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Jurisprudence : Responsabilité

mercredi 05 décembre 2012
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 1ère section Jugement du 22 novembre 2012

Lilads, M. X. / Les Arnaques.com

concurrence déloyale - contrefaçon - dénigrement - forum de discussion - hébergeur - identification - marque - obligation - publicité - site internet - statut

FAITS ET PROCÉDURE

La société Lilads et M. X. ont pour activité de diffuser des annonces immobilières par le biais de plusieurs sites internet, notamment les sites www.lilads.com et www.lilads.fr.

M. X. est titulaire de la marque française semi figurative « Lilads.com » déposée le 28 février 2003 et enregistrée le 4 avril 2003 sous le n° 3 212 325 pour désigner, en classes 35, 38 et 41, des produits et services relevant du domaine de la publicité, de l’informatique et de la télécommunication.

L’association Les Arnaques.com a pour mission d’intervenir dans la médiation dans les litiges entre professionnels et particuliers, d’informer les internautes sur leurs droits, de sensibiliser les autorités et institutions locales, nationales et internationales dans la défense des consommateurs.

Dans l’exercice de sa mission, ladite association édite le site internet www.LesArnaques.com, lequel comprend un forum internet à l’adresse suivante : http://forum.lesarnaques.com/.

La société Lilads a fait constater par huissier le 27 octobre 2010 que l’association Les Arnaques comportait dans son site internet plusieurs sous-rubriques qu’elle estime constituer des actes de dénigrement à son encontre ainsi que des actes de contrefaçon par reproduction de la marque de M. X.

A la suite d’une mise en demeure infructueuse du 28 août 2009, la société Lilads et M. X. ont assigné l’association Les Arnaques.com le 6 décembre 2010 en responsabilité délictuelle ainsi qu’en contrefaçon de marque.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 24 février 2012, a société Lilads et M. X. ont demandé au tribunal de :
– Dire que la reproduction faite par l’association Les Arnaques.com par le biais de son forum http://forum.lesarnaques.com de la dénomination sociale, du nom commercial, et de la marque du demandeur constitue un acte de dénigrement et une faute civile au sens de l’article 1382 et 1383 du code civil qui engage la responsabilité du défendeur en sa qualité d’éditeur du forum ;
– Dire que la reproduction faite par l’association Les Arnaques.com de la marque du demandeur constitue une contrefaçon au sens de l’article L.713-2 ou subsidiairement une contrefaçon par imitation au sens de l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle qui engage la responsabilité du défendeur en tant qu’éditeur du service ;

En conséquence :
– Condamner le défendeur à verser au demandeur la somme de 300 000 € de réparation tout chef de préjudice confondu ;
– Condamner le défendeur à supprimer toute mention de la dénomination sociale, du nom commercial, et de la marque du demandeur sur le site internet http://forum.lesarnaques.com dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;
– Débouter le défendeur de l’ensemble de ses demandes à titre reconventionnel ;
– Assortir cette interdiction d’une astreinte de 2000 € par infraction constatée ;
– Se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte ;
– Condamner la société défenderesse aux entiers frais et dépens de la procédure dont distraction au profit de maître Etienne Wery y compris les frais et honoraires pour le procès-verbal de constat dressé en date du 27 octobre 2010 ;
– Condamner la société défenderesse à verser au demandeur la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les demandeurs soutiennent que l’association Les Arnaques.com est responsable d’acte de dénigrement à l’encontre de la société Lilads en ce qu’elle a associé le nom de la société avec le mot « arnaque » et que comme en atteste le constat d’huissier du 27 octobre 2010, la simple lecture des URL des sous-rubriques du forum internet de l’association montre que ce sont les services de la société demanderesse qui sont directement visés.

Ils estiment que l’association Les Arnaques.com ne saurait se prévaloir du statut d’hébergeur au sens de l’article 6.II de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) en ce que l’association édite le site internet de part le choix du nom du forum et la structure interne concernant le choix des rubriques, à savoir l’organisation de l’URL. Ils ajoutent que la mise en place d’espaces publicitaires excède la qualification d’hébergeur et que si le tribunal était amené à qualifier l’association d’hébergeur, celui-ci devrait admettre que la notification faite au défendeur en date du 28 août 2009 le rend responsable des contenus qu’il héberge.

