jour où tout a basculé » (docu-réalité, France 2) (Ibid., p. 17-18)
– « Des chiffres et des lettres » (jeu, France 3) (Ibid., p. 19-20)
– « Les derniers rois et chamanes de l’Arunach » (documentaire, France
5) (Ibid., p. 21)
– « ooooO » (magazine, France Ô) (Ibid., p. 24-25)
– « Mot de passe » (jeu, France 2) (Ibid., p. 27, p. 43)
– « Journal télévisé » (information, France 3) (Ibid., p. 28-29, p. 44)
– « C à vous » (magazine, France 5) (Ibid., p. 30-31, p. 45)
– « FBI: portés disparus » (série américaine, France 4) (Ibid., p. 31-32,
p. 46-47)
– « Chante! » (série télévisée, France Ô) (Ibid., p. 33, p. 47-48)
– « Sergio Tempo concert anniversaire Monsieur Chung » (concert,
France2) (Ibid., p. 35)
– « Chabada » (magazine culturel, France 3) (Ibid., p. 36-37)
– « Les aventures d’un gentleman voyageur » (documentaire, France 5)
(Ibid., p. 38)
– « Faut pas rater ça » (magazine, France 4), (Ibid., p. 38-39)
– « Terre violente » (série étrangère, France Ô) (Ibid., p. 40-41)
– « Un village français » (série française, France 3) (Constat du 8 octobre
2013, p. 8-9).
La société France Télévisions verse au débat les éléments suivants
pour établir ses droits sur les œuvres :
– « Famille d’accueil » (téléfilm, France 3) diffusé le 25 mars 2013 sur
France 3 à 14h45,contrat de cession des droits d’exploitation de ce
programme par « diffusion linéaire » du 5 février 2013.
– « Allo docteur » (magazine, France 5) diffusée le 25 mars 2013 sur
France 5, 14h35, contrat de cession des droits d’exploitation de ce
programme par « diffusion linéaire » du 29 août 2011.
– « Le jour où tout a basculé » (docu-réalité, France 2) diffusée le 25 mars
2013 sur France 2, 16h15, contrat de cession des droits d’exploitation
de ce programme par « diffusion linéaire » du 6 août 2012.
– « Des chiffres et des lettres » (jeu, France 3) diffusée le 25 mars 2013
sur France 3,
L’émission « Des Chiffres et des Lettres » a été produite par les sociétés
France 2, puis France 3 depuis sa création le 1er janvier 1975. Par
l’effet de l’article 86 de la loi n°2009- 258 du 5 mars 2009, la société
France Télévisions est venue aux droits des sociétés France 2 et France
3 dans le cadre de la présente procédure.
Contrat du 6 décembre 2006 conclu avec les héritiers de M. Armand
Jammot.
– « Mot de passe » (jeu, France 2) diffusée le 25 mars 2013 sur France 2,
contrat de cession des droits d’exploitation de ce programme par
« diffusion linéaire » du 15 septembre 2011.
– « Journal télévisé » (information, France 3)
La société France Télévisions prétend bénéficier sur ses journaux
télévisés, de la présomption posée par les juges selon laquelle
l’entreprise qui exploite commercialement une oeuvre est réputée, à
l’égard des tiers contrefacteurs, être titulaire des droits sur cette oeuvre.
– « C à vous » (magazine, France 5) diffusée le 25 mars 2013 sur France
5, 19h00, contrat de cession des droits d’exploitation de ce programme
par « diffusion linéaire » du 6 août 2012.
– « Chabada » (magazine culturel, France 3) diffusée le 26 mars 2013 sur
France 3, contrat de cession des droits d’exploitation de ce programme
par « diffusion linéaire » du 15 août 2012.
-« Faut pas rater ça » (diffusée le 26 mars 2013 sur France 4, 01h20,)
contrat de co-production du 21 mai 2013 pour ce programme de
divertissement.
-« Un village français » (téléfilm diffusé le 8 octobre 2013)
contrat de pré-achat du 4 juillet 2012 incluant la cession des droits
d’exploitation de ce programme par « diffusion linéaire » en vertu d’un
contrat.
En conséquence, la société France Télévisions est titulaire des droits
d’auteur attachés aux programmes en sa qualité de productrice ou coproductrice
et au regard des actes de cession versés au débat pour les
oeuvres listées plus haut.
La contrefaçon des droits de producteurs de vidéogrammes sur les
Programmes
La société France Télévisions prétend encore bénéficier sur
l’ensemble des oeuvres audiovisuelles diffusées qu’elle produit elle-même
ou coproduit (journaux d’information, documentaires, magazines,
téléfilms, films), des droits voisins du producteur de vidéogrammes
reconnus aux producteurs d’oeuvres audiovisuelles par l’article L. 215-1
du code de la propriété intellectuelle, qui dispose :
« Le producteur de vidéogrammes est la personne, physique ou morale,
qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une
séquence d’images sonorisée ou non.
