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Jurisprudence : Marques

lundi 24 février 2003
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Tribunal de grande instance de Nanterre 2ème chambre Jugement du 24 février 2003

L'Oréal / CJH Color and Design Group

contrefaçon - marques - nom de domaine

Les faits et procédure

Par acte de la SCP Krief-Beddouk, huissiers de justice à Clichy, en date du 21 juin 2000, la société l’Oréal a assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre la société CJH Color and Design Group (ci-après : la société CJH) domiciliée aux Etats Unis, demandant essentiellement au tribunal, en visant les articles L 712-1, L 713-1, L 713-2 et suivants, L 716-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil de :

– constater que la société CJH s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon de la marque l’Oréal, d’atteintes à la dénomination sociale de la société l’Oréal,

– ordonner la cessation des actes de contrefaçon,

– faire interdiction à la société CJH de reproduire et d’utiliser le signe « L’Oréal »,
et lui faire injonction de procéder à ses frais aux formalités de transfert du nom de domaine « lorealcomplaints.com » au profit de la société l’Oréal, le tout sous astreinte journalière,

– dire que l’Internic (NSI) devra procéder aux formalités de transfert du nom de domaine « lorealcomplaints.com » au profit de la société l’Oréal,

– condamner la société CJH à des dommages-intérêts pour réparer les préjudices subis par la société l’Oréal, et ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de la société CJH dans la presse écrite et sur le réseau internet,

– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, et condamner la société CJH aux dépens et à une indemnité au titre de l’article 700 du ncpc.

La société CJH ayant dans un premier temps soulevé l’incompétence du tribunal de grande instance de Nanterre, cette exception a été rejetée par jugement du 28 mai 2001, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Versailles rendu le 21 mars 2002 à la suite du contredit formé par la société CJH.

L’instance a donc repris devant le tribunal. Entre-temps la société l’Oréal a obtenu de l’unité d’enregistrement NSI le transfert du nom de domaine en litige à son profit, en exécution d’une ordonnance de référé rendue le 31 août 2000 par le président du tribunal de grande instance de Nanterre au visa des articles L 713-5 du code de la propriété intellectuelle et 809 du ncpc.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 14 novembre 2002, la société l’Oréal se prévaut de la notoriété de sa marque déposée « L’Oréal », fait valoir que la société CJH en s’appropriant le nom de domaine « lorealcomplaints.com » a reproduit sa marque et en a fait une exploitation injustifiée, et qu’elle a également reproduit sans droit sa dénomination sociale ; la société l’Oréal reproche à la société CJH les préjudices subis en raison de ces faits,

Au visa de l’article L 715-3 du code de la propriété intellectuelle et de l’article 1382 du code civil, la société l’Oréal reprend ses demandes d’interdiction et d’injonction et sollicite la condamnation de la société CJH Color and Design Group à réparer les préjudices subis par la société l’Oréal de son fait évalués à 60 000 € en ce qui concerne la contrefaçon et à 75 000 € en ce qui concerne l’atteinte à la dénomination sociale ;
Elle demande en outre au tribunal d’ordonner la publication du jugement aux frais de la société CJH, dans cinq revues et sur la page d’accueil de tous les sites de la société CJH en français et en anglais, pendant six mois et avec création d’un lien hypertexte entre ceux-ci et le site « loreal.com » ;
Enfin la société l’Oréal demande le prononcé de l’exécution provisoire et la condamnation de la société CJH aux dépens et à lui payer 10 000 € en application de l’article 700 du ncpc.

La société CJH a déposé le 7 novembre 2002 ses dernières conclusions tendant au débouté de toutes les demandes de la société l’Oréal.
Elle reconnaît avoir déposé le nom de domaine « lorealcomplaints.com » mais relève qu’il n’a permis l’accès à aucun site actif, renvoyant à un message d’erreur, qu’il n’a fait l’objet d’aucune exploitation commerciale et qu’il n’a jamais été question de le vendre à la société l’Oréal. La société CJH soutient qu’elle voulait créer une tribune d’