Ils font valoir, à titre complémentaire, que la marque française semi-figurative « Lilads.com » n°3 212 325 fait l’objet d’une contrefaçon par reproduction, non pas dans un but d’information des consommateurs par le forum mais dans le cadre de la vie des affaires en ce que des liens publicitaires, notamment de concurrents immobiliers, figurent sur le forum au sommet des sous-rubriques concernant la société Lilads comme en atteste le constat d‘huissier du 27 octobre 2010.

A tout le moins, dans l’hypothèse où le tribunal ne retiendrait pas la contrefaçon par reproduction à l‘identique de la marque Lilads.com, il y aurait lieu de retenir la contrefaçon par imitation de la marque de M. X. en ce qu’il existe une très forte similitude entre les signes Lilads et Lilads.com, l’extension « .com » étant généralement considérée comme non-distinctive.

Dans ses dernières écritures signifiées par huissiers-audienciers le 1er février 2012, l’association Les Arnaques.com a demandé au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :
– Débouter la société Lilads et M. X. de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions, comme étant particulièrement mal fondées ;
– Déclarer l’association Les Arnaques.com recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner en conséquence reconventionnellement la société Lilads et monsieur R., tenus solidairement, à payer à l’association Les Amaques.com la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts et celle de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d’instance.

L’association Les Arnaques.com fait valoir qu’elle intervient uniquement sur internet en qualité d’hébergeur et produit aux débats une jurisprudence lui conférant expressément cette qualité. Elle précise que la présence d’une bannière publicitaire sur son site ne la dépossède pas de ce statut en ce que l’association ne maîtrise pas la technique des annonces qui est régulée par un prestataire extérieur.

En outre, l’association Les Arnaques.com déclare avoir supprimé les annonces immobilières de son forum dès qu’elle a eu connaissance des termes de l’assignation du 6 décembre 2010.

Elle ajoute qu’elle ne contrôle en rien la politique de référencement du moteur de recherche Google à l’égard duquel les requérants doivent seuls diriger leurs griefs en la matière.

Par ailleurs, l’association souligne que la reproduction à l’identique ou à tout le moins, l’imitation de la marque n° 3 212 325 n’incombe aucunement à l’association Les Arnaques.com, que celle-ci résulterait uniquement de la volonté des internautes ayant posté des messages sur le forum et en l’absence de toute volonté de ladite association.

Elle sollicite à titre reconventionnel une mesure de condamnation pour procédure abusive caractérisée par une intention manifeste de nuire au motif que M. X. se serait approprié le nom de domaine de l’association Les Arnaques.com.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2012.

DISCUSSION

Sur le statut d‘hébergeur de l‘association Les Arnaques.com

L’article 6-1-2 de la LCEN définit les prestataires d’hébergement comme suit :
“Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services”.

L’article 6-1-7 de la LCEN dispose ensuite :
« Les personnes mentionnées aux 1 et 2 (fournisseurs d’accès et hébergeurs) ne sont pas soumises à une obligation générale de surveillance des informations qu’elles transmettent ou qu’elles stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites”.

L’éditeur est défini comme étant “la personne qui détermine les contenus qui doivent être mises à la disposition du public sur le service qu‘il a créé ou dont il a la charge.”

L’article 6-3-1° de la LCEN vise le cas de personnes éditeurs à titre professionnel et non professionnel.

II n’est pas contesté que l’association Les Arnaques.com a créé un site à l’adresse lesAmaques.com qui offre aux internautes un forum au sein duquel ils échangent des informations sur différents sujets et qu’elle exerce une fonction de modérateur sur ce forum quand des propos lui sont signalés.

