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Jurisprudence : Responsabilité

vendredi 16 janvier 2015
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Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – Chambre 3, arrêt du 16 décembre 2014

I.T.Q. Corp (ITQ Security) / MA Holding & Media Alarme

concurrence déloyale - constat - détournement - fichier de clients - preuve - rétractation - soupçon

ARRÊT

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du
code de procédure civile.

– signé par Madame Nicole Girerd, président et par Mlle Véronique Couvet,
greffier.

Le présent litige oppose la société MA Holding et sa filiale la société Media
Alarme, d’une part, à la société ITQ Corp d’autre part, qu’elles suspectent de
concurrence déloyale commise notamment grâce à M. Yvan M., son
principal actionnaire, ces trois sociétés ayant pour objet social commun la vente
et l’installation de matériel de vidéo-surveillance et d’alarme et M. M., ayant
été directeur marketing et commercial de la société MA Holding du 1er mars 2007
au 23 novembre 2011.

Dans ce contexte, les sociétés Media Alarme et MA Holding ont saisi le président
du tribunal de commerce de Meaux qui, par ordonnance sur requête du 26 juin
2013 à laquelle il est renvoyé, a commis un huissier avec mission de se rendre au
siège social de la société ITQ Corp et de saisir de nombreuses informations de
nature commerciale comptable et financière sur tout support physique ou
informatique, essentiellement en vue de procéder à un recoupement de fichier
clients et prospects.

L’huissier désigné a dressé procès-verbal des opérations réalisées en exécution
de cette ordonnance le 11 juillet 2013.

Afin d’obtenir la rétractation de cette ordonnance sur requête ainsi que la
restitution de toutes les pièces copiées et appréhendées à l’occasion des
opérations litigieuses, la société ITQ Corp a saisi le président du tribunal de
commerce de Meaux qui, par ordonnance de référé du 24 janvier 2014 a rejeté
l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés Media Alarme et MA
Holding, rejeté la demande de rétractation de la société ITQ Corp, confirmé
l’ordonnance sur requête en toutes ses dispositions et dit n’y avoir lieu à
application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société ITQ Corp, appelante de cette ordonnance de référé, par conclusions
transmises le 28 octobre 2014 auxquelles il est renvoyé, demande à la cour :

– in limine litis, de juger que le président du tribunal de commerce de Meaux était
compétent pour statuer sur la rétractation de l’ordonnance sur requête litigieuse
qu’il a rendue le 28 juin 2013,
– à titre principal,

*de confirmer l’ordonnance de référé entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception
d’incompétence matérielle soulevée par les sociétés Media Alarme et MA Holding

*d’infirmer l’ordonnance de référé entreprise en ce qu’elle a débouté la société
ITQ Corp de ses demandes sauf celle relative à cette incompétence matérielle

*d’infirmer (sic) l’ordonnance sur requête du 26 juin 2013 en toutes ses
dispositions et, en conséquence, de déclarer nul le procès-verbal de constat du 11
juin 2013 et d’en ordonner aux sociétés Media Alarme et MA Holding la restitution
en original ainsi que la restitution de tout document appréhendés à l’occasion des
opérations de constat en cause, sous astreinte de 2.000€ par jour de retard passé
un délai de 48 heures à compter du prononcé de l’arrêt

* de condamner in solidum les sociétés Media Alarme et MA Holding à lui payer
une indemnité de procédure de 25.000€ et de les condamner aux dépens.

Les sociétés Media Alarme et MA Holding, intimées, par conclusions
transmises le 23 octobre 2014, auxquelles il est renvoyé, demandent à la cour de
confirmer l’ordonnance de référé entreprise, de débouter la société ITQ Corp
de toutes ses demandes et de la condamner à payer à chacune d’elle une
indemnité de procédure de 5.000€ ainsi qu’aux dépens.

SUR CE LA COUR

• sur la compétence

Considérant qu’il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise de ce chef au visa
de la renonciation expresse des intimées à en demander l’infirmation, formulées
dans leurs conclusions susvisées ;

• au principal

Considérant qu’aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe
un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont
pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement
admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête
ou en référé ;

Qu’il en résulte que le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer
les responsabilités des désordres qu’il invoque puisque cette mesure in futurum
est justement destinée à les établir; qu’il doit seulement justifier d’éléments rendant
crédibles ses suppositions ;

Considérant que selon l’article 493 du même code, l’ordonnance sur requête est
une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le
requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ;

Considérant que la société ITQ Corp soutient d’une part que les sociétés Media
Alarme et MA Holding n’ont pas justifié au stade de la requête de la nécessité de
déroger au principe de la contradiction, d’autre part, qu’elles ne disposent d’aucun
motif légitime de recourir à la mesure en cause en l’état des pièces produites à
l’appui de la requête qui sont, soit dépourvues de toute valeur probante quant à
la concurrence déloyale alléguée qui n’est pas étayées (pièces 15-16 relatives à
la société Creaconcept et 18-20 relatives aux résiliations alléguées), soit
obtenues déloyalement (P23 relatif au devis ITQ Corp adressé à la société Baby
Buddha, prétendument obtenu par la société Media Alarme à la faveur d’une
usurpation d’identité et d’une fausse adresse mail), enfin, que la mesure – qui
contrevient à l’exigence de protection du secret des affaires et des
correspondances en ce qu’aucun séquestre des quelques 7.000 pièces saisies n’a
été ni sollicité ni ordonné – n’est pas légalement admissible au regard de son
ampleur démesurée et de l’absence de signification des annexes 1 (liste de clients
et prospects) et 2 (liste de salariés) qui en définissent les limites ;

