Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de Grande Instance de Paris, 17e ch. correctionnelle, jugement du 4 novembre 2016
Messieurs X. et Y., le Procureur de la République / Monsieur Z. , Ligne Web Services et Adista
article 53 de la loi 29 juillet 1881 - délai de prescription - imprécision de la qualification - imprécision des faits incriminés - incitation à la haine raciale - nullité de la citation - point de départ du délai de prescription
Par exploits d’huissier en date des 20 janvier et 17 février 2016, Monsieur X. et Monsieur Y. ont fait citer devant ce tribunal (17ème chambre correctionnelle – chambre de la presse), à l’audience du 23 février suivant, Monsieur Z. et les sociétés Adista SAS et LWS, à la suite de la mise en ligne sur le site doulfikar.com d’un article signé par Monsieur B. « daté du 30.05.2015 et sans cesse mis à jour jusqu’au 20 juin 2015 [ …] ».
Les parties civiles demandent au tribunal :
« PAR CES MOTIFS
Vu les articles 29 1 de la loi du 22 juillet 1881
Vu l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881
Vu l’article 131-35 du Code Pénal
Vu l’article 48-6° de la loi du 29 juillet 1881
Vu l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée par la loi n°2004-204 du 21 juin 2004
[…]
DECLARER Mr Z. en sa qualité de gérant du site internet doulfikar.com conformément aux dispositions de l’article 42-1 de la loi du 29 juillet 1881, coupable du délit de diffamation publique envers un particulier, ainsi que du délit de propos contenant une provocation ou une exhortation à commettre des actes, en l’occurrence contre Messieurs Y. et X.
DECLARER Mr B. signataire et auteur des écrits incriminés sur le site internet doulfikar.com coupable de complicité du délit de diffamation publique envers un particulier, ainsi que du délit de propos contenant une provocation ou une exhortation à commettre des actes, en l’occurrence contre Messieurs Y. et X.
EN CONSÉQUENCE
Sur l’action publique ;
DECLARER Mr Y. – recevable et bien fondé dans sa constitution de partie civile
DECLARER Mr X. recevable en sa constitution de partie civile
CONDAMNER solidairement Mr Z., Mr B., la société Adista SAS à verser à Mr Y. la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
CONDAMNER solidairement Mr Z., Mr B., la société Adista SAS et la société LWS à verser à Mr X. la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
ORDONNER la suppression des écrits incriminés du Site internet dolfikar.com.
CONDAMNER solidairement Mr Z., Mr B., la société Adista SAS et la société LWS à verser à Mr Y. la somme de 3.000 € au titre de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale
CONDAMNER solidairement Mr Z., Mr B., la société Adista SAS et la société LWS à verser à Mr X. la somme de 3.000 € au titre de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale
Condamner les mis en cause aux entiers dépens.
Ordonner l’exécution provisoire du jugement quant aux condamnations civiles. »
A l’audience du 23 février 2016, le tribunal a constaté qu’il n’était pas saisi pour Monsieur B., a fixé le montant de la consignation pour Monsieur X. à la somme de 1.000 €, et pour Monsieur Y. à la somme de 1.500€- sommes qui ont été versées le 21 avril 2016,et a renvoyé l’affaire aux audiences des 20 mai 2016, pour vérification du versement de la consignation et relais, 1er juillet 2016, pour relais, et 16 septembre 2016, pour plaider sur les moyens de nullité et de prescription soulevés en défense et par le ministère public.
A cette dernière audience, les débats se sont ouverts en présence du prévenu et de Monsieur X., ce dernier étant assisté de son conseil qui représentait également Monsieur Y., les sociétés civilement responsables étant représentés par leur avocat.
Les débats se sont tenus en audience publique.
Le juge rapporteur a donné connaissance du dispositif de la citation, rappelé que le tribunal n’était pas saisi à l’égard de Monsieur B., et a rappelé les conclusions de nullité déposées par le ministère public le 25 février 2016.
Le ministère public a été entendu en ses réquisitions et a soutenu ses conclusions aux fins de nullité et de prescription.
Après avoir entendu les explications des parties sur les incidents, les conseils des sociétés civilement responsables et Monsieur Z. ayant eu la parole en dernier et ayant indiqué s’associer aux moyens de procédure soulevés, le tribunal, en application des dispositions du dernier alinéa de l’article 459 du code de procédure pénale, a informé les parties que le jugement sur les incidents serait prononcé le 4 novembre 2016.
A cette date, la décision suivante a été rendue :
DISCUSSION :
Le 25 février 2016, le ministère public, avant tout débat sur le fond, a saisi le tribunal de conclusions aux fins de constater la nullité de la citation directe des 20 janvier et 17 février 2016, et aux fins de voir constater la prescription de l’action publique.
A l’audience du 16 septembre 2016, le représentant du ministère public, entendu en ses réquisitions, a soutenu in limine litis les conclusions aux fins de nullité, faisant valoir qu’aux termes de la citation initiale, les qualifications pénales sur lesquelles les parties civiles ont entendu exercer leurs poursuites ne sont pas précisément déterminées, non plus que l’étendue des propos poursuivis, en violation des dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, n’ajoute que la prescription annuelle de l’action publique est acquise, la citation initiale ayant été délivrée les 20 janvier et 17 février 2016 alors que, selon les termes de cette citation, les propos incriminés ont été mis en ligne le 30 mai 2014.
Les conseils de la société Adista et de la société Ligne Web Service (LWS) se sont associés aux réquisitions du ministère public en ce qui concerne la nullité de la citation et la prescription de l’action publique, de même que Monsieur Z.