Il a été précisé tant par la Cour de cassation que par la CJUE que :
– « la mise en place d’outils de cadres de présentation et la mise à disposition d’outils de classification des contenus sont également des opérations purement techniques – en cohérence avec la fonction de simple prestataire technique – visant à « rationnaliser l’organisation du service » et à en « faciliter l’accès à l‘utilisateur sans lui commander un quelconque choix quant au contenu qu’il entend mettre en ligne » ;
– la commercialisation d’espaces publicitaires n‘induit pas une capacité d‘action du service sur les contenus mis en ligne ».

En conséquence, le fait que l’association Les Arnaques.com organise le forum en thèmes de discussion dont l’immobilier ne signifie pas que celle-ci organise le contenu ou contrôle le contenu des messages postés.

Aucun élément ne permet de dire que l’association Les Arnaques.com ne peut bénéficier du statut d’hébergeur d’autant qu’elle ne régule le site que sur signalement de ses visiteurs ou de ses abonnés.

Aucun contrôle du contenu des messages postés par les internautes n’est fait a priori par l’association Les Arnaques.com à l’exception de celui imposé par le texte et relatif à la détection des contenus à caractère pédophile, de crime contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale.

En revanche, l’association Les Arnaques.com a mis en place une ligne téléphonique permettant aux utilisateurs de dialoguer avec le site, une inscription obligatoire pour dialoguer au sein du forum avec mention d’une adresse valide, d’une adresse de domiciliation, un fax pour être averti de tout message urgent et des conditions d’utilisation claires du site.

Elle a donc rempli son obligation d’information des utilisateurs et de réunion des informations nécessaires à identifier ses abonnés.

Enfin, la commercialisation d’espaces publicitaires ne permet pas davantage de qualifier l’association Les Arnaques.com d’éditeur de contenu dès lors que rien dans le texte de loi n’interdit à un hébergeur de tirer profit de son site en vendant des espaces publicitaires tant que les partenariats auxquels il consent, ne déterminent pas le contenu des fichiers postés par les internautes.

La LCEN n’a pas interdit aux hébergeurs de gagner de l’argent en vendant des espaces publicitaires et a volontairement limité au seul critère du choix du contenu effectué par la société créatrice du site, la condition à remplir pour être éditeur.

En refusant aux hébergeurs de vivre de la publicité, et en ajoutant ce critère à celui fixé par la loi, les demandeurs détournent le texte et tendent à dire qu’un hébergeur devrait refuser les revenus publicitaires alors que leur statut est défini dans une loi qui traite du commerce électronique.

Tant la jurisprudence de la Cour de Cassation que celle de la CJUE a d’ailleurs reconnu le recours à la publicité par un hébergeur comme licite et ne le privant pas de son statut.

L’association Les Arnaques.com n’est donc pas responsable des propos tenus dans son site par les internautes qui restent seuls responsables de leurs écrits et messages.

Elle n’est tenue que de supprimer les messages attentatoires aux droits de tiers quand ceux-ci les signalent dans le cadre d’une notification expresse prévue par le texte.

La société Lilads et M. X. sont donc mal fondés à poursuivre l’association Les Arnaques.com sur le fondement de l’article 1382 du code civil pour les propos éventuellement dénigrants tenus par des internautes sur le forum puisque l’association Les Arnaques.com n’est tenue que d’une obligation de prompt retrait après notification en raison de sa qualité d’hébergeur (aucune faute de ce chef ne leur est reprochée).

Enfin, les demandeurs prétendent que le fait d’associer le nom du site Les Arnaques.com avec Lilads est en lui-même un acte de dénigrement en raison de la signification du terme arnaque.

Cependant, il convient de constater que si ce nom est provocateur et accrocheur, il est attribué à un espace de rencontre entre consommateurs et certains professionnels et permet de s’informer, d’échanger mais aussi d’assurer un dialogue ou une médiation entre un professionnel et un particulier.

En conséquence, ce site se situant dans un débat d’intérêt général, il ne peut être prétendu que l’association entre les contributions des internautes même quand elles visent nommément un professionnel et indépendamment de leur contenu, et le nom délibérément provocateur du site constitue en soi un acte de dénigrement au seul prétexte de ce rapprochement entre le nom du site et celui de l’entreprise visée.

