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Jurisprudence : Jurisprudences

vendredi 09 mars 2018
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TGI de Paris, 17ème Ch. Presse-civile, jugement du 14 Février 2018

Monsieur X. / Madame Y.

absence d’anonymisation - ancienneté - atteinte à la vie privée - base de données - liberté d'expression - publication d’une décision de justice

Vu l’assignation délivrée le 20 juillet 2016 à Madame Y. à la requête de Monsieur X., lequel, estimant qu’il avait été porté atteinte au respect dû à sa vie privée sur le site internet psiram.com par la défenderesse s’exprimant sous pseudonyme sur une page dédiée à Monsieur X., créée par Madame Y., et évoquant deux condamnations de M. X. pour fraude fiscale et pour vente de produits prohibés et exercice illégal de la pharmacie, sollicitait, au visa des articles 9 du code civil et 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la condamnation, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de Madame Y., à lui verser la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l’atteinte portée au droit dont il dispose sur sa vie privée, ainsi que la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens, et en outre à lui faire interdiction de publier sur internet, quelque soit le site utilisé, tout écrit relatif à Monsieur X., sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir et ce, pendant une durée de 5 ans.

Vu les conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 7 novembre 2017 par Monsieur X. par lesquelles il maintient ses demandes et, y ajoutant, sollicite que Madame Y. soit
condamnée à supprimer la page : https:/www.psiram.com/… dans les 8 jours de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Vu les conclusions récapitulatives n°2 notifiées par RPVA le 29 novembre 2017 par Madame Y. laquelle sollicitait que Monsieur X. soit débouté de l’ensemble de ses demandes, en l’absence d’atteinte à sa vie privée, et sa condamnation à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 29 novembre 2017 la clôture des débats a été prononcée et les conseils des parties entendus en leurs plaidoiries et avisés de ce que le jugement à intervenir serait prononcé par mise à disposition au greffe le 14 février 2018.

DISCUSSION

I-RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Monsieur X., représentant légal de la société X. Consulting, spécialisée dans la supplémentation nutritionnelle, expose avoir découvert fortuitement puis fait constater les 17 mars et 21 mars 2016 par huissier :
– qu’une recherche par le moteur de recherche Google à ses nom et prénom dirigeait l’internaute vers une page dont la première occurrence donnait accès à un site accessible à l’adresse www.psiram.com, sur lequel apparaissait :

 » X. — Psiram https:/www.psiram.com/…, (nom complet X. ), est un français né en …., qui vend depuis 1994 des produits, introduits frauduleusement en France, qu’il…
Les démêlés judiciaires de Mr… – Fraude fiscale dans plusieurs… – Liens externes »

– qu’une page entière du site psiram.com lui était consacrée et que celle-ci faisait essentiellement état, dans le détail, de deux affaires pénales dans lesquelles il avait été personnellement impliqué et condamné par un arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence en date du 18 mars 2009 pour exercice illégal de la pharmacie, commercialisation de médicaments sans autorisation de mise sur le marché, infraction à la règlementation de la publicité des médicaments et par un arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence en date du 4 mai 2011 pour fraude fiscale et omission d’écritures en comptabilité, et reproduisait pour
partie l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation le 21 septembre 2010 dans la première affaire et en intégralité l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation le 13 juin 2012 dans la seconde l’affaire, sans que le nom de Monsieur X. ne figure dans ces arrêts.

Selon la présentation de sa page d’accueil, le site www.psiram.com a vocation à parler des « croyances irrationnelles », traitant de sujets tels que les théories du complot, l’homéopathie, l’ésotérisme, la guérison spirituelle ou encore l’électromagnétisme.

Ce site apparaissait animé par une série de contributeurs indépendants et anonymes. La page « Avertissements » du site précisant à ce sujet :
« Cher lecteur,
Le travail d’information de Psiram entraîne inévitablement que beaucoup de choses, de noms et de méthodes de charlatanisme, de tromperie et d’arnaque soient nommées concrètement et sans complaisance. Cela ne plait pas toujours aux intéressés, bien au contraire . C’est pourquoi Psiram agit anonymement, pour protéger les auteurs contre le harcèlement ou pire encore ».

