Jurisprudence : Jurisprudences
Tribunal de commerce de Paris, 8e ch., jugement du 21 septembre 2022
Eoservices Ltd / Heretic
commentaire - dénigrement - notification - site internet
La société de droit anglais Eoservices Ltd, ci-après Eoservices, propose l’accès, la modification et l’envoi de tous types de documents rédigés par des professionnels (contrat de travail, lettre de résiliation, formulaire de rupture conventionnelle…), notamment par l’intermédiaire des deux sites Internet www.lettre-officielle.com et www.startdoc.fr.
Éoservices explique que son modèle économique repose sur la souscription par les internautes à une offre d’abonnement payant pour bénéficier de modèles de lettres et de contrats préremplis, le client se voyant tout d’abord proposer une offre promotionnelle d’essai à prix réduit pour une durée de 48 heures, transformé en un abonnement mensuel avec tacite reconduction pour une durée d’un mois renouvelable, sauf résiliation.
La SAS Heretic, ci-après Heretic, exploite les sites Internet www.signal-arnaques.com et www.scamdoc.com. Heretic explique que ces deux sites ont pour objet l’information des consommateurs afin de leur éviter d’être victimes des pièges existants sur Internet.
Depuis plusieurs années, Éoservices est intervenue auprès de Heretic en lui adressant périodiquement des lettres de mise en demeure relatives à des commentaires d’internautes qu’elle jugeait dénigrants.
Eoservices fait grief à Heretic d’avoir diffusé deux pages dont elle estime le contenu illicite : l’une sur le site signal-arnaques, l’autre, sur le site scamdoc.
C’est ainsi que se présente l’instance.
LA PROCEDURE
Par acte extrajudiciaire du 22 décembre 2021, Ecoservices assigne Heretic. Par cet acte, signifié selon les modalités de l’article 656 du CPC, puis par conclusions régularisées à l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire du 21 juin 2022, Eoservices demande au tribunal de :
IN LIMINE LITIS :
rejeter des demandes tendant à la nullité de l’assignation,
déclarer l’assignation délivrée le 22 décembre 2021 à Heretic, valable,
se déclarer matériellement et territorialement compétent pour trancher le présent litige :
A TITRE PRINCIPAL :
dire et juger la société Eoservices Ltd recevable et bien-fondée en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
dire et juger que la société Hérétic SAS a violé les obligations qui lui incombent telles que prévues par l’article 0111-17 du Code de la consommation ;
dire et juger que la société Hérétic SAS est responsable d’actes de parasitisme économique au préjudice des intérêts de la société Eoservices Ltd., de son image et de sa réputation ;
dire et juger que la société Hérétic SAS a engagé sa responsabilité en ne supprimant pas promptement les contenus manifestement illicites hébergés par elle ;
dire et juger que la société Hérétic SAS est responsable d’actes de dénigrement au préjudice des intérêts de la société Eosérvices Ltd. et des services qu’elle propose sur son site Internet www.startdoc.fr.
