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Jurisprudence : Jurisprudences

mercredi 27 avril 2022
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Cour d’appel de Poitiers, 1ère ch. civile, arrêt du 5 avril 2022

IN'COM / IP3 VENDÉE et autres

assureur - charge de la preuve - contrat informatique - dysfonctionnement - expertise judiciaire - prestataire - utilisateur

La société IP3 Vendée, entreprise spécialisée dans l’injection plastique oeuvrant essentiellement comme sous-traitant d’équipementiers automobiles, a émis en août 2018u n appel d’offres pour le remplacement de son progiciel de gestion intégrée (ou « ERP ») selon un cahier des charges élaboré avec l’assistance de l’association We Network.
La société In’Com a répondu à cet appel d’offres le 30 août 2018, procédé dans les mois suivants à quatre démonstrations d’un progiciel, et présenté une proposition commerciale qu’IP3 a signée le 28 juin 2019 prévoyant la fourniture d’un progiciel avec ses licences d’utilisation, son intégration et la formation du personnel d’IP3 Vendée à son utilisation, pour un prix total de 153.000 euros.
Le 25 juillet 2019, IP3 Vendée souscrivait auprès de la société Release Capital un contrat de location financière afin de financer ce projet. Release Capital donnait en location à IP3 Vendée 35 logiciels In’Com Solution Industrie et 25 logiciels Solution Industrie Atelier pour une durée de 60 mois.
La mise en production du progiciel était prévue pour intervenir en janvier 2020.
Dans le contexte contraint du confinement nécessité par la pandémie de Covid 19, cette date a été repoussée au mois d’octobre 2020.
A partir du mois de juillet 2020, IP3 Vendée a exprimé à In’Com son inquiétude notamment quant à la bonne mise en place des échanges de données informatises (« EDI ») puis, à l’automne, sur la capacité d’IP3 Vendée à mener à bien le projet.
IP3 Vendée a assuré sa cliente de sa totale aptitude à finaliser le projet, en lui demandant de mieux exprimer ses besoins en EDI. Elle proposait le 8 octobre 2010 un plan d’action réalisable à échéance du 15 novembre 2020.
Un test d’intégration de l’EDI fait en définitive le 17 décembre n’a pas été jugé concluant.
Par courrier du 23 décembre 2020, IP3 Vendée notifiait à In’Com son mécontentement et annonçait son intention de solliciter en justice la mise en oeuvre d’une expertise.
Au début du mois de janvier 2021, elle coupait l’accès d’In’Com à son système d’information, laquelle In’Com lui confirmait sa volonté de mener à bien sa mission.

La société IP3 Vendée a fait assigner par actes du 4 mars et 12 avril 2021 les sociétés In’Com, Release Capital et Franfinance Location devant le président du tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon siégeant en référé afin de voir ordonner une expertise avec la mission suivante :

-se rendre dans les locaux de la société IP3 Vendée, et en tous lieux utiles à l’appréhension des travaux réalisés par la société In’Com relatifs au déploiement du logiciel Solution Industrie pour la société IP3 Vendée
-se faire remettre tous documents et pièces qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission et entendre tous sachants
-se faire remettre l’ensemble des documents contractuels entre les parties, les documents de spécifications techniques et fonctionnels des systèmes fournis et/ou mis en oeuvre par la société In’Com, les comptes-rendus de réunion et toutes correspondances entre les parties
-effectuer toutes vérifications utiles des griefs sur le système en production
-vérifier si les développements remis sont conformes à l’état de l’art et à toutes normes applicables
-décrire la teneur des prestations accomplies par chacune des deux sociétés
-décrire le rôle respectif de chacune des parties et notamment les responsabilités d’intégration du système et le degré de spécialisation en matière de sous-traitance automobile de la société In’Com
-chiffrer les travaux réalisés par la société In’Com (nombre de jours de développement/homme) et ceux restant à réaliser pour parvenir à un système fonctionnel, notamment sur les EDI et les normes en vigueur dans le domaine de la sous-traitance automobile
-décrire les besoins exprimés par la société IP3 Vendée et dire si les prestations proposées et/ou fournies par la société In’Com convenaient aux besoins exprimés
-décrire l’état d’avancement de la mise en oeuvre des prestations contractuellement prévues
-dire si les fonctionnalités, et notamment celles relatives aux EDI et aux commandes ouvertes, présentent des dysfonctionnements ou ne sont pas finalisées et, dans l’affirmative, en déterminer les causes en recherchant notamment si les interventions techniques de la société In’Com ont été pertinentes et adaptées
-dire si les prestations réalisées par la société In’Com ont été pertinentes et adaptées, conformes aux règles de l’art
-dire si les moyens humains fournis par la société In’Com ont été suffisants sur les plans quantitatif et qualitatif
-fournir tous éléments techniques et constatations de fait permettant d’apprécier les responsabilités encourues et évaluer l’ensemble des préjudices subis directement et indirectement par la société IP3 Vendée
-établir les comptes entre les parties

