Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance Point à Pitre Chambre commerciale Ordonnance du 23 avril 2004
Casaboubou / Amen
marques - nom de domaine
Par acte du 9 février 2004, la société Casaboubou assignait en référé la société Agence des Médias Numériques (Amen) en vue de lui enjoindre de communiquer toutes les informations dont elle dispose sur les acheteurs des noms de domaine « casaboubou.com » et « casaboubou.net » (et notamment le numéro de la carte bancaire ayant servi à l’achat de ces noms de domaine) sous astreinte à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, lui faire interdiction de transférer le nom de domaine « casaboubou » vers une autre unité d’enregistrement sous astreinte de 150 € par jour d’infraction, ordonner sous la responsabilité de la société Amen la suspension provisoire des sites litigieux « casaboubou.net » et « casaboubou.com » ainsi que leur re-direction sur le site « casaboubou.fr », condamner la société Amen à verser une somme de 500 € au titre de l’article 700 du ncpc.
Elle expose qu’elle est propriétaire d’un fonds de commerce de location de bungalows, recrutant la plupart de ses clients par son site internet « casaboubou.fr ». Le 9 octobre 2002, elle s’est aperçue qu’une tierce personne avait acquis les noms de domaine « casaboubou.net » et « casaboubou.com » sous un faux nom et une fausse adresse, cette personne utilisant ces deux sites pour rediriger les clients de « casaboubou.fr » sur des sites scatologiques « classés X ») ; cette manœuvre lui causant un grave préjudice commercial. Un constat d’huissier a été établi le 13 août 2003 pour préserver ses droits. Le nom commercial permet l’identification du site web et associé à une adresse IP, permettent l’identification de l’entité qui, en créant le site web, utilise le réseau comme un outil de promotion d’une activité ; son aspect commercial étant indéniable, c’est à travers un identifiant que la clientèle sera drainée, fidélisée ensuite. Au niveau mondial s’est peu à peu mis en place un système de nommage ; la France ayant l’association Afnic qui délivre pour chaque internaute qui le souhaite un nom de domaine « fr » en fonction d’une charte de nommage. Les sites internationaux « com, net, org » ne sont pas soumis à cette charte et le principe est celui « du premier arrivé, premier servi ». La valeur juridique des noms de domaine est reconnu par la jurisprudence, à charge pour le propriétaire d’en démontrer l’antériorité et le risque de confusion ; il s’agit d’actes de concurrence déloyale.
La société Amen estime que la présente juridiction est incompétente territorialement, et demande en conséquence le débouté des prétentions de la requérante ; elle demande la condamnation de cette dernière au paiement d’une somme de 10 000 € pour procédure abusive, et une somme de 7500 € au titre de l’article 700 du ncpc.
Elle expose que les règles de l’article 46 du ncpc ne lui sont pas applicables puisque le « fait dommageable » ne lui est pas imputable et ne peut donc lui être opposé. Le prétendu dommage subi par la requérante ne peut trouver son origine dans une quelconque responsabilité de la société Amen mais bien dans celle de Bernard M. responsable de l’enregistrement des noms de domaine litigieux ; Amen se contentant d’un rôle d’intermédiaire aux fins de voir enregistrer les noms de domaine. Il est incohérent d’engager sa responsabilité ou de lui imputer un fait quelconque en relation avec l’enregistrement des noms de domaine aux lieu et place de Bernard M. Seule la règle du lieu où demeure le défendeur est applicable. Le choix procédural du recours au référé est contraire à l’article 147 du ncpc ; une saisine sur requête était suffisante et permettait de réduire les coûts procéduraux. Amen n’a aucune responsabilité dans le choix et la sélection des noms de domaine, conformément à la loi du 1er août 2000 et à l’article 43-8 qui stipule que les intermédiaires ne sont pénalement ou civilement responsables que si étant saisies par les autorités judiciaires elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès au contenu de ses services. Sa responsabilité est donc largement limitée, Amen n’ayant qu’un simple rôle de « registrars ». Amen ne s’oppose pas à la fourniture d’informations concernant ses clients, sous réserve qu’une décision judiciaire l’ordonne, étant prête à fournir l’ensemble des informations en sa possession concernant Bernard M., titulaire des noms de domaine ; celles-ci étant accessible au public par le « whois » ; la loi ne faisant pas obligation à l’intermédiaire de procéder à la vérification des informations d’identification qu’il doit recueillir, ni l’obligation de vérifier les données personnelles ainsi transmises. Les coordonnées bancaires ne peuvent être conservées que pour la durée de la transaction bancaire.