SUBSIDIAIREMENT : dire et juger que Heretic a commis une faute et engagé sa responsabilité civile délictuelle,
EN CONSEQUENCE :
ordonner à la société Hérétic SAS de se mettre en conformité avec les obligations prévues par l’article 0111-17 du Code de la consommation, et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans les 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;
ordonner à la société Hérétic SAS le retrait dans les deux jours, en ce compris pour les territoires hors de France, à compter du jugement à intervenir, des commentaires litigieux accessibles à l’adresse URL suivante https ://www.signal-arnaques.com/scam/view/xxxxxx, https ://www.signal-arnaques.com/scam/view/xxxxx et https ://www.scamdoc.com/frlview/xxxxx, et ce, sous astreinte non comminatoire de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir
ordonner à la société Hérétic SAS la suppression du score de confiance attribué à la société Eoservices Ltd. accessible à l’adresse URL suivante : https://www.scamdoc.com/fr/view/xxxxx comme plus généralement sur tout autre support, et ce sous astreinte non comminatoire de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
condamner Heretic à payer à Éoservices la somme de 15 000 € pour résistance abusive, condamner la société Hérétic SAS à payer à la société Eoservices Ltd. la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
condamner la société Hérétic SAS à publier à ses frais sur la page d’accueil, en partie haute, des sites Internet qu’elle exploite aux adresses www.signal-arnaques.com et www.scamdoc.com un communiqué judiciaire dont le texte ne devra pas être inférieur à une police 12, libellé en caractère majuscules, indiquant les mesures qui ont été prononcées par le présent jugement, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et pour une durée d’un mois, et ce sous astreinte non comminatoire de 500€ par jour de retard ;
ordonner à la société Hérétic SAS de déréférencer des moteurs de recherche Google (www.google.fr) et Bing (www.bing.fr), dans les 2 jours à compter du jugement à intervenir, les adresses URL suivantes : https://www.scamdoc.com/fr/view/xxxxx ; https://www.signal-arnaques.com/scam/view/xxxxxx, et https://www.signal-arnaques.com/scam/view/xxxxxx et ce sous astreinte non comminatoire de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
condamner la société Hérétic SAS à verser à la société Eoservices, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, la somme de 30.000 euros, ainsi que la condamnation aux frais de constat d’Huissier ;
CONDAMNER la société Hérétic SAS aux entiers dépens de l’instance.
A l’audience du 22 février 2022, puis par conclusions régularisées à l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire du 21 juin 2022, Heretic demande au tribunal de :
– Prononcer la nullité de l’assignation.
– Débouter la société Éoservices de toutes ses prétentions,
– condamner Éoservices à payer une somme de 10 000 € à Heretic en réparation du préjudice subi,
– Subsidiairement, limiter toute mesure éventuellement prononcée à l’encontre de la société Heretic à la version française des sites ScamDoc et Signal Arnaques.
– Écarter l’exécution provisoire de la décision,
En tout état de cause,
– Condamner la société Éoservices aux dépens et au paiement d’une somme de 7 500 € à la société Heretic en application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ensemble de ces conclusions ou demandes a été échangé en présence d’un greffier, ou régularisées en séance.
à l’audience collégiale du 22 février2022, le dossier est confié à l’examen d’un juge chargé d’instruire l’affaire et les parties sont convoquées à son audience du 12 avril 2022, puis à celle du 21 juin 2022, à laquelle elles se présentent toutes les deux. Après avoir entendu leurs observations, le juge prononce la clôture des débats et annonce que le jugement, mis en délibéré, sera mis à disposition au greffe le 21 septembre 2022, conformément à l’article 450 alinéa 2 du CPC.
LES MOYENS DES PARTIES
Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties dans leurs écritures, appliquant les dispositions de l’article 455 du CPC, le tribunal les résumera succinctement de la manière suivante :
A l’appui de ses demandes, Éoservices
– tout d’abord sur les incidents soulevés par le défendeur : relève premièrement que son assignation comportait bien la requête en vue d’une assignation à bref délai, ainsi que l’ordonnance correspondante, que l’exception n’a pas été soulevée avant toute défense au fond, que de surcroît, le vice de forme allégué ne fait pas grief à Heretic ; Éoservices fait valoir deuxièmement que son action ressortit clairement au domaine du dénigrement et non pas de la diffamation puisque les propos tenus ne portant pas atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale, et qu’ils sont dirigés contre un produit ou service ;
– soutient ensuite que la responsabilité d’Heretic est engagée aux titres :
– de la réglementation des avis en ligne, selon les termes de l’article L 111-7-2 du code de la consommation, qui en l’occurrence ne sont pas respectés ;
– du dénigrement, défini par la jurisprudence ;
– des obligations de l’hébergeur selon les articles 6-1-2 et 6-1-5 de la LCEN (loi pour la confiance dans l’économie numérique), et selon la jurisprudence : or Heretic est bien un hébergeur, les notifications qui lui ont été adressées sont recevables, les contenus contestés sont manifestement illicites, et ils n’ont pas été retirés ;
– du parasitisme, par sa technique de référencement naturel sur le moteur de recherche Google ;
– ajoute que son préjudice d’image et de réputation doit être réparé, préjudice que Éoservices évalue à 100 000 €.
