Jurisprudence : Responsabilité
Cour d’appel de Paris Pôle 1, chambre 5 Ordonnance du 12 juin 2013
UEJF / Twitter
appel - communication - condamnation - contenus illicites - données d'identification - hébergeur - injonction - radiation - refus - réseaux sociaux - statut
FAITS ET PROCÉDURE
Par ordonnance du 24 janvier 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a notamment ordonné à la société Twitter Inc. de communiquer aux cinq associations en cause les données en sa possession de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création des tweets manifestement illicites dont les URL figurent au dispositif de l’assignation du 29 novembre 2012 qu’elle a rendus inaccessibles sur notification du 23 octobre 2012, dit que cette communication devra intervenir dans les quinze jours de la signification de la décision sous astreinte de 1000 € par jour de retard passé ce délai, s’est réservé la liquidation de l’astreinte, en tant que de besoin, a ordonné à la société Twitter Inc. de mettre en place dans le cadre de la plate-forme française du service Twitter un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à sa connaissance des contenus illicites tombant sous le coup de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale, condamné la société Twitter Inc. à payer à chacune des deux demanderesses principales la somme de 1000 € et celle de 500 € à chacune des trois intervenantes volontaires sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Twitter Inc. a interjeté appel le 21 mars 2013.
L’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) a fait assigner le 16 avril 2013, la société Twitter Inc. devant le premier président de la cour d’appel de Paris aux fins de le voir ordonner la radiation du rôle de l’affaire en l’absence d’exécution de la décision frappée d’appel sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile et de condamner celle-ci à lui payer la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles.
Par écritures déposées et soutenues à l’audience, la société Twitter s’oppose à la demande et sollicite la condamnation de l’UEFJ à lui payer la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
DISCUSSION
Attendu qu’en application de l’article 526 du code de procédure civile, le premier président peut, lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, décider à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il ne lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant soit dans l’impossibilité d’exécuter la décision ;
Attendu que la société Twitter avait aux termes de l’ordonnance, deux obligations à sa charge :
– mettre en place dans le cadre de la plate-forme française du service Twitter un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à sa connaissance des contenus illicites tombant notamment sous le coup de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale ;
– communiquer aux associations en cause les données en sa possession de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création des tweets manifestement illicites dont les URL figurent au dispositif de l’assignation du 29 novembre 2012 qu’elle a rendus inaccessibles sur notification du 23 octobre 2012 ;
Attendu que sur le premier point, la société Twitter estime que le dispositif de signalement des contenus illicites mis en place par ses soins est conforme à l’ordonnance et qu’elle a donc respecté les termes de celle-ci ; qu’elle déclare avoir établi un système de signalement des messages abusifs avec une politique spécifique en la matière, des consignes sous forme de foire aux questions et un formulaire dédié ; qu’elle ajoute que ce dispositif est accessible à tout internaute et accessible directement à l’adresse https://support.twitter.com/forms/abusivuser ; qu’elle estime avoir simplifié la procédure de signalement et le dispositif est donc parfaitement accessible et visible ; qu’elle considère le nombre de clics nécessaires comme indifférent ;
Attendu que l’UEJF conteste le caractère accessible et visible du dispositif mis en place ;
Attendu que la société Twitter produit un procès-verbal de constat dressé par la SCP Benichou Legrain Berruer, huissiers de justice, le 14 mai 2013 ; que le clerc saisit l’adresse Twitter.fr, que la page de bienvenue apparaît, l’URL de la page étant https://twitter.com ; qu’il clique en suite en bas de page à gauche sur Aide ; qu’une deuxième page apparaît avec Bienvenue comment pouvons nous vous aider ?, diverses rubriques y figurent moi, connecter, découvrir, mobiles et applications, dépannage, politique et violations, protection et sécurité, publicité ; que le clerc clique sur la rubrique politique et violations pour laquelle une mention précise « prenez connaissance des règles de twitter et signalez des violations » ; qu’une nouvelle page d’écran apparaît avec trois chapitres règles et politiques de Twitter, consignes et signaler une violation ; que, dans ce dernier paragraphe figure parmi 9 possibilités, celle de comment signaler des comportements abusifs ; qu’en cliquant sur cette indication, une nouvelle page mentionne « comment signaler les comportements abusifs » avec des rubriques sur qui peut signaler un tel comportement, pourquoi Twitter ne peut empêcher un utilisateur de créer un nouveau compte, Twitter peut-il fournir des informations d’un autre utilisateur, que dois-je faire si je reçois une menace violente, comment remplir un signalement indiquant que quelqu’un tweete des messages abusifs et que se passe-t-il si je soumets un signalement ; que le clerc clique sur comment remplir un signalement indiquant que quelqu’un tweete des messages abusifs ; que la page « je soumets un rapport concernant l’auteur d’un abus » s’affiche ; qu’alors il y a cinq possibilités soit quelqu’un poste mes informations sur twitter, quelqu’un vole mes tweets sur twitter, quelqu’un poste des contenus offensants sur twitter, quelqu’un m’envoie des messages abusifs sur Twitter et quelqu’un m’envoie des menaces violentes sur twitter ; qu’il est indiqué alors que pour plus d’informations et de ressources sur la manière de gérer les utilisateurs abusifs sur internet et twitter, consultez cet article ;
