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Jurisprudence : Marques

lundi 21 janvier 2002
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Tribunal de grande instance de Nanterre 3ème chambre, 2ème section Jugement du 21 janvier 2002

Sté Publications Bonnier / Sté Saveurs et Senteurs Créations

absence d'identité et de similarité entre les services protégés - droit d'auteur - droit des marques - marques - nom de domaine - risque de confusion

Débats

Selon assignation du 24 mai 2000 et par conclusions récapitulatives en date du 20 septembre 2001, la société Publications Bonnier, titulaire des marques « Saveurs » n° 1518032 et n° 96.628.189, demande :

– de dire et juger que l’ouverture et l’exploitation du nom de domaine et site « saveurs.com » par la société Saveurs et Senteurs Créations constituent la contrefaçon de ses marques,

– à titre subsidiaire, de dire que l’utilisation du terme « saveurs » comme nom de domaine porte atteinte aux droits qu’elle détient sur le site « saveurs » au titre de la protection attachée aux œuvres de l’esprit,

– en conséquence, d’interdire à la société Saveurs et Senteurs Créations d’utiliser directement ou indirectement la dénomination « saveurs » pour désigner un nom de domaine, et ce sous astreinte de 1 000 F par jour de retard,

– d’ordonner le transfert de l’adresse http://www.saveurs.com au profit de la société Publications Bonnier, et ce sous astreinte de 1 000 F par jour de retard,

– de condamner la société Saveurs et Senteurs Créations à lui verser la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à l’atteinte de sa marque et à ses droits d’auteur, et la somme de 200 000 F en réparation du préjudice lié à la contrefaçon et au préjudice commercial,

– d’ordonner la publication du jugement et de condamner la défenderesse à lui verser la somme de 20 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Saveurs et Senteurs Créations, par écritures récapitulatives en date du 20 juin 2001, s’oppose aux demandes et sollicite à titre reconventionnel que soit prononcée la déchéance de la marque « Saveurs » pour les services de la classe 38 et une somme de 50 000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Discussion

La société Publications Bonnier édite et commercialise depuis de nombreuses années une revue sous le titre « Saveurs » avec en sous-titre « De l’art de vivre gourmand », consacrée à la gastronomie.

Elle justifie être titulaire de la marque « Saveurs » déposée le 17 mai 1988, renouvelée le 14 décembre 1997, enregistrée sous le numéro 1518032, pour désigner différents produits et services des classes 16, 35, 38, 39 et 41, et déposée le 31 mai 1996 sous le numéro 96.628.189 pour les services de la classe 42, et notamment : « les produits de l’imprimerie et des arts graphiques (…), publicité et affaires pour les produits et services intéressant les entreprises industrielles, commerciales, civiles ainsi que les particuliers (…), services de communication ; agence de presse et d’information ; communication radiophonique, téléphonique, télégraphique, télématique ; expédition, transmission de dépêches et messages, diffusion de programmes radiophoniques et télévisés ; émissions radiophoniques et télévisées ; télex ; télégrammes, télescription ; services d’information par réseau télématique. Education et divertissement. Abonnement et distribution de journaux, revues et périodiques, cours par correspondance (…) séminaires, stages, conférences (…), services de location de matériel informatique, conseils techniques en matière d’informatique et programmation pour ordinateur, services d’études de logiciels informatiques, location de temps d’accès à un centre serveur de bases de données, services de reporteurs, filmage sur bande vidéo, imprimerie, gestion de lieux d’exposition ».

Elle a fait constater par ministère d’huissier le 16 décembre 1999 que la société Saveurs et Senteurs Créations utilise le nom de domaine « saveurs.com » pour exploiter un site internet à l’adresse www.saveurs.com.

La société Saveurs et Senteurs Créations, créée en 1993, a pour activités, notamment, la restauration, la création d’arômes pour boissons et aliments, le négoce de matières premières et de compositions aromatiques liés à la parfumerie et de façon connexe, le conseil dans l’agro-alimentaire et dans l’agriculture des plantes à parfums.

