Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 4ème section Jugement du 11 février 2010
Louis Vuitton Malletier / eBay
e-commerce
Il ressort de ce qui précède, qu’en l’espèce, l’utilisation des signes considérés comme contrefaisant les marques de la société LVM se fait dans l’annonce publicitaire qui s’affiche dans la rubrique « liens commerciaux » ou « liens sponsorisés » et ne se limite pas à une procédure de sélection de mots clés.
Les questions préjudicielles posées à la Cour de Justice des Communautés européennes et notamment celles de l’affaire C 23 8-08 Google France contre CNRHH concernent l’utilisation dans «Adwords » de mots clés correspondant à des marques mais ne concernent pas, comme en l’espèce, l’usage des marques dans le texte même des annonces affichées.
En conséquence, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de Justice des Communautés européennes et la demande de ce chef des sociétés défenderesses sera rejetée.
Pour les mêmes raisons, il ne sera pas fait droit à la demande de question préjudicielle à la Cour de Justice des Communautés européennes, les faits objets de la présente espèce à savoir l’usage d’une marque dans le cadre d’une publicité ne requérant pas une interprétation par la Cour des textes communautaires applicables.
Il ressort que la société eBay International AG a réservé les mots clés Viton, Louis Viton, Wuitton, Wuiton, Witton, Louis Viton, Vuton et Viutton.
A cet égard, il est indifférent que cette réservation ait été faite par erreur et de manière automatisée par un logiciel utilisé par la société eBay International AG, la bonne foi étant inopérante s’agissant de la contrefaçon de marque.
Les signes Louis Viton et LouisViton présentent de grandes ressemblances visuelles et phonétiques avec la marque Louis Vuitton, la suppression d’un U et d’un T ne faisant pas disparaître pour le public ces grandes ressemblances et ce d’autant plus que la marque antérieure est renommée ce que ne conteste pas les sociétés défenderesses.
Les signes Viton, Wuitton, Wuiton, Witton, Vuton et Viutton présentent également de grandes ressemblances visuelles et phonétiques avec la marque antérieure Vuitton, dont la renommée n’est pas plus contestée, en raison du même nombre de syllabes, deux, du même son d’attaque Vui ou proche Vi ou Vu et de la même syllabe de fin Ton.
Il apparaît des constats d’huissier précités que la saisine par l’internaute de ces mots clés sur les moteurs de recherche Google, Altavista, MSN ou Yahoo génère l’apparition dans les résultats de la recherche, dans les rubriques liens commerciaux, résultats sponsorisés ou sites sponsorisés, d’annonces publicitaires dans le cadre desquelles ces signes sont toujours utilisés en association avec le mot sacs.
En conséquence, les sociétés défenderesses ne sauraient sérieusement soutenir que les signes en cause ne sont pas utilisés à titre de marque, à savoir pour désigner des produits, puisque toutes les annonces publicitaires critiquées font directement référence aux sacs, produits pour lesquels les marques Louis Vuitton et Vuitton bénéficient d’une particulière renommée pour le public.
En l’espèce, comme le soutiennent les sociétés défenderesses, il apparaît que l’internaute qui saisit le mot clé sur le moteur de recherche et lit les annonces litigieuses apparaissant sur son écran dans un endroit distinct de celui afférent aux résultats de recherche naturels, comprend qu’il s’agit d’une publicité pour le site de vente aux enchères ebay.fr qui propose un ensemble de produits d’occasion. Il n’existe donc pas de risque de confusion dans l’esprit de ce consommateur quant à l’origine des produits en ce sens que l’internaute ne sera pas amené à croire que les produits en cause proviennent de la société eBay ou que cette dernière est économiquement liée à la société LVM.
En revanche, il résulte de l’ensemble de ces éléments, et notamment du fait que les pages internet du site ebay.fr auxquelles l’internaute accède lorsqu’il clique sur un lien, lui proposent des produits différents ou n’offre aucun produit, que l’utilisation de ces signes dans les annonces en cause renvoie au site de vente eBay.fr en utilisant une phrase d’accroche dont l’objectif est d’inciter l’internaute à visiter le site internet en cause.
