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Jurisprudence : Jurisprudences

vendredi 03 mars 2017
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Tribunal de grande instance de Paris, 3ème ch., 1ère sec., jugement du 2 mars 2017

Mme X. / Mme Y.

atteinte aux droits de la personnalité - nom de domaine - patronyme - transfert - Usurpation d’identité

Madame X., née le …, demeurant à E. (95) indique avoir constaté le 10 novembre 2016 qu’un tiers identifié dans la base Whois comme étant madame Y. née le … demeurant à P. avait enregistré le 3 novembre 2016 le nom de domaine mmeX.fr, reprenant donc son nom et son prénom, utilisé pour exploiter un site de vente en ligne de chaussures et accessoires, vraisemblablement frauduleux, ne comportant ni conditions générales de vente, ni mentions légales ou adresse de contact.

Après avoir fait constater par huissier le 18 novembre 2016 l’exploitation du site litigieux, elle a adressé le 21 novembre 2016 une lettre recommandée avec avis de réception au titulaire déclaré du nom de domaine litigieux, mettant en demeure cette dernière de transférer le nom de domaine à son profit.

A réception, madame Y. a pris contact avec le conseil de madame X. en expliquant ne pas être à l’origine de l’enregistrement du nom de domaine litigieux qui résulterait d’une usurpation de sa propre identité. Elle s’est engagée à entamer les démarches nécessaires pour en obtenir la suppression.

Exposant avoir néanmoins constaté qu’après relance, aucune démarche n’avait été amorcée auprès de l’AFNIC, madame X., autorisée à assigner à jour fixe par ordonnance du 16 décembre 2016 a, par exploit d’huissier du 20 décembre 2016, fait citer madame Y. devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir le transfert du nom de domaine mmeX.fr à son profit et voir cesser l’exploitation du site www.mmeX.fr.

Le 3 janvier 2017, soit postérieurement à l’assignation, le nom de domaine mmeX.fr a été supprimé.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 janvier 2017 intégralement reprises à l’audience et auquel il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément aux articles 792 alinéa 2 et 455 du code de procédure civile, madame X. demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et au visa des dispositions des articles 45-2 du code des postes et communications électroniques, L.111-1 et suivants et R.111-1 du code de la consommation, de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, de la loi n°78-17 du 6 janvier1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, de :

– Dire et juger madame X. recevable et bien fondée en ses demandes.

– Constater que le nom de domaine mmeX.fr a été enregistré en violation des droits de la personnalité attachés à madame X.

En conséquence,

A TITRE PRINCIPAL
– Ordonner le transfert forcé du nom de domaine mmeX.fr au profit de madame X., à charge de la partie la plus diligente de transmettre le jugement à intervenir à l’AFNIC.

A TITRE SUBSIDIAIRE
– Ordonner la suppression du nom de domaine mmeX.fr, à charge de la partie la plus diligente de transmettre le jugement à intervenir à l’AFNIC.

EN TOUT ETAT DE CAUSE
– Donner acte que madame X. se réserve le droit de formuler des demandes de dommages et intérêts à l’encontre de la personne dont la responsabilité pourra être relevée au titre des faits, ou
s’il était avéré que madame Y. avait agi de mauvaise foi et dans l’intention de lui nuire.

– Rejeter la demande de madame Y. au titre de la procédure abusive.

– Rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions de Madame Y.

– Condamner madame Y. au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamner madame Y. aux entiers dépens, en ce compris le constat d’huissier réalisé en date du
18 novembre 2016 et les frais de signification à l’AFNIC du jugement à intervenir.

En réplique, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 janvier 2017 intégralement reprises à l’audience et auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément aux articles 792 alinéa 2 et 455 du code de procédure civile, madame Y. demande au tribunal, de :

– Constater que madame Y. n’est pas la personne qui a enregistré le nom de domaine X..

– Déclarer irrecevable l’action de madame X. à l’encontre de madame Y. .

– Constater que madame Y. a révélé rapidement l’usurpation d’identité dont elle avait été victime au conseil de madame X.

