Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de Grande Instance de Paris 17ème chambre correctionnel Jugement du 11 juin 2010
Thierry M. / Odile B.
diffamation
PROCEDURE
Par acte d’huissier en date du 21 janvier 2010, Thierry M. a fait citer devant ce tribunal (17ème Chambre correctionnelle – Chambre de la Presse), à l’audience du 19 février 2010, Odile B., présidente de l’association Survie, en sa qualité de directrice de la publication du site internet “survie.org” pour y répondre du délit de diffamation publique, en application des articles 23 alinéa 1er, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1 et 48 (6°) de la loi du 29 juillet 1881 et 932 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 en raison d’un article intitulé “Filières : valises, vraie-fausse monnaie et casinos, or et diamants, pétrole et matières premières, armes et milices, drogues et narco-dollars”, diffusé sur le site public “survie.org” à l’adresse suivante : http://survie.org/publications/les-dossiers-noirs/dossier-noir-n°2-les-liaisons/Filieres-valises-vraie-fausse et comportant les propos ci-après reproduits que la partie civile considère attentatoires à son honneur et à sa réputation :
“L‘affaire de la vente (avortée) de 50 missiles Mistral à l‘Afrique du Sud, via une fausse commande au Congo, est également significative. Elle aurait impliqué : le réseau J.C. Mitterrand ; un “VRP en matière d’armement sur le continent africain”, Thierry M., (…) “
La partie civile sollicite la condamnation de la prévenue à supprimer, sous astreinte de 500 € par jour de retard, du site litigieux, toutes références à Thierry M., et lui verser la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice et celle de 10 000 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Le tribunal a fixé à 1000 € le montant de la consignation, qui a été versée le 2 avril 2010, et a renvoyé l’affaire aux audiences des 16 avril 2010, pour relais, et 7 mai 2010, pour plaider.
A cette audience, les parties étaient représentées par leur conseil.
Le conseil du prévenu a soulevé avant tout débat au fond un moyen d’irrecevabilité et un moyen de prescription, sur lesquels le ministère public et le conseil de la partie civile ont été entendus, la défense ayant eu la parole en dernier.
Après en avoir délibéré, le tribunal a décidé de statuer sur ces incidents par jugement séparé, l’affaire ayant été mise en délibéré et les parties informées, conformément aux dispositions de l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, que le jugement serait prononcé ce jour.
DISCUSSION
Sur le moyen d’irrecevabilité
La défense excipe de l’irrecevabilité de la citation directe au motif qu’elle ne comporte pas l’état civil complet du prévenu -la date et le lieu de naissance n’y figurant pas-, alors même qu’en faisant le choix de la voie pénale plutôt que de la voie civile et de la citation directe plutôt que d’une plainte avec constitution de partie civile, cette dernière s’est privée des moyens permettant qu’il soit statué au fond sur ses prétentions à l’égard d’une personne dont l’identité demeure incomplète, en ajoutant qu’il ne lui appartient pas de suppléer cette carence au regard des principes généraux de la matière pénale que sont, selon notamment la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le droit au silence et le droit de ne pas s’incriminer soi-même.
C’est à juste titre cependant que la partie civile fait valoir qu’il ne résulte d’aucune disposition légale que la recevabilité d’une citation directe serait subordonnée à l’indication par la partie civile de la date et du lieu de naissance de la personne poursuivie, alors qu’il résulte des articles 390 et 550 du code de procédure pénale que l’exploit de citation doit contenir seulement la désignation du requérant, la date, les nom, prénoms de l’huissier, ainsi que les nom, prénoms et adresse du destinataire, ou si celui-ci est une personne morale, sa dénomination et son siège.
S’il est vrai que le tribunal ne saurait prononcer de condamnation à l’égard d’une personne non identifiée par son complet état civil, il demeure :
– que le tribunal doit, aux termes de l’article 406 du code de procédure pénale,
– constater l’identité du prévenu- laquelle s’entend nécessairement de son identité complète, date et lieu de naissance inclus,
– que la faculté laissée au prévenu par l’article 411 du code de procédure pénale de demander d’être jugé en son absence en étant représenté au cours de l’audience par son avocat, ne le dispense pas de l’obligation dans laquelle il se trouve, sauf à faire délibérément obstacle à la justice, de faire connaître, par les voies qu’il juge les mieux appropriées, son identité complète au tribunal, comme il serait tenu de le faire, dans un autre cadre procédural, devant le magistrat instructeur, ou dans toute autre circonstance de la vie civile dans laquelle la légitimité de décliner son identité est prévue par la loi ou commandée par l’usage,
– que la seule déclaration de son identité ne saurait être regardée comme contraire au droit au silence ou au droit de ne pas s’incriminer soi-même, dès lors qu’elle ne touche en rien au fond des poursuites, mais permet seulement que ces dernières puissent être utilement et équitablement examinées,
– qu’à défaut, l’alinéa 3 de l’article 411 du code de procédure pénale qui autorise le tribunal à ordonner la comparution personnelle du prévenu, et l’article 463 du même code relatif au supplément d’information que peut ordonner le tribunal en désignant l’un de ses membres qui dispose alors des pouvoirs du magistrat instructeur prévu par les articles 151 à 155 du code de procédure pénale, seraient de nature à suppléer à la carence du prévenu à cet égard.
