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Jurisprudence : Diffamation

lundi 11 juillet 2005
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre, Presse-civile Jugement du 07 mars 2005

Amen / Azuria

dénigrement - diffamation - injure - site internet

FAITS ET PROCEDURE

Vu l’ordonnance rendue, le 5 janvier 2003 (en réalité 2004), par le magistrat délégué par le président de ce tribunal à la requête de la société Agence des médias numériques, ci-après Amen, autorisant, notamment, un huissier de justice à recueillir des informations sur l’auteur de messages la mettant en cause à partir de l’adresse « pv …@azuria.nospam.net » ;

Vu les dernières conclusions de la société Amen en date du 10 janvier 2005, à la suite de l’assignation qu’elle a fait délivrer, le 24 février 2004, à Patrick V. et à la société Azuria, aux termes desquelles elle expose que le défendeur, gérant de la société Azuria, a, par le biais de son adresse « pv …@azuria.nospam.net », diffusé plusieurs messages sur le forum de discussion « fr.reseaux.internet.hebergement », consacré à la thématique de l’hébergement des sites internet qui constitue l’activité tant de la demanderesse que de la société Azuria, et que l’un d’entre eux, daté du 28 décembre 2003, est constitutif d’une injure publique au sens des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 commise par Patrick V., tandis que d’autres propos forment des actes de concurrence déloyale et « plus particulièrement de dénigrement » à son égard, tant de la part de Patrick V. que de la société qu’il gère, qui doivent, dès lors, être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil, de sorte qu’elle demande au tribunal :
– de condamner Patrick V. à lui payer la somme de 10 000 € au titre des propos constitutifs d’une injure,
– de condamner « solidairement et conjointement » Patrick V. et la société Azuria à lui verser la somme de 20 000 € de dommages-intérêts au titre des actes de concurrence déloyale et de dénigrement,
– d’ordonner la suppression des messages litigieux aux frais des défendeurs dans un délai de 48 heures à compter de la signification du jugement à intervenir sous astreinte de 1500 € par jour de retard,
– d’ordonner une publication judiciaire sur le site de la société Azuria, dans le délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir sous astreinte de 5000 € par jour de retard,
– d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à venir,
– de condamner « solidairement et conjointement » Patrick V. et la société Azuria à lui verser la somme de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc ;

Vu les seules conclusions de Patrick V. et de la société Azuria du 14 juin 2004 qui résistent à l’ensemble de ces prétentions et sollicitent, chacun, la somme de 2000 € en application de l’article 700 du ncpc, aux motifs :
– que les propos argués d’injure ne revêtent pas de caractère public puisqu’ils ont été tenus au sein d’un « newsgroup », exclusif de publicité tant techniquement que par la teneur hermétique des échanges qui s’y tiennent entre personnes formant une communauté d’intérêts, et que les termes poursuivis ne sont que le reflet d’une opinion, participant du libre droit de critique et délivrée sans intention de nuire,
– que les autres propos poursuivis sur le fondement de l’article 1382 du code civil comme étant dénigrants et constitutifs de concurrence déloyale sont, en réalité, de même nature si bien qu’ils auraient dus être eux-mêmes poursuivis sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 et que, dans cette hypothèse, l’action serait prescrite, en application de l’article 65 de ce texte, puisque les messages les plus récents datent du 23 septembre 2003,
– qu’en tout état de cause, la société Azuria ayant été constituée au cours de l’année 2003, elle n’a pu jouer aucun rôle s’agissant des messages antérieures et que la concurrence déloyale n’est en rien établie puisque les défendeurs n’ont aucunement fait sa publicité au préjudice de la société Amen,
– que les préjudices allégués ne sont pas établis notamment compte tenu du contexte par nature critique et polémique dans lequel les propos ont été tenus ;

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 6 décembre 2004 ;

DISCUSSION

Sur l’injure

Attendu que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait » ;

Attendu que Patrick V. en conteste pas avoir envoyé à l’adresse « fr.reseaux.internet.hebergement », le 28 décembre, un message répondant à un participant à la discussion qui s’interrogeait sur le prix et la qualité des prestations de service informatique des sociétés sur le marché et dont la teneur était la suivante :

 » Pour avoir testé moi-même loco en enregistrement de .fr, ils sont plutôt efficaces. Rien à voir avec ces incompétents d’ovh ou ces voleurs d’amen » ;

Attendu que s’il est exact que le terme de « voleur » employé par le défendeur est la manifestation de son opinion sur la société Amen, de tels propos ne sauraient participer de la libre critique dès lors que c’est sous la forme d’une expression outrageante que l’avis est exprimé et que, par ailleurs, la généralité de l’appréciation ainsi donnée empêche que l’on y distingue la référence à un fait précis, susceptible de constituer une diffamation ;

Attendu que la nature injurieuse des propos tenus est ainsi établie ;

Attendu qu’en application de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, la publicité est caractérisée dès lors que tout un chacun peut avoir accès aux propos poursuivis ;

