Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de grande instance de Paris Jugement du 04 mai 2012
Pewterpassion.com, Saumon's / Leguide.com
identification - information - publicité
FAITS ET PROCÉDURE
Par assignation du 20 février 2012, les sociétés Pewterpassion.com exerçant sous l’enseigne Etain Passion et Saumon’s exerçant sous l’enseigne Etains de Campanile demandent la liquidation à la somme de 96 000 € [96 jours à 1000 €] pour la période de 14 novembre 2011 au 17 février 2012 de l’astreinte prononcée par la cour d’appel de Paris le 28 septembre 2011. Il est en outre sollicité l’augmentation du montant de l’astreinte à la somme de 5000 € par jour de retard, l’allocation d’une indemnité de procédure de 2000 € et la condamnation de la défenderesse aux entiers dépens, en ce compris les frais du constat d’huissier.
A l’audience du 20 mars 2012. les requérantes maintiennent leurs demandes, qu’elles actualisent cependant à la somme de 128 000 € s’agissant de la demande de liquidation arrêtée au 19 mars 2012, en faisant valoir que le caractère publicitaire des espaces de ventes sur les sites internet de la société Leguide.com ne seraient toujours pas clairement identifiés, constituant une inexécution flagrante de l’arrêt précité justifiant une augmentation du taux de l’astreinte.
La société Leguide.com oppose notamment ;
– le caractère particulièrement imprécis des termes de l’arrêt d’appel s’agissant de la mise en conformité des sites de Leguide.com à l’article 20 de la LCEN,
– qu’ainsi qu’elle en justifie par la production d’un constat d’huissier, elle a modifié les mentions figurant sur son site principal représentant les trois quart de la fréquentation, www.leguide.com, dans le délai requis, soit avant le 14 novembre 2011,
– qu’elle a modifié les mentions figurant sur les sites www.webmarchand.com, www.leguide.net et www.gooster.fr avant le 15 mars 2012 soit dans les trois mois de la signification de l’arrêt,
– qu’elle a exécuté dans le délai requis les termes du dispositif de l’arrêt du 28 septembre 2011.
pour conclure à titre principal au débouté de l’ensemble des demandes, à titre subsidiaire à la liquidation modérée de l’astreinte au montant maximum de 3000 €, et à la condamnation des requérantes à lui payer la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
DISCUSSION
Aux termes des articles 33 à 37 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, l’astreinte est liquidée par le juge de l’exécution qui “tient compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontré les pour l’exécuter ».
En l’espèce, par arrêt du 28 septembre 2011, la cour d’appel de Paris a notamment condamné la société Leguide.com, dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte de 1000 € par jour de retard :
– à identifier sur ses sites les espaces dans lesquels sont référencés de manière payante les marchands et les produit comme étant un contenu à caractère publicitaire, dans le respect des dispositions de l’article 20 de la loi du 21 juin 2004,
– à cesser d’utiliser comme nom de domaine le mot “promosolde”.
Sur le contenu de l’obligation d’identification comme contenu à caractère publicitaire
La société Leguide.com reproche à cet arrêt de ne pas préciser quels étaient les sites concernés et quelle forme devait prendre l’identification mention explicative ajoutée ou autre mode de réorganisation du site termes, police, emplacement et récurrence de la mention, mode de visionnage de la mention requise par rapport à l’organisation du site (en page principale/en introduction/en face de chacun des résultats potentiels de chaque recherche…), constituant pour elle une difficulté pour s’y conformer en ce qu’elle a été contrainte de rechercher et de déterminer elle-même les modalités de présentation de nature à répondre à cette condamnation.
Or, l’arrêt prononçant l’astreinte rappelle dans ses motifs que les dispositions de l’article 20 de la loi du 21 juin 2004, qui étaient d’ailleurs citées par la société Leguide.com elle-même dans ses conclusions, disposent que “Toute publicité sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée“.
De plus, contrairement aux allégations de la défenderesse, cet arrêt vise expressément dans ses motifs les sites concernés lui appartenant, soit “leguide.com”, “leguide.net”, “webmarchands.com” et “www.gooster”, ce dernier visant évidemment, en dépit d’une erreur de plume, le site www.gooster.fr.
Enfin, il impose l’obligation d‘identifier comme publicitaire “les espaces dans lesquels sont référencés de manière payante les marchands et les produits“.
Il s’ensuit que l’injonction judiciaire est définie de manière précise, aucune disposition ne prévoyant qu’elle exclue toute latitude pour le débiteur de l’obligation pour déterminer les modalités de son exécution, étant relevé que la présente juridiction a compétence pour procéder à toute interprétation qui serait nécessaire à cet égard.