Elle exerce également une activité consistant en la recherche et la commercialisation de compositions de parfums, notamment des huiles essentielles, destinées à la consommation alimentaire, et elle commercialise à ce titre ses huiles auprès d’un restaurant dénommé Macis & Muscade, lequel propose des plats culinaires préparés avec des huiles essentielles parfumées.

La société Saveurs et Senteurs Créations est, en outre, titulaire de la marque « Saveurs & Senteurs », enregistrée sous le n° 99.801.923, dans les classes 3, 4 et 42 pour désigner les produits et services suivants :

« Préparation pour nettoyer ; savon parfumerie ; huiles essentielles ; cosmétiques ; lotions pour les cheveux ; dentifrices. Bougies pour parfum d’ambiance, mèches (éclairage). Restauration (alimentation) ; soins d’hygiène et de beauté ».

Elle a fait procéder enfin à l’enregistrement du nom de domaine « saveurs.com » qu’elle utilise pour exploiter un site internet sur lequel elle présente le concept de parfumerie associée à la gastronomie ainsi que les pages web de présentation du restaurant Macis & Muscade, outre un système permettant à ses clients d’effectuer des commandes d’huiles essentielles et de parfums et même de composer des parfums en ligne.

* Sur la validité de la marque « Saveurs »

La validité de la marque « Saveurs » ne peut être mise en cause.

En effet, il n’est pas sérieusement contestable que le terme « saveurs » n’est nullement la désignation nécessaire d’une publication ou d’un périodique, même relatif à la gastronomie, ou l’indication de son contenu, le terme « saveurs » étant simplement évocateur de ce dernier.

* Sur la demande en déchéance partielle de la marque « Saveurs »

Pour s’opposer au grief de contrefaçon, la société défenderesse invoque la déchéance des droits de la société Publications Bonnier sur la marque « Saveurs » pour les produits de la classe 38 des télécommunications.

Aux termes de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans » et il appartient au propriétaire de la marque de rapporter la preuve de son exploitation.

Il est constant que l’exploitation dont s’agit doit être publique et non équivoque et que les actes d’usage du signe en cause doivent porter sur l’utilisation du signe à titre de marque.

En l’espèce, compte tenu des termes de la demande reconventionnelle en déchéance formulée dans les conclusions du 30 novembre 2000 de la société Saveurs et Senteurs Créations, il appartient à la société Publications Bonnier de rapporter la preuve de l’exploitation de sa marque pour désigner les services de classe 38, pendant les cinq années précédant la demande.

Force est de constater que les pièces produites ne démontrent nullement l’usage de la marque dans le domaine des télécommunications et le fait que la société Publications Bonnier ait utilisé (en 1994) la marque pour désigner un service télématique accessible par minitel (3615 Saveurs) ou qu’elle propose l’abonnement à sa revue via un site internet (exploité par une société tierce) n’est pas de nature à caractériser un usage de la marque pour désigner les services de la classe 38. En effet, il est constant que les services de télécommunication que couvre la classe 38 s’entendent de ceux (généralement fournis par un prestataire technique) ayant un tel objet et ne se confondent pas avec les multiples services pour la fourniture desquels les communications par minitel, messagerie électronique, ordinateur ou tout autre support (tel internet) ne sont qu’un moyen.

Il en résulte que la société Publications Bonnier qui n’a pas exploité sa marque n° 1518032 pour les services de la classe 38 pendant la période de cinq ans précédant la demande est déchue de ses droits sur sa marque pour désigner ces services.

En application du dernier alinéa de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, cette déchéance partielle prend effet au 30 novembre 2000.

* Sur la contrefaçon

Aux termes des articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque et l’usage d’une marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement, ainsi que pour des produits ou services similaires à ceux de l’enregistrement, s’il peut en résulter un risque de confusion.