En conséquence, cet emploi de signes imitant les marques Louis Vuitton et Vuitton jouissant d’une renommée porte préjudice à la société LVM en avilissant et en affaiblissant le pouvoir distinctif de ses marques par une utilisation massive pour promouvoir un site de vente aux enchères de produits divers et en ce qu’il constitue une exploitation injustifiée de cette dernière, la société eBay International AG bénéficiant indûment de la renommée de ces marques pour engendrer du trafic sur son site de vente aux enchères créant ainsi dans l’esprit de I’internaute de fausses impressions quant aux relations entretenues entre la société eBay International AG et la société LVM.
De même, les sociétés défenderesses ne sauraient arguer que l’usage de ces signes est faite afin d’informer le public sur la vente aux enchères de produits authentiques sur le site eBay. En effet, si l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, cette utilisation ne doit pas porter atteinte aux droits du titulaire de la marque et notamment ne pas tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque.
La contrefaçon de marque est ainsi caractérisée.
Sur la concurrence déloyale
La société LVM invoque à l’appui de ses demandes au titre de la concurrence déloyale l’atteinte à sa dénomination sociale Louis Vuitton Malletier, à l’enseigne bénéficiant d’un rayonnement national et international Louis Vuitton et à son nom de domaine www.louisvuitton.com.
Il ressort des pièces versées aux débats que la société demanderesse dont la dénomination sociale est Louis Vuitton Malletier exploite des magasins sous l’enseigne nationalement voire internationalement connue Louis Vuitton ainsi que le site internet louisvuitton.com.
Il convient de rappeler à ce stade que seule la réservation de mots clés jugée imputable à la société eBay International AG peut être retenue en l’espèce, la démonstration d’une faute personnelle étant nécessaire sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
La société eBay International AG en générant à partir des mots clés Viton, Louis Viton, Wuitton, Wuiton, Witton, Louis Viton, Vuton et Viutton réservés auprès des moteurs de recherche Google, MSN, Altavista ou Yahoo, des annonces commerciales reprenant les termes correspondant à ces mots clés associés au mot « sacs» et destinées à promouvoir le site internet ebay.fr a porté atteinte aux droits que détient la société LVM sur sa dénomination sociale, enseigne et nom de domaine.
En effet, les termes litigieux sont très proches tant visuellement que phonétiquement de la dénomination sociale, de l’enseigne ou du nom de domaine précités et, sont utilisés dans les annonces en association avec l’un des produits phares de la demanderesse, à savoir le sac.
La société eBay International AG a ainsi cherché à tirer profit de la renommée attachée au nom de Louis Vuitton constituant l’élément principal de la dénomination sociale, de l’enseigne et du nom de domaine de la société LVM et ce afin de promouvoir son site de vente aux enchères et a commis une faute distincte de celle constitutive de la contrefaçon de marque et caractérisant un acte d’agissement parasitaire.
Sur la publicité trompeuse
La société LVM invoque les dispositions de l’article L 121-1 du code de la consommation et 20 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et soutient que la notion imprécise de « lien commercial » n’identifie pas clairement aux yeux de l’internaute l’existence d’un message de publicité mais véhicule bien plus probablement l’idée d’un accord entre deux entreprises ou d’un partenariat permettant à l’une de distribuer les produits de l’autre ce qui est particulièrement trompeur.
Toutefois, il a déjà été considéré que les annonces générées par les mots clés en cause constituaient une atteinte à la renommée des marques Louis Vuitton et Vuitton et en conséquence, seuls des faits distincts de ceux de la contrefaçon ne peuvent être à ce stade retenus.
En outre, ainsi qu’il a été précédemment relevé, il n’existe pas de risque de confusion dans l’esprit du consommateur, l’internaute comprenant en l’espèce qu’il s’agit d’une publicité pour le site de vente aux enchères ebay.fr qui propose un ensemble de produits d’occasion.
Le grief de publicité trompeuse sera en conséquence rejeté.
Sur les mesures réparatrices
Il sera fait droit à la mesure d’interdiction sollicitée dans les conditions énoncées au dispositif de la présente décision étant précisé que ces mesures d’interdiction ne concernent que le territoire national, les marques dont la contrefaçon a été retenue étant des marques françaises.
