Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 09 janvier 2008
Raphaël Mezrahi et autres / Youtube
contrefaçon - éditeur - hébergeur - internaute - oeuvre - responsabilité
FAITS
Vu l’assignation en référé d’heure à heure en date du 16 octobre 2007 délivrée à la société Youtube Inc à la société Google Inc et à la société Google France par Raphaël Mezrahi et par la société Troyes dans l’Aube aux fins de voir dire que la reproduction des vidéos des interviews réalisées et interprétées par M. Mezrahi sans son autorisation et l’autorisation du titulaire des droits d’auteur la société Troyes dans l’Aube sur la page internet http:/video.google.fr et www.Youtube.fr éditée par les sociétés défenderesses porte atteinte aux droits d’auteur de la société Troyes dans l’Aube ainsi qu’aux droits voisins de Raphaël Mezrahi et viole son droit moral d’auteur, de condamner en conséquence in solidum la société Youtube Inc et les sociétés Google Inc et Google France à payer à la société Troyes dans l’Aube la somme de 200 000 € à titre de provision en réparation du préjudice patrimonial subi, à Raphaël Mezrahi la somme de 80 000 € à titre de provision en réparation de la violation de son droit moral d’auteur et de d’artiste interprète, à Raphaël Mezrahi à la somme de 100 000 € à titre de provision en réparation du préjudice patrimonial d’artiste interprète, ordonner la suppression des vidéos litigieuses sous astreinte de 5000 € par infraction constatée à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, ordonner la publication de manière visible claire et sans commentaire du dispositif de l’ordonnance à intervenir sur la page d’accueil du site internet Google Vidéo accessible aux adresses URL http:/video.google.fr et http:/video.google.com et sur le site internet Youtube accessible à l’adresse www.Youtube.fr pendant une période de trente jours dans un délai de 30 jours à compter de la signification et ce sous astreinte de 10 000 € par jour de retard, de condamner in solidum la société Youtube Inc, la société Google Inc et la société Google France à verser à chacun des demandeurs la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par deux jeux de conclusions distincts en réponse, la société Youtube Inc et les société Google Inc ont demandé au juge des référés de :
– prononcer la disjonction de l’instance car les deux sociétés ont deux personnalités différentes et que les faits reprochés à l’une sont différents des faits reprochés à l’autre.
Pour le reste les demandes formées par les sociétés Google Inc et par la société Youtube Inc ont le même contenu :
– prononcer la nullité de l’assignation introductive d’instance dans la mesure où les oeuvres et les interprétations sur lesquelles portent les demandes ne sont pas identifiées.
– dire que l’objet de l’action de la société Troyes dans l’Aube et de Raphaël Mezrahi n’est pas suffisamment défini et déclarer les demandes irrecevables.
– constater que les demandeurs sollicitent le prononcé à l’encontre des sociétés défenderesses d’une interdiction de portée générale n’entrant pas dans les pouvoirs du juge au regard des dispositions de l’article 5 du Code civil,
– dire que la société Troyes dans l’Aube ne démontre pas être titulaire des droits patrimoniaux de Raphaël Mezrahi dont elle se prétend cessionnaire.
En conséquence
– débouter Raphaël Mezrahi et la société Troyes dans l’Aube de l’ensemble de leurs demandes.
– constater que l’activité des sociétés défenderesses constitue une activité de stockage pour mise à disposition du public au sens de l’article 6-2 de la loi du 21 juin 2004.
– constater que les sociétés défenderesses n’a pas été mise en connaissance de vidéos suffisamment identifiées et localisées dont le caractère illicite serait manifeste, constaté cependant qu’elle a rapidement déréférencé certaines vidéos énumérées spécifiquement par Me Albou dans le constat du 27 septembre 2007,
– donner acte aux sociétés défenderesses qu’elles ont également pris des mesures pour éviter les récidives en prenant des empreintes de ces vidéos et qu’elle s’engage également si les demandeurs le souhaitent à réaliser des empreintes d’autres vidéos dont ces derniers attesteront détenir les droits et dont la copie lui sera communiquée et ce afin d’interdire aussi efficacement que possible l’hébergement sur le sociétés défenderesses.
– donner acte aux sociétés défenderesses qu’elles ont d’ores et déjà procédé à la prise d’empreintes des interviews internationales inédites correspondant à la pièce adverse 14,
– donner aux sociétés défenderesses de ce qu’elles s’engagent à faire de même si les demandeurs en expriment le souhait avec les trois vidéos intitulées “episode 8”, “la chenille” “épisode 2” “autographe” et “épisode“ “plan fixe” dont l’existence a été portée à la connaissance des sociétés défenderesses le 2 novembre 2007 mais qui ne fait l’objet d’aucune demande ni d’aucune revendication dans l’assignation introductive d’instance.
