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Jurisprudence : Diffamation

mercredi 31 août 2022
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Tribunal judiciaire d’Agen, jugement du 12 juillet 2022

Abris France Soulagnet / Mme le Procureur de la République et M. X.

avis négatif - dénigrement - diffamation - plateforme de mise en relation - responsabilité civile

La Sarl Abris France Soulagnet est spécialisée dans le commerce de gros et de détail de tous produits et articles, essentiellement pour le bâtiment et autres usages, et les ventes en kit et en détail. Le 7 mai 2019, Monsieur X. a commandé auprès de cette société, divers matériaux de construction pour la réalisation d’un abris de garage. Ces derniers lui ont été livrés, à son domicile, par un transporteur, le 20 juin 2019. Le 16 juillet 2019, un avis négatif émanant d’“Un utilisateur de Google” a été publié sur la fiche internet « Google My Business » de la Sarl Abris France Soulagnet et une étoile lui a été attribuée.

Par mail en date du 16 juillet 2019 « Google My Business » a informé la Sarl Abris France Soulagnet que l’avis a été publié par une personne utilisant le pseudonyme “X.”. Depuis, ce pseudonyme est associé à l’avis négatif publié le 16 juillet 2019.

Par courrier recommandé avec accusé de réception reçu le 20 juillet 2019, la Sarl Abris France Soulagnet a adressé à celui qu’elle identifie comme auteur, Monsieur X., une mise en demeure de modifier l’avis négatif jugé diffamant.

Le 25 juillet 2019, l’avis initial a été modifié et une photographie du courrier de mise en demeure y a été adjointe.

Quarante-deux personnes ont indiqué « aimer » l’avis publié par “X.” et de nombreux avis négatifs ont été déposés dans les jours suivants.

Saisi d’une requête en identification formulée par la Sarl Abris France Soulagnet, le président du tribunal de grande instance de Montpellier a, par ordonnance du 26 août 2019, ordonné à la société Google de communiquer les données permettant l’identification des auteurs des avis laissés sur internet.

Le 12 septembre 2019, la Sarl Abris France Soulagnet a accompli les diligences en vue de faire signifier l’ordonnance à la société Google Ireland. Parallèlement, elle a adressé un courrier de mise en demeure à différentes entités de la société Google afin d’obtenir la suppression des avis sus mentionnés.

Par courrier électronique du 24 septembre 2019, la société Google, via son équipe chargée de la suppression de contenu, a indiqué avoir supprimé cinq avis non conformes à leur règlement. En revanche, le contenu du surplus des avis, et notamment de celui de “X.”, n’a pas été considéré comme dépassant les limites de la libre critique ou manifestement illicite en droit français.

Suivant courrier électronique en date du 30 septembre 2019, Google Ireland a adressé au conseil de la Sarl Abris France Soulagnet l’identification des auteurs des avis (mail, numéro de téléphone, adresse IP…).

Par acte d’huissier de justice délivré le 15 octobre 2019, dénoncé à Madame la procureure de la République près le tribunal de grande instance d’Agen, le 23 octobre 2019, la Sarl Abris France Soulagnet a fait assigner Monsieur X. devant le tribunal de grande instance de ce siège, devenu le tribunal judiciaire d’Agen, le 1er janvier 2020, aux fins de voir, principalement, condamner Monsieur X. à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts compte tenu de l’atteinte portée à sa considération et à son honneur par les avis diffusés dans la fiche « Google My Business ».