L’autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute
reproduction, mise à la disposition du public par la vente…
La société Playmédia ne conteste pas que la société France Télévisions
soit titulaire des droits de producteurs de vidéogrammes sur les
programmes listés plus haut.
En conséquence en diffusant sans l’autorisation de la société France
Télévisions les programmes listés plus haut, la société Playmédia a
commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur et des droits
voisins de producteurs de vidéogrammes dont celle-ci est titulaire.
La contrefaçon des marques
La société France Télévisions est titulaire des marques françaises et
communautaires suivantes :
– Marques communautaires France 2 n°002599959 et 000684704,
– Marques françaises France 2 et F2 n°38222290 et 99783655,
– Marques communautaires France 3 n°002599975 et 002364172,
– Marque française France 3 n°92401175,
– Marque française France 4 n°3064498,
– Marques communautaires France 5 n°002567287 et 002544427
– Marques françaises France Ô n°3822286 et 3822127,
déposées pour les services des classes 38 et 41.
La société Playmédia ne conteste pas utiliser sur la page d’accueil et sur
les autres pages de son site les marques de la société France
Télévisions sur les pages de son site « PlayTV », et tel que constaté par
le procès-verbal réalisé par Me Cherki les 25 et 26 mars 2013,
Les dépôts des marques visent notamment en classe 38 les services de
communications radiophoniques, télégraphiques, téléphoniques ou de
vidéocommunications par tout réseau de télécommunications ; diffusion
d’information en matière de productions audiovisuelles, de programmes
radiophoniques, ou de programmes de télévision par tous moyens
communication par terminaux d’ordinateurs et entre ordinateurs ou
entre serveurs ; transmission de messages de données d’informations et
d’images à travers tous réseaux de télécommunication y compris
internet…
Ainsi, il est constant que la société Playmédia a reproduit le même
signe pour les mêmes services de sorte qu’il s’agit d’actes de
contrefaçon par reproduction au sens de l’article L713-2 du code de la
propriété intellectuelle et de l’article 9 du Règlement CE No 207/2009
du 26 février 2009.
Enfin, la société Playmédia qui associe l’exploitation de ces marques
à des services contrefaits ne peut opposer aucune exception liée à la
nécessité d’identifier les services concernés.
La société Playmédia a donc commis des actes de contrefaçon par
reproduction des marques communautaires et françaises dont la société
France Télévisions est titulaire.
sur les mesures réparatrices
L’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose:
« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en
considération les conséquences économiques négatives, dont le manque
à gagner, subies par la partie lésée, et le préjudice moral causé au
titulaire de ces droits du fait de l’atteinte.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la
partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme
forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou
droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé
l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.»
La société Playmédia a réalisé en 2010, 2011 et 2012, les chiffres
d’affaires suivants :
137.273 euros en 2010, 698.793 euros en 2011 et 948.000 euros en
2012.
Aucun chiffre n’a été donné pour l’année 2013 et la société France
Télévisions a considéré que le chiffre d’affaires était le même.
Le chiffre d’affaires est exclusivement issu de la publicité insérée avant
la diffusion des programmes.
Selon les déclarations de Playmédia elle-même, l’audience des chaînes
de France Télévisions sur son service avoisinerait 75%.
Selon la société France Télévisions , l’audience de ses chaînes
représenterait plutôt 90% mais elle admet le chiffre de 75% pour le
calcul de son préjudice.
Elle évalue son préjudice à 75% des recettes publicitaires engrangées
par la société Playmédia pendant les quatre années allant de 2010 à fin
2013 soit à la somme de 1.693.549 euros (137.273 + 698.793 + 948.999
+ (948.000/2)) x 75%.
Elle ne donne aucun élément sur le montant de la licence qu’elle a
consentie aux sociétés de téléphonie mobile ou aux fournisseurs d’accès
pour leur permettre de diffuser ses programmes.
En l’espèce, elle sollicite à titre de dommages et intérêts une somme
qui excède les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits
puisqu’elle réclame la restitution du chiffre d’affaires réalisé.
Il sera donc alloué à la société France Télévisions la somme de
1.000.000 euros en réparation du préjudice subi, la société Playmédia
ne donnant aucun élément sur sa marge et le tribunal estimant que les
frais fixes de fonctionnement sont réduits au maximum et rappelant
qu’aucun droit n’a été versé aux sociétés de gestion collective
puisqu’aucun contrat n’est versé au débat.