Considérant que les sociétés Media Alarme et MA Holding soutiennent que leur
requête énonce valablement les raisons qui justifient que la société ITQ Corp
n’ait pas été appelée à ce stade de la procédure et établit suffisamment la
vraisemblance de leurs soupçons de concurrence déloyale de sa part, que
confirment les documents régulièrement saisies conformément aux termes de
l’ordonnance sur requête qu’elles ont obtenue ;

Qu’ainsi, selon elles, le devis Baby Buddha d’ITQ Corp (pièce 23) atteste de
la captation de clientèle, peu important qu’il ait été adressé par erreur à la société
Media Alarme, en tout cas nullement au moyen de l’usurpation d’identité
alléguée, que la société Creaconcept visée dans la requête (Pièces 15 et 16)
est bien une de leur cliente captée par la société ITQ Corp; que le détournement
de leurs documents, clients et salariés est patent, au vu tant des résiliations
massives intervenues, que des pièces adverses 16 et 17 dont les sociétés Stock
B et David B attestent du détournement ou que des factures ou contrats saisis
appartenant à la société Media Alarme et relatifs à 14 de leur clients (pièce 28);
que ce détournement est prémédité, au vu du départ de M. G. de Media
Alarme pour ITQ Corp au 31 décembre 2012 ;

Qu’ainsi encore et toujours selon elles, la mesure d’instruction est circonscrite à
la nécessaire préservation des preuves par les annexes 1 et 2, qui ont été dûment
signifiées, que le séquestre des documents saisis n’est pas de droit et ne
s’imposait pas dès lors que la plupart des pièces appréhendées leur appartiennent
et leur auraient donc été restituées, qu’enfin, il n’est fait état d’aucun élément saisi
qui violerait le secret des affaires ou des correspondances ;

Considérant que pour obtenir l’ordonnance sur requête querellée, les sociétés
Media Alarme et MA Holding ont fait valoir que leur soupçons de concurrence
déloyale de la société ITQ Corp résultaient de ce que :

– cette société avait été immatriculée en 2011 et qu’un de ses associés, M. Yvan
M., avait été le directeur commercial et marketing de la société MA
HOLDING jusqu’au 23 novembre 2011 (pièces 1-10) ;

– cette société possédait des informations qui provenaient nécessairement du
détournement de leur fichier et captait leur clientèle (listée en annexe 1), par
exemple la société Creaconcept et la société Baby Buddha et qu’elles
recevaient des résiliations massives de contrat occasionnant une perte de chiffre
d’affaires de 2.223.860€, notamment de la très grande enseigne Berenice
(pièces 15-27) ;

– cette société avait débauché leurs salariés, en particulier M. Johnny G.
(annexe 2), ou tenté de le faire, comme par exemple M. Guy A. (pièces
11-14) ;

Considérant que cette ordonnance commet un huissier avec mission, pour
l’essentiel, de :

– prendre connaissance et vérifier par tous moyens si les clients des intimés listés
en annexe 1 figurent également parmi les clients et /ou prospects de la société
ITQ Corp sans prendre copie des éléments concernant des clients autres, par
les procédés suivants :

• effectuer toutes constatations (…)

• consulter tous documents comptables, commerciaux ou promotionnels

– prendre copie du registre d’entrée et de sortie du personnel de la société ITQ
CORP et vérifier si les salariés de l’annexe 2 sont ou non salariés de cette société

– vérifier par tous moyens les informations sur les sociétés Media Alarme et MA
Holding et si des informations ont été fournies par les salariés de l’annexe 2 (…)
Dans le cadre de l’ensemble des investigations précitées, prendre copie (ou au
besoin photographier, filmer…scanner…de l’ensemble des éléments trouvés, en
deux exemplaire (…) ;

Considérant que cette requête qui se fonde expressément sur l’énoncé de
soupçons de concurrence déloyale par détournement de fichiers clients et de
salariés et sur la possible disparition des preuves des agissements suspectés dont
découle le préjudice qu’elle prétend subir, satisfait à l’exigence de motivation
relative à la dérogation au principe du contradictoire dès lors que la préservation
de ces preuves, aisément dissimulables, que la mesure a précisément pour
objectif de permettre, nécessite de surprendre le concurrent concerné, sauf à en
compromettre l’efficacité ;

Considérant, sur le motif légitime, qu’il est constant que le résultat de la mesure
ordonnée ne saurait établir a posteriori le bien fondé de la requête de sorte que
les développements des sociétés Media Alarme et MA Holding à ce propos sont
inopérants ; que de même il est constant que des captures d’écrans de site
internet sont dépourvus de valeur probante ;

