Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Droit d'auteur

mardi 31 août 2004
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 3ème section Jugement du 29 juin 2004

MultiCV, Sophie D., Xavier G. / William J., Michel de B.

base de données - concurrence déloyale - constat - droit d'auteur - investissement substantiel - originalité - reproduction - site internet

FAITS ET PRETENTIONS

La société MultiCV est une société créée le 22 juillet 2003 par Sophie D. et Xavier G. en vue de proposer aux particuliers comme aux professionnels des services et des conseils dans le domaine des ressources humaines et plus particulièrement dans le secteur du recrutement. C’est ainsi que sur l’un de ses sites internet à l’adresse « hitcv.com » la société MultiCV propose contre paiement aux internautes 110 modèles de curriculum vitae et 45 modèles de lettres de motivation.

Dans le courant du mois de juin 2003, Xavier G. a découvert que William J. et Michel de B., sur le site « mdpublicité.com » qu’ils éditent, avaient reproduit certaines des pages du site de la société MultiCV et ce, sans leur autorisation.

Après plusieurs mises en demeure restées vaines adressées à William J. et Michel de B. de cesser ces actes que la société MultiCV, Sophie D. et Xavier G. considèrent comme attentatoires à leurs droits, ces derniers après constats réalisés par l’Agence pour la Protection des Programmes ont assigné William J. et Michel de B. selon la procédure à jour fixe aux fins de voir :

– constater le caractère protégeable au titre du droit d’auteur du contenu du site « hitcv.com »,

– constater que l’ensemble du contenu de ce site constitue également une base de données protégeable,

– constater que la société MultiCV dispose d’une licence tacite d’exploitation des modèles de lettres de motivation et de CV dont Sophie D. et Xavier G. sont les co-auteurs,

– dire que William J. et Michel de B. ont porté atteinte à leurs droits d’auteur et ont procédé à une extraction substantielle de la dite base de données,

– dire que William J. et Michel de B. utilisent le nom commercial Hit CV aux fins de détourner la clientèle de la société MultiCV,

– condamner conjointement et solidairement William J. et Michel de B. à leur payer la somme de 30 000 € au titre des actes de contrefaçon de leurs droits d’auteur, une même indemnité au titre du détournement de la base de données, une indemnité de 15 000 € au titre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme commercial ainsi qu’une indemnité de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc,

– interdire la poursuite de ces actes illicites,

et ce, sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

Michel de B. régulièrement assigné à sa personne n’a pas constitué avocat.

William J. plaide :

sur les faits :

– qu’il a effectivement extrait des modèles de CV et de lettres de motivation sur le site des demandeurs moyennant paiement ;

– qu’il a modifié les modèles en cause ne conservant que la subdivision en rubriques à savoir : l’expérience professionnelle, la formation et le « divers » ;

– que s’il a modifié les caractéristiques visibles des modèles en cause, il n’a pas modifié les « propriétés » des fichiers informatiques, visibles après manipulation information ;

sur le fond :

– qu’il n’y a pas contrefaçon faute de reproduction des caractéristiques des modèles opposés qui n’ont d’ailleurs pas date certaine,

– qu’en tout état de cause, les modèles opposés sont dépourvus de toute originalité,

– qu’il ne peut y avoir aucune atteinte aux droits moraux des prétendus auteurs,

– qu’il n’y a aucune extraction illégale de base de données, dès lors qu’il a téléchargé les fichiers en cause de façon tout à fait régulière,

– qu’en tout état de cause, la base de données des demandeurs n’est pas protégeable faute de démonstration d’un investissement substantiel,

– que l’utilisation du terme « HitCV » sur « Google » résulte sans doute des propriétés cachés des modèles modifiés mais est sans conséquence dès lors que lorsque la recherche s’effectue sur ce terme, c’est le site des demandeurs qui arrive en premier ;

– que le préjudice allégué n’est pas justifié.

Aussi, William J. conclut au débouté des demandes et à l’allocation d’une indemnité de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc.

Les demandeurs ont répondu oralement aux moyens de défense soulevés et ont maintenu leurs prétentions.

A la demande du tribunal,

– William J. lui a adressé en cours de délibéré une nouvelle recherche sur le moteur « Google » à partir du terme « hitcv ».