En l’espèce, il n’est pas contestable ni contesté que le signe « saveurs.com » reproduit de manière identique la marque « Saveurs », l’adjonction du suffixe « com » ne lui faisant pas perdre son pouvoir distinctif.

Il est toutefois constant que les éventuelles atteintes aux droits portant sur une marque ne peuvent s’apprécier que par référence aux produits et services pour lesquels elle a été enregistrée et est protégée et que la contrefaçon n’est constituée que lorsque la marque protégée est reproduite ou imitée « pour des produits ou services identiques » (ou seulement similaires dans certains cas) « à ceux désignés dans l’enregistrement ».

Ainsi, contrairement à ce que soutient la demanderesse, le seul enregistrement du nom de domaine litigieux, opération en elle-même totalement neutre, ne permet pas d’établir une identité ou une similarité de services avec les services pour lesquels la marque est protégée et il convient de procéder à une comparaison entre le contenu du site exploité par la société Saveurs e Senteurs Créations et les produits et services pour lesquels la protection est revendiquée, étant rappelé que ces produits et services sont, outre ceux visés au dépôt de la marque, ceux qui leur sont similaires.

En l’espèce, la protection de la marque est revendiquée en ce qu’elle désigne une « publication gastronomique » soit, selon les termes de l’enregistrement, « un produit de l’imprimerie » tel que « catalogues, journaux, magazines, périodiques, revues, publications ».

Or, force est de constater que le nom de domaine litigieux sert à l’exploitation d’un site utilisé pour des activités sans aucun lien avec les services de l’édition de magazine puisqu’il s’agit, à titre principal, d’activités de promotion de l’activité de création de parfums de la défenderesses et de la commercialisation d’huiles essentielles, de parfums, d’arômes, outre à l’époque du constat d’huissier, une activité liée à la restauration.

En effet, les services proposés sur le site ne sont pas similaires à ceux protégés par la marque dès lors qu’ils ne sont pas susceptibles d’être attribués par le public à la même origine.

Par conséquent, en l’absence d’identité et de similarité entre les services protégés par la marque, d’une part, et les activités présentées sur le site internet, d’autre part, aucune contrefaçon n’est caractérisée.

* Sur la contrefaçon du droit d’auteur

C’est en vain que la société Publications Bonnier revendique la protection du titre « Saveurs », titre de la revue qu’elle édite, sur le fondement de l’article L. 112-4 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

D’une part, ce titre utilisé pour désigner une revue de gastronomie est dépourvu du caractère original exigé par l’article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle ; d’autre part, l’utilisation par la société Saveurs et Senteurs Créations du terme « saveurs » à titre de nom de domaine pour exploiter le site décrit précédemment, n’est pas de nature à créer une quelconque confusion avec la revue en question.

La demande de ce chef ne peut qu’être rejetée.

La société Publications Bonnier, déboutée de ses demandes en contrefaçon, sera par conséquent déboutée de ses demandes aux fins de dommages et intérêts, d’interdiction, de transfert, de publication et d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

L’équité commande de condamner la demanderesse à verser à la société Saveurs et Senteurs Créations la somme de 1 500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu’elle a dû supporter pour se défendre en justice.

La décision

Le tribunal, statuant par décision contradictoire et en premier ressort :

. prononce la déchéance partielle de la marque « Saveurs » n° 1518032 pour les services de télécommunications de la classe 38, à compter du 30 novembre 2000 ;

. déboute la société Publications Bonnier de l’ensemble de ses demandes ;

. condamne la société Publications Bonnier à verser à la société Saveurs et Senteurs Créations la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du Ncpc ;

. condamne la société Publications Bonnier aux dépens.

Le tribunal : Mme Hélène Jourdier (vice-président), Mme Marie-Hélène Poinseaux (premier juge), Mme Isabelle Orsini (juge).

Avocat : Mes Marie et Fabre.

Notre présentation de la décision

[Voir ordonnance de référé du 03/07/2000->?page=jurisprudence-decision&id_article=383]

 
 

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