Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Lyon, jugement du 23 juillet 2014
Vente-privée.com / M. W.
appellation sociale - cybersquatting - nom commercial - nom de domaine - transfert
EXPOSE DU LITIGE
Par acte introductif d’instance en date du 7 avril 2014, la Sa Vente-privée.com a fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de Lyon, selon la procédure d’assignation à jour fixe après autorisation donnée par ordonnance sur requête du 7 avril 2014, M. W. aux fins d’obtenir, au visa des articles L 213-2, L713-3 et L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle :
-à titre préliminaire,
-que soit constatée la mauvaise foi caractérisée de M. W.,
-que soit constatée la notoriété des signes distinctifs de ses marques semi-figuratives françaises « vente-privee » et « vente-privee.com » enregistrées sous les numéros 05/3.393.31 0″ et 04/3.318.310 pour les services 35, 38 et 41, de sa marque verbale française « venteprivee. com » numéro 09/3.623.085 pour les classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42 et de sa dénomination sociale, de son nom commercial et de l’enseigne « vente-privee.com » et enfin des noms de domaine « vente-privee.com », et « vente-privee.fr »
– à titre principal :
– de constater que le nom de domaine « venteprivees.com » de M. W constitue la reproduction quasi servile et à tout le moins l’imitation de ses marques semi-figuratives, de sa marque verbale, de dénomination sociale, de son nom commercial, de son enseigne et de ses noms de domaine antérieurs au nom de domaine du défendeur, et que monsieur M. W. a commis des actes de contrefaçon de ces marques et dénominations,
– à titre subsidiaire, de dire que par ses agissements, M. W. a commis une
faute grave engageant sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil,
– en tout état de cause,
– d’ordonner au défendeur de cesser toute exploitation du nom de domaine « venteprivees.fr » sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée dans les huit jours de la signification du jugement à intervenir,
– d’ordonner au défendeur de procéder sous astreinte de 5. 000 euros par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la signification du jugement au transfert de son nom de domaine « Venteprivees.fr » au bénéfice de la concluante,
– de l’autoriser en tant que de besoin à notifier le jugement entre les mains du bureau d’enregistrement des noms de domaine en charge de la gestion du nom de domaine en cause à l’effet de procéder en cas de carence du demandeur à son transfert à son bénéfice,
-de condamner monsieur M. W. à lui payer la somme de 15.000 euros à
titre de dommages intérêts,
– d’ordonner l’exécution provisoire,
– de se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte,
– de condamner M. W. au paiement des frais des constats réalisés
par l’Agence pour la Protection des Programmes,
-de le condamner au paiement de la somme de 7.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle expose et fait valoir que :
– elle est le leader des ventes événementielles sur internet et constituée depuis le 30 janvier 2001, elle organise sur son site accessible à l’adresse www.vente-privee.com des ventes de produits de différentes marques à des prix particulièrement attractifs accessibles sur invitation à ses membres ; elle compte à ce jour 14 millions de membres en France,
– elle a acquis rapidement cette notoriété en raison de l’usage intensif fait à titre de marque qu’elle a fait du signe distinctif « vente-privee.com », cette notoriété tient à l’ampleur de son activité, au nombre de ses clients, à l’audience très importante de son site sur le plan national et international, aux investissements consentis pour la mise en oeuvre de son activité sous le signe distinctif « vente-privee.com » et pour la mise en oeuvre d’actions promotionnelles, à la reconnaissance de cette notoriété dans les milieux intéressés, avec des récompenses et des articles de presse, par le directeur de l’INPI (décisions d’opposition) et celui de l’OMPI, ainsi que par les tribunaux,
– le défendeur a également fait l’objet de nombreuses condamnations par l’OMPI, réservant de nombreux noms de domaines portant manifestement atteinte aux droits de propriété intellectuelle de société françaises ou internationales et pour certaines notoirement communes,
– elle a fait établir un procès-verbal de constat par l’Agence pour la Protection des Programmes et elle a entrepris de vaines démarches auprès de M. W. pour faire cesser ses agissements,
– M. W. est de mauvaise fois puisque coutumier de ces agissements, il a reçu de nombreuses mises en demeure ; il exploite le site litigieux à des fins
lucratives et ne peut revendiquer aucun droit ou intérêt légitime à enregistrer ou exploiter le nom de domaine litigieux, pour des services identiques ou similaires à ceux exercés par la concluante,
-le nom de domaine enregistré par le défendeur constitue un obstacle potentiel à l’activité de la concluante, il y a un détournement d’investissements et un préjudice d’image,
– ses marques notoires jouïssent de la protection spéciale de l’article L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle et cette protection s’étend aux noms de domaine,
– l’analyse des signes en conflit révèle que le nom de domaine litigieux est quasi identique au signe distinctif « vente-privee.com », il s’agit d’une reproduction quasi-servile ; l’identité et/ou la similarité des services désignés est évidente, il existe un risque d’association évident entre les signes en conflit,
– outre l’atteinte aux marques notoires antérieures, il y a atteinte au signe distinctif « vente-privee.com », il a eu un ensemble d’agissements constitutifs d’actes d’usurpation et de concurrence déloyale et parasitaire,
– subsidiairement, le défendeur a adopté un comportement fautif, il y a eu un dépôt frauduleux de marques, et à tout le moins concurrence déloyale et parasitaire.