Pour ce qui est du référencement du site les arnaques.com en troisième position sur le moteur de recherche Google à la suite d’une recherche sur le mot Lilads, ce fait ne peut être reproché à l’association Les Arnaques.com qui n’est pas la société qui développe le moteur de recherche Google.

La société Lilads et M. X. seront donc déboutés de leur demande au titre du dénigrement formée à l’encontre de l’association Les Arnaques.com.

Sur la contrefaçon de la marque semi-figurative « Lilads.com » n° 3 212 325

La société Lilads et M. X. reprochent à l’association Les Arnaques.com de faire apparaître des publicités pour les concurrents de la société demanderesse sur chaque rubrique du forum reprenant son nom et donc sa marque et donc de commettre des actes de contrefaçon.

En l’espèce, il n’est pas établi par le procès-verbal de constat que ce qui déclenche l’apparition des messages publicitaires des concurrents de la société Lilads est le mot clé Lilads et il n’est pas davantage démontré que l’association Les Arnaques.com serait à l’initiative de cette parution et du choix du mot-clé.

Tant la parution des publicités que le choix du mot-clé semblent être le choix et donc la responsabilité éventuelle des concurrents qui paient pour voir apparaître la publicité qu’ils veulent sur les pages du forum.

Cependant à supposer même que l’association Les Arnaques.com soit à l’initiative du choix du mot-clé et de la parution de la publicité des concurrents, il convient de dire que l’usage du terme Lilads comme mot clé pour faire apparaître un message publicitaire n’est pas un usage à titre de marque car le consommateur normalement averti et raisonnablement attentif ne voit pas apparaître la marque et que celle-ci n’est pas utilisée pour identifier des produits.

Seule une action en concurrence déloyale pourrait être reprochée et encore à condition de préciser en quoi le message publicitaire qui apparaît entraîne une confusion avec les produits de la société Lilads.

La société Lilads et M. X. seront donc déboutés de leur demande en contrefaçon de leur marque Lilads et de toutes leurs demandes subséquentes.

Sur les demandes reconventionnelles

L’association Les Arnaques.com reproche à la société Lilads et à M. X. d’avoir agi abusivement en justice et à M. X. d’avoir repris la page d’accueil et le nom de domaine Les-Arnaques.com tout en indiquant se réserver le droit d’en tirer, le moment venu, toutes conséquences juridiques.

L’exercice d’une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

La défenderesse sera déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d’une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part des demandeurs, qui ont pu légitimement se méprendre sur l’étendue de leurs droits et d’établir l’existence d’un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense.

Sur les autres demandes

Les conditions sont réunies pour allouer à l’association Les Arnaques.com la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’exécution provisoire est compatible avec la nature de l’affaire, elle est nécessaire et sera ordonnée.

DÉCISION

Le tribunal, statuant publiquement par remise au greffe le jour du délibéré, par jugement contradictoire et en premier ressort,

. Dit que l’association Les Arnaques.com a la qualité d’hébergeur au sens de la LCEN.

En conséquence,

. Déboute la société Lilads et M. X. de leur demande tendant à voir condamner l’association Les Arnaques.com au motif que la reproduction faite par le biais de son forum « forum.lesarnaques.com » de la dénomination sociale, du nom commercial, et de la marque du demandeur constitue un acte de dénigrement et une faute civile au sens des articles 1382 et 1383 du code civil.

. Déboute la société Lilads et M. X. de leur demande en contrefaçon de leur marque Lilads.

. Déboute M. X. et la société Lilads de toutes leurs demandes subséquentes.

. Déboute l’association Les Arnaques.com de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

. Condamne in solidum M. X. et la société Lilads à payer à l’association Les Arnaques.com la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.

. Condamne in solidum M. X. et la société Lilads aux dépens.

Le tribunal : Mme Marie-Christine Courboulay (vice présidente), Mmes Thérèse Andrieu (vice présidente) et Cécile Viton (juge)

Avocats : Me Etienne Wery, Me Karim Ouchikh

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.