Jurisprudence : Responsabilité
Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 1 Arrêt du 30 novembre 2011
Google France / Promovacances
contrefaçon - hébergeur - marques - mots clés - publicité - référencement - responsabilité
FAITS ET PROCÉDURE
Vu l’appel interjeté le 24 avril 2006 par la société Google France, d’un jugement rendu le 9 mars 2006 par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre 2ème section) dans l’instance l’opposant aux sociétés Promovacances et Karavel ;
Vu l’appel interjeté la 20 juin 2008 par la société Google France, d’un jugement rendu le 16 novembre 2007 par lequel le tribunal de grande instance de Paris l’a déboutée de sa requête en retranchement visant le jugement précité ;
Vu l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 24 novembre 2008 ordonnant la jonction des procédures ;
Vu l’arrêt en date du 2 décembre 2009 par lequel la Cour de céans a prononcé un sursis à statuer dans l’attente de la décision à rendre par la CJUE aux deux questions préjudicielles de la Cour de cassation en date du 20 mai 2008 ainsi énoncées :
1/ La réservation par un opérateur économique, par voie de contrat de référencement payant sur internet, d’un mot-clé déclenchant en cas de requête utilisant ce mot, l’affichage d’un lien proposant de se connecter à un site exploité par cet opérateur afin d’offrir à la vente des produits ou services, d’un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée par un tiers afin de désigner des produits identiques ou similaires, sans l’autorisation du titulaire de cette marque, caractérise-t-elle en elle-même une atteinte au droit exclusif garanti à ce dernier par l’article 5 de la première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ?
2/ L’article 5, paragraphe I, sous a) et b) de la première Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots-clés reproduisant ou imitant des marques déposées et organise par le contrat de référencement la création et l’affichage privilégié, à partir de ces mots-clés, de liens promotionnels vers les sites sur lesquels sont proposés des produits
identiques ou similaires à ceux couverts par l’enregistrement des marques, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ?
Vu les conclusions de reprise d’instance signifiées le 16 décembre 2010 par la société Karavel venant aux droits de la société Promovacances et Karavel au vu de la décision préjudicielle rendue par la CJUE le 23 mars 2010 ;
Vu les ultimes conclusions de la société Google France, appelante, signifiées le 23 août 2011 ;
Vu les dernières écritures de la société Karavel, intimée, signifiées le 28 juin 2011 ;
Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 13 septembre 2011 ;
DISCUSSION
Considérant qu’il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement déféré et aux écritures des parties ;
Qu’il suffit de rappeler que :
– les sociétés Promovacances et Karavel aux droits desquelles vient désormais la société Karavel exerçant l’activité d’agent de voyage notamment par l’intermédiaire de sites Internet qu’elles exploitent aux adresses www.promovances.com et www.karavel.com, et respectivement titulaires :
* de la marque verbale “Promovacances” n° 3 044 756, déposée le 2 août 2000 en classes 38, 39 et 41, et
* de la marque semi-figurative “Promovacances.com” n° 3 024 472, déposée le 27 avril 2000 en classes 38, 41 et 42 pour la première,
* de la marque verbale “Karavel” n° 3 085 649, déposée le 28 février 2001 en classes 16, 38, 39, 41 et 42 et
* de la marque semi-figurative “Karavel.com” n° 3 098 878, déposée le 7 mai 2001 en classes 16, 38, 39, 41 et 42 pour la seconde,
ont découvert que l’introduction des signes “promovacances”, “promosvacances”, promo vacances”, « promos vacances” et “karavel” dans le moteur de recherche “Google” suscitait l’apparition, à côté des résultats naturels de la recherche, de liens commerciaux à destination des sites de sociétés concurrentes ;
Qu’elles ont, dans ces circonstances, après avoir fait établir le 13 février 2004 un constat d’huissier de justice, assigné le 17 juin 2004 la société Google France devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de leurs droits de marque et à titre subsidiaire, pour faute et atteinte à des marques de renommée ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel, a retenu à la charge de la société Google France des actes de contrefaçon des marques “Promovacances” et “Karavel” pour avoir reproduit, imité et utilisé ces marques dans son système Adwords à titre de mots-clés pour exercer une activité de transmission d’informations pour sites internet et de communication par terminaux d’ordinateurs ; qu’il a, en outre, imputé à faute à la société Google France d’avoir permis à des concurrents des sociétés Promovacances et Karavel de se faire référencer dans son système Adwords en utilisant les marques “Promovacances”, “Promovacances.com”, “Karavel”, “Karavel.com” dont les sociétés Promovacances et Karavel sont respectivement titulaires, et prononcé en conséquence des condamnations à dommages-intérêts ;
Considérant, ceci étant posé, que le présent litige met en cause le service “Google AdWords”, lequel propose à tout opérateur économique, moyennant la sélection d’un ou plusieurs mots clés, de faire apparaître, en cas de concordance entre ce ou ces mots clés et le ou les mots contenus dans la requête adressée par un internaute au moteur de recherche Google, un lien commercial à destination de son site, accompagné d’un bref message publicitaire ; l’annonce apparaîtra dans une rubrique intitulée “liens commerciaux”, située à côté ou au dessus des résultats naturels de la recherche ; les mots clés auront été suggérés par un “générateur de mots clés” établissant, dans la catégorie des services ou produits offerts par l’annonceur, la liste des signes les plus couramment saisis par les internautes ; le service sera rémunéré en fonction du nombre de “clics” effectués sur le lien promotionnel de l’annonceur ;