– Termine en demandant au tribunal de prendre des mesures de retrait de deux pages, dont elle fournit les URL et qui sont accessibles sur les moteurs Google et Bing ; ainsi que diverses mesures de publication sur les sites Scamdoc et Signal-Arnaques de la défenderesse ;
Heretic quant à elle
– soulève in limine litis deux exceptions de procédure : tout d’abord, elle n’a pas eu communication de l’ordonnance du président du tribunal autorisant cette assignation à bref délai, ainsi que de la requête qui devait être jointe, ce qui entraîne la nullité de l’assignation ; ensuite, les griefs formulés par Éoservices portent sur des infractions pénales et c’est le régime de la diffamation (loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) qui doit s’appliquer et non pas du dénigrement : Or, les règles légales sur la diffamation ne sont pas ici respectées (élection de domicile, notification au ministère public), et de surcroit c’est le tribunal judiciaire qui est compétent : le tribunal doit donc prononcer la nullité de l’assignation,
Sur le fond, elle soutient que :
– Heretic n’est pas responsable au titre de la réglementation des avis en ligne : en effet, les deux sites incriminés ne sont pas des sites d’avis en ligne, mais des forums de discussion spécialisés pour le premier, un site d’analyse automatisée pour le second. Malgré tout, Heretic a décidé de se plier à cette réglementation à titre volontaire : sa responsabilité ne peut donc être engagée à ce titre. De surcroît, Éoservices étant un acteur privé n’a pas qualité à agir pour demander une quelconque mise en conformité d’un site qui à 99,99 % ne la concerne pas.
– Hérétique n’est pas responsable non plus au titre du dénigrement :
o sur le site signal-arnaques.com, Heretic n’est qu’un hébergeur, non responsable des contenus,
o quant au site ScamDoc, il se contente d’attribuer un score, lequel, pour Startdoc, est de 23 % du fait de l’existence incontestable d’avis négatifs (pratique dénoncée : souscription d’un abonnement sans en avoir conscience). Et la mention « vigilance requise » est bien adoptée, et en tout cas non dénigrante.
– Heretic ne porte pas de responsabilité non plus en tant qu’hébergeur :
o la LCEN prévoit une certaine formalisation des demandes de retrait, formalisation non respectée par Eoservices.
o Les éléments publiés et contestés ne sont pas « manifestement illicites » les messages des internautes convergent tous vers le même grief déjà évoqué plus haut, et de surcroît relevé par la DGCCRF.
o Les message litigieux ont été retirés par Heretic.
– Subsidiairement, Heretic fait valoir que si le tribunal devrait entrer en voie de condamnation, il conviendrait de circonscrire cette condamnation d’une part aux deux URL concernés, d’autre part, aux sites accessibles depuis la France, le dénigrement étant une construction française.
– Heretic ajoute que le parasitisme n’est pas caractérisé, que Éoservices doit donc être déboutée de ce chef.
– Enfin, Heretic terminé en soulignant que le préjudice allégué de 100 000 € n’est pas démontré.