Dans ses conclusions en répliques signifiées par voie électronique, le 2 février 2022, la Sarl Abris France Soulagnet demande au tribunal, sur le fondement des dispositions des articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, et 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, sur la communication audiovisuelle, et 1240 du code civil, et sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– in limine :
– de juger que le tribunal judiciaire d’Agen est compétent,
– de juger recevable son action à l’encontre de Monsieur X.,
– de juger que les avis publiés par Monsieur X. (avis diffusé le 16 juillet 2019 et avis du 25 juillet 2019) sous le pseudonyme “Un utilisateur de Google”, puis “X.”, dans sa fiche « Google My Business » ont porté atteinte à son honneur et à sa considération,
– de juger que ces avis constituent une diffamation au sens de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, laquelle est sanctionnée par l’article 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881,
– d’engager, par voie de conséquence, la responsabilité de Monsieur X., en sa qualité d’auteur sur le fondement de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse,
– de juger que les avis ci-dessous diffusés dans sa fiche « Google My Business » ont porté atteinte à son honneur et à sa considération :
– avis diffusé le 25 juillet 2019 par “M. Y.”,
– question diffusée le 25 juillet 2019 par “M. Y.”,
– avis diffusé le 25 juillet 2019 par “M. Z.”,
– avis diffusé le 25 juillet 2019 par “PG”,
– avis diffusé le 26 juillet 2019 par “VC”,
– de juger que ces avis constituent une diffamation au sens de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, laquelle est sanctionnée par l’article 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881,
– de juger que ces avis ont été diffusés avec la complicité de Monsieur X.,
– d’engager, par voie de conséquence, la responsabilité de Monsieur X. pour diffamation, en sa qualité de complice, sur le fondement de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse,
– de juger que les avis de D. B., Y. H., L. B., R. M., T.82 et O. C., diffusés dans sa fiche « Google My Business » ont dénigré ses produits et services,
– de juger que Monsieur X. est complice du dénigrement effectué par les auteurs des 6 avis susvisés,
– de juger que Monsieur X. a, par sa complicité, engagée sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
– de juger qu’elle a subi un préjudice financier et moral du fait de la publication de ces avis, de la date de leur publication en juillet 2019 jusqu’au 13 septembre 2021,
– de condamner Monsieur X. à lui verser la somme de 94.272 € en réparation de son préjudice,
– de débouter Monsieur X. de l’intégralité de ses demandes,
– de condamner Monsieur X. à lui verser la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

A l’appui de ses prétentions, la Sarl Abris France Soulagnet fait valoir la compétence du tribunal judiciaire pour connaître, en application des dispositions de l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire et 46 de la loi du 29 juillet 1881, des actions civiles pour diffamation, indépendamment d’une action pénale, son action n’étant pas fondée sur l’une des diffamations spéciales réprimées par les articles 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881.

Elle conclut à la recevabilité de son action à l’encontre de Monsieur X. eu égard à la responsabilité en cascade prévue par l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 qui n’exige pas d’engager la responsabilité du directeur de publication. Elle explique que l’usage du pseudonyme “X.”, la diffusion de la lettre recommandée qu’elle lui a adressée et les informations transmises par la société Google permettent d’identifier Monsieur X. comme auteur de l’avis initial, et d’engager, à ce titre, sa responsabilité.

Elle soutient que Monsieur X. est à la fois auteur et complice de diffamation telle que définie par l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881. Elle estime que son avis du 16 juillet 2019, modifié le 25 juillet 2019, contient des faits portant atteinte à sa considération en lui imputant des faits illicites. Elle considère que la complicité serait, quant à elle, caractérisée par la reprise, par d’autres personnes, de la photographie de la lettre recommandée diffusée par Monsieur X. et des informations selon lesquelles elle l’aurait menacé à la suite de son avis négatif et concernant la mauvaise qualité des produits qu’elle vend. Elle déduit, ainsi, sa complicité de la concordance et de la concomitance des messages, que Monsieur X. est complice de diffamation.

Elle prétend que Monsieur X. serait, également, complice du dénigrement effectué par d’autres auteurs d’avis, ce qui serait de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

S’agissant de son préjudice, elle fait état d’une baisse de son chiffre d’affaire d’un montant de 314.242 € entre le 1er juillet 2019 et le 13 septembre 2021, date de la suppression des avis, qu’elle impute à hauteur de 30 % aux avis négatifs, sur la base d’un sondage réalisé par l’institut IFOP en 2014.

Enfin, en réplique à la demande reconventionnelle de Monsieur X., elle nie avoir commis une faute, l’exercice d’une voie de droit étant le seul moyen pour lui permettre de faire supprimer les avis émis à son encontre et d’obtenir réparation de son préjudice.

