Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Nanterre Ordonnance de référé du 11 décembre 2000
Sté Groupe Industrie Service Info / SA Ornis, SA Electronic Business Service et Sarl Cinam
base de données - contrefaçon - droit d'auteur - lien hypertexte - logo - marque - reproduction
Faits et procédure
La société Groupe Industrie Service Info édite et publie, sur support papier et en ligne, plusieurs revues professionnelles destinées au monde de l’industrie telles : « l’Usine Nouvelle », « Industries et Techniques » et, plus récemment, « e+ l’Usine Nouvelle ».
La société Groupe Industrie Service Info a formé le projet d’ouvrir, sous le nom de « Usipass », un site portail ayant vocation à déboucher sur un bouquet de services à destination des industriels et des entreprises ainsi que sur les sites dédiés à ses différentes revues.
Par acte du 1er décembre 2000, la société Groupe Industrie Service Info a saisi le juge des référés d’une action aux termes de laquelle elle expose avoir découvert qu’un site, dénommé « enginus.com », édité par la société Electronic Business Service (EBS), se présentait sur internet comme le portail de l’industrie et qu’il avait mis en place des liens hypertextes conduisant directement aux articles contenus dans ses propres sites mettant en ligne ses magazines ; elle ajoute que cette revue de presse reproduit le titre de chaque article et que, dans une rubrique « Dans vos kiosques », la société EBS propose la consultation du sommaire complet et à l’identique des revues qu’elle édite accompagné de la reproduction de leur couverture ;au surplus, la société Groupe Industrie Service Info fait valoir que le site de la société EBS propose également une rubrique identifiée sous le logo « e+ » reproduisant servilement le sien.
En outre, la société Groupe Industrie Service Info indique avoir découvert un second site dénommé « ebsindustry.com » dont le nom de domaine a été enregistré par la société Cinam, qui offre un reroutage automatique vers le site « enginus.com ».
Elle mentionne que la société Cinam édite un site dénommé « docindus.com » reproduisant à l’identique sur sa page d’accueil le bandeau publicitaire internet de L’Usine Nouvelle, cette reproduction étant prolongée par la mention « en ligne » ; en outre, ce site offre, selon elle, dans une rubrique « Nouveaux produits », une description des nouveautés du monde de l’industrie reprenant mot pour mot celle contenue dans les articles de L’Usine Nouvelle mis en ligne.
Invoquant la contrefaçon de droits d’auteur, la contrefaçon de marques, les règles de la responsabilité civile et, subsidiairement, la violation du droit portant sur les bases de données et au visa des articles L. 111-1, L. 112-2 à 4,L. 341-1 et suivants, L. 342-2 et suivants, L. 713-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 1382 et 1383 du code civil, l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1988 issu de la loi du 1er août 2000, la société Groupe Industrie Service Info demande de :
. faire injonction à la société Ornis, fournisseur d’hébergement des trois sites litigieux, de supprimer immédiatement tout accès aux sites litigieux ;
. ordonner aux sociétés EBS et Cinam, sous astreinte, de procéder à la fermeture des sites « enginus.com », « ebsindustry.com » et « docindus.com », en leur état actuel ;
. en tant que de besoin, faire injonction aux sociétés EBS et Cinam, sous astreinte, de supprimer de leurs sites tous éléments contrefaisants et notamment tout lien hypertexte vers l’un de ses propres sites.
La société Groupe Industrie Service Info sollicite en outre :
. des mesures d’interdiction, sous astreinte, d’utiliser les éléments contrefaits,
. la somme de 400 000 F à titre d’indemnisation provisionnelle,
. la somme de 30 000 F au titre des frais irrépétibles.