Il convient pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties de se référer expressément aux dernières conclusions des parties par application de l’article 455 du Code de Procédure Civile.
M. W. assigné par application des dispositions de l’article 659 du Code Civil n’a pas constitué avocat ; le jugement susceptible d’appel sera réputé contradictoire.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 27 mai 2014.
Les parties ont été informées par le Président que le jugement serait rendu le 16 juillet 2014 par remise au Greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l’article 472 du Code de Procédure Civile, lorsque le défendeur ne comparait pas, le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il estime régulière, recevable et bien fondée.
Compte tenu de la domiciliation du débiteur dans le département de la Haute-Savoie, la présente juridiction est compétente pour connaître du litige par application des articles L331-1 du Code de la Propriété Intellectuelle et D 211-6 du code de l’organisation judiciaire.
Sur l’atteinte aux marques
Selon l’article L 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, « sont interdits sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :
a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement,
b) l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ».
L’article L 713-5 du même code précise que la reproduction ou l’imitation d’une
marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière. Cette disposition concerne les marques connues d’une partie significative du public concerné par les produits et services
qu’elle désigne.
Les dispositions de l’article L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle
s’appliquent aux noms de domaine reproduisant ou imitant une marque notoire antérieure.
La société Vente-privee.com justifie être propriétaire des marques suivantes :
-la marque semi-figurative française « vente-privee » enregistrée le 23 novembre 2005 pour désigner les services relevant des classes 3 5, 3 8 et 41,
-la marque semi-figurative française vente-privee.com enregistrée le 14 octobre 2004 pour désigner les services relevant des classes 3 5, 3 8 et 41,
– la marque verbale française « vente-privee.com » enregistrée le 16 janvier 2009 pour désigner les produits et services relevant des classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42.
La demanderesse justifie par la production d’un ensemble de documents probants de sa notoriété et de celle de son signe distinctif vente-privee.com et notamment par :
-l’ampleur de son activité attestée par son chiffre d’affaire en constante augmentation (1,6 milliard d’euros TTC en 2013) et de sa clientèle,
-l’audience de son site internet (et notamment la 8ème position des sites les plus visités en France en 2013), tant en France que sur le plan international,
– les investissements consentis pour la mise en oeuvre de son activité et de ses actions promotionnelles,
– les sondages démontrant la connaissance élevée de la marque « vente-privee.com, et les récompenses octroyées, les articles de presses (presse nationale ou régionale et presse spécialisée),
– les nombreuses décisions d’oppositions rendues par le Directeur de l’Inpi et la décision de l’OMPI du 22 septembre 2007 outre les décisions postérieures,
-les multiples décisions judiciaires considérant comme notoires les marques semi-figuratives françaises de la demanderesse.
Le Tribunal se réfère plus amplement aux multiples pièces produites concernant cette notoriété.
La demanderesse est ainsi fondée à se prévaloir de la protection spéciale de l’article L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle qui n’exige pas que le risque de confusion soit démontré.
Il résulte du procès-verbal de constat dressé le 10 janvier 2014 par l’Agence pour la Protection des Programmes que le défendeur est propriétaire du nom de domaine « venteprivees.fr ». Son nom de domaine permet l’accès à un site internet constitué de liens hypertextes publicitaires fournis par la société Google par le biais de son service publicitaire double click et proposant des services identiques ou similaires aux produits et services désignés par le signe distinctif de la société Vente-privee.com ; il apparaît en outre que le
défendeur perçoit une rémunération à chaque fois qu’un internaute se re-dirige vers un site internet commercial lié.
Il n’apparaît également pas contestable que ce nom de domaine constitue une
imitation quasi identique des marques de la demanderesse. En effet, le suffixe fr n’est pas distinctif par rapport au suffixe corn et l’absence de tiré entre les deux mots vente et privées de même que l’emploi du pluriel pour le terme privees sont insignifiants et ne modifient en rien la perception d’ensemble, la prononciation et la compréhension globale du signe.
