Jurisprudence : Diffamation
TGI de Paris, 17eme ch. corr., jugement correctionnel du 19 décembre 2019
Voyageurs du Monde / M. X.
anonymat - blog - directeur de la publication - personne physique
Par ordonnance rendue le 24 octobre 2016 par l’un des juges d’instruction de ce siège, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société Voyageurs du Monde, le 17 avril 2015, M. X. a été renvoyé devant ce tribunal sous la prévention :
d’avoir à Paris le 4 mars 2015, en tous cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, par tout moyen de communication au public par voie électronique, commis le délit de diffamation publique envers un particulier, en étant le directeur de publication du blog accessible à l’adresse « http://XXX.com », en diffusant un article intitulé « Voyageurs du monde », sous le pseudonyme « X. », renfermant des allégations ou des imputations de faits portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la société Voyageurs du Monde, à raison des propos et illustrations suivants :
« Chaque GO est un véritable spécialiste du camp de vacances de Dachau situé à 17 km au nord-ouest de Munich »
« C’est pourquoi à Dachau particulièrement, comme d’ailleurs dans tous nos autres clubs (camps), tel celui de Birkenau en Haute-Silésie »
« [Interrogé à propos} d’une destination que nous avons tendance à primer pour la jeunesse hexagonale du continent européen désireuse de suivre une vraie ligne révolutionnaire salafiste avec des opérations suicides, des actions violentes contre les Occidentaux »
« [Et vous êtes pour la lapidation des femmes ?} Oui, car battre sa femme, c’est autorisé par le Coran, mais dans certaines conditions, notamment si la femme trompe son mari. (…) Et il peut frapper fort pour faire peur à sa femme, afin qu’elle ne recommence plus… » ·
» (…)font partie intégrante du métier de Kapo ou de Conseiller Spécialiste Voyageurs du Monde. C’est pourquoi si vous ne participez pas au stage préliminaire du camp de vacances de Dachau à 17 km au nord-ouest de Munich, et qui sera à même de vous »former » correctement »
« conseillers « Voyageurs du Monde » (…) Votre propre conseiller, instructeur, gentil kapo »
« Au camp de vacances de Dachau mis en place par « Voyageurs du monde », créé sur le site d’une très ancienne fabrique de munitions afin de vous familiariser immédiatement avec l’ambiance folle, et pieuse du djihadisme Proche-Oriental. »
« Les GO que l’on appelle avec humour « Kapo » vous indiqueront, dès votre arrivée au camp de loisirs, vos couches superposées dans l’une des 34 baraques, chacune pouvant contenir en principe 210 litières ou puciers. Sous l’appellation assez enjouée de « baraquement X », (…) quatre fours ont été rénovés (…) »
» (…) aux stagiaires voyageurs du monde, et néanmoins amis djihadistes »
– l’image constituant un détournement de l’affiche du film « Voyage sans retour » comprenant les propos suivants : « Voyage sans retour les conseillers Voyageurs du Monde »
– le photomontage de camps de concentration nazis comprenant les propos suivants : « L’éducation des Kapo-enseignants est notable dans les images ci-dessus, où la doctrine du camp visant à l’inverse du modèle libéral, à réformer le système de propriété privée, est parfaitement démontrée. Les valeurs fondamentales du socialisme étatique de la Hollandie : convivialité (démontrée par les latrines), absence de classe, écologie, énergie renouvelable (litières superposées en bois d’arbre), égalité des chances, justice sociale, répartition équitable (lavabos collectifs), etc… »
lesquels propos et illustrations sont susceptibles de renfermer des allégations ou des imputations de faits portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la société Voyageurs du Monde ;
délit prévu et réprimé par les articles 23 alinéa 1 (s’agissant de la publicité), 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881
A l’audience du 10 janvier 2017, le tribunal a établi le calendrier et a renvoyé l’affaire aux audiences des 28 mars 2017, 28 juin 2017, 26 septembre 2017, 12 décembre 2017 et 6 mars 2018 pour relais et 29 mai 2018, pour plaider.
A cette dernière audience, à la demande du conseil de la défense, le tribunal a renvoyé l’affaire aux audiences des 6 juillet 2018, 5 octobre 2018, 12 décembre 2018, 12 mars 2019, 12 juin 2019 et 12 septembre 2019 pour relais et 22 octobre 2019, pour examen au fond.
A cette dernière audience, à l’appel de la cause, le juge rapporteur a constaté que les parties étaient représentées par leur conseil respectif et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.
Les débats se sont tenus en audience publique.