Pour ce qui est de la contrefaçon de marques, cinq signes sont protégés
par différents dépôts tant français que communautaires visant les
services de la classe 38.
Il sera alloué la somme de 25.000 euros à titre de réparation de
l’atteinte portée aux marques conformément à l’article L.716-14 du
code de la propriété intellectuelle qui est rédigé dans les mêmes termes
que ceux de l’article L 331-1-3 du même code.
A titre de réparation complémentaire, il sera ordonné une mesure de
publication judiciaire une fois la décision devenue définitive.
Il sera fait droit à la demande d’interdiction formée par la société
France Télévisions dans les termes du dispositif et ce sous astreinte
provisoire de 10.000 euros par infraction constatée au terme d’un délai
de 48 heures suivant la signification du présent jugement.
sur la concurrence déloyale
La société Playmédia reproche à la société France Télévisions des
actes de concurrence déloyale du fait que le site playtv.fr offre un accès
à la télévision de rattrapage qu’elle propose comme étant le sien.
La société France Télévisions ne répond pas à cette demande.
Sur ce
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la
liberté du commerce qui implique qu’un signe ou un produit qui ne fait
pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement
reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la
création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur
l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et
loyal du commerce.
L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter
d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant
en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique
ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage,
l’originalité, la notoriété de la prestation copiée.
La société France Télévisions est éditrice du service « Pluzz », accessible
sur le web à l’adresse « pluzz.francetv.fr ». Ce service permet de regarder
gratuitement, en streaming, pendant 7 jours, les programmes des 38
chaînes du groupe France Télévisions (France 2, France 3, France 4,
France 5, France Ô, ainsi que les 24 déclinaisons régionales de France
3 et les 9 chaînes Outre-mer 1ère).
Il ressort du constat réalisé par Me Cherki, huissier de justice, en date
du 27 juin 2013 versé en pièce n°53 par la société France Télévisions,
que le site de la société Playmédia offre la possibilité d’accéder à la
télévision de rattrapage, qu’il présente comme un élément de son site et
de son service, au même titre que la télédiffusion en direct des chaînes
; que le clic sur la mention « Replay » ouvre une page d’accueil proposant
l’accès à divers programmes en télévision de rattrapage et qu’aucune
mention du service Pluzz de la société défenderesse ne figure sur cette
page, de sorte que la source du service n’apparaît pas.
Lors du clic sur la vignette vidéo, l’ouverture de la fenêtre de diffusion
s’effectue en deux temps ; tout d’abord, la fenêtre affiche le logo du site
PlayTV ainsi qu’une publicité avec une référence au site « Pluzz » de la
société France Télévisions en petits caractères en bas de fenêtre.
Ensuite, la fenêtre s’ouvre automatiquement sur le site Pluzz
directement à la page du programme concerné.
Or contrairement à ce que soutient la df, aucune confusion n’est
possible pour l’internaute car celui-ci sait très bien que le service de
télévision de rattrapage proposé par le site playtv.fr est nécessairement
celui de la société défenderesse puisque ce site n’offre qu’un accès non
autorisé à toutes les chaînes de la société de communication
audiovisuelle et par conséquent à son service de télévision de rattrapage.
La df sera donc déboutée de sa demande en ccd qui n’est pas distincte
de celle formée sur les autres fondements étudiés plus haut et
l’interdiction de diffuser ou rediffsuer les chaines de télévisions de la
df valant nécessairement pour le service pluzz..
sur les autres demandes
Les conditions sont réunies pour allouer à la société France
Télévisions la somme de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700
du code de procédure civile.
L’exécution provisoire est compatible avec la nature de l’affaire, elle
est nécessaire et sera ordonnée sauf en ce qui concerne la mesure de
publication judiciaire. Elle sera limitée à la moitié de l’indemnité de
1.000.000 euros.
DECISION
Le tribunal, statuant publiquement par remise au greffe le jour du
délibéré, par jugement contradictoire et en premier ressort,
sur les demandes principales
Déboute la société Playmédia de ses demandes fondées sur le refus
abusif de la société France Télévisions de signer un contrat avec la
société Playmédia et de l’ensemble de ses demandes subséquentes.
sur les demandes reconventionnelles
Dit que la société Playmédia a commis des actes de contrefaçon des
droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle de la
société France Télévisions sur ses programmes France 2, France 3,
France 4, France 5 et France Ô depuis au moins le 1er janvier 2010.
Dit que la société Playmédia a commis des actes de contrefaçon des
droits d’auteurs de la société France Télévisions sur les oeuvres
audiovisuelles « Famille d’accueil », « Allo Docteur », « Le jour où tout a
basculé », « Des chiffres et des lettres », « Mot de passe », « C à vous »,
« Chabada », « Faut pas rater ça », « Journal télévisé », « Un village français »
dont la diffusion a été constatée par constats d’huissier en date des 25
et 26 mars 2013 et du 8 octobre 2013.