Dans ses conclusions n°4 signifiées par le RPVA, les 23 novembre 2021 et 18 février 2022, Monsieur X. demande au tribunal, sur le fondement des articles 29, 42 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, de l’article 32 du code de procédure civile et de l’article
1240 du code civil :
– in limine litis :
– de se déclarer incompétent pour statuer sur les demandes formées par la Sarl Abris France Soulagnet,
– de déclarer irrecevables les demandes formulées par la Sarl Abris France Soulagnet à son égard,
– à titre principal :
– de constater que les avis dont la suppression est demandée sous astreinte ne figurent plus sur la fiche « Google My Business » de la Sarl Abris France Soulagnet,
– de débouter la Sarl Abris France Soulagnet de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– de condamner la Sarl Abris France Soulagnet à lui payer la somme de 15.000 € en réparation de la procédure abusive qu’il subit,
– en tout état de cause :
– de condamner la Sarl Abris France Soulagnet à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la Sarl Abris France Soulagnet aux entiers dépens.

Au soutien de son exception d’incompétence, il explique que la diffamation définie et réprimée par les articles 29 alinéa 1er et 32 de la loi du 29 juillet 1881, est une infraction pénale et qu’à ce titre l’action intentée par la Sarl Abris France Soulagnet relève de la compétence du tribunal correctionnel en application de l’article 381 du code de procédure pénale. Elle ajoute que, selon une jurisprudence établie de la Cour de cassation, les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

S’agissant de sa fin de non recevoir, elle soutient que le mécanisme de la responsabilité en cascade prévue par l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 impose d’engager la responsabilité du directeur de publication ou de l’éditeur. Dès lors, à supposer qu’il soit l’auteur de l’avis, la Sarl Abris France Soulagnet est dépourvue du droit d’agir en application des dispositions de l’article 32 du code de procédure civile.

Sur le fond, il affirme que son avis, certes négatif, ne constitue pas une diffamation, les faits dénoncés relevant de l’exception de vérité. Il conteste la complicité de dénonciation aux motifs que les avis laissés par d’autres personnes ne font que confirmer l’expérience négative qu’il aurait vécue. S’agissant de la demande de la Sarl Abris France Soulagnet fondée sur le dénigrement, il observe que cette notion renvoie à un acte de concurrence déloyale, qui ne peut être reproché à un client. Il considère, au surplus, qu’elle ne rapporte pas la preuve de sa complicité, chaque utilisateur disposant de son propre compte et aucun élément n’établissant l’existence d’instructions qu’il aurait données, les auteurs des avis demeurant libres de reproduire la copie du courrier qu’il avait publié. Soulignant, l’évolution de l’argumentaire de Monsieur X. au cours de la procédure, il conteste le caractère certain, direct, déterminé et personnel du préjudice allégué.

A titre reconventionnel, il signale que la Sarl Abris France Soulagnet avait la possibilité de clôturer sa page « Google My Business » et de demander la suppression des avis au lieu d’intenter une procédure judiciaire.

Le procureur de la République du Tribunal judiciaire d’Agen n’a pas conclu. L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2022.

L’affaire a été retenue à l’audience de plaidoiries du 10 mai 2022 et mise en délibéré à la date de ce jour.

Le présent jugement, susceptible d’appel, sera déclaré réputé contradictoire en application des dispositions de l’article 474 du code de procédure civile.


DISCUSSION

L’article 472 du code de procédure civile énonce que “si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée”.

1°) Sur la compétence du tribunal judiciaire d’Agen :

Aux termes de l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire, dans sa version en vigueur au jour de l’assignation, le tribunal de grande instance a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements, au nombre desquelles figurent les matières suivantes : 13° Actions civiles pour diffamation ou pour injures publiques ou non publiques, verbales ou écrites.

Selon l’article 46 de la loi du 29 juillet 1881, l’action civile résultant des délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31 ne pourra, sauf dans les cas de décès de l’auteur du fait incriminé ou d’amnistie, être poursuivie séparément de l’action publique.