Vu les conclusions en réplique dans lesquelles la requérante sollicite, outre ses précédentes demandes, à ce que la défenderesse soit condamnée à lui fournir le numéro de la carte bancaire ayant servi à l’achat des noms de domaine, le numéro de la transaction, la facture, les coordonnées bancaires du compte débités, l’adresse IP utilisée par la personne ayant procédé à la réservation des noms de domaine, constituer Amen gardienne de la pérennité de la re-direction des sites vers « casaboubou.fr », et une somme de 1000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
Vu les conclusions en réplique de la société Amen.
DISCUSSION
Sur la compétence du TMC de Pointe à Pitre
L’incompétence de la présente juridiction ayant été soulevée avant tout autre moyen de défense et, la société Amen ayant précisé vers quelle juridiction elle souhaitait que cette instance soit renvoyée, elle est recevable dans son exception, conformément à l’article 74 du ncpc.
Aux termes de l’article 46 du même code, en matière délictuelle, ce qui est le cas en l’espèce, la juridiction compétente est celle du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. La jurisprudence a défini, dans le cas d’infractions commises sur le réseau internet le lieu où le fait dommageable se produit, à savoir dans tous les lieux où les informations sont mises à la disposition des utilisateurs éventuels du site. En l’espèce le fait dommageable ayant été constaté par huissier à Pointe à Pitre le 13 août 2003, la présente juridiction est donc compétente pour en connaître.
Sur les demandes de la requérante
Par courrier du 15 décembre 2003, Casaboubou a envoyé un courrier à la société Amen demandant à celle-ci de lui fournir les éléments en sa possession permettant l’identification de la personne ayant déposé en fraude de ses droits les noms de domaine « casaboubou.com » et « casaboubou.net ». Amen, par courrier du 9 janvier 2004, lui répondait qu’elle était prête à fournir les éléments en sa possession, s’agissant de données nominatives au sens de la loi du 6 janvier 1978, elles ne pouvaient cependant être transmises que sous réserve d’une autorisation judiciaire ; la défenderesse précisant qu’il était d’usage de saisir le président de la juridiction par simple requête. La saisine de la présente juridiction par référé, même si elle ne peut, en soit, être considérée comme abusive, puisqu’elle permet à la société Amen d’être partie à l’instance, apparaît inutile dès lors que cette pratique rappelée dans le courrier de cette dernière est d’usage et que par ailleurs, elle ne s’oppose pas à fournir ce dont elle dispose afin d’identifier le propriétaire des sites contestés. Il n’y a donc pas lieu à enjoindre la société Amen sous astreinte puisqu’elle ne s’est jamais opposée aux demandes de la requérante.
Par contre, même si elle n’est plus en possession du numéro de la carte bancaire du propriétaire du domaine litigieux, il lui appartiendra de fournir tous les éléments en sa possession, notamment en matière bancaire, qui pourrait permettre d’identifier le propriétaire réel. La société Amen est tenue à un devoir de loyauté sur ce point et doit s’efforcer d’être parfaitement transparente en remettant toutes informations utiles. Les reproches que lui fait la requérante, tendant à établir que délibérément la défenderesse ferait de la rétention d’informations, ne sont pas en l’état prouvés et ne justifie pas que l’injonction puisse porter sur des éléments précis.
Compte tenu cependant de la nécessité, pour la requérante, de vérifier qu’un nommé F., propriétaire du domaine « caribgites.com » enregistré le même jour que les sites litigieux, auprès de la société Amen, n’en serait pas le créateur ; il convient d’étendre ces recherches à ce site.
Les demandes d’interdiction de transférer le nom de domaine « casaboubou » vers d’autre unité d’enregistrement et de suspension provisoire des sites litigieux seront en l’état rejetées ; la preuve de l’antériorité de ce nom n’est pas rapportée et devra être débattue devant le juge du fond. Par ailleurs, il n’existe pas d’urgence puisque la situation dure depuis plus de seize mois.
La demande au titre de l’article 700 du ncpc sera rejetée, la requérante, par l’utilisation de la procédure de référé, a obligé la société Amen à assurer une défense coûteuse, qui aurait pu être évitée par la voie de la requête.
Les dépens seront pris en charge par moitié.
DECISION
Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
. Donne acte à la société Amen de ce qu’elle est disposé à communiquer à la société casaboubou les données permettant l’identification des acheteurs des noms de domaine « casaboubou.net » et « casaboubou.com ». Dit que cette communication sera étendue au nom de domaine « caribgites.com »,
. Fait en conséquence injonction à la société Amen de communiquer à la société Casaboubou les données nécessaires à l’identification en question,
. Déboute la société Casaboubou de ses autres demandes,
. Dit que les dépens seront pris en charge par chacune des parties à hauteur de moitié.
Le tribunal : M. Loïc Chauty (président)
Avocats : Me Maryan Mougey, Me Elisabeth Saingolet, Me Cyril Fabre
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