Le moyen tendant à dire que la formulation de l’obligation aurait constitué en soi une difficulté particulière pour la défenderesse sera donc rejeté.
Il convient dès lors d’examiner l’ampleur des diligences et le caractère adéquat des solutions adoptées par celle-ci.
Sur l’exécution de cette obligation et la demande de liquidation d’astreinte
Cette décision ayant été signifiée le 13 octobre 2011 à la société Leguide.com, il convient de dire que l’astreinte est exécutoire et qu’elle a commencé à courir le 14 novembre 2011.
Les requérantes soutiennent que les mentions ajoutées, en caractères minuscules et transparents les rendant quasiment illisibles, sont au surplus obscures, en ce que les termes « résultats provenant de marchands référencés à titre onéreux” ne font nullement apparaître leur caractère publicitaire. Elles rappellent en effet que l’insertion d’une information peut avoir un caractère onéreux sans avoir pour autant un caractère publicitaire, ce qui est notamment le cas pour les publications judiciaires.
Elles reprochent notamment l’absence du mot « ‘annonce” ou “publicité” alors que l’autorité de régulation professionnelle de la publicité fait obligation aux annonceurs, agences et supports-presse de faire figurer les mots « publicité » ou « communiqué » d’une manière claire et lisible en tête de toute annonce présentant les caractéristiques d’une publicité rédactionnelle, si cette annonce est payée, et que la société Google s’est d’ailleurs vue contrainte suite à sa condamnation de modifier l’identification de ses publicités antérieurement intitulées “liens commerciaux” par le tenue “annonce” et de les inclure dans un cadre de couleur, et ce tant dans les pages de résultat générales du moteur de recherche que dans les pages de résultats de son moteur “shopping” dédié au référencement de produits.
Elles soulignent en outre qu’aucune mention ne figure sur la page d’accueil la plus visitée ni sur les « bons plans” et les comparaisons.
Elles rappellent par ailleurs que le fait de faire figurer l’information dans une rubrique accessible seulement à condition que l’internaute clique dessus a été jugée inadéquate dans une affaire similaire concernant la société Kelkoo.
La société Leguide.com répond qu’elle s’est concentrée prioritairement sur la mise en conformité de son site principal www.leguide.com qui recueille 75% des annonces, qu’elle en a supprimé tout référencement à titre gratuit et a ajouté des mentions permettant d’identifier sans ambiguïté lors de la navigation sur le site le caractère payant de tous les référencements, et ce dans le délai requis.
Elle expose que s’agissant des sites annexes, la mise en conformité exigeait une réflexion plus importante et une solution plus complexe en raison du référencement pour partie gratuit, et ce au surplus pendant la période des fêtes au cours de laquelle la structure des sites est gelée pour faire face à l’activité supplémentaire générée. Elle indique avoir ajouté dans le délai imparti une phrase dans les encarts “plus d’infos sur les résultats” ou “plus d’infos” la phrase “les marchands sont référencés à titre onéreux (avec logo) ou à titre gratuit (sans logo)”, les véritables publicités étant quant à elles explicitement identifiées comme telles dans des cadres “pop up”.
De plus, elle indique que dans les trois mois de l’arrêt, elle a ajouté des mentions complémentaires parfaitement conformes et une différenciation par fonds bleus et blancs.
Enfin, elle rappelle que toute modification de ses sites implique la création d’une maquette, puis son développement informatique avec une phase de test avant son lancement.
En l’espèce, la société Leguide.com produit aux débats un constat d’huissier en date du 14 novembre 2011 faisant apparaître que sur le site www.leguide.com, qui concentre selon les statistiques versées aux débats plus de 70% des clics recensés sur les six derniers mois, apparaît la mention « X résultats provenant de marchands référencés à titre onéreux”.
Or, il convient de constater que cette mention comporte un terme, “onéreux”, à usage essentiellement littéraire ou juridique alors qu’il aurait été aisé de choisir un vocabulaire plus courant et par là même plus accessible au commun des consommateurs tel que le mot “payant” figurant au demeurant dans la décision dont l’exécution est recherchée.
De plus, elle est portée en caractères de petite taille, inférieure à la typographie habituelle des pages consultées, et n’est donc pas particulièrement apparente.
