Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 2 Arrêt du 20 juin 2014
Astroquick / Yahoo! France
fournisseur - horoscope - oeuvre de l'esprit - plateforme - portail - protection - reproduction - site internet
FAITS ET PROCÉDURE
Vu l’assignation en contrefaçon en concurrence déloyale et parasitaire et au titre de la publicité trompeuse, délivrée le 12 octobre 2012 à la requête de la société Astroquick, éditeur d’un site d’astrologie diffusant notamment des horoscopes hebdomadaires sur lesquels elle revendique des droits d’auteur, à l’encontre de la société Yahoo ! France (ci-après : Yahoo) à qui elle reproche, en particulier, de diffuser sur son site, sans autorisation et en portant atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux, lesdits horoscopes depuis janvier 2010,
Vu les conclusions d’incident de mise en état par lesquelles la société Yahoo ! France a soulevé une exception de nullité de cette assignation au visa des articles 56 et 771 du code de procédure civile,
Vu l’ordonnance rendue le 21 novembre 2013 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris saisi qui, aux motifs qu’ « à défaut d’éléments précis permettant de définir la périmètre de protection revendiquée par la société Astroquick, la société Yahoo n’est pas en mesure de répondre aux demandes en contrefaçon de droit d’auteur formées à son encontre » et que « ceci lui a fait forcément grief », a déclaré fondée l’exception de nullité soulevée, déclaré nulle, en conséquence, cette assignation et dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en condamnant la requérante aux dépens ,
Vu l’appel interjeté par la société à responsabilité limitée Astroquick le 25 novembre 2013 et ses dernières conclusions signifiées le 04 avril 2014 aux termes desquelles elle demande pour l’essentiel à la cour, au visa des articles 56 et 771, 32-1 du code de procédure civile et L 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle :
– d’infirmer cette ordonnance ;
– en considérant qu’elle détermine de façon suffisamment claire et précise, dans son assignation et ses conclusions, l’objet de sa demande en énonçant les œuvres revendiquées et les œuvres contrefaisantes, que ses conclusions définissent de façon suffisamment claires l’originalité des œuvres revendiquées ainsi que leurs « antériorités », que la société Yahoo ne justifie, de plus, d’aucun grief, de rejeter la demande de nullité de l’assignation ;
– de condamner la société Yahoo à lui communiquer sous astreinte divers éléments d’ordre chiffré, financier et comptable en la condamnant à lui verser une provision de 150 000 € à titre indemnitaire, ainsi qu’une provision de 30 000 € pour le procès ;
– de débouter l’intimée de ses demandes en la condamnant à lui verser la somme de
31 125,80 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
Vu les dernières conclusions signifiées le 30 avril 2014 par la société par actions simplifiées Yahoo ! France qui prie, en substance, la cour, au visa des articles 56, 115 et 954 du code de procédure civile :
– de confirmer l’ordonnance entreprise et de débouter l’appelante de toutes ses demandes en constatant qu’elle ne caractérise pas l’originalité qui justifierait l’invocation du bénéfice de la protection du droit d’auteur, que l’indétermination de l’assignation lui cause un grief, n’étant pas en mesure de préparer sa défense, et que les demandes reconventionnelles de production de pièces sont mal fondées et non justifiées ;
– de condamner, en tout état de cause, l’appelante à lui verser la somme de 10 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
DISCUSSION
Considérant que pour contester l’ordonnance entreprise, la société Astroquick fait cumulativement valoir que les œuvres revendiquées sont constituées par 218 représentations astrologiques, qu’elle incrimine 619 reproductions de ces 218 interprétations, que les deux actes d’huissier constatant la contrefaçon représentaient près de 700 pages, qu’il était difficile de répertorier lesdites œuvres de manière exhaustive dans l’assignation, sauf à lui donner une importance déraisonnable, et que cet acte renvoyait clairement auxdits constats communiqués, que si leur lecture n’était pas aisée, ces pièces n’en comprenaient pas moins une numérotation, contrairement à ce qu’a énoncé le premier juge, et que si elle admet que ces pièces auraient pu être plus précises, elle se prévaut de l’identification ultérieurement opérée à la faveur de 180 heures de travail, de la communication d’un document destiné à faciliter la lecture des pièces et le rapprochement des reproductions ainsi que de la circonstance qu’elle inclut dans le corps même de ses dernières conclusions d’appel les interprétations revendiquées et les reproductions litigieuses, ajoutant que l’article 56 du code de procédure civile n’exige pas un tel travail de précision ;
Qu’elle soutient, de plus, qu’elle identifiait les œuvres contrefaites par des exemples, dans son assignation (pages 8 et 9), que celles-ci apparaissaient clairement dans les constats et que sur cet autre point elle en a amélioré (en pièce 46) l’identification en actualisant un document de synthèse (pièce 36) fourni en première instance et en établissant une liste chronologique de références (pièce 47) ;
Qu’elle estime en outre, que, dans son assignation, elle réservait de longs développements à l’originalité de ses œuvres, dont la date de diffusion est vainement contestée, et que si la société Yahoo la conteste également, il n’appartient pas au juge de la mise en état d’apprécier ces éléments dont l’analyse ressort du débat au fond ;
Qu’elle conteste, enfin, l’existence du grief tiré de l’impossibilité, pour la société Yahoo de préparer sa défense dans la mesure où cette société, qui, de mauvaise foi, avait fait montre de négligence en choisissant un fournisseur d’horoscopes siégeant dans les Antilles néerlandaises et qui organise son expatriation en Irlande pour échapper aux poursuites, était à même d’organiser sa défense en présence d’une assignation suffisamment explicite en soi accompagnée de deux constats d’huissier exhaustifs et du fait de la transmission de nouvelles pièces en cours de procédure ;