En l’espèce, l’action en diffamation intentée par la Sarl Abris France Soulagnet à l’encontre de Monsieur X. est fondée à la fois sur les articles 29, alinéa 1er (diffamation publique écrite) et 32 de la loi du 29 juillet 1881. Dès lors, elle ne relève pas des dispositions de l’article 46 de la même loi, lesquelles ne concernent que les délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31, soit les diffamations envers les serviteurs et les corps de l’Etat.

Par ailleurs, il n’est pas contesté que Monsieur X., défendeur, demeure dans le ressort du tribunal judiciaire d’Agen.

Il s’en déduit que le tribunal de grande instance de ce siège, devenu tribunal judiciaire d’Agen, est compétent pour connaître de l’action de la Sarl Abris France Soulagnet à l’encontre de Monsieur X.

2°) Sur la recevabilité des demandes de la Sarl Abris France Soulagnet :

Il ressort des dispositions de l’article 32 du code de procédure civile qu’“est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir”.

Les articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 instituent un mécanisme de responsabilité en cascade des directeurs de publication, éditeurs, à défaut des auteurs, à défaut des imprimeurs et à défaut des vendeurs, distributeurs et afficheurs.

L’article 93-3 de la loi n° 82-625 du 29 juillet 1982 reprend le même mécanisme pour les infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881, incluant la diffamation, commises par un moyen de communication au public par voie de presse.

Alors même que les dispositions précitées doivent recevoir application devant la juridiction civile en cas d’infractions commises par voie de presse, il est de principe qu’aucune disposition de la loi sur la presse ne subordonne la mise en cause de l’auteur de l’écrit à la poursuite, à titre d’auteur principal, du directeur de la publication ou à celle, à quelque titre que ce soit, d’autres personnes pénalement responsables en application des articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881.

Dès lors, la Sarl Abris France Soulagnet est parfaitement recevable à engager la responsabilité civile de l’auteur des propos qu’elle estime diffamants. Monsieur X. sera, en conséquence, débouté de sa fin de non recevoir.

3°) sur les demandes indemnitaires de la Société Abris France Soulagnet :

– Sur la diffamation au titre des avis des 16 et 25 juillet 2019 :

Aux termes de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés”.

La constitution de cette infraction implique la réunion d’un élément matériel, à savoir l’expression d’un reproche portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne, et d’un élément moral, caractérisé par une intention diffamatoire.

Toutefois, une diffamation pleinement constituée reste néanmoins licite eu égard à la vérité du fait diffamatoire ou à la bonne foi du diffamateur.

En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats qu’un avis négatif émanant du pseudonyme “Un utilisateur de Google” devenu “X.” a été publié sur la fiche internet «Google My Business”, indiquant :
« délais non respecter commercial sans suivit au téléphone on annonce un produit fabriquer localement hors sa arrive d’Espagne avec un chauffeur qui ne parle pas la langue pas fichu d’expédier une facture papier comme demander encaisse le règlement sans prévenir, a fuir se genre d’ecrocs », la société étant notée d’une étoile sur cinq.

Le 25 juillet 2019, la mention « a fuir se genre d’ecrocs » a été supprimée et remplacée par « édit suite à un courrier de menace en recommander (photo ci joint) je modifie un mots ». La photo du courrier de mise en demeure adressé par la Sarl Abris France Soulagnet a également été publiée en commentaire dudit avis.

A titre liminaire, il convient de constater que Monsieur X. ne conteste pas, réellement, être l’auteur des avis. Toutefois, à il échet de noter, à titre superfétatoire, que les informations transmises par la société Google, notamment l’adresse mail cannibal17@hotmail.fr, la publication de la lettre de mise en demeure et le contenu des commentaires permettent d’imputer la rédaction de l’avis litigieux à Monsieur X.

La Sarl Abris France Soulagnet soutient que Monsieur X. a porté atteinte à son honneur et à sa considération. Ce dernier conteste le caractère diffamatoire de son avis mais reflète la réalité de son expérience auprès de la Sarl Abris France Soulagnet.