DISCUSSION
sur la validité de l’assignation :
– les deux contestations soulevées par Héretic au titre de la validité de l’assignation, sont des exceptions de procédure qui ont été soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir : le tribunal les dira donc recevables ;
– Heretic conteste premièrement la validité de l’assignation, au motif que les griefs formulés par Eoservices à son encontre ressortissent selon elle à la diffamation (loi du 29 juillet 1881) et non pas au dénigrement ; or la diffamation se définit, selon le texte légal, comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » quant au dénigrement, il s’agit d’un agissement ayant pour but de jeter un discrédit sur un concurrent ou sur des produits, peu important que les propos tenus soient exacts ou non ;
– or les agissements reprochés visent d’une part sur le site ScamDoc, l’attribution d’un score de confiance médiocre pour le site Startdoc, accompagné de commentaires critiques de la part d’internautes ; d’autre part ; sur le site signal arnaques.com, un référencement naturel défavorable, faisant ressortir là aussi des commentaires négatifs de la part d’internautes ;
– Il est donc incontestable que les propos formulés, ou commentaires relevés sur les deux sites ne visent en aucun cas l’honneur ou la considération de quiconque, mais, qu’ils ont pour objectif de dénoncer certaines pratiques commerciales d’Éoservices, et notamment et explicitement une pratique tarifaire consistant à abonner des internautes sans que ces derniers en soient, en tout cas c’est ce qu’ils soutiennent, pleinement conscients ;
– le tribunal dit que c’est à bon droit que l’assignation a été formulée au visa de l’article du Code Civil, que le grief formulé ressortit bien au dénigrement, et il déboutera Heretic de son exception de procédure ;
– Heretic conteste deuxièmement la validité de l’assignation, au motif qu’elle n’aurait pas eu communication de l’ordonnance ayant statué sur le bref délai, et sur la requête correspondante : le tribunal relève que dans l’hypothèse où cette non-communication serait avérée, il n’en serait résulté aucun dommage pour Heretic ; à l’appui de sa thèse, Heretic évoque un arrêt de la Cour de cassation disant que la preuve d’un grief n’est pas nécessaire, mais l’ordonnance sur requête visée par ledit arrêt concernant la désignation d’un huissier pour se faire remettre des documents, et inspecter un ordinateur d’une société ; en l’espèce, il ne s’agissait dans le cas présent que d’accélérer la procédure, et Heretic ne peut pas sérieusement soutenir que le délai entre l’assignation du 22 décembre 2021 et l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire sur le fond, du 21 juin 2022, ne lui ait pas laissé le temps de préparer sa défense dans re respect du principe du contradictoire ;
– Heretic sera donc déboutée de ses demandes visant, in limine litis, à voir déclarer nulle l’assignation ;
sur le fond : le tribunal va examiner successivement les quatre griefs formulés par Éoservices :
quant au non-respect allégué de l’article L.111-7-2 du code de la consommation :
– l’article L.111-7-2 du code de la consommation dispose « toute personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs est tenue de délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne » ; Éoservices à l’appui de sa thèse, souligne que l’article D111-16 du même code précise d’une part qu’un avis en ligne est « l’expression de l’opinion d’un consommateur sur son expérience de consommation grâce à tout élément d’appréciation qu’il soit qualitatif ou quantitatif et que l’expérience de consommation s’entend« que le consommateur ait ou non acheté le bien ou le service pour lequel il dépose un avis » ;
– Heretic fait valoir qu’elle n’est pas un site d’avis en ligne, s’appuyant sur l’exemple de signalements très fréquents qu’elle a reçus, concernant la prolifération d’e-mails frauduleux destinés à inquiéter de paisibles citoyens sur une présomption d’activité pédopornographique : le tribunal considère qu’il s’agit là d’une matière totalement différente, et que les internautes qui se· manifestent sur le site arnaques.com pour se plaindre des pratiques notamment tarifaires du demandeur, déposent bien des avis en ligne au sens d’une part de la norme AFNOR NF Z74 501 ; d’autre part, de l’article précité du code de la consommation ; le tribunal a bien noté qu’avant l’assignation, Heretic ne respectait pas la réglementation, mais qu’elle l’a fait à partir de la date de l’assignation en publiant une page « informations concernant les avis en ligne » ;