Pour ces motifs, le moyen d’irrecevabilité sera écarté et il sera statué sur la situation dans laquelle le tribunal se trouve placé en fonction de ce que commande le sort des poursuites par ailleurs.
Sur le moyen de prescription
Thierry M. poursuit un passage d’un texte daté du 6 novembre 1996 intitulé “Filières : valises, vraie-fausse monnaie et casinos, or et diamants, pétrole et matières premières, armes et milices, drogues et narco-dollars“ tel qu’il figure sur un site internet accessible à l’adresse http://survie.org/publications/les-dossiers-noirs/dossier-noir–n°2-les-liaisons/Filières-valises-vraie-fausse.
Il précise avoir adressé une lettre de mise en demeure le 7 septembre 2009 à l’association Survie pour lui demander de supprimer cet article, alors accessible depuis deux adresses URL, toutes deux indexées autour de la racine www.survie.org, n’avoir jamais reçu de réponse mais avoir constaté lors de connexions ultérieures, le 26 novembre 2009, que l’article litigieux ne figurait plus sur les pages en cause, un message “Erreur 404” apparaissant en lieu et place, avant de s’apercevoir, le 3 décembre 2009, que l’article était accessible à l’adresse indiquée plus haut http://survie.org/publications/les-dossiers-noirs/dossier-noir–n°2-les-liaisons/Filières-valises-vraie-fausse.
La partie civile déduit de ces observations, qui ne résultent que la production d’impression-papier et non d’un constat d’huissier, que l’article a été retiré après sa mise en demeure et a fait ultérieurement l’objet d’une nouvelle publication, en l’espèce à compter du 3 décembre 2009, laquelle a fait courir un nouveau délai de prescription.
Il sera rappelé :
– que les diffamations par la voie électronique sont des délits instantanés réputés commis au premier jour de mise en ligne du texte les renfermant, laquelle constitue le premier acte de publication et fait courir le délai de prescription de trois mois prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881,
– qu’il appartient à celui qui se prévaut de la prescription d’en rapporter la preuve,
– que ni l’adjonction d’une seconde adresse URL depuis laquelle le texte incriminé deviendrait également accessible, ni le transfert du texte d’une rubrique d’un site à une autre ne caractérisent un nouvel acte de publication, dès lors que le texte concerné n’a subi aucune modification.
Il sera relevé, au regard de ces principes, que la défense :
– se prévaut de la création d’un site accessible par l’adresse survie-france.org au 9 juillet 2002 et par l’adresse survie.org le 30 août 2004, de sorte qu’il est acquis aux débats que l’association Survie dispose d’un site internet, accessible par deux adresses, depuis la première de ces dates,
– fait valoir que le texte incriminé est daté du 6 novembre 1996 et que la partie civile ne rapporte pas la preuve que le texte qu’elle poursuit aurait été modifié depuis sa première mise en ligne ni même depuis les premières constatations auxquelles elle aurait procédé en septembre 2009, fondement de la mise en demeure qu’elle a adressée à l’association Survie le 7 septembre 2009,
– produit une impression-papier du même texte tel qu’il est archivé sur le site à l’adresse http://web.archive.org.wb/20031122112437/http://www.survie- france.org/articlephp3?id-article=347, d’où résulte sinon la preuve formelle du moins de très fortes présomptions que ce texte (numéroté 347 comme dans la première adresse URL visée par la partie civile dans sa lettre de mise en demeure initiale) figure dans la rubrique “archiver » du site www.survie-france.org depuis le 22 novembre 2003 (signification du chiffre 20031122),
– soutient, au vu de ces éléments, que la seule production par la partie civile d’impressions-papier indiquant qu’une connexion aux deux URL initialement visées dans la lettre de mise en demeure donnait pour résultat “Erreur 404″ est insuffisante pour établir que ce texte aurait alors été retiré du site pour faire l’objet d’une mise en ligne ultérieure, ce qu’elle conteste.
En l’état de ces éléments, le texte incriminé étant vieux de plus de 15 ans, son archivage sur le site www.survie-france.org daté du 22 novembre 2003, et la partie civile, qui se prévaut pourtant d’un nouvel acte de publication au 3 décembre 2009 pour convaincre qu’elle ne serait pas prescrite en son action, ne rapportant pas la preuve qu’il aurait été retiré du site de l’association Survie entre le 7 septembre 2009 et le 3 décembre 2009, date à laquelle elle constatera sa présence dans une autre rubrique du même site de l’association, il sera fait droit au moyen de prescription soulevé, lequel est suffisamment étayé par la prévenue.
Odile B. sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive que les circonstances de l’espèce ne caractérisent pas à suffisance, compte tenu, notamment, de l’absence de réponse à la lettre recommandée qui lui a été adressée le 7 septembre 2009, et qui a pu, de bonne foi, induire la partie civile en erreur.
DECISION
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre d’Odile B. (art. 411 du code de procédure pénale), prévenue ; à l’égard de Thierry M. (art. 424 du code de procédure pénale), partie civile ;
. Rejette le moyen d’irrecevabilité,
. Déclare Thierry M. prescrit en son action,
. Déboute Odile B. de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le tribunal : M. Joël Boyer (vice-président), Mme Anne-Marie Sauteraud (vice-président), M. Alain Bourla (premier juge)
Avocats : Me Antoine Comte, Me Arnaud Dimeglio
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