Le conseil des parties civiles a répliqué que les termes de la citation étaient clairs et qu’il fallait prendre en considération le danger que représente, pour les parties civiles et dans le contexte actuel marqué par le terrorisme, la diffusion des propos poursuivis sur un site régulièrement consulté.
Sur les nullités et la prescription de l’action publique :
Selon les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, la citation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé, indiquer le texte de loi applicable à la poursuite (alinéa 1er) et, quand la citation est à la requête du plaignant, contenir élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et être notifiée tant au prévenu qu’au ministère public (alinéa 2).
L’acte introductif d’instance a ainsi pour rôle de fixer définitivement l’objet de la demande afin que le prévenu puisse connaître, dès sa lecture et sans équivoque, les faits dont il aura exclusivement à répondre, l’objet exact de l’incrimination et la nature des moyens de défense qu’il peut y opposer.
En l’espèce, il convient de relever :
– que la citation délivrée selon actes du 20 janvier et du 17 février 2016 à la société Adista, à la société LWS et à Monsieur Z. vise un ensemble de propos qui auraient été publiés sur un site « doulfikar.com » le 30 mai 2014 puis auraient fait l’objet d’une mise à jour renouvelée jusqu’au 20 juin 2015, dont certains passages sont reproduits en caractères gras ;
– que dans le corps de la citation, certains de ces propos sont qualifiés de « diffamation envers un particulier à raison de son origine ou de son appartenance religieuse, raciale, ethnique […au sens de l’]article 32 de la loi du 29 juillet 1881 » (page 10), certains à l’égard de Monsieur X., d’autres à l’égard de Monsieur Y. (pp. 11 et 12) et d’autres encore à l’égard de la Grande Mosquée de Paris (page 12) ;
– que d’autres propos sont ensuite qualifiés de « provocation et […] exhortation à commettre des actes » au sens de l’« article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 » (page 14);
– qu’ensuite, dans un paragraphe intitulé « sur la qualification », il est écrit « que les propos visés dans la citation portent gravement atteinte à l’honneur et à la considération de Mr Y. et de Mr X. » et que « ces faits […] constituent le délit de diffamation envers un particulier » au sens de « l’article 29 alinéa 1er, 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 ».
De l’ensemble de ces constatations, il ressort :
– en premier lieu que les termes de la citation ne permettent pas de déterminer quelle infraction est poursuivie, dans la mesure où, d’une part, il est d’abord indiqué, pour certains propos seulement, que ceux-ci sont constitutifs du délit de diffamation publique envers un particulier à raison de son appartenance ethnique, raciale ou religieuse et ensuite, pour l’ensemble des propos visés dans la citation, que ceux-ci sont constitutifs du délit de diffamation publique envers un particulier au sens de l’article 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, et où, d’autre part, en ce qui concerne les faits qualifiés de « provocation et […] exhortation à commettre des actes », la citation vise l’article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881, qui concerne un autre délit ;
– en deuxième lieu, que pour chaque délit dénoncé, le fondement juridique des poursuites est indéterminé, dans la mesure où la citation évoque d’abord le délit de diffamation raciale sans préciser l’alinéa correspondant de l’article 32, alors que cet article, en ses deux premiers alinéas, réprime par des peines distinctes deux délits différents, puis le délit de « provocation et […] exhortation à commettre des actes », sans indication d’aucun texte susceptible de correspondre à cette dénomination ;
– en troisième lieu, que les termes de la citation ne permettent pas de déterminer l’étendue des poursuites, dans la mesure où, d’une part, tous les propos initialement visés ne sont pas repris ensuite dans les parties respectivement dédiées aux délits de diffamation à caractère racial et de « provocation et [ … ] exhortation à commettre des actes », et où, d’autre part, le délit de diffamation invoqué en page 15 de l’acte de saisine vise, sans précision, « les propos visés dans la citation ».
Dans ces conditions, les termes de la citation n’ont pas permis au prévenu de connaître l’étendue et le fondement des poursuites avec toute la précision requise, ni en conséquence de pouvoir y répondre utilement, en sorte que la citation doit être annulée.
Les faits litigieux étant datés, selon les termes de la citation, entre le 30 mai 2014, date de première mise en ligne, et le 20 juin 2015, date de dernière mise à jour, et aucun acte régulier de poursuite n’étant intervenu depuis, il conviendra enfin de constater la prescription d’un an de l’action publique et de déclarer Monsieur Y. et Monsieur X. irrecevables en leurs constitutions de parties civiles.
Sur les demandes formées sur le fondement de l’article 800-2 du code de procédure pénale :
Il conviendra enfin de rejeter les demandes faites par les sociétés Adista et LWS sur le fondement des dispositions de l’article 800-2 du code de procédure pénale, qui n’ont pas été formées dans les conditions prévues aux articles R. 249-2 et suivants de ce même code.
DÉCISION
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et contradictoirement à l’égard de Monsieur Z., prévenu, à l’égard des sociétés Ligne Web Services (LWS) et Adista, civilement responsable à l’égard de Monsieur X. et Monsieur Y., parties civiles ;
Déclare nulle la citation délivrée le 20 janvier et le 17 février 2016 à la société Adista, à la société LWS et à Monsieur Z. ;
Constate la prescription de l’action publique ;
Déclare Monsieur X. et Monsieur Y. irrecevables en leur constitution de partie civile ;
Rejette les demandes des sociétés Ligne Web Services (LWS) et Adista au titre de l’article 800-2 du code de procédure pénale.
Le tribunal : Thomas Rondeau (vice-président), Caroline Kuhnmunch (vice-président), Céline Ballerini (vice-président), Jean Quintard (procureur de la République adjoint), Virginie Reynaud (greffier)
Avocats : Me Djaffar Bensaoula, Me Arnaud Dimeglio, Me Alexis Baumann, Me Christophe Bettati
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