– Constater que madame Y. a transmis au Conseil de madame X. ses pièces d’identité et la plainte faite à INTERPOL afin de procéder aux vérifications auprès de l’AFNIC.

– Constater encore, que le site litigieux, utilisant le nom de X. est indisponible avant même que l’affaire vienne à l’audience et qu’aucune urgence n’est justifiable.

– Constater que madame Y. n’avait aucun intérêt à utiliser le nom de X..

– Débouter madame X. de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions à l’égard de madame Y.

– Condamner madame X. à verser à madame Y. la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure particulièrement abusive.

– Condamner madame X. à régler à madame Y. la somme de 5.000 € en application des dispositions de l’article 700.

– La condamner aux entiers dépens, en ce compris le procès-verbal de constat établi par Maître Pascal Harmand huissier de justice à Nancy.

L’affaire a été appelée à l’audience du 17 janvier 2017 et mise en délibéré au 2 mars 2017.

Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l’article
467 du code de procédure civile.

DISCUSSION

A titre préalable, il est rappelé que les demandes de « constat » et de « donner acte » ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile et ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

1°) sur le transfert du nom de domaine mmeX.fr

Au visa de l’article L.45-2 2° du code des postes et des communications électroniques, madame X. fait valoir que l’enregistrement du nom de domaine litigieux pour exploiter un site de vente en ligne de chaussures et d’accessoires manifestement frauduleux porte atteinte aux droits de la personnalité que constituent son nom patronymique et son prénom. Elle ajoute que ces faits sont constitutifs du délit pénal d’usurpation d’identité numérique prévu et réprimé par l’article 226-4-1 du code pénal. Elle précise qu’elle n’a jamais affirmé que madame Y. était de mauvaise foi, raison pour laquelle elle ne sollicite pas sa condamnation à des dommages et intérêts, mais que pour autant celle-ci est la seule titulaire déclarée du nom de domaine litigieux. Elle ajoute que le site internet en cause, référencé sur les moteurs de recherche, porte atteinte à sa réputation.

En réponse, madame Y. affirme ne pas être à l’origine de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, ainsi que cela ressort notamment de la géolocalisation de l’adresse IP ainsi que de la mention d’un numéro de téléphone et d’une adresse mail erronés. Expliquant les circonstances ayant selon elle conduit à l’usurpation de son identité, elle indique qu’elle a porté plainte auprès des services de police dès le 25 novembre 2016 et a transmis cette plainte à l’AFNIC après vérification de l’authenticité de cet organisme. Elle en déduit que, n’étant pas l’auteur de l’enregistrement, les demandes formulées à son encontre sont irrecevables. Elle ajoute que la demanderesse profite de cette procédure pour obtenir sans frais le transfert à son profit d’un nom de domaine constitué de son nom et de son prénom alors qu’elle n’avait jamais pris la précaution de les protéger auparavant. Elle ajoute que le nom X. n’est ni rare ni renommé et que la demanderesse ne démontre aucun préjudice et qu’au demeurant le site litigieux n’est plus accessible.

Sur ce

En application de l’article L.45-2, 2° du Code des postes et des communications électroniques, l’enregistrement ou le renouvellement des noms de domaine peut être refusé ou le nom de domaine supprimé lorsqu’il est susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi.

Le nom patronymique d’une personne physique, même dépourvue de toute notoriété particulière, constitue un attribut de sa personnalité et celle-ci est en droit de s’opposer à toute utilisation à titre commercial de celui-ci par un tiers en cas de risque de confusion ou d’assimilation prouvé.

Le nom de domaine litigieux reproduisant à l’identique son prénom et son nom patronymique, madame X. a intérêt à solliciter son transfert à son profit auprès de la personne déclarée comme étant celle ayant procédé à son enregistrement. Ses demandes formulées à l’encontre de madame Y. sont donc recevables, quand bien même cette dernière aurait été elle-même victime d’une usurpation de son identité, dès lors qu’elle seule est habilitée à intervenir auprès de l’AFNIC pour obtenir la suppression ou le transfert du nom de domaine en cause.