– dire que la responsabilité des sociétés défenderesses n’est pas engagée ;
En tout état de cause,
– dire que si la responsabilité des sociétés défenderesses était engagée au titre de la loi du 21 juin 2004, dire qu’elles ne pourraient être condamnées à indemniser les demandeurs à hauteur des fautes qu’elles ont commises.
– déclarer irrecevables les demandes de condamnation in solidum à l’encontre des société Google Inc et de la société Youtube Inc faute de démonstration d’une communauté de causes dont ces sociétés seraient à l’origine et ayant entraîné un préjudice unique et indivisible.
– dire que la mesure de publication sollicitée est disproportionnée et non justifiée et en débouter Raphaël Mezrahi et la société Troyes dans l’Aube.
– débouter la société Troyes dans l’Aube et Raphaël Mezrahi de toutes leurs demandes.
– condamner Raphaël Mezrahi et la société Troyes dans l’Aube à payer à chacune des sociétés la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l’ordonnance de référé en date du 20 novembre 2007 qui a ordonné la disjonction des instances opposant Raphaël Mezrahi et la société Troyes dans l’Aube à la société Youtube Inc d’une part et Raphaël Mezrahi et la société Troyes dans l’Aube à la société Google Inc d’autre part et qui a rouvert les débats sur les fins de non recevoir soulevées par les sociétés défenderesses.
Vu les conclusions d’intervention volontaire de Mme Christine E. en date du 4 décembre 2007 aux côtés de Raphaël Mezrahi et la société Troyes dans l’Aube.
Vu les conclusions des demandeurs en date du 4 décembre 2007 aux termes desquelles ils reprennent leurs demandes et répondent aux fins de non recevoir élevées sur la titularité des droits.
DISCUSSION
Les demandeurs fondent leurs demandes en référé d’interdiction et de provision à l’encontre de la société Youtube en sa qualité d’éditrice du site et subsidiairement en sa qualité d’hébergeur du site.
Ils indiquent que Raphaël Mezrahi est auteur-interprète des sketches diffusés sur le site Youtube, que Mme Christine E. est la réalisatrice des vidéos reproduisant ces sketches et que la société Troyes dans l’Aube est, en tant que productrice de ces vidéos, titulaire des droits patrimoniaux qu’ainsi ils sont recevables à agir en vue d’obtenir la suppression des vidéos sur le site Youtube et en vue de voir leurs différents préjudices indemnisés.
La société Youtube soulève des fins de non recevoir en raison du fait que les vidéos litigieuses ne sont pas identifiées par les demandeurs tant par leur titre que par leur adresse URL et fait valoir qu’elle ne peut être tenue responsable que sur le fondement de la loi du 21 juin 2004 et en sa seule qualité d’hébergeur ; qu’elle n’a commis aucune faute puisqu’elle retiré les vidéos litigieuses dès qu’elles ont été clairement citées par les demandeurs.
Elle précise qu’il ne reste aucune vidéo sur le site.
Pour que les demandes de Raphaël Mezrahi, de Christine E. et de la société Troyes dans l’Aube soient recevables en référé, il faut d’une part que la contrefaçon alléguée puisse l’être de façon assez évidente au regard des textes et d’autre part que les oeuvres plagiées soient suffisamment identifiées, avant d’aborder les fins de non recevoir relatives à la titularité des droits patrimoniaux et moraux sur les oeuvres en litige.
Il convient de préciser que pour les besoins de l’instance, les demandeurs ont accepté de fonder leurs demandes sur la qualité d’hébergeur du site de la société Youtube que celle-ci revendique.
Les dispositions à prendre en compte sont donc celles des articles 6 et 7 de la loi du 21 juin 2004.
La société défenderesse n’est en conséquence pas responsable a priori du contenu des vidéos proposées sur son site ; seuls les internautes le sont ; elle n’a aucune obligation de contrôle préalable du contenu des vidéos mises en ligne et elle remplit sa mission d’information auprès des internautes puisqu’elle les avertit qu’ils ne peuvent proposer aucune vidéo reproduisant des émissions de télévision, de clips musicaux, de concerts ou de publicités sans avoir obtenu d’autorisation préalable.
Elle ne peut être tenue pour responsable que si les vidéos ont un caractère manifestement illicite ce qui dans ce cas, l’oblige à dé-référencer d’elle-même et sans attendre une décision de justice, les vidéos en matière de pédophilie, de crime contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale.
Le texte ne vise expressément que ces trois cas pour ce qui est des documents ayant un caractère manifestement illicite qui entraînent une obligation de retrait immédiat volontaire de la société hébergeuse.