Le site « Psiram » ne mentionne ni le nom de son éditeur, ni celui d’un directeur de la publication, aucune mention légale n’y apparaissant. L’hébergeur du site, identifié grâce au site www.whoishostingthis.com apparait situé en Islande.

Il est ressorti de l' »historique « de la page du site « psiram.com » consacrée à M. X. que celle-ci avait été créée par « P. » et « Ildeverte » le 3 septembre 2014.

Au terme d’une enquête que M. X. a fait réaliser par un professionnel de l’investigation numérique – ayant commencé par exploiter parmi les contributions réalisées sur psiram.com par « Ildeverte », une photographie extraite d’une vidéo de YouTube, procédé à la recherche du compte connecté lorsqu’« Ildeverte »réalisait la capture d’écran, apparu comme celui d’un certain  » Y. », et exploré diverses pistes à partir de ce nom incomplet- Madame Y., utilisant d’autres pseudonymes qu’« Ildeverte » dont celui de « P. », est apparue comme l’auteur de la page du site psiram.com consacrée à M. X.

Le 23 février 2016 M. X. faisait délivrer une sommation interpellative à Madame Y. lui demandant de retirer la page mise en ligne le concernant, à laquelle elle répondait ne pas connaître M. X.

C’est dans ces conditions que M. X. faisait citer Madame Y. sur le fondement de l’article 9 du code civil et de l’atteinte portée à sa vie privée.

II-DISCUSSION

M. X. se prévaut d’une atteinte à sa vie privée mais invoque également une délibération n° 016057 du 29 novembre 2011 portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur internet par les banques de données et jurisprudence, la CNIL ayant estimé souhaitable « que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles sur des sites internet s’abstiennent, dans le souci du respect de la vie privée des personnes physiques concernées et de l’indispensable « droit à l’oubli », d’y faire figurer le nom et l’adresse des parties au procès ou des témoins » et un arrêté du 9 octobre 2002 ayant imposé l’anonymisation des décisions de justice.

Il souligne faire l’objet d’un véritable acharnement par Madame Y. qu’il ne connaît pas et dont il s’interroge sur les liens qu’elle pourrait avoir avec ses concurrents, laquelle a expressément cité le nom de M. X. alors que son nom était anonymisé dans les décisions de justice qu’elle met en exergue en lui dédiant une page, tandis que le rapprochement de son nom et de l’objet de ce site destiné à lutter contre les « charlatans » est de nature à l’assimiler à un « charlatan », à la tête de pratiques illicites, dans des conditions susceptibles de nuire à sa réputation, comme il le soulignait dans son assignation et cherchant manifestement à lui nuire, comme le révèlerait également la publication de l’avis nécrologique de son père M. X., décédé en 2013, sans lien avec les prétendues informations apportées par Madame Y. sur la santé et les compléments alimentaires ; que la Cour de Cassation avait cassé l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 4 mai 2011 en ce qu’il avait ordonné l’affichage de la décision de condamnation ; que Madame Y. ne peut exciper d’un intérêt général alors que la page dédiée au nom de M. X., qu’elle ne peut faire croire avoir découvert par hasard en naviguant sur internet,-les documents qu’elle produit le concernant n’étant pas référencés, et les condamnations reproduites ne figurant sur aucun site- s’oppose à une telle notion et qu’elle élabore des fiches individuelles sous différents pseudonymes on ne sait dans l’intérêt de qui.

Madame Y. lui oppose qu’elle a usé de sa liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général, ayant développé en sa qualité de scientifique un intérêt particulier pour les sujets relatifs à la santé, à la nutrition et à l’apparition de nouveaux médicaments sur le marché, et ayant plus spécialement découvert deux articles sur le site de Libération en date des 4 janvier 1995 et 22 février 1995, toujours accessibles sur internet et référencés sur Google, portant sur les produits fabriqués par le laboratoire américain Nutrascience ainsi que le rôle du responsable pour la France de ce médicament, M. X. et pu prendre connaissance d’une annexe d’un rapport du Sénat faisant état d’une condamnation le 24 février 2010 dans une affaire relative à la vente par correspondance de suppléments nutritionnels et de compléments alimentaires et mentionnant expressément le nom de M. X. ; que la découverte sur le site Légifrance des deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de Cassation des 21 septembre 2010 et 13 juin 2012 s’inscrit dans ses recherches l’ayant conduite à découvrir les sites web marchands de l’intéressé et le magazine sur internet « nutranews » ; qu’il lui a paru impératif d’informer le public et les consommateurs sur M. X. et son activité professionnelle et de justifier du lien familial avec M. X. lequel secondait son fils dans ses activités; que l’atteinte à la vie privée de M. X. n’est pas caractérisée.