En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats (des échanges de mails, devis accepté par Monsieur X., les conditions générales de vente) que ce dernier a été destinataire d’un premier devis le 12 avril 2019, puis d’un second le 18 avril 2019, mentionnant un prix T.T.C. conformément à sa demande. Ce devis a été accepté et retourné le 7 mai 2019, Monsieur X. ayant apposé la mention manuscrite « Bon pour commande et j’ai lu et j’accepte les conditions générales de vente ». Il est ainsi démontré qu’il a eu connaissance des conditions générales du contrat avant leur envoi par courrier électronique en date du 22 mai 2019. S’il déplore l’envoi du schéma de pliage de la faîtière pour validation plus d’un mois et demi après le devis initial, il y a lieu de constater que le mail du 24 mai 2019 montre qu’une correction avait été apportée concernant le faîtage. Aucun élement ne permet d’établir que cette modification est imputable à la Sarl Abris France Soulagnet. Aussi, il ne peut lui être reproché d’avoir adressé le schéma de pliage plus d’un mois après l’établissement du devis initial.

Par ailleurs, les pièces produites prouvent que la Sarl Abris France Soulagnet a adressé à Monsieur X. sa facture par courrier électronique en date du 5 juillet 2019, mais que ce dernier l’a sollicité “en papier” faute d’imprimante. Il ne peut donc pas reprocher à la société ce manquement. Les délais de livraison, de 2 à 10 semaines aux termes des conditions générales de vente, ont été respectés (commande le 7 mai et livraison le 20 juin). Le relevé de compte de Monsieur X. montre que le solde de la facture réglé par chèque a été débité le 16 juillet 2019, plusieurs semaines après la livraison et postérieurement à l’émission de la facture. Par ailleurs, Monsieur X. ne communique aucune pièce permettant d’établir qu’il avait convenu avec la Sarl Abris France Soulagnet que son chèque serait encaissé dès qu’il l’aurait informé du déblocage des fonds par sa banque. Les échanges de courriers électroniques entre la Sarl Abris France Soulagnet et son client montrent que cette société a également, assuré un suivi client réactif. Enfin, s’agissant de la provenance de la marchandise, aucune pièce ne permet d’établir que la Sarl Abris France Soulagnet avait certifié une origine française. Au contraire, l’article 3.6 des conditions générales indique “que certains de nos produits peuvent être issus de négoce et d’importation”.

Ainsi, les reproches allégués par Monsieur X. ne correspondent pas à la réalité de son expérience.

Cependant, en publiant sur Internet un avis accessible à tous, en reprochant à la Sarl Abris France Soulagnet le non respect de ses engagements contractuels en terme de délai, une tromperie sur l’origine des marchandises, la violation de la réglementation relative à

X. a dépassé la libre critique d’un client. Il a exprimé publiquement des reproches, consistant en des faits précis, imputables à la Sarl Abris France Soulagnet, dont il a été prouvé qu’elles ne correspondent pas à la vérité. Il a, de ce fait, porter atteinte à l’honneur ou à la considération de cette personne morale.

Par ailleurs, ces propos, leur large diffusion, leur maintien malgré une mise en demeure de les supprimer et la modification de l’avis intervenu le 25 juillet 2019, telle que décrite plus avant, traduisent sans équivoque la volonté de Monsieur X., qui ne pouvait ignorer la portée de ses propos, de diffamer la Sarl Abris France Soulagnet.

Par conséquent, les faits constitutifs de la diffamation publique par écrit, imputables à Monsieur X., sont réunis. Ce dernier sera donc déclarée responsable des conséquences dommageables des faits qu’il a commis.

– Sur la complicité de diffamation au titre des autres avis :

Selon le quatrième alinéa de l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, “pourra également être poursuivie comme complice de diffamation toute personne à laquelle l’article 121-7 du code pénal sera applicable”.

Ce dernier texte énonce qu’est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre.