Considérant que la CJUE, par décision du 23 mars 2010, a apporté à la question préjudicielle n°2, ci-avant énoncée, la réponse suivante :
« Le prestataire d’un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe à titre de marque. » ;
Considérant que la société Karavel, prenant acte de cette décision, renonce à soutenir à l’encontre de la société Google France, aux termes de ses dernières écritures, le grief de contrefaçon de ses droits de marque ;
Qu’il s’ensuit que la société Google France n’est plus recevable, faute d’intérêt, à poursuivre l’annulation pour défaut de caractère distinctif des marques opposées au soutien de l’action en contrefaçon, aujourd’hui abandonnée ;
Considérant que la société Karavel maintient par contre ses demandes formées au fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil et reproche à cet égard à la société Google France, de s’être abstenue, en dépit des mises en demeure qui lui ont été adressées les 18 et 18 février 2004, de supprimer les liens commerciaux litigieux, “manifestement contrefaisants et déloyaux”, et d’avoir ainsi engagé sa responsabilité au sens de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique qui impose au prestataire de stockage de retirer avec promptitude tout contenu dont le caractère illicite aura été porté à sa connaissance ;
Considérant que force est à cet égard de relever, avec la société Google France, que la société Karavel tient pour “manifestement contrefaisants et déloyaux” les liens commerciaux litigieux à raison du seul fait que les annonceurs qui les ont référencés dans le service Adwords ont réservé à titre de mots-clés des signes reproduisant ou imitant ses marques ;
Or, considérant, que la CJUE a dit pour droit, en réponse à la question préjudicielle n°1, précédemment énoncée, que le titulaire de la marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.
Et, en conséquence, que l’usage par un annonceur, dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de marque d’un tiers à titre de mot-clé destiné à déclencher en cas de requête utilisant ce mot, l’affichage d’un lien commercial à destination d’un site où sont offerts à la vente les produits ou services de l’annonceur ne caractérise pas en elle-même une atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque ni ne constitue, par voie de conséquence, à elle seule une contrefaçon au préjudice du titulaire de la marque;
Considérant que la CJUE a précisé à cet égard, que l’atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque doit être appréciée “au cas par cas” au regard, en particulier, de la façon dont (l’) annonce est présentée :
« Lorsque l’annonce du tiers suggère l’existence d’un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y aura lieu de conclure qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine.
Lorsque l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique, reste à un tel point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il conviendra également de conclure qu’il y a atteinte à ladite fonction de la marque. » ;
Considérant, en l’espèce, que les sociétés Promovacances et Karavel, aux termes des mises en demeure adressées à la société Google France les 18 et 19 février 2004 faisaient simplement état de l’apparition de liens commerciaux à la requête de mots-clés tels que Promovacances, Promosvacances, Promos Vacances, Promo Vacances, Karavel et tiraient du seul constat que ces mots-clés reproduisaient leurs marques, que des actes de contrefaçon de marque avaient été commis à leur préjudice ;
Que la société Karavel venant désormais aux droits des sociétés Promovacances et Karavel, se garde d’indiquer, au regard du critère retenu par la CJUE, qui ne prohibe le lien commercial que dans la mesure où il suggérerait, notamment par la façon dont elle est présentée, l’existence d’un lien économique entre l’annonceur et le titulaire de la marque, en quoi les liens commerciaux incriminés seraient attentatoires à la fonction d’indication d’origine de ses marques et, par là-même, préjudiciables à ses droits privatifs de marque ;
Qu’elle ne caractérise pas davantage, s’abstenant à cet égard d’offrir la moindre preuve de l’existence d’un risque de confusion sur l’origine commerciale des services, la concurrence déloyale qu’elle allègue avoir subi et qui ne saurait être établie du seul fait de l’utilisation par des annonceurs de mots-clés reproduisant ou imitant ses nom commercial ou dénomination sociale ;
Considérant que la société Karavel est en conséquence mal fondée, dès lors qu’elle ne démontre nullement que l’utilisation par des annonceurs des mots-clés contestés serait illicite, à imputer à faute à la société Google une telle utilisation au motif qu’elle l’aurait rendue possible ;
Qu’elle sera, par infirmation du jugement déféré du 24 avril 2006, déboutée de toutes ses demandes ;
Que le jugement rendu le 16 novembre 2007 par lequel la société Google France a été déboutée de sa requête en retranchement visant le jugement précité, sera également, par voie de conséquence, infirmé ;
Considérant que l’équité ne commande pas de faire droit à la demande de la société Google France au titre des frais irrépétibles ;
DECISION
Par ces motifs,
. Infirme les jugements déférés,
Statuant à nouveau,
. Déboute la société Karavel venant aux droits des sociétés Promovacances et Karavel de toutes ses demandes,
. Déboute du surplus des demandes,
. Condamne la société Karavel aux dépens de l’instance qui seront recouvrés, pour ceux afférents à la procédure d’appel, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
La cour : M. Didier Pimoulle (président), Mme Brigitte Chokron et Anne-Marie Gaber (conseillères)
Avocats : Me Sébastien Proust, Me Arnaud Dimeglio
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.