– les demandeurs lui ont adressé un certificat Iddn ainsi que l’attestation de cet organisme établissant la date de référencement du site internet « hitcv.com » le 2 mai 2003, l’ensemble des 45 modèles de lettres de motivation et les 110 modèles de CV.

En réponse,

– les demandeurs ont adressé au tribunal une autre recherche sur Google à partir du terme « hitcv » contestant la fin des actes de concurrence déloyale commis via ce moteur de recherche,

– William J. conteste que les pièces produites permettent d’établir la date certaine de création des modèles opposés et sollicite dans l’hypothèse où les modèles opposés seraient susceptibles d’avoir une valeur probatoire, la réouverture de débats.

DISCUSSION

Sur la réouverture des débats :

Il n’y a pas lieu à accorder la réouverture des débats dès lors que l’examen des pièces produites et des écritures a détruit ce moyen de défense.

Sur les droits des demandeurs :

Au titre de la protection littéraire et artistique :

Il ressort des écritures de William J. que celui-ci reconnaît avoir téléchargé contre paiement à partir du site « htcv.com » des modèles de lettres de motivation et des modèles de curriculum vitae figurant sur celui-ci puis les avoir en partie modifiés. Dans ces conditions, William J. ne saurait valablement contester l’antériorité des modèles opposés par les demandeurs.

Il est constant qu’une œuvre de l’esprit pour être protégeable doit porter l’empreinte de la personnalité de ses auteurs.

En l’espèce, si la présentation des lettres de motivation n’est pas protégeable car reprenant un modèle classique, en revanche leur contenu à partir d’exemple type d’offre d’emploi qui présente de façon synthétique la personnalité du candidat est original et empreint de la personnalité de leur auteur.

De même, si la présentation du modèle de CV n’apparaît pas originale utilisant une disposition classique en rubrique avec des encadrements ou des colonnes en couleurs, en revanche, leur contenu est empreint de la personnalité de leur auteur dès lors qu’il est le fruit de l’imagination de celui-ci qui crée des personnes à la carrière fictive.

Dans ces conditions, Sophie D. et Xavier G. qui sont les auteurs de ces modèles de CV et de lettres de motivation et la société MultiCV qui les exploitent sont recevables à opposer aux défendeurs leurs droits d’auteur sur ces modèles étant précisé que les « propriétés informatiques de ceux-ci » n’entrent pas dans le champ de cette protection dès lors que les demandeurs ne démontrent pas en être les auteurs.

Sur la protection de la base de données :

L’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel.

Les demandeurs versent pour justifier de l’investissement correspondant à la création de la base de données dont il réclame la protection au titre de la disposition précitée, une facture de 42,34 € au titre de la création du nom de domaine du site « hitcv.com ».

Compte-tenu de ce seul élément, le tribunal considère que l’article précité n’est pas applicable faute de preuve d’un investissement substantiel de la société MultiCV dans la gestion de la base de données opposée.

Sur la contrefaçon

Il ressort des deux constats APP des 19 et 30 juin 2003 et du 7 octobre 2003 que sur le site « mdpublicité.com » édité par les défendeurs figuraient des modèles de lettres de motivation et des CV.

S’il n’est pas contesté que les modèles de lettres de motivation des défendeurs sont largement inspirés des modèles des demandeurs, ce fait étant également établi par le nom et les adresses choisies (« Patrice Durand » en défense et « Sonia Durand » en demande et 15, avenue du Cheval), il n’en demeure pas moins que le contenu en a été modifié de telle sorte que le contenu original ne s’y retrouve plus. Dans ces conditions, les lettres de motivations ne sauraient être considérées comme contrefaisantes.

En revanche, les modifications apportées par les défendeurs aux modèles de CV des demandeurs sont insignifiantes (changement de nom, modification de chiffres etc…) mais ne suppriment pas les éléments de carrières créés par les demandeurs tant en ce qui concerne leur contenu que leur date …

Dans ces conditions, les griefs de contrefaçon de ces modèles de CV sont fondés en application de l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que toute représentation ou reproduction intégrale ou particulière faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayant droit ou ayant cause est illicite.

Sur la concurrence déloyale :

William J. ne conteste pas que son site soit accessible à partir d’un moteur de recherche mis en route à partir du terme « hitcv » mais explique que cela tient au maintien des propriétés informatiques de ses modèles qui sont celles des demandeurs et qui n’ont pas été modifiées.