Sur ce,

Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.

Cependant, ce droit doit se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;il peut céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression.

Si, en principe, les condamnations prononcées par les juridictions pénales qui sont rendues publiquement échappent de ce fait à la sphère protégée de la vie privée, c’est à la condition que ce rappel ne soit pas fait avec malveillance et réponde aux nécessités de la liberté d’expression.

En l’espèce, l’obligation d’anonymiser les décisions de justice s’imposant aux bases de données ne peut en tant que telle être opposée à Madame Y., et les éléments d’état civil tels que les noms et prénoms de M. X., sa nationalité, son âge ainsi que le nom de son père décédé en 2013, ne font certes pas partie de la sphère privée, non plus que le fait d’avoir « vendu depuis 1994 des produits, introduits frauduleusement en France », ou que les décisions de justice rendues publiquement.

Pour autant, l’évocation et la reproduction de ces décisions d’une certaine ancienneté, portant sur des faits encore plus anciens en prenant le soin de lever l’anonymat s’attachant à leur diffusion sur internet, à raison du lien avec le respect de la vie privée des personnes concernées justement pris en compte par l’anonymisation des décisions de justice, en les reproduisant en tout ou partie sur la page spécialement dédiée à Monsieur X., n’alimentant le débat sur la santé et les compléments nutritionnels d’aucun élément nouveau, tout en faisant ressurgir au premier plan l’actualité judiciaire ayant abouti à la condamnation de l’intéressé, peut apparaître mue par une certaine malveillance; une telle malveillance dirigée contre la personne de Monsieur X. est soulignée par la reproduction de l’avis nécrologique concernant le décès de son père Monsieur X., tel qu’adressé par les proches de ce dernier, trois ans auparavant, laquelle caractérise une intrusion dans ce qui relève de l’intimité de M. X., auquel elle impose la résurgence brutale car incongrue et décalée, d’un instant que l’on peut supposer douloureux de sa vie familiale.

L’atteinte à la vie privée et la malveillance qui l’accompagne sont dans ces conditions caractérisées.

Il sera suffisamment réparé par la condamnation de Mme Y. à lui verser une somme de 2000 euros de dommages-intérêts venant en complément de la suppression de la page litigieuse qu’il sera ordonné à cette dernière de supprimer, préjudice qui ne saurait inclure le fait même des condamnations pénales ou le préjudice de réputation initial qui sont sans rapport direct avec les atteintes reprochées à Madame Y.

Sur l’indemnité de procédure et les dépens

Il paraît équitable de condamner Mme Y. à verser à M. X. la somme de 2000 euros au titre de ses frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme Y., laquelle succombe, sera condamné aux dépens.

DÉCISION

Le Tribunal statuant publiquement, par décision contradictoire, mise à disposition au greffe et en premier ressort,

Condamne Madame Y. à verser à M. X. la somme de 2000 euros (Deux mille euros) à titre de dommages intérêts en réparation de l’atteinte portée à sa vie privée.

Ordonne à Madame Y. de supprimer la page: https:/www.psiram.com/… dans les 14 jours de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard dans la limite de 30 jours.

Condamne Madame Y. à verser à M. X. la somme de 2000 euros Deux mille euros au titre de ses frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile

Condamne Madame Y. aux dépens

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

 

La Cour : Roia Palti (vice-présidente), Thomas Rondeau (vice-président), Djamel Caillet (juge), Martine Vail (greffier)

Avocats : Me Romain Darriere, Me Olivier Morice

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