– Heretic conteste la qualité à agir d’éoservices : le tribunal estime en effet que Eoservices n’a pas qualité à agir pour demander réparation d’un dommage éventuel qui serait lié à cette non-conformité, ce que le tribunal examinera plus bas ;
en conclusion de ce chapitre, le tribunal dit qu’Heretic n’a pas respecté la réglementation relative aux avis en ligne telle que prévue par l’article L. 111-7-2 du code de la consommation ;
Quant au dénigrement :
– le tribunal rappelle tout d’abord que le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur une personne en répondant à son propos, ou au sujet de ses produits ou de ses méthodes commerciales, des critiques ou des informations malveillantes, peu importante que ces informations soient exactes ; le caractère malveillant de ces informations doit être apprécié in concreto ; il est rappelé de plus que, la liberté d’expressiqn étant la règle, le dénigrement fautif doit être apprécié de façon restrictive et ce d’autant plus que les propos litigieux émanent ici de consommateurs et non de concurrents d’Éoservices ;
– il ressort de manière extrêmement claire que l’unique reproche formulé par les internautes qui ont utilisé pour s’exprimer, le canal du site signal.arnaques.com, est de s’être vus réorientés, d’une offre à un euro le formulaire, à une autre offre avec abonnement mensuel, sans en avoir eu clairement conscience : il n’appartient pas au tribunal de se prononcer sur la réalité de ce grief, le dénigrement étant à apprécier comme il a été dit, indépendamment de la véracité des griefs exprimés ;
– concernant le site ScamDoc, le fait d’avoir diffusé pour les services d’Éoservices une note (sur 100) de 49, puis 42, puis 98, puis 52, puis enfin 1, s’il révèle une certaine instabilité du modèle de notation, ne suffit pas à caractériser le dénigrement, la note étant accompagnée de points positifs, de points négatifs, et d’une possibilité pour le site ainsi noté d’intervenir pour améliorer le score si possible, possibilité que Éoservices reconna1t ne pas avoir utilisée ;
– concernant le site signal.arnaques.com, le tribunal a recherché les messages véritablement dénigrants postés par les internautes ; il a relevé : « ils apparaissent masqués… c’est un vrai scandale » ; « c’est une arnaque » ; « je me suis fait arnaquer » ; « c’est une honte site escros » ; « escroquerie » ; « surtout éviter absolument ce site » ; « des escrocs ! ! ! Faites attention !! » ; « Ces voleurs petits pois ! » ; « les plus grands voleurs arnaqueurs de la planète » ; « marre de toutes ces arnaques » ; « l’arnaque du siècle… bande d’escrocs » ; « c’est de l’abus de confiance… je suis horrifié par ces pratiques malhonnêtes… une arnaque. » ; « Pure arnaque à l’abonnement caché ! « Ce sont des pratiques malhonnêtes » ; « c’est vraiment de l’arnaque » ; « les margoulins qui vous piègent » « arnaque !… A fuir ! » ; « Prestataires malhonnêtes qui abusent de l’incompréhension des gens en procédant à des abonnements cachés » ;
– l’ensemble des propos ci-dessus rapportés vise clairement les services d’Éoservices, ils sont clairement divulgués au public, et ils sont incontestablement dénigrants ;
– le tribunal observe qu’une grande partie (pas la totalité) des mots et expressions dénigrants se résume au substantif « Arnaque », présent dans le nom du service et du site (signal-arnaque.com) et que Heretic utilise ce « mot valise » comme une sorte de point de ralliement pour sa clientèle ; c’est ainsi par exemple qu’elle se présente sur son site : « signal arnaque – ensemble contre les arnaques – signal-arnaque.com est le premier site communautaire qui permet de référencer les arnaques rencontrées sur Internet. Plus de 498 000 qui sont actuellement recensés ! Le site permet de s’informer ou de se faire aider si l’on est victime d’une arnaque. Les signalements sont classés suivant 12 catégories qui regroupent des définitions, des conseils et les listes d’arnaques dénoncées par les internautes. Pour signaler une arnaque, il suffit de remplir le formulaire de signalement accessible ici… » (7 fois le mot arnaque) ; les internautes utilisateurs reprennent alors en coeur le qualificatif d' »arnaque » ; il n’est donc pas étonnant qu’Heretic s’expose ainsi à ce grief de dénigrement, ici parfaitement caractérisé puisque les propos querellés dépassent manifestement les limites de la liberté d’expression ;