Le tribunal relève que si les demandeurs permettent moyennant paiement à des internautes de télécharger des modèles de CV et de lettres de motivation, cette autorisation est limitée à un usage privé et non commercial.

En l’espèce, dès lors que William J. exploitait même après des modifications les modèles qu’il avait téléchargés sans en avoir modifié les propriétés informatiques de telle sorte que son site était accessible depuis le nom du site des demandeurs et ce, dans un but commercial (cf procès verbal APP ), cette exploitation constitue un acte de concurrence déloyale ; en effet, l’exploitation de ses « propriétés informatiques » lui permettait de détourner la clientèle des demandeurs et ce, même si le site de ces derniers apparaissait en premier lors de la recherche, la clientèle pouvant dès lors que le site de William J. lui était signalé, réaliser des comparaisons de prix et éventuellement utiliser celui-ci au détriment de celui des demandeurs.

Dans ces conditions, les actes de concurrence déloyale sont constitués.

Sur les mesures réparatrices :

Il y a lieu de mettre en œuvre une mesure d’interdiction dans les conditions définies au présent dispositif.

Dès lors que William J. et Michel de B. ont dénaturé les œuvres de Sophie D. et Xavier G. en les modifiant sans leur consentement et les ont reproduites et représentées sur le site « mdpublicité » qu’ils éditent sans mention du nom des auteurs, ils doivent réparation de l’atteinte portée aux droits moraux de ceux-ci. A ce titre, ils seront condamnés in solidum à payer à chacun d’entre eux la somme de 5000 €.

Par ailleurs, William J. et Michel de B. ont également porté atteinte aux droits patrimoniaux de la société MultiCV et devront payer à cette dernière une somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts.

Enfin, les actes de concurrence déloyale ont porté un préjudice commercial à la société MultiCV qui sera indemnisé par l’allocation de 10 000 € à la charge in solidum des défendeurs.

L’exécution provisoire de la présente décision est commandée par l’urgence à faire cesser les actes illicites précités.

Enfin une indemnité de 5000 € est allouée aux demandeurs au titre de la prise en charge de leurs frais irrépétibles qu’ils ont supportés dans la présente instance.

DECISION

Le tribunal statuant publiquement, en premier ressort et par décision réputée contradictoire,

. Dit que Sophie D. et Xavier G. sont co-auteurs des modèles de CV et de lettres de motivation reproduits sur le site « hitcv.com », modèles exploités avec leur accord par la société MultiCV,

. Dit que William J. et Michel de B. en éditant un site à l’adresse « mdpublicité » en reproduisant après les avoir partiellement modifiés les modèles de CV dont Sophie D. et Xavier G. sont les co-auteurs sans leur accord, ont porté atteinte à leurs droits moraux d’auteur ainsi qu’aux droits patrimoniaux de la société MultiCV,

. Dit que William J. et Michel de B. en exploitant sur ce même site des modèles de lettres de motivation et des CV provenant d’un téléchargement du site « hitcv.com » exploité par la société MultiCV et leur permettant de faire figurer le nom de leur site sur le moteur de rechercher « Google » à partir d’une recherche sur le nom commercial de celle-ci « hitcv » ont commis des actes de concurrence déloyale au détriment de cette dernière,

. Interdit la poursuite de ces actes illicites sous astreinte de 150 € par jour de retard passé le délai de 8 jours après la signification de la présente décision,

. Condamne in solidum William J. et Michel de B. à payer :

– à Sophie D. et Xavier G. à chacun la somme de 5000 € au titre de la réparation de l’atteinte à leurs droits moraux d’auteur,

– à la société MultiCV deux indemnités de 10 000 € en réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux et du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,

– aux demandeurs la somme de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc,

. Ordonne l’exécution provisoire,

. Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

. Condamne in solidum William J. et Michel de B. aux dépens qui comprendront les frais des deux constats de l’Agence pour la Protection des Programmes,

. Fait application de l’article 699 du ncpc.

Le tribunal : Mme Belfort (vice président), Mmes Vallet et Renard (vice présidents)

Avocats : Me Cyril Fabre, Me Alexandre M. Braun

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Alexandre M. Braun est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître Cyril Fabre est également intervenu(e) dans les 132 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Belfort est également intervenu(e) dans les 32 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Renard est également intervenu(e) dans les 17 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Vallet est également intervenu(e) dans les 21 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.