Dit que la société Playmédia a commis des actes de contrefaçon des
droits voisins du producteur de vidéogramme portant sur ces
programmes.
Dit que la société Playmédia a commis des actes de contrefaçon au
travers de son site « PlayTV », des marques communautaires France 2
n°002599959 et 000684704, des marques françaises France 2 et F2
n°38222290 et 99783655, des marques communautaires France 3
n°002599975 et 002364172, de la marque française France 3
n°92401175, de la marque française France 4 n°3064498, des
marques communautaires France 5 n°002567287 et 002544427 et
des marques françaises France Ô n°3822286 et 3822127 dont la
société France Télévisions est titulaire.
En conséquence :
Condamne la société Playmédia à verser à la société France Télévisions
la somme de 1.000.000 euros à titre de dommages et intérêts à raison
de l’atteinte à ses droits voisins d’entreprise de communication
audiovisuelle et au titre de ses droits d’auteur et droits voisins de
producteur sur les programmes dont elle est productrice.
Condamne la société Playmédia à verser à la société France Télévisions
la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts à raison de
l’atteinte à ses droits de marque.
Fait interdiction la société Playmédia de reprendre et télédiffuser les
programmes constitutifs des chaînes France 2, France 3, France 4,
France 5 et France Ô, sur son site « PlayTV », sous astreinte provisoire
de 10.000 euros par infraction constatée (l’infraction s’entendant de
la diffusion d’un programme) et ce, au terme d’un délai de 48
heures suivant la signification du présent jugement à intervenir,
l’astreinte courant pendant une durée de 6 mois.
Fait interdiction à la société Playmédia d’utiliser les marques
communautaires France 2 n°002599959 et 000684704, les marques
françaises France 2 et F2 n°38222290 et 99783655, les marques
communautaires France 3 n°002599975 et 002364172, la marque
française France 3 n°92401175, la marque française France 4
n°3064498, les marques communautaires France 5 n°002567287 et
002544427 et les marques françaises France Ô n°3822286 et 3822127
sur son site « PlayTV »sous astreinte provisoire de 100 euros par
infraction constatée et ce, au terme d’un délai de 48 heures suivant
la signification du présent jugement à intervenir, l’astreinte courant
pendant une durée de 6 mois.
Se réserve la liquidation de l’astreinte conformément aux dispositions
de l’article L131-3 du code des procédures civiles d’exécution.
Déboute la société France Télévisions de sa demande en concurrence
déloyale.
Ordonne la publication dans deux journaux ou périodiques
professionnels au choix de la société Playmédia et aux frais de la
société France Télévisions, à hauteur de 5.000 euros HT par insertion,
du communiqué judiciaire suivant :
“Par jugement du 9 octobre 2014, le tribunal de grande instance de
Paris a débouté la société Playmédia de l’ensemble de ses demandes
formées à l’encontre de la société France Télévisions au titre du must
carry , a dit que la société Playmédia avait commis à l’encontre de la
société France Télévisions des actes de contrefaçon des droits voisins
d’entreprise de communication audiovisuelle, de ses droits d’auteur et
droits voisins de producteur sur les programmes dont elle est
productrice, des actes de contrefaçon des marques dont la société
France Télévisions est titulaire FRANCE 2, FRANCE 3, FRANCE 4,
FRANCE 5 et FRANCE Ö, a condamné la société Playmédia à verser
à la société France Télévisions la somme de 1.000.000 euros à titre de
dommages et intérêts à raison de l’atteinte à ses droits voisins
d’entreprise de communication audiovisuelle et au titre de ses droits
d’auteur et droits voisins de producteur sur les programmes dont elle
est productrice, la somme de 25.000 euros en réparation de l’atteinte
à ses marques et a interdit à la société Playmédia de reprendre et
télédiffuser les programmes constitutifs des chaînes France 2, France
3, France 4, France 5 et France Ô, sur son site « PlayTV.
Condamne la société Playmédia à verser à la société France Télévisions
la somme de 30.000 euros au titre des dispositions de l’article 700
du code de procédure civile.
Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement à l’exception des
mesures de publication judiciaire et la limite à la moitié de l’indemnité
de 1.000.000 euros due à la société France Télévisions.
Condamne la société Playmédia en tous les dépens, qui pourront
être recouvrés par Maître Kamina, avocat, conformément aux
dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Cour : Marie-Christine Courboulay, Thérèse Andrieu, Camille Lignières (Vices Présidentes), Léoncia Bellon (Greffier)
Avocats : Me Olivier Bernheim, Me Pascal Kamina
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.