Après le rappel des faits et de la procédure par le juge rapporteur, le tribunal a successivement entendu, dans l’ordre prescrit par la loi :
– Maître Sujkowski, conseil de la partie civile, qui a développé ses conclusions écrites,
– le représentant du ministère public en ses réquisitions,
– Maître Anglade, conseil du prévenu, qui a plaidé la relaxe et subsidiairement une dispense de peine.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré, et les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, que le jugement serait prononcé le 19 décembre 2019.
A cette date, la décision suivante a été rendue :
DISCUSSION
Le 17 avril 2015, La SA Voyageurs du Monde déposait plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction de ce tribunal pour diffamation publique envers particuliers, contre personne non dénommée.
La société Voyageurs du Monde exerçait les activités de tour opérateur et d’agent de voyages. Elle indiquait avoir « crée le concept du voyage en individuel sur mesure», conduisant son activité tant par l’intermédiaire d’agences physiques que d’un site internet.
Elle exposait avoir découvert la publication, le 04 mars 2015, d’un billet sur le site www.XXX.com intitulé « Voyageurs du Monde » qu’elle estimait diffamatoire à son endroit, puisque «rédigé comme un faux tract publicitaire ayant pour objet d’attribuer à la société Voyageurs du Monde une communication nauséabonde, raciste, faisant l’apologie de crimes de guerre et du terrorisme».
Les investigations menées sur commission rogatoire établissaient que le billet litigieux, ainsi du reste que le blog dans son ensemble, avait été supprimé par son créateur le 23 mars 2015, de sorte que les propos poursuivis étaient depuis devenus inaccessibles.
Les enquêteurs obtenaient de l’hébergeur les dernières données de connexion de l’administrateur, et, sur réquisition au fournisseur d’accès à internet, apprenaient que le titulaire de la connexion internet ayant servi à accéder au site était une dénommée Mme X. Le mari, M. X. reconnaissait devant les enquêteurs avoir créé le blog www.XXX.com et fournissait une iconographie identique à celle utilisée dans l’article querellé.
Le 20 juin 2016, il confirmait ses déclarations devant le magistrat instructeur à l’occasion de son interrogatoire de première comparution. Il était mis en examen.
C’est dans ces conditions que, par ordonnance du 24 octobre 2016, il était renvoyé devant le tribunal correctionnel pour les propos et illustrations visés dans la plainte.
À l’audience, le conseil de la partie civile, développant ses écritures, demandait la condamnation du prévenu à lui verser un euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ainsi que la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Le ministère public faisait valoir, dans ses réquisitions, que les propos et illustrations poursuivis contenaient bien une imputation diffamatoire et qu’en l’absence de bonne foi, il convenait de rentrer en voie de condamnation.
Le conseil du prévenu admettait le caractère diffamatoire des propos. Il s’interrogeait toutefois sur l’imputabilité de ceux-ci à M. X. qui, s’il reconnaissait être le directeur de publication du site internet en cause, n’avait jamais admis être l’auteur des propos publiés. Subsidiairement, il sollicitait une dispense de peine.
Sur la responsabilité pénale de M. X. :
Il résulte des dispositions de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, modifiée par les lois n°2004-575 du 21 juin 2004 et 2009-669 du 12 juin 2009, que : « au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public.
À défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal. Lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication sera mis en cause, l’auteur sera poursuivi comme complice.
Pourra également être poursuivie comme complice toute personne à laquelle l’article 121-7 du code pénal sera applicable.
Lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ».
Ainsi, aux termes de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 qui établit un système de responsabilité en cascade, la détermination légale du responsable principal d’un délit de presse s’impose à la communication au public en ligne.
Par ailleurs, l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 dispose que tout service de communication au public par voie électronique est tenu d’avoir un directeur de la publication. Lorsque le service est fourni par une personne morale, le directeur de la publication est le président du directoire ou du conseil d’administration, le gérant ou le représentant légal, suivant la forme de la personne morale. Lorsque le service est fourni par une personne physique, le directeur de la publication est cette personne physique.
En l’espèce, aux termes de la prévention, il est reproché à M. X. d’avoir, en sa qualité de directeur de la publication, diffusé les propos et illustrations poursuivis. Cette publication a été faite sur le site internet www.XXX.com dont le prévenu a reconnu qu’il s’agissait de son blog personnel. Or, il ressort des dispositions précitées que dès lors que le service est fourni par une personne physique, le directeur de la publication est cette personne physique, ce qu’en tout état de cause M. X. ne nie pas.