Il est constant que plusieurs avis négatifs ont été publiés sous celui publié par Monsieur
X. entre le 16 juillet 2019 et le 8 août 2019 , notamment :

– M. B. : « Bonjour, à priori cette entreprise, serait adepte du tu mets un commentaire négatif, je te fais un recommandé pour que tu le retires » (25 juillet 2019). La photographie du courrier de mise en demeure adressé par la Sarl Abris France Soulagnet à Monsieur X. est, en outre, ajoutée.

– E. H.-R. : « M’a menacé d’une mise en demeure parce que j’ai déposé un commentaire négatif suite à un mauvais service, Compagnie à éviter ! » (25 juillet 2019 à 22h55).

– P243 GAV : « Faire pression pour faire enlevé les commentaires négatifs n’est pas professionnel…
Pour la peine, jamais je ne passerai par cette entreprise » (25 juillet 2019 à 22h28).

– V. C. : « Faire pression pour enlever les commentaires négatifs est indigne d’une société commerciale digne de ce nom.
Ils essais de faire peur pour que l’on note des choses bien lol Société de voleur qui vend des produit de me…
Et la vous allez m’envoyer un courrier ???
Attention car sinon c 1000 com négatif » (26 juillet 2019 à 5h12).

Il ressort des pièces produites que la société Google a communiqué à la Sarl Abris France Soulagnet les informations permettant d’identifier les auteurs de ces avis, notamment, leurs adresses mails. Ces dernières sont distinctes de celle de Monsieur X..

Aucun élément ne permet d’établir que Monsieur X. est lié avec chacun des auteurs de ces avis.

Monsieur X., qu’ils reprennent les mêmes thématiques, dénoncent des pratiques identiques et reproduisent la photographie du courrier de mise en demeure (les reproductions pouvant résulter d’une manipulation informatique), sont insuffisantes à prouver que Monsieur X. a aidé, assisté, provoqué ou donné des instructions aux auteurs de ces avis. Aucun élément ne permet d’établir qu’il s’est rendu coupable de complicité.

En conséquence, la Sarl Abris France Soulagnet sera déboutée de sa demande visant à voir déclarer Monsieur X. complice de diffamation.

– Sur la complicité de dénigrement :

L’article 1240 du code civil énonce que “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

La Sarl Abris France Soulagnet soutient que Monsieur X. a incité D. B., Y. H., L. B., R. M., T. 82 et O. C. à déposer des avis dénigrants à son égard. Certains avis ayant consisté à jeter le discrédit sur elle en répandant des informations malveillantes à propos de ses propos ou services et en la notant avec une étoile. Elle affirme que le dénominateur commun de ces propos est Monsieur X. puisqu’en moins de 48 heures elle a été la cible de ces avis, de sorte qu’il est à l’origine de ces messages. Elle estime qu’en incitant les individus à le dénigrer, en facilitant le dénigrement dans l’objectif de jeter le discrédit, Monsieur X. a commis une faute engageant sa responsabilité civile.

Monsieur X. souligne que le dénigrement est constitutif d’un acte de concurrence déloyale. Il estime qu’un avis laissé sur internet par un consommateur ne peut, en aucun cas, être constitutif d’un dénigrement puisqu’il ne provient pas d’une entité économique rivale mais d’un client.

En l’espèce et sans qu’il soit besoin de qualifier ces avis, il apparaît qu’aucun élément ne permet d’établir l’existence de relation entre, d’une part, Monsieur X., et d’autre part, D. B, Y. H., L. B. R. M., T. 82 et O. C. Le fait que leurs avis ont été publiés dans un temps très proche de celui de Monsieur X. ne permettent pas de prouver que ce dernier a commis des actes constitutifs de complicité au sens des dispositions de l’article 121-7 du code pénal.

La Sarl Abris France Soulagnet échoue ainsi, à rapporter la preuve de la faute qu’elle allègue. La Sarl Abris France Soulagnet sera, en conséquence, déboutée de sa demande visant à voir déclarer Monsieur X. complice de dénigrement.