En l’espèce, si madame X. ne prétend pas jouir d’une notoriété particulière, elle établit suffisamment par les pièces produites aux débats que sa profession de responsable de communication la conduit à une présence relativement importante sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux professionnels. Il est également établi par le constat d’huissier du 18 novembre 2016 que le nom de domaine litigieux était utilisé jusqu’au 3 janvier 2017 pour exploiter un site internet de vente en ligne dépourvu de mentions légales et non conforme à la réglementation sur le commerce électrique et donc potentiellement frauduleux. L’association dans ce nom de domaine du prénom et du nom patronymique de la demanderesse entraîne, en raison de la reprise à l’identique de ces deux éléments et du caractère peu commun du nom en cause, un risque que madame X. soit considérée par les internautes comme étant responsable ou au moins associée aux activités commerciales conduites à partir de cette adresse, ce d’autant qu’une recherche sur les moteurs de recherche opérée à partir de son nom et de son prénom fait apparaître des liens renvoyant sur ce site aux côtés de liens la concernant personnellement.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de transfert, nonobstant la suppression récente du nom de domaine mmeX.fr par son titulaire, et ce afin de prévenir toute nouvelle utilisation frauduleuse de celui-ci.

2°) Sur la procédure abusive

Madame Y. demande la condamnation de la demanderesse à lui payer la somme de 5.000 € pour procédure abusive en faisant valoir que celle-ci aurait pu directement mettre en œuvre des procédures auprès de l’AFNIC.

En application de l’article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’exercice d’une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur équipollente au dol.

En l’espèce, il est établi que madame X. a, par le biais de son conseil, pris contact avec madame Y. pour trouver une solution amiable au litige et que ce n’est qu’après avoir constaté l’absence de démarches de madame Y. auprès de l’AFNIC au 8 décembre 2016 qu’elle a engagé la présente procédure. Si madame Y. justifie avoir déposé plainte auprès des services de police dès le 25 novembre 2016, elle ne produit aucun document permettant de connaître la date à laquelle elle a sollicité la suppression du nom de domaine litigieux auprès de l’AFNIC. Aucune faute ne pouvant être reprochée à madame X., la demande au titre de la procédure abusive sera rejetée.

3°) Sur les demandes accessoires

Succombant au litige, madame Y. qui n’a pas entrepris avec suffisamment de diligence les démarches nécessaires au transfert ou à la suppression du nom de domaine litigieux sera condamnée à payer à madame X. la somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance.

Etant établi par les mentions figurant à la base Whois, notamment la géolocalisation à Istanbul de l’adresse IP, l’absence de mauvaise foi de madame Y. qui a vraisemblablement été elle-aussi victime d’une utilisation frauduleuse de son identité, les frais du constat d’huissier du 18 novembre 2016 resteront à la charge de madame X.. Symétriquement, ceux du constat d’huissier établi par maître Pascale Harmand, dont l’utilité n’est pas avérée et la pertinence particulièrement en question au regard notamment des constatations effectuées sur le site internet du conseil de la demanderesse, resteront à la charge de madame Y.

L’exécution provisoire du jugement sera ordonnée conformément à l’article 515 du code de procédure civile.


DÉCISION

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

Déclare recevables les demandes de madame X. en transfert à son profit du nom de domaine mmeX.fr ;

Ordonne le transfert au profit de madame X. du nom de domaine mmeX.fr initialement enregistré au nom de madame Y. ,

Dit que le présent jugement sera notifié à l’AFNIC par la partie la plus diligente,

Déboute madame Y. de sa demande de procédure abusive,

Rejette la demande de madame Y. au titre des frais irrépétibles ;

Condamne madame Y. à payer à la madame X. la somme de HUIT CENT EUROS (800 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne madame Y. à supporter les entiers dépens de l’instance ;

Déboute les parties de toute autre demande ;

Ordonne l’exécution provisoire du jugement.

 

Le tribunal : Marie-Christine Courboulay (vice-présidente), Julien Richaud (juge), Aurélie Jimenez (juge), Léa Asprey (greffier)

Avocats : Me Ilana Soskin, Me Pierre Echard-Jean, Me Nicoletta Tonti

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.