Il est par conséquent anodin, pour la caractérisation d’une éventuelle diffamation, d’établir si M. X. est effectivement l’auteur des propos poursuivis, le mécanisme de responsabilité en cascade édicté à l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 n’exigeant pas pareille démonstration.
Sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis :
Il sera rappelé que :
– l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure- caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
En l’espèce il résulte des propos et illustrations poursuivis que la société Voyageur du Monde, nommément désignée, tiendrait des « camps de vacances » semblables en tout point, jusqu’à leur localisation, aux camps de concentration et d’extermination créés par le Troisième Reich à partir de 1933 et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les membres de la société y sont décrit alternativement comme des kapos, reprenant ainsi le terme désignant les personnes qui étaient chargées d’encadrer les prisonniers dans les camps nazis, ou des djihadistes, assimilés ainsi de façon dépourvue d’ambiguïté à des terroristes.
La partie civile démontre, comparatif à l’appui, que les tournures de phrases utilisées, reprennent, en les détournant, des textes existants sur son propre site internet.
Il reste que les imputations ainsi publiées présentent un caractère à l’évidence diffamatoire, ce qui n’est pas contesté par le prévenu, puisqu’ils imputent à la partie civile d’avoir recréé des camps d’extermination dans la lignée de ceux existants du temps de l’Allemagne nazie, au nom d’une idéologie terroriste : le salafisme djihadiste.
Le prévenu n’a fait pas d’offre de preuve de la vérité des faits, ni ne fait valoir la bonne foi au sens du droit de la presse, ne versant aucune pièce aux débats. Aussi, M. X. sera déclaré coupable de diffamation publique envers particulier.
Sur la peine :
M. X. a un casier judiciaire qui porte la mention« néant». Il n’a pas fait connaître d’éléments au tribunal sur sa situation personnelle et financière.
Le prévenu ne peut bénéficier de la dispense de peine sollicitée, faute notamment de réparation préalable du dommage causé, conformément à l’article 132-59 du code pénal.
Il y a lieu de tenir compte de la gravité des accusations fondées mais aussi le fait que le prévenu soit accessible au sursis.
Aussi, il sera condamné à une peine de 1.000 euros d’amende, avec sursis.
Sur l’action civile :
Il convient de recevoir la société Voyageurs du Monde en sa constitution de partie civile et de lui allouer l’euro sollicité en réparation du préjudice subi, outre 3.000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
DECISION
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et contradictoirement à l’égard de M. X., prévenu, et le SA VOYAGEURS DU MONDE, partie civile,
SUR L’ACTION PUBLIQUE :
Déclare M. X. coupable du délit de diffamation publique envers un particulier, faits commis à Paris le 4 mars 2015 ;
Condamne M. X. à la peine d’amende de MILLE EUROS (1.000 €) ;
Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :
DIT qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles.
L’avertissement prévu à l’article 132-29 du code pénal n’a pu être donné à l’intéressé absent lors du prononcé ;
En application de l’article 1018 A du code général des impôts, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 127 euros dont est redevable M. X.
M. X. est avisé par le présent jugement que s’il s’acquitte du montant du droit fixe de procédure et/ou du montant de l’amende dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle cette décision a été prononcée, ce montant sera minoré de 20% sans que cette diminution puisse excéder 1500 euros conformément aux articles 707-2 et 707-3 du code de procédure pénale. Il est informé en outre que le paiement de l’amende et du droit fixe de procédure ne fait pas obstacle à l’exercice des voies de recours.
Dans le cas d’une voie de recours contre les dispositions pénales, il appartient à l’intéressé de demander la restitution des sommes versées.
SUR L’ACTION CIVILE :
Reçoit la société VOYAGEURS DU MONDE en sa constitution de partie civile ;
Condamne M. X. à verser à la société VOYAGEURS DU MONDE UN EURO (1 €) à titre de dommages-intérêts et la somme de TROIS MILLE EUROS (3.000 €) au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
La personne condamnée est informée par le présent jugement qu’en l’absence de paiement volontaire des sommes allouées à la partie civile dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision sera devenue définitive, le recouvrement de ces sommes pourra, si la victime le demande et dès lors qu’elle ne peut bénéficier de l’intervention de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, être exercée par le fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions et qu’une majoration de 30% des sommes dues sera alors perçue, outre les frais d’exécution.
Le Tribunal : Florence Lasserre-Jeannin (vice-président), David Mayel (juge), Laurence Degrassat (magistrat à titre temporaire), Marion Adam (vice-procureur), Virginie Reynaud (greffier)
Avocats : Me Cyril Fabre, Me Jérôme Sujkowski, Me Claire Anglade
Source : Legalis.net
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