Considérant que la société Yahoo qui poursuit, quant à elle, la confirmation de l’ordonnance querellée soutient que son exception de nullité était parfaitement justifiée dès lors que la société Astroquick s’est abstenue de désigner les œuvres revendiquées (au nombre de 157 dans le premier état de la procédure et indifféremment désignées comme des horoscopes, des phrases, des interprétations d’horoscopes, des textes d’horoscopes, des interprétations astrologiques) ainsi que les faits argués de contrefaçon autrement que par quelques exemples et un renvoi général à des pièces confuses ou illisibles complétées par diverses pièces ne faisant qu’entretenir la confusion ;
Qu’elle fait valoir que ce n’est qu’en cause d’appel, par conclusions signifiées le 04 avril 2014 avec communication de quinze nouvelles pièces (volumineuses, communiquées deux fois pour certaines, modifiées, annotées et renumérotées en laissant persister le grief), que la requérante évoque pour la première fois 218 œuvres qui auraient fait l’objet de 609 actes prétendument contrefaisants ;
Que, pour autant elle ne caractérise aucunement, ce faisant, en quoi ces œuvres sont originales, se bornant à souligner l’attractivité commerciale et éditoriale du produit ou la rigueur scientifique de laquelle résulte un tel produit, de sorte qu’il persiste un grief, au sens de l’article 115 du code de procédure civile puisque la validité de l’assignation doit s’apprécier en regard de l’objet de l’action et qu’une action en contrefaçon de droits d’auteur implique que soient définies les caractéristiques rendant l’œuvre éligible à la protection assurée par le droit d’auteur ; que cela lui est préjudiciable puisqu’elle n’est pas en mesure de savoir, pour sa défense, si ces 218 interprétations astrologiques sont le fruit d’une création artistique supposant un travail intellectuel ou bien d’un processus technique en tout ou partie automatisé ;
Considérant, ceci exposé, qu’il résulte des dispositions de l’article 56 du code de procédure civile que la validité de l’assignation implique qu’y soient indiqués l’objet de la demande, avec un exposé des moyens de fait et de droit ; qu’il est constant que la validité de l’assignation doit être appréciée en regard de l’objet de l’action dont une juridiction est saisie ;
Que force est de considérer que la lecture de l’acte introduisant l’instance en contrefaçon dont s’agit ne permettait pas de déterminer la nature et le nombre des œuvres revendiquées, pas plus que d’individualiser les faits exactement reprochés et que le renvoi aux pièces communiquées desquelles n’étaient pas extraits de manière claire et précise les éléments propres à circonscrire l’objet de la demande n’était pas de nature à pallier à ces carences ; que cet état de fait, portant sur le nombre et la teneur des œuvres en conflit, est d’ailleurs admis par la société Astroquick décrivant, en particulier, le fastidieux travail de clarification auquel elle s’est livrée en cause d’appel ;
Que la société Astroquick, qui de manière inopérante invoque la lourdeur de la tâche au stade de l’assignation ou la concision prétendument de mise de cet acte, ne justifie ni même ne prétend avoir usé de la faculté de régularisation que lui offre l’article 115 du code de procédure civile lorsque le juge de la mise en état a statué, si bien qu’à juste titre ce dernier a retenu l’existence d’une nullité de forme affectant la validité de l’assignation ;
Que l’individualisation des œuvres revendiquées et celle des œuvres contestées peut, certes, être considérée comme intervenue en cause d’appel à l’occasion de la signification des conclusions du 04 avril 2014 ; que l’intimée n’en souligne pas moins à juste titre le caractère incomplet ;
Qu’en effet, cette présentation de l’objet du litige reconsidérée par l’appelante ne précise pas en quoi la combinaison des caractéristiques des 218 interprétations astrologiques désormais revendiquées donne prise au droit d’auteur et ne permet pas à la société Yahoo d’organiser utilement sa défense ; que la régularisation intervenue laisse, par conséquent, persister un grief au sens de l’article 115 précité ;
Qu’il s’évince de ce qui précède que la décision qui a accueilli l’exception de nullité de l’assignation mérite confirmation et qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur les demandes de l’appelante tendant à obtenir la communication sous astreinte de documents de nature financière et comptable, outre le prononcé de condamnations provisionnelles ;
Considérant que l’équité commande d’allouer à la société Yahoo qui stigmatise la légèreté, l’inconstance ou encore le comportement procédural déloyal de la société Astroquick l’ayant conduite à exposer d’importants frais, 18 mois durant, pour assurer la défense de ses intérêts, la somme de 7000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Que la société Astroquick qui succombe sera déboutée de ses prétentions de ce dernier chef et condamnée à supporter les dépens de première instance et d’appel ;
DÉCISION
Par ces motifs :
. Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ; et, y ajoutant ;
. Dit n’y avoir lieu de se prononcer sur les demandes de la société à responsabilité limitée Astroquick et rejette celles formées au titre de ses frais non répétibles et des dépens ;
. Condamne la société Astroquick à verser à la société par actions simplifiée Yahoo ! France la somme de 7000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La cour : Mme Marie-Christine Aimar (présidente), Mmes Sylvie Nerot et Nathalie Auroy (conseillères)
Avocats : Me Arnaud Dimeglio, Me Philippe Allaeys
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