Il y a donc un risque d’association évident entre le signe du défendeur et les marques notoires antérieures de la demanderesse. Les faits de contrefaçon sont établis.
Il apparaît que le défendeur est coutumier de ce genre de pratiques puisqu’il résulte des recherches de la demanderesse qu’il a déposé d’autres noms de domaine portant manifestement atteinte aux droits de propriété intellectuelle d’autres sociétés notoirement connues ou à des signes distinctifs réservés par le gouvernement français.
Il a fait l’objet de nombreuses condamnations par l’OMPI pour l’enregistrement
frauduleux de noms de domaines. Il a fait l’objet de plusieurs mises en demeure par la demanderesse.
Il est donc particulièrement de mauvaise foi.
Sur l’atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial, à l’enseigne et aux noms de domaine
Outre sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne, la demanderesse est titulaire des noms de domaine et notamment « vente-privee.com ».
Sans reprendre l’ensemble de ce qui a déjà été dit dans le cadre de l’examen de l’atteinte aux marques, il est évident que le défendeur, coutumier du fait et averti à plusieurs reprises, n’ignorait pas les droits de la demanderesse sur sa dénomination sociale, son nom commercial, son enseigne et son nom de domaine ; il a néanmoins sciemment continué ses agissements constitutifs d’acte de concurrence déloyale et parasitaire sanctionnés par les dispositions de l’article 1382 du Code Civil.
Sur les mesures réparatrices
Il convient de condamner le défendeur à cesser toute exploitation de son nom de domaine venteprivees.fr sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard passé le délai de 8 jours à compter de la signification du jugement.
M. W. doit également être condamné à procéder au transfert de son nom
de domaine au bénéfice de la société demanderesse sous astreinte selon les modalités fixées au dispositif du jugement. La société Vente-privee.com sera autorisée en cas de carence du défendeur sur ce point, en tant que de besoin, à faire notifier le présent jugement entre les mains du bureau d’enregistrement des noms de domaines en charge de la gestion du nom de
domaine litigieux à l’effet de procéder à son transfert à son bénéfice.
Il n’y a pas lieu de se réserver le pouvoir de liquider les astreintes, faute de
circonstances particulières l’exigeant.
Le préjudice subi par la demanderesse, qui n’est pas détaillé mais cependant réel, sera justement indemnisé par l’octroi d’une somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts.
Sur les autres demandes
Les demandes étant fondées, le défendeur supportera les dépens et versera à son adversaire une somme sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile que l’équité commande de fixer à 2.000 euros.
Le défendeur supportera en outre les frais de constats réalisés à titre probatoire par la demanderesse au soutien de ses prétentions sur production de justificatifs de paiement.
La nature des faits justifie d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision afin de faire cesser l’atteinte aux marques.
DECISION
Statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort ;
Dit que M. W. a commis des actes de contrefaçon par imitation
des marques notoires semi-figuratives 05/3.3 93.310 et 04/3.318.310 et de la marque verbale française 09/623.085 de la société Vente-privee.com ;
Dit que M. W. a porté atteinte à la dénomination sociale, au
nom commercial, à l’enseigne « vente-privee.com » et aux noms de noms de domaine « venteprivee.com » et « vente-privee.fr » ;
Ordonne à M. W. de cesser toute exploitation du nom de domaine
« venteprivees.fr sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée passé un délai de huit jours à compter de la signification du présent jugement ;
Ordonne à M.W. de procéder sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement au
transfert de son nom de domaine « Vente-privees.fr » au bénéfice de la société Venteprivee. com,
Dit n’y avoir lieu de se réserver le pouvoir de liquider les astreintes.
Autorise en tant que de besoin, en cas de carence de M. W., la société
Vente-privee.com à notifier le jugement entre les mains du bureau d’enregistrement des noms de domaine en charge de la gestion du nom de domaine en cause à l’effet de procéder à son transfert à son bénéfice ;
Condamne monsieur M. W. à payer à la société Vente-privée.com:
-la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts
-la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Déboute la société Vente-privee.com du surplus de ses demandes.
Condamne M.W. au paiement des frais des constats réalisés par l’Agence pour la protection des programmes sur production des justificatifs de paiement.
Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.
Condamne monsieur monsieur M. W. aux dépens.
Ordonne la distraction des dépens au profit des avocats qui en ont présenté la
demande dans les conditions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
La Cour : Mme Patricia Gonzalez (vice-président), Mme Danielle Tixier (greffier)
Avocats : Me Marc Turquand d’Auzay, Me Cyril Fabre (avocat plaidant)
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