le tribunal dit qu’un grand nombre de propos rapportés sur le site arnaques.com ont un caractère dénigrant, mais que ce n’est pas le cas pour le site Scamdoc ;
Quant au non-respect des dispositions de la loi sur l’économie numérique (LCEN) :
– La LCEN établit la responsabilité d’un hébergeur à propos des contenus qu’il héberge la loi dispose qu’une fois notifié sur la tenue de propos précisément décrits et manifestement illicites, l’hébergeur doit retirer promptement les contenus querellés ;
– le tribunal ne s’attardera pas sur le formalisme de la « notification LCEN », considérant qu’Heretic était parfaitement informé du grief formé par Eoservices à son encontre, notamment par les multiples lettres de mise en demeure adressées par la seconde à la première, lettres versées aux débats par Éoservices ; Heretic, d’ailleurs ne le conteste pas ;
– or il est constant que les commentaires dénigrant relevés plus haut sont illicites, et qu’Heretic pour l’essentiel ne les ayant pas promptement retirés, sa responsabilité se trouve donc engagée de ce fait ;
Quant au parasitisme :
– Le parasitisme consiste, pour un acteur économique, à se placer dans le sillage d’un autre en profitant sans bourse délier, de la notoriété acquise des investissements· consentis ; il résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité ; Eoservices expose que Heretic s’est rendue coupable de parasitisme à son égard, du fait de pratiques de référencement fautives, tant naturel que payant ; ·
– mais quant au référencement naturel, si Heretic a pu en tirer un revenu publicitaire, rien n’indique que ce résultat ait été obtenu par objet, et non pas simplement par effet ; étant précisé par ailleurs que les moteurs de recherche (Google) sont maîtres des algorithmes qu’ils utilisent, et que personne d’autre qu’eux ne maîtrise ;
– et quant au référencement payant, Éoservices ne rapporte pas la preuve de ce que Heretic aurait réservé le mot-clé « Startdoc » auprès de Google Ads ;
– le tribunal relève d’ailleurs qu’il est pour le moins paradoxal de faire grief à Heretic de parasiter les dénominations commerciales de marques et de services, dont par ailleurs la critique est pour elle l’activité principale et la raison d’être ;
– le tribunal dit que Heretic ne s’est pas rendu coupable de parasitisme à l’encontre d’Éoservices ;
En conséquence de tout ce qui précède, le tribunal dit que Heretic n’a pas respecté les obligations qui lui incombaient au titre des articles L 111-7-2 et D 111-17 du code de la consommation, qu’elle s’est rendue coupable d’actes de dénigrement à l’encontre d’Éoservices, et qu’elle n’a pas respecté certaines dispositions de la LCEN ; en revanche, Heretic ne s’est pas rendue coupable d’actes de parasitisme envers Éoservices.
Sur les demandes d’Éoservices :
– Éoservices demande le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 100 000 € du fait d’un préjudice qu’elle allègue au titre du dénigrement, du parasitisme, de l’atteinte aux investissements et du préjudice moral ;
le montant de 100 000 € n’est étayé par aucune démonstration ni évaluation précise ; par ailleurs, le parasitisme et l’atteinte aux investissements ne sont pas des griefs retenus par le tribunal ; toutefois, le dénigrement est un acte de concurrence déloyale dont il s’infère nécessairement un préjudice, fut-il seulement moral ;
le tribunal, usant de son pouvoir d’appréciation, condamnera Heretic à payer à Éoservices la somme de 25 000 € au titre de ce préjudice, déboutant pour le surplus de la demande ;
– Éoservices demande ensuite la suppression des commentaires litigieux accessibles aux adresses suivantes : https://www.signal-arnaques.com/scam/view/xxxxxx, https ://www.signal-arnaques.com/scam/view/xxxxx et https://www.scamdoc.com/fr/view/xxxxx ; le tribunal compte tenu du caractère dénigrant des termes utilisés par certains internautes et relevés plus haut, condamnera Éoservices à retirer les dits commentaires des deux sites signal-arnaques.com précités ; le site Scamdoc n’est pas concerné par cette condamnation ; le tribunal assortira cette condamnation d’une astreinte de 500 € par jour de retard, dans les 15 jours de la signification du jugement à intervenir, et ce, pour une durée de 60 jours ;