Considérant que la seule concomitance de résiliations de contrats intervenues
entre février et septembre 2012 – dont le nombre n’est pas précisé dans la requête
ni rapporté au total de clients listés en annexe 1 – avec la création en août 2011
de la société ITQ Corp dont l’objet social est identique et dont un actionnaire a
été le directeur marketing et commercial de la société MA Holding jusqu’en
novembre 2011, ne suffit pas à établir les soupçons allégués dès lors qu’aucune
corrélation objective entre ces résiliations et la société ITQ Corp n’est établie,
et qu’il apparaît au vu des pièces jointes à la requête que certaines d’entre elles
ne la concernent pas ;

Que les intimés ne produisent aucun document objectif de nature à étayer les
soupçons de captation de clientèle allégués, étant observé que ni le devis adressé
par la société ITQ Corp à la société Baby Buddha (pièce 23), au demeurant
obtenu par les intimées dans des conditions contestées en terme de loyauté, ni le
fait que la société Creaconcept ait évincé la société Media Alarme au profit
de la société ITQ Corp, ne sont, en soi et en l’état d’un marché légalement
concurrentiel, un indice de pratique fautive ou de détournement de fichier client de
la part d’un commercial expérimenté et libre de tout engagement contractuel vis
à vis de la société avec laquelle il a négocié son départ, tels MM M. et
G., ou de la part d’aucun autre membre de la société ITQ Corp qu’aucun
indice précis ne permet de suspecter de procédés déloyaux; que la perte invoquée
de plus de 2.220.000€ de chiffre d’affaires en 2012 qui est qualifiée de gravement
préjudiciable en l’absence de toute donnée comptable, et en particulier de rapport
à un chiffre d’affaire global, n’est corrélée à aucun indice rendant vraisemblable
son imputabilité à un comportement déloyal de la société ITQ Corp, alors même
que cette perte est nettement plus élevée que le préjudice allégué dans le litige au
fond des parties, lequel est estimé à seulement 805.000€ sur plusieurs
années ;

Que le départ négocié de M. Johnny G. de la société Media Alarme fût-ce
pour la société ITQ Corp ne constitue pas un indice suffisant de débauchage
dans le but prémédité de pratiquer une concurrence déloyale à l’encontre de la
société quittée, faute d’être étayée par aucun élément objectif et vérifiable, étant
observé que l’attestation de M. A., salarié de la société Media Alarme,
relative à la tentative alléguée de débauchage, n’est pas corroborée par un
élément vérifiable ou un faisceau d’indices concordants rendant vraisemblable ou
crédible cette supposition ;

Qu’ainsi au vu de ces développements, la cour estime qu’il n’est pas justifié
d’indices suffisants pour rendre crédibles les soupçons allégués de concurrence
déloyale et plus précisément la supposition subséquente de recours à des
procédés déloyaux ou fautifs en vue de la captation de clientèle ou de personnel,
tel que dénigrement, imitation dans le but de créer la confusion, parasitisme,
racolage ou pratiques de prix anormalement bas ;

Considérant en conséquence que les sociétés Media Alarme et MA Holding ne
justifient pas d’un motif légitime à l’expertise in futurum sollicitée ;
Considérant qu’il y a donc lieu de rétracter l’ordonnance sur requête du 26 juin
2013 qui a ordonné la mesure litigieuse et, en conséquence, de prononcer la
nullité subséquente des opérations de saisie effectuées en exécution de celle-ci
suivant procès verbal du 11 juillet 2013 et d’ordonner la restitution, dans le délai
de 8 jours à compter du présent arrêt, des pièces saisies à cette date outre
l’interdiction d’en conserver copie ;

Considérant qu’aucune circonstance ne justifie le prononcé de l’astreinte
sollicitée ;

Considérant que l’équité ne commande pas de faire application des dispositions
de l’article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que les intimées, partie perdante, supporteront la charge des dépens.

DECISION

Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau

Rétracte l’ordonnance litigieuse rendue le 26 juin 2013 sur requête des sociétés
Media Alarme et MA Holding par le président du tribunal de commerce de Meaux

Prononce la nullité subséquente des opérations de saisie effectuées en exécution
de celle-ci suivant procès-verbal du 11 juillet 2013

Ordonne, en conséquence, aux sociétés Media Alarme et MA Holding la restitution
à la société ITQ Corp, dans le délai de 8 jours à compter du présent arrêt, des
pièces saisies suivant ce procès verbal outre l’interdiction d’en conserver copie

Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de
procédure civile

Rejette toute autre demande

Condamne les sociétés Media Alarme et MA Holding aux dépens.

La Cour : Mme Nicole Girerd (présidente de chambre), Mme Agnès Bodard-Hermant, Mme Odette-Luce Bouvier (conseillères), Mlle Véronique Couvet (greffier)

Avocats : Me Marie-Catherine Vignes, Me Cyril Fabre, Me Pascale Naboudet-Vogel, Me Ludivine Abitbol-Turgeman

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.