Vu les conclusions déposées le 7 décembre 200 par la société EBS faisant valoir que l’ensemble des éléments incriminés a fait l’objet d’un retrait constaté par un agent de l’Agence pour la protection des programmes (APP) le 6 décembre, élevant sur chacun des points litigieux des contestations qu’elle estime sérieuses, soutenant qu’aucun trouble manifestement illicite ne peut être caractérisé et que la société demanderesse ne subit aucun préjudice, sollicitant enfin une somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les conclusions déposées le 7 décembre 2000 par lesquelles la société Cinam fait valoir que l’action en contrefaçon de marque n’a pas été introduite à bref délai, soulevant des contestations qu’elle estime sérieuses et sollicitant la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les conclusions déposées le 7 décembre 2000 par la société Ornis, fournisseur d’hébergement, qui s’en remet à la décision du juge et sollicite, en tout état de cause, une somme de 7 000 F au titre des frais irrépétibles.
La discussion
L’allégation, selon laquelle le litige serait vidé de sa substance du fait du retrait volontaire des éléments litigieux constaté par un agent de l’APP, n’est pas de nature à mettre fin au litige puisque le constat n’est pas suffisamment précis sur la disparition constatée et qu’aucun obstacle ne s’oppose, en l’absence de décision juridictionnelle, à la remise en ligne des éléments susvisés à la discrétion de la société EBS.
Sur l’action :
Au titre du droit d’auteur :
La société Groupe Industrie Service Info reproche :
* à la société EBS :
. la reproduction sans autorisation des titres, sommaires et couvertures des revues mises en ligne par elle-même ;
La société EBS oppose à ces griefs l’absence de preuve de la titularité des droits de la société demanderesse sur ces éléments mis en ligne, l’exception de revue de presse, les usages et le droit à l’information ;
Ces moyens, auxquels il n’a pu être répondu que partiellement à l’audience, soulèvent des questions de droit suffisamment sérieuses pour échapper à la compétence du juge des référés ;
. la reproduction du logo « e+ » à laquelle la société EBS oppose une absence d’originalité résultant de l’emploi courant de la lette « e » dans le monde de l’internet, ainsi que des différences graphiques distinguent les deux représentations adoptées par chacune des sociétés ;
L’appréciation de ces moyens posent des questions suffisamment sérieuses pour échapper à la compétence du juge des référés ;
* à la société Cinam :
. la reproduction sans autorisation des notules de description des nouveaux produits qu’elle publie ; cependant, il lui est opposé qu’elle ne justifie pas de la titularité des droits d’auteur sur ces notules, faute de prouver qu’elle bénéficie d’une cession régulière de droits de la part des journalistes auteurs de ces textes et que ces notules sont dépourvues de caractère original ;
Ces contestations, auxquelles il n’est pas apporté d’éléments de réponse, sont sérieuses et font obstacle à la compétence du juge des référés ;
* aux deux sociétés défenderesses :
. la création de liens hypertextes à son insu ;
Les liens hypertextes sont les éléments essentiels de l’internet auxquels ils confèrent son interactivité et sa richesse ;
leur emploi est général ; la reconnaissance de leur caractère contrefaisant est à l’évidence une question de fond dont l’appréciation relève du juge de droit commun ;
Au titre des marques :
Sur la base des articles L. 713-2 et suivants, L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle, 808 et 809 du Ncpc, la société Groupe Industrie Service Info réclame la protection des marques « Usine Nouvelle », « Industries et techniques », » e+ l’Usine Nouvelle ».
La société EBS soutient que sa responsabilité au titre de la contrefaçon de marques ne saurait être engagée puisque l’emploi de ces marques n’est fait qu’aux fins de référence destinées à indiquer aux internautes la source des magazines, qu’aucun préjudice n’en résulte et qu’elle est de bonne foi.
Ces contestations sont dépourvues de tout caractère sérieux.
Il n’est pas contesté que les marques litigieuses sont reproduites à l’identique ; ayant trait à des services de même nature, l’action en contrefaçon engagée au fond apparaît suffisamment sérieuse pour qu’il soit fait droit aux mesures d’interdiction énoncées au dispositif de la présente ordonnance, en application de l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle.
La société Groupe Industrie Service Info reproche plus spécialement à la société Cinam, au titre de la contrefaçon, la reproduction sur son site « docindus.com » de sa marque « L’Usine Nouvelle ».
Cette action en contrefaçon de marque obéit nécessairement aux dispositions de l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle, laquelle est exclusive de l’application des articles 808 et 809 du Ncpc.