La société In’Com a déclaré formuler toutes protestations et réserves sur la demande d’expertise et demandé, s’il y était fait droit, que la mission confiée au technicien ne soit pas celle sollicitée par IP3 Vendée mais celle-ci :

-convoquer les parties et se faire remettre tous documents utiles, entendre tout sachant qu’il estimera nécessaire, à charge d’en indiquer l’identité dans son rapport
-dresser la liste exhaustive des griefs techniques allégués par IP3 Vendée et :
.donner son avis sur leur réalité
.donner son avis sur leur nature (problème d’utilisation, fonctionnement standard du progiciel Solution Industrie, demande d’évolution, dysfonctionnements, …)
.donner son avis sur la date à laquelle chacun des griefs allégués a été signalé par le Groupe IP3 Vendée à In’Com
.donner son avis sur les causes et origines des griefs allégués par IP3 Vendée

-donner son avis sur le reste à faire par les deux parties pour finaliser le projet
-donner son avis sur les préjudices allégués par les deux parties
-établir les comptes entre les parties
-plus généralement, fournir tous les éléments techniques et toutes les informations utiles de nature à apporter un éclaircissement sur les différents aspects du litige et permettant d’apprécier les éventuelles responsabilités encourues
-mener ses opérations de manière contradictoire en faisant connaître par écrit, aux parties l’état futur de ses avis au fur et à mesure de l’exécution de sa mission.

La société Franfinance Location a déclaré formuler les protestations et réserves d’usage en première instance sur la demande d’expertise.
La société Release Capital n’a pas comparu.

Par ordonnance de référé du 7 juin 2021, le président du tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon a pris acte de ce que la société !n’Corn et la société Franfinance Location émettaient toutes protestations et réserves d’usage et a fait droit à la demande d’expertise aux frais de la société IP3 Vendée dans les termes que celle-ci sollicitait, en commettant pour y procéder M. X.

La société In’Com a relevé appelle 29 juin 2021.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l’article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique

* le 7 janvier 2022 par la société In’Com
* le 5 janvier 2022 par la société IP3 Vendée
* le 25 août 2021 par la société Franfinance Location.

La société ln’Com demande à la cour d’infirmer le jugement quant à la mission dévolue au technicien, et de fixer à l’expert la mission qu’elle proposait en première instance.
Elle déplore que le juge des référés n’ait pas motivé son refus de tenir compte de sa demande.
Elle considère que la mission retenue n’est pas neutre mais orientée, et qu’elle conduit à confier à l’expert une mission d’audit général de la solution, ce qui est contraire aux règles gouvernant la charge de la preuve, qui incombe au demandeur, en vertu des articles 9 et 1353 du code civil et 146 du code de procédure civile.
Elle invoque l’article de l’Argus de l’assurance consacré à l’expertise judiciaire, et le guide de bonnes pratiques établi par la Compagnie nationale des experts judiciaires en informatique et techniques associées (CNEJITA).

Elle soutient qu’il n’appartient pas à l’expert de procéder à des vérifications à la place des parties, et qu’il revient à IP3, demandeur à la mesure, d’articuler ses griefs et de soumettre des scénarios de test sur le système, qui n’est pas en production de son fait puisqu’elle a refusé de mettre en exploitation la solution.
Elle affirme que les difficultés sont exclusivement imputables à IP3 Vendée en ce que celle-ci n’a pas suffisamment exprimé ses besoins
concernant les EDI, et considère qu’il appartiendra à IP3 dans le cadre de l’expertise de justifier que les prestations fournies ne seraient pas conformes aux engagements contractuels et/ou aux règles de l’art, et que l’expert n’a pas à se substituer aux parties dans l’administration de la preuve.

La société IP3 Vendée sollicite la confirmation de l’ordonnance entreprise et le rejet des demandes d’In’Com, à laquelle elle réclame 5.000 euros d’indemnité de procédure en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle qu’elle est profane en matière informatique, fait valoir que la mission qu’elle a confiée à In’Com est techniquement complexe, et conteste devoir s’investir dans la production disproportionnée d’un dossier de griefs. Elle soutient que dans un projet informatique, c’est bien, avant la réception, au prestataire de faire la preuve de l’avancement de son travail. Elle indique que le Guide de la CNEJITA cité par l’appelante datait de 2005, qu’il a été retiré de son site, et qu’il ne s’agissait de toute façon pas d’un document officiel. Elle conteste la mission sollicitée par In’Com en objectant qu’elle vise à limiter la mission du technicien à l’examen des griefs formulés par le client, alors qu’il doit pouvoir décrire et analyser les prestations accomplies par les parties en fonction de leur rôle, compétence et responsabilités. Elle ajoute que la mission est suffisamment large pour permettre à In’Com de faire pleinement valoir sa position.

La société Franfinance Location déclare s’en remettre à prudence de justice sur le mérite de l’appel en rappelant qu’elle avait formulé les protestations et réserves d’usage en première instance sur la demande d’expertise et souligné la carence d’IP3 Vendée dans l’administration de la preuve des griefs qu’elle avançait au soutien de sa demande d’expertise. Elle sollicite 1.500 euros d’indemnité de procédure.