– Sur le préjudice de la Sarl Abris France Soulagnet :

La Sarl Abris France Soulagnet soutient avoir subi un préjudice moral et financier et sollicite une somme de 94.272 € à titre de dommages et intérêts.

Elle justifie avoir subi une perte de son chiffre d’affaire de 392.803,07 euros HT entre les exercices 2018/2019 et 2019/2020, soit une perte nette de 157.121,23 €. Aucun élément n’est, en revanche, versé aux débats pour apprécier l’évolution du chiffre d’affaire sur l’exercice 2020/2021.

Par ailleurs, la production de deux attestations et du mail d’un client permet de confirmer que les avis négatifs peuvent susciter des interrogations auprès des éventuels clients.

Ainsi, il est incontestable que l’avis diffamatoire déposé par Monsieur X. en juillet 2019 et qui n’a été supprimé qu’en septembre 2021, a pu dissuader certains clients. En revanche, le préjudice allégué n’est pas démontré. Seuls les chiffres bruts de deux exercices

comptables sont fournis sans aucune explication sur la vie de l’entreprise, étant précisé que le début de l’année 2020 a été fortement impacté par la crise sanitaire. Le lien de causalité entre le seul avis laissé par Monsieur X. et la baisse du chiffre d’affaire n’est pas plus prouvé.

La Sarl Abris France Soulagnet ne rapporte pas la preuve du préjudice financier qu’il allègue. Elle justifie, en revanche, du préjudice moral qu’elle a subi et sera, en conséquence, indemnisée de son préjudice moral à hauteur de 3.000 €.

4°) Sur la demande reconventionnelle de Monsieur X. :

Aux termes de l’article 1240 du code civil, “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

Il importe peu de savoir si la Sarl Abris France Soulagnet est ou non à l’origine de la création de la fiche « Google My Business » à son nom. Toutefois, cette dernière est un outil utile pour son activité commerciale. Il ne lui appartenait pas de clore cette page pour remédier aux propos diffamatoires de Monsieur X., que ce dernier n’a pas supprimés, en dépit d’une mise en demeure.

Par ailleurs, la Sarl Abris France Soulagnet démontre avoir tenté de faire supprimer les avis de Monsieur X. en s’adressant, en vain, directement à la société Google.

L’action intentée contre Monsieur X., dans des délais de prescription très courts, et dont le bien fondé est reconnu par la présente décision, n’est donc pas constitutive d’une faute susceptible d’engager la responsabilité de la Sarl Abris France Soulagnet.

Monsieur X. sera, en conséquence, débouté de sa demande reconventionnelle.

5°) Sur les mesures accessoires :

Aucun élément ne justifie que soit ordonnée, en l’espèce, l’exécution provisoire de la présente décision.

Partie perdante, Monsieur X. sera condamné aux dépens.

Succombant, il sera condamné à payer à la Sarl Abris France Soulagnet la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Il sera, en revanche, débouté de sa demande fondée sur les mêmes dispositions.


DECISION

Le tribunal judiciaire, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

DÉCLARE le tribunal judiciaire d’Agen compétent ;

DECLARE recevables les demandes de la Sarl Abris France Soulagnet à l’encontre de Monsieur X. ;

DÉCLARE que l’avis du 16 juillet 2019 modifié le 25 juillet 2019 publié par Monsieur X. porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la Sarl Abris France Soulagnet et constitue une diffamation ;

CONDAMNE Monsieur X. à payer à la Sarl Abris France Soulagnet la somme de 3 000 € en réparation de son préjudice moral ;

DÉBOUTE la Sarl Abris France Soulagnet du surplus de ses demandes ;

DÉBOUTE Monsieur X. du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE Monsieur X. à payer à la Sarl Abris France Soulagnet la somme de 3. 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur X. aux dépens ;

DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision. Ainsi fait et jugé les an, mois et jour susdits.

 

Le Tribunal : Sandrine Sainsily-Pineau (juge), Karine Dumas (greffier)

Avocats : Me Sophie Delmas, Me Arnaud Dimeglio, Me Florence Coulanges

Source : Legalis.net

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