Enfin, la formule utilisée ne permet pas d’exclure que le site comprendrait d’autres résultats provenant de marchands référencés à titre gratuit, d’autant plus qu’il résulte de la présentation des services de LeGuide.com en date du 19 mars 2012 que le référencement gratuit permet d’être présent dans l’annuaire LeGuide.com après sélection éditoriale. En outre, elle ne rend nullement intelligible que le contenu des espaces aurait un caractère publicitaire.
Par ailleurs, le procès-verbal dressé à la requête des demanderesses le 19 janvier 2012 établit que cette formule n’apparaît que sur les pages de résultats obtenus suite à recherche par mots clés, mais ni sur la page d’accueil, ni dans la rubrique “plans sélectionnés par LeGuide.com” ni dans celle intitulée “on veut des soldes”.
Dès lors, il convient de considérer que la société Leguide.com n’a pas satisfait à ce jour à son obligation d’identification claire de ces espaces comme ayant un contenu à caractère publicitaire sur son site principal.
S’agissant des sites secondaires, il est constant que la défenderesse s’est contentée, dans le délai imparti, de modifier l’information donnée au consommateur dans ses encarts “Plus d’info sur les résultats” du site www.leguide.net et “plus d’infos” sur le site www.webmarchand.com en y indiquant que les marchands sont référencés à titre onéreux (avec logo) ou à titre gratuit (sans logo).
Or, ce cheminement, qui implique la nécessité d’ouvrir une autre fenêtre, ne répond pas aux exigences légales de clarté auxquelles la cour s’est référée dans la détermination de son obligation.
Les autres efforts, dont il est constant qu’ils n’ont été fournis par la débitrice de l’obligation qu’après que l’astreinte ait commencé à courir, ont consisté à faire apparaître :
– sur le site wivw.leguide.net : tant en page d’accueil, que sur les pages de résultat : “Résultats provenant de marchands référencés à titre onéreux (sur fond bleu) ou gratuit (sur fond blanc)”. Cette formule plus explicite et liée à une différenciation colorée ne comporte pour autant aucun élément permettant de l’identifier comme un contenu publicitaire.
– sur le site www.webmarchand.com et sur le site www.gooster.fr : la page d’accueil mentionne sur un bandeau haut bleu “X marchands référencés à titre onéreux avec logo ou gratuit” et les pages de résultat “Résultats provenant de marchands référencés à titre onéreux avec logo ou gratuit”. Cependant, il convient de dire que dans le contexte d’internet, moyen technique dont la rapidité et le mode d’utilisation sur écran exige une compréhension immédiate, la caractéristique de clarté ne peut être retenue alors qu’il n’est pas explicitement indiqué que les annonces sans logos proviennent de partenaires n’ayant rien payé. Le caractère publicitaire n’apparaît au surplus pas davantage.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de dire que la société Leguide.com n’a pas satisfait à ce jour aux prescriptions de l’arrêt susvisé.
Au total, dès lors qu’il n’est pas contesté qu’elle s’est acquittée de la seconde obligation assortie d’astreinte et qu’elle a effectué un certain nombre de diligences, il y a lieu de liquider l’astreinte à la somme de 45 000 €.
Par ailleurs, il convient de fixer le montant de l’astreinte provisoire pour l’avenir ait montant plus comminatoire de 1000 € par jour.
Les dépens, incluant les frais du constat d’huissier exposés par les demanderesses en vue de la présente instance d’un montant de 250 €, sont à la charge de la partie perdante, à savoir la société Leguide.com, qui sera par suite déboutée de sa demande d’indemnité de procédure. En revanche, il est équitable de la faire participer à hauteur de 1000 € aux frais irrépétibles exposés par les demanderesses, ensemble, à l’occasion de la présente procédure.
DÉCISION
Statuant par mise à disposition au greffe, en premier ressort et par jugement contradictoire,
. Condamne la société Leguide.com à payer aux sociétés Pewterpassion.com et Saumon’s, ensemble, la somme de 45 000 € représentant la liquidation pour la période du 14 novembre 2011 au 19 mars 2012 de l’astreinte fixée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 septembre 2011,
. Fixe le montant de ladite astreinte provisoire à la somme de 2000 € par jour de retard à compter de la notification de la présente décision,
. Déboute la société Leguide.com de sa demande de frais irrépétibles,
. Condamne la société Leguide.com à payer à société Pewterpassion.com et Saumon’s, ensemble, la somme de 2000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,
. Condamne la société Leguide.com aux dépens incluant les frais du constat d’huissier de 250 €,
. Rappelle que les décisions du juge de l’Exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit.
Le tribunal : Mme Agnès Latreille
Avocats : Me Arnaud Dimeglio, Me Marion Barbier
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