Attendu que l’UEJF a complété la dernière page en imprimant les énonciations figurant sur le rapport ; qu’il est possible de décliner le nom d’utilisateur à la source du problème (il faut fournir le lien vers le tweet offensant, il faut associer le tweet et l’utilisateur signalé, le texte du tweet, l’heure du tweet) ; qu’il est indiqué que Twitter peut transmettre une copie de ce rapport à des tiers tel que l’utilisateur concerné ;
Attendu qu’il résulte de ce procès-verbal que le cheminement pour aboutir à ce que la société Twitter soit avisée de contenus illicites suppose plusieurs clics ; que, certes, les internautes sont habitués à cliquer mais encore faut-il qu’ils puissent facilement savoir où la dénonciation de contenus illicites peut être faite ; qu’il ne peut qu’être constaté qu’il est nécessaire d’aller dans la rubrique Aide pour commencer le cheminement ; que cette rubrique écrite en tout petit sur la page de bienvenue ne révèle pas clairement et immédiatement qu’elle vise non seulement l’aide technique mais aussi toutes les questions que l’on se pose à propos de twitter ; qu’à supposer que l’on soit curieux et avisé et que l’on clique sur Aide, il faut savoir que la rubrique politiques et violations concerne bien les contenus illicites ; que ce n’est que sur la page suivante que l’on voit apparaître la notion de comportements abusifs ; que les propositions qui sont faites visent les usages par d’autres de vos tweets et qu’il n’est évoqué que la possibilité de dénoncer les contenus illicites qu’au terme du cheminement ; que de plus, il faut encore savoir que les informations relatives aux tweets litigieux et illicites entrent dans la catégorie messages offensants ; qu’enfin, la personne qui porte à la connaissance de Twitter un tel message se voit exposer à ce que d’office, Twitter avise la personne qui a tweeté le message illicite ;
Attendu qu’il ressort de ces éléments que le dispositif mis en place pour porter à la connaissance de Twitter les contenus illicites, notamment ceux tombant sous le coup de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale n’est pas en l’état facilement accessible et visible ; qu’il s’ensuit que la société Twitter ne démontre pas avoir exécuté la première injonction qui lui a été donnée par le juge des référés ;
Attendu que relativement à la seconde injonction relative à la communication des données en sa possession de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création des tweets manifestement illicites, la société Twitter déclare être en possession de ces données ; qu’elle estime que l’exécution de l’injonction revient à la priver du double degré de juridiction dès lors que la mesure sera irréversible et au surplus, elle indique avoir accepté de communiquer ces données sous réserve du respect des conventions internationales applicables et notamment la délivrance d’une commission rogatoire internationale ;
Attendu qu’il résulte des propres déclarations de la société Twitter qu’elle n’est pas dans l’impossibilité d’exécuter l’ordonnance et qu’elle est prête à communiquer ces données mais sous condition ; qu’il s’ensuit que le caractère irréversible de la communication ne constitue pas en soi un motif sérieux de s’opposer à la demande de la part de la société Twitter ; que ce n’est donc pas une conséquence manifestement excessive justifiant son refus d’exécuter la décision ; qu’en tout état de cause, si la communication des données personnelles ordonnée est irréversible, il convient de rappeler que la poursuite de l’exécution provisoire se fait aux risques et périls de celui qui la poursuit, et qu’en cas d’infirmation, il encourt une condamnation au paiement de dommages-intérêts ;
Attendu qu’au surplus, le délégataire du premier président qui statue au vu des éléments de la cause, doit apprécier les conséquences manifestement excessives attachées à la poursuite de l’exécution provisoire et prendre en considération les intérêts de chacune des parties ; qu’en l’espèce, l’inexécution de l’ordonnance entraîne pour les associations bénéficiaires de la condamnation l’impossibilité d’agir au pénal eu égard au délai de prescription dont l’expiration est proche alors que la société Twitter ne démontre pas l’existence de conséquences manifestement excessives attachées à l’exécution de la décision en cause ; qu’en outre, à supposer qu’elle soit poursuivie aux Etats Unis, elle peut, en cas d’infirmation, réclamer l’indemnisation du préjudice subi par la partie poursuivante ;
Attendu qu’elle ne saurait prétendre être privée du double degré de juridiction du fait de l’obligation de communiquer les données permettant l’identification des auteurs des tweets illicites au motif qu’elle a agi en appel pour obtenir que cette communication soit faite conformément aux conventions internationales et que son appel n’aurait plus dès lors d’intérêt alors qu’il résulte de sa propre déclaration d’appel que l’objet de celui-ci est total et donc vise la décision dans toutes ses dispositions ;
Attendu qu’il s’ensuit que la société Twitter n’ayant pas exécuté la décision de première instance et ne justifiant pas d’une impossibilité d’exécuter celle-ci ou de conséquences manifestement excessives attachées à son exécution provisoire, il convient en application de l’article 526 du code de procédure civile d’ordonner la radiation de l’appel qu’elle a formé ;
Attendu que l’équité commande de faire droit à la demande de l’UEJF présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de lui allouer, de ce chef, la somme de 1500 € au paiement de laquelle la société Twitter est condamnée ;
Attendu que succombant, la société Twitter ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens de la présente instance ;
DÉCISION
Par ces motifs :
. Prononçons la radiation de l’appel formé par la société Twitter à l’encontre de l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris le 24 janvier 2013, appel distribué à la chambre 2 du Pôle 1 ;
. Condamnons la société Twitter à verser à l’Union des étudiants juifs de France la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Rejetons la demande de la société Twitter présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Condamnons la société Twitter aux entiers dépens de l’instance.
La cour : Mme Sylvie Maunand (conseillère)
Avocats : Me Stéphane Lilti, Me Alexandra Neri
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