– Éoservices demande également la publication du jugement sur les deux sites : www.signal-arnaques.com et www.scamdoc.com ; le tribunal ordonnera sur le seul site signal.arnaques.com, donc à l’exclusion du site Scamdoc, la publication sur la page d’accueil, en partie haute, d’un communiqué judiciaire, en police 12, libellé en caractères majuscules, indiquant les mesures qui ont été prononcées par ce jugement, et ce dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement pour une durée d’un mois ; le tribunal ne juge pas nécessaire de prononcer à ce titre une astreinte ;
– Éoservices demande par ailleurs le déréférencement des trois pages litigieuses ; des moteurs de recherche Google et Bing ; mais le tribunal la déboutera de sa demande : puisque ce référencement est du ressort de ces deux moteurs, qui n’ont pas été appelés à la cause ;
– Éoservices demande enfin le paiement par Heretic de la somme 15 000 € au titre de la résistance abusive, mais le tribunal n’y fera pas droit, estimant que Heretic n’a pas fait dégénérer en abus son droit de se défendre en justice ;
Sur l’article 700, l’exécution provisoire et les dépens :
– pour faire reconnaître ses droits, Eoservices a dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge, en conséquence, le tribunal condamnera Heretic à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du CPC, déboutant pour le surplus ;
– L’exécution provisoire est de droit en application de l’article 514 du code de procédure civile, elle sera maintenue sauf pour les demandes de publication du jugement, le tribunal estimant important et irréversible l’impact d’une telle publication, alors même que Heretic pourra décider de former un recours ;
– Heretic succombant, sera condamnée Aux dépens de l’instance ; …
DECISION
Le Tribunal statuant en premier ressort, par jugement contradictoire,
– dit recevables mais mal fondées les deux exceptions de procédure soulevées par la société Heretic, et l’en déboute ;
– condamne la société Heretic à payer à la société Éoservices la somme de 25 000 € au titre du préjudice moral ;
– ordonne à la société Heretic la suppression des commentaires litigieux accessibles aux adresses suivantes : https ://wvvw.signal-arnaques.com/scam/view/xxxxxx, https://www.signal-arnaques.com/scam/view/xxxxxx avec astreinte de 500 € par jour de retard dans les 15 jours de la signification du jugement à intervenir, et ce, pour une durée de 60 jours ;
– ordonne la publication sur la page d’accueil du site www.signal-arnaques.com, en partie haute, d’un communiqué judiciaire, en police 12, libellé en caractères majuscules, indiquant les mesures qui ont été prononcées par ce jugement, et ce, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement pour une durée d’un mois ; il déboute la société Éoservices de sa demande d’astreinte à ce titre ;
– déboute Éoservices de sa demande de déréférencement d’adresses URL ;
– déboute la société Éoservices de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
– condamne la société Heretic à payer la somme de 10 000 € à la société Éoservices au titre de l’article 700 du CPC ;
– déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
– ordonne l’exécution provisoire, sauf pour les demandes de publication du jugement ;
– condamne la société Heretic aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA.
En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 juin 2022 ; en audience publique, devant M. Jean-Marc Bornet, juge chargé d’instruire l’affaire, les représentants des parties ne s’y étant pas opposés.
Ce juge a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré du tribunal, composé de : M. Jean-Marc Bornet, M. Cyril Déchelette et M. Claude Pépin de Bonnerive.
Délibéré le 28 juin 2022 par les mêmes juges.
Dit que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les aprties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues ai deuxième alinéa 450 du code de procédure civile.
Le Tribunal : Jean-Marc Bornet (président), Cyril Déchelette et Claude Pépin de Bonnerive (juges), Sylvie Vandenberghe (greffier)
Avocats : Me Cyril Fabre, Me Clément Hervieux, Me Sandra Ohana Zerhat
Source : Legalis.net
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