La société Release Capital ne comparaît pas. Elle a été assignée par acte du 6 juillet 2021 signifié à personne habilitée.

L’ordonnance de clôture est en date du 10 janvier 2022.


DISCUSSION

Selon l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

En l’absence de procès en cours, la condition nécessaire et suffisante pour que soit accueillie la demande fondée sur l’article 145 est l’existence d’un motif légitime.

La seule preuve qui incombe au demandeur à la mesure technique est l’existence d’un litige potentiel susceptible de l’opposer à son adversaire, litige sur la solution duquel les faits dont la preuve est recherchée doivent être de nature à avoir une influence.

La société IP3 Vendée, demanderesse à la mesure d ‘expertise, rapporte cette preuve, en démontrant avoir confié par contrat du 28 juin 2019 à la société In’Com la tâche de lui fournir un progiciel avec ses licences d’utilisation, son intégration et la formation de son personnel, et en prouvant que la mise en production du progiciel, prévue en définitive pour intervenir en octobre 2020, n’était toujours pas intervenue en décembre 2020, avec des dissensions entre les cocontractants sur l’aptitude de chacun à fournir à l’autre les éléments nécessaires à l’exécution de la prestation, notamment en raison d’une difficulté irrésolue dans le processus d’échanges de données « EDI » entre le progiciel en cours d’installation et ceux qu’elle utilisait déjà.
Les échanges de correspondances entre les parties montrent qu’après avoir commencé à assurer à sa cliente que le projet EDI aboutirait sans problème et que les problèmes rencontrés ne provenaient pas de la norme « Galia » propre aux industries du secteur de l’automobile, !n’Corn, sommée fin septembre 2020 de s’expliquer sur l’absence de progrès notables sur l’EDI, lui a indiqué qu’elle n’avait pas de module EDI certifié Galia, que son offre ne mentionnait nullement un module EDI intégré, que la difficulté venait d’une imprécision du cahier des charges d ‘IP3 Vendée, et qu’elle-même était en train d’établir un partenariat avec une société tierce afin de pouvoir assurer un suivi dans les exigences spécifiques au secteur automobile.

En l’état de ces éléments, le motif légitime de recourir à une mesure technique était démontré, et l’expertise sollicitée a été ordonnée à bon droit.

Contrairement à ce que soutient l’appelante au visa de l’article 1353 du code civil qui ne régit pas l’expertise, il n’y a pas lieu de faire peser sur le demandeur à l’expertise la charge de la preuve du fait que la mesure demandée a précisément pour objet de rapporter (cf. Cass. Com. 18.10.201 7 P n°16-15900).

Quant à la règle de l’article 146 du code de procédure civile également invoquée par l’appelante -y compris au vu d’un document de travail interne à la Compagnie nationale des experts judiciaires en informatique et techniques associées qui la cite- selon laquelle aucune mesure ne peut être accordée pour suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve, il est de jurisprudence assurée qu’elle ne s’applique pas aux actions fondées sur l’article 145 du code de procédure civile, seul texte gouvernant le régime de la mesure demandée (ainsi Cass. 2° Civ. 10.03.2011 p n°10-11732 ou 10.07.2008 p n°07-15369).

Les considérations tirées du fond du droit développées par la société !n’Corn sont inopérantes, la juridiction des référés saisie d’une demande de mesure d’instruction in futurum n’ayant pas à en connaître.

La mission dévolue par le juge des référés à l’expert est adaptée; elle n’a pas pour effet de créer un déséquilibre entre les parties ni d’exposer le technicien au grief, évoqué par l’appelante, de sortir de la neutralité qui doit être la sienne dans l’accomplissement de sa mission comme dans le traitement des parties; et la teneur de la première note établie par le technicien à l’issue de la première réunion qu’il a tenue le 1er octobre 2021 du fait de l’exécution provisoire assortissant l’ordonnance déférée, montre que la mission que cette ordonnance lui a confiée, et à laquelle cette note est conforme, lui permet comme le souhaite l’appelante d’inviter IP3 Vendée à établir une liste argumentée de ses griefs et de prévoir une série de tests de fonctionnement.
L’ordonnance querellée sera ainsi confirmée purement et simplement. La société In’Com, qui succombe devant la cour, supportera les dépens d’appel.

Elles versera en application de l’article 700 du code de procédure civile une indemnité de procédure aux intimées, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour comparaître en cause d’appel.


DECISION

la cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, en référé :

CONFIRME l’ordonnance entreprise

ajoutant :

DÉBOUTE les parties de toutes demandes autres ou contraires

CONDAMNE la société In’Com aux dépens d’appel

LA CONDAMNE à verser en application de l’article 700 du code de procédure civile.

 

La Cour : Thierry Monge (président de chambre), Dominique Orsini (conseiller), Anne Verrier (conseiller), Elodie Tisseraud (greffier)

Avocats : Me Jérôme Clerc, Me Nicolas Herzog, Me Aurélie Deglane, Me Bernard Lamon, Me Yann Michot, Me Laurent Guizard

Source : Legalis.net

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