Attendu que la société Amen a produit aux débats un tirage papier du message litigieux, trouvé à partir du moteur de recherche Google, accessible au public, et qu’au contraire, le défendeur n’établit en rien qu’il existerait une procédure d’agrément des participants aux discussions se tenant sur le site « fr.reseaux.internet.hebergement » ou une quelconque autre restriction d’accès ;

Attendu que le caractère spécialisé des échanges se tenant sur ce site ne saurait suffire à disqualifier sa nature publique non plus qu’à conforter l’affirmation d’une communauté d’intérêts entre ses usagers dès lors que l’article 23 de la loi sur la presse exige seulement une accessibilité au public et non une prise de connaissance effective des propos par le plus grand nombre ;

Attendu que les éléments constitutifs de l’injure publique commise par Patrick V. à l’encontre de la société Amen sont donc réunis ;

Sur le dénigrement

Attendu que la société demanderesse poursuit les propos suivants comme étant constitutifs de concurrence déloyale par le biais d’un dénigrement :

« Ce sont des escrocs depuis le début.
D’ailleurs ça ne m’étonne pas une seconde que Amen veuille les vendre, ça suit leur logique de tromperie envers le client.
Je l’avais dit qu’ils étaient malhonnêtes et n’avaient aucun respect du client, et après on crie à la diffamation. Voilà une preuve de plus que ce sont des menteurs et des escrocs.
Je n’avais jamais eu vent de malhonnêteté (genre tenir le domaine à la manière amen.fr).
Il y a une grosse différence entre « offrir un service bas de gamme à prix discount mais qui se tient » et « se foutre de la gueule du client » voire « être un sale enculé avec le client ». J’espère que killio (prestataire de service internet) est dans la première case. Et clairement pour moi ovh est dans la 2ème et amen dans la 3ème ».
« i) oui bah autant envoyer les gens au casse-pipe pour moi ce sont les pires voleurs malhonnête et co(…). Va plutôt chez europeanservers (.com). Ils sont sérieux eux au moins » ii) par gentil d’envoyer les gens au casse pipe » ;

Attendu que les abus de la liberté d’expression prévus par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l’article 1382 du code civil et que, par ailleurs, la critique des produits est libre ;

Attendu que la simple lecture des propos reproduits ci-dessus montre que les expressions employées relèvent soit de la diffamation publique soit de l’injure publique et que le dénigrement de service en lui-même ne peut être poursuivie, de sorte que le demandeur doit être débouté de l’ensemble de ses prétentions de ce chef et que la société Azuria doit être mise hors de cause ;

Sur la réparation de l’injure publique

Attendu qu’il convient d’ordonner la suppression du passage jugé injurieux du site « fr.reseaux.internet.hebergement » et ce dans le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision sans qu’une astreinte ne soit toutefois nécessaire ;

Que compte tenu du grief constaté, il y a également lieu de faire droit à la demande d’insertion du communiqué prévu au dispositif sur le site de la société Azuria, dont Patrick V. est le gérant ainsi que cela ressort d’un extrait Kbis produit, pour une durée d’un mois et ce également dans le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision sans qu’une astreinte ne soit ordonnée ;

Qu’en revanche, ces mesures étant de nature à réparer suffisamment le préjudice compte tenu des circonstances de la cause, Patrick V. n’est condamné à payer, à titre de dommages-intérêts à la société Amen, qu’un euro ;

Attendu que l’exécution provisoire de la présente décision, nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, doit être ordonnée ;

Attendu qu’il convient de condamner Patrick V. à payer à la société Amen la somme de 1500 € en application de l’article 700 du ncpc ;

DECISION

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

. Déclare Patrick V. responsable d’une injure publique envers la société Amen ;

. Condamne Patrick V. à payer à la société Amen un euro à titre de dommages-intérêts ;

. Ordonne la suppression, sur le site « fr.reseaux.internet.hebergement » des termes « ou ces voleurs d’amen » issus d’un courrier électronique provenant de l’adresse « pv …@azuria.nospam.net », et ce, dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement ;

. Ordonne la publication, aux frais de Patrick V. et dans la limite de 500 € si besoin est, dans le mois suivant la signification du présent jugement et pour une durée d’un mois, sur la page d’accueil du site de la société Azuria à l’adresse www.azuria.net, à partir du titre « Publication judiciaire » en caractères gras sur fond clair et d’une police de caractère de taille 14, du communiqué suivant :

Par jugement du 7 mars 2005, le tribunal de grande instance de Paris (chambre de la presse) a condamné Patrick V. pour avoir publiquement injurié la société Amen en diffusant, le 28 décembre 2003, un message sur le site « fr.reseaux.internet.hebergement » ;

. Déboute la société Amen du surplus de ses prétentions et de ses autres demandes au fond ;

. Met la société Amen hors de cause ;

. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision, sauf des chefs des frais irrépétibles et des dépens ;

. Condamne Patrick V. à payer à la société Amen la somme de 1500 € en application de l’article 700 du ncpc ;

. Condamne Patrick V. aux dépens de la présente instance.

Le tribunal : Mme Sauteraud (vice présidente), M. Bonnal (vice président), M. Bailly (juge)

Avocats : Me Cyril Fabre, Me Frédéric Schneider

Notre présentation de la décision

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.