Il est établi par la production des logos de connexion et l’identification de l’adresse IP de L’Usine Nouvelle que la société Groupe Industrie Service Info a visité le site « docindus » au mois de mars 2000 et qu’elle a pu se convaincre dès ce moment de la contrefaçon existante.
L’action engagée plus de huit mois après ne l’est pas à bref délai et est irrecevable.
Au titre de la responsabilité civile :
Procédant dans la motivation de son assignation à une analyse du comportement global des sociétés EBS et Cinam, la société Groupe Industrie Service Info prétend y voir une complicité dolosive ayant pour but de créer à leur profit une confusion qui lui serait préjudiciable, le tout trahissant une démarche parasitaire.
Elle est ainsi notamment amenée à critiquer comme fautif, le développement par la société EBS d’un site portail dédié à l’industrie dont elle prétend qu’il reprend l’organisation et la typologie de celui qu’elle s’apprête à ouvrir.
Cependant, elle demande au juge dans le dispositif de cette assignation d’apprécier non pas un comportement global mais chacun des éléments le constituant pris isolément au regard des articles 1382 et 1383 du code civil en retenant :
. la création de liens hypertextes,
. la création par Cinam d’un site de reroutage automatique vers le site « enginus » de la société EBS,
. la reprise sur le site « enginus » de la typologie des rubriques et des services conçus pour son site portait avec l’utilisation non autorisée des titres, couvertures et sommaires des revues qu’elle édite.
L’appréciation de ces questions nécessite notamment de déterminer si des faits argués de contrefaçon peuvent être repris au titre de la responsabilité civile ; sur quelles bases, non explicitées, la société Groupe Industrie Service Info souhaite imposer son monopole sur le concept du portail de l’Industrie ; quelle incidence peut avoir le fait que le site qu’elle entend ouvrir est, à l’heure actuelle, inexistant et enfin quelle faute est susceptible de constituer l’ouverture d’un site de reroutage automatique entre deux entreprises alliées.
Ces questions, par leur simple énoncé, dépassent manifestement la compétence du juge des référés, juge de l’évidence.
Au titre des bases de données :
Ce fondement implique des qualifications qui ne sont pas de la compétence du juge des référés mais seulement du juge du fond.
Il est en effet nécessaire d’apprécier, d’une part, si la société Groupe Industrie Service Info peut être qualifiée de producteur de base de données au sens de l’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, ce qui est contesté ; d’autre part, si les extractions auxquelles se livrent les sociétés défenderesses sont susceptibles de donner lieu à la protection instituée par l’article L. 342-1 du même code.
Au titre du préjudice :
L’existence du préjudice étant affirmée sans être démontrée et sa réalité étant contestée, la demande formée à ce titre doit être rejetée.
Les conditions d’application de l’article 700 du Ncpc sont réunies au profit de la société Groupe Industrie Service Info et de la société Cinam.
Elles ne sont pas réunies au profit de la société Ornis.
La décision
Le tribunal, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort :
. enjoint à la société EBS, sous astreinte de 5 000 F par jour de retard passé un délai de trois jours après la signification de la présente décision, de retirer des sites « enginus.com » et « ebsindustry.com » toutes références aux marques « l’Usine Nouvelle », « Industries et Techniques » et « e+ l’Usine Nouvelle » déposées par la société Groupe Industrie Service Info ;
. lui fait interdiction, sous la même astreinte, de reproduire ou d’utiliser, de quelque manière que ce soit, ces marques ;
. dit n’y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;
. condamne, en vertu des dispositions de l’article 700 du Ncpc :
* la société EBS à payer à la société Groupe Industrie Service Info la somme de 8 000 F,
* la société Groupe Industrie Service Info à payer à la société Cinam la somme de 8 000 F ;
. condamne la société EBS aux dépens.
Le Tribunal : M. Xavier Raguin (vice-président, tenant l’audience des référés par délégation du président du tribunal).
Les Avocats : Mes Marie-Anne Gallot Le Lorier, la Selarl d’Astorg – Frovo & Associés, Me Cyril Fabre et Me Olivier Binder (de la société Cejef-Binder).
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.