Il convient en outre de préciser que seuls des mots clés réservés par la société eBay International AG ont été retenus dans la cause et qu’en conséquence cette seule société sera condamnée à réparer le préjudice causé par ses agissements, les demandes formées contre la société eBay Inc. devant être rejetées.
Il y a lieu dans ces conditions de condamner la société eBay International AG à payer à la société LVM la somme de 100 000 € titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte portée aux marques Louis Vuitton numéro 1 627 892 et Vuitton numéro 1450750 ainsi que la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements parasitaires.
II convient en outre, à titre de complément d’indemnisation, d’autoriser la publication du dispositif du présent jugement selon les modalités ci-dessous précisées.
Sur les autres demandes
II y a lieu de condamner la société eBay International AG, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
En outre, elle doit être condamnée à verser à la société LVM qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 30 000 €.
Les circonstances de l’espèce justifient le prononcé de l’exécution provisoire qui est en outre compatible avec la nature du litige, sauf en ce qui concerne les mesures de publication de la décision.
DECISION
Le Tribunal, statuant par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,
. Rejette la demande des sociétés eBay Inc. et eBay lnternational AG tendant à écarter des débats les procès-verbaux de constat de l’Agence de Protection des programmes en date du 23 janvier 2006 et du 18 juin 2003 ;
. Rejette la demande de sursis à statuer des sociétés eBay Inc. et eBay International AG ;
. Dit n’y avoir lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes ;
. Rejette les demandes de la société Louis Vuitton Malletier fondées sur les articles L713-2 et L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
. Dit qu’en générant à partir des mots clés Viton, Louis Viton, Wuitton, Wuiton, Witton, Louis Viton, Vuton et Viutton réservés auprès des moteurs de recherche Google, MSN, Altavista ou Yahoo, des annonces commerciales reprenant les tenues correspondant à ces mots clés, associés au mot « sacs », et destinées à promouvoir le site internet ebay.fr, la société eBay International AG a porté atteinte à la renommée des marques Louis Vuitton numéro 1 627 892 et Vuitton numéro 1 450 750 dont la société Louis Vuitton Malletier est titulaire ;
. Dit qu’en générant à partir des mots clés Viton, Louis Viton, Wuitton, Wuiton, Witton, Louis Viton, Vuton et Viutton réservés auprès des moteurs de recherche Google, MSN, Altavista ou Yahoo, des annonces commerciales reprenant les tenues correspondant à ces mots clés, associés au mot « sacs », et destinées à promouvoir le site internet ebay.fr, la société eBay International AG a porté atteinte à la dénomination sociale, à l’enseigne et au nom de domaine de la société Louis Vuitton Malletier et a ainsi commis des agissements parasitaires ;
En conséquence :
. Fait interdiction à la société eBay International AG de poursuivre de tels agissements et ce sous astreinte de 1000 € par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision ;
. Condamne la société eBay International AG à payer à la société Louis Vuitton Malletier la somme de 100 000 € de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à ses marques ;
. Condamne la société eBay International AG à payer à la société Louis Vuitton Malletier la somme de 100 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des agissements parasitaires ;
. Autorise la publication, aux frais de la société eBay International AG, du dispositif de la présent décision dans trois journaux ou revues au choix de la société Louis Vuitton Malletier, sans que le coût de chaque publication n’excède la somme de 5000 € HT, ainsi qu’en partie haute de la page d’accueil du site www.ebay.fr pendant une durée d’un mois et ce, sous astreinte de 500 € par jour de retard passé un délai d’un mois à compter de la date à laquelle la présente décision sera devenue définitive ;
. Se réserve la liquidation des astreintes ordonnées ;
. Déboute la société Louis Vuitton Malletier de sa demande au titre de la publicité trompeuse ;
. Déboute la société Louis Vuitton Malletier de l’ensemble de ses demandes formées contre la société eBay Inc. ;
. Condamne la société eBay International AG à payer à la société Louis Vuitton Malletier la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
. Rejette toute autre demande ;
. Condamne la société eBay International AG à payer les entiers dépens qui seront recouvrés par la Selarl Marchais De Cande conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;
. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce qui concerne les mesures de publication.
Le tribunal : Mme Marie-Claude Hervé (vice présidente), Mme Agnès Marcade et M. Rémy Moncorde (juges)
Avocats : Me Patrice De Cande, Me Olivier Laude
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