Pour tous les autres cas et notamment les cas de contrefaçon, le fournisseur d’accès qui stocke en vue de leur mise en ligne des signaux d’écrits, d’images et de sons de toute nature fournis par des destinataires de ces services, n’est tenu responsable que pour autant qu’il ait eu une connaissance effective du caractère manifestement illicite des vidéos stockées ou de faits faisant apparaître ce caractère.
La connaissance effective du caractère manifestement illicite d’une atteinte aux droits patrimoniaux ou moraux des auteurs ou producteurs ne relève d’aucune connaissance préalable et nécessite de la part des victimes de la contrefaçon qu’ils portent à la connaissance de la société qui héberge les sites des internautes, les droits qu’ils estiment bafoués, dans les conditions prévues à l’article 6-5 de la loi du 21 juin 2004.
En l’espèce, des internautes ont envoyé à la société Youtube des vidéos représentant les oeuvres de Raphaël Mezrahi, de Christine E. et de la société Troyes dans l’Aube pour les voir mettre en ligne disponibles pour d’autres internautes sur le site http:/Youtube.com.
Raphaël Mezrahi a fait dresser un procès-verbal de constat le 24 juillet 2007 par et n’a envoyé une mise en demeure de cesser cette mise en ligne à la société défenderesse que le 6 septembre 2007.
L’article 6-5 de la loi du 21 juin 2004 prévoit explicitement que I’internaute qui veut faire cesser une mise en ligne qu’il estime constituer une atteinte à ses droits, doit adresser à l’hébergeur une demande qui identifie clairement les vidéos litigieuses de façon à permettre à la société qui n’a pour objet que de stocker et mettre en ligne ces oeuvres, de les reconnaître dans la masse des documents mis en ligne et de les retirer. Ce dernier doit faire la description des faits litigieux et donner leur localisation précise ainsi que les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits.
Or force est de constater que Raphaël Mezrahi s’est toujours refusé comme il le fait encore devant le juge des référés, à lister avec précision les vidéos litigieuses, affirmant que ses droits étaient bafoués, certes mais par des internautes indélicats, comme cela ressortait du procès-verbal de constat qu’il n’avait pas communiqué lors de sa mise en demeure, et en se refusant à respecter lui-même les prescriptions légales en identifiant les documents litigieux de façon à permettre le retrait.
Il ressort des pièces versées au débat que certaines vidéos désormais retirées du site Youtube ont été mises en ligne et constituaient des contrefaçons des oeuvres de Raphaël Mezrahi, de Christine E. et de la société Troyes dans l’Aube ; que grâce à la production des procès-verbaux de constat lors de la procédure de référé, procès-verbaux qui contenaient les adresses URL des internautes proposant les oeuvres plagiées, la société défenderesse a pu retirer les oeuvres en cause ; mais que d’autres vidéos qui pourtant contenaient le nom de Raphaël Mezrahi ne reproduisaient pas les oeuvres alléguées puisqu’elles étaient soit des pastiches “à la manière de” soit des reproductions d’émissions télévisées auxquelles avait participé Raphaël Mezrahi et sur lesquels il ne détient aucun droit.
En conséquence, et faute pour le juge des référés de pouvoir, au jour où il statue, connaître avec précision les vidéos contestées mises en ligne puisque les demandeurs n’ont pas pris le soin de lister dans leurs demandes les vidéos litigieuses et se sont contentés, comme ils l’avaient fait avec la société Youtube, d’affirmer que certaines oeuvres étaient plagiées et de verser au débat des DVD produits par la société Troyes dans l’Aube, laissant au juge le soin de faire seul le travail de comparaison entre les vidéos qu’il aurait connues en lisant les procès-verbaux de constat et les oeuvres visionnées en cabinet, privant ainsi les parties et notamment la société défenderesse du principe essentiel du contradictoire.
En conséquence, il convient de dire que les demandes de Raphaël Mezrahi, de Christine E. et de la société Troyes dans l’Aube sont irrecevables de ce chef.
Les conditions sont réunies pour allouer la somme de 2000 € à la société Youtube sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
DECISION
Statuant par remise au greffe et par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
. Recevons Madame Christine E. en son intervention volontaire.
. Déclarons irrecevables les demandes de Raphaël Mezrahi, de Christine E. et de la société Troyes dans l’Aube
. Condamnons Raphaël Mezrahi, Christine E. et la société Troyes dans l’Aube à payer à la société Youtube la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
. Condamnons Raphaël Mezrahi, Christine E. et la société Troyes dans l’Aube aux dépens.
Le tribunal : Mme Marie-Christine Courboulay (vice présidente)
Avocats : Me Jacques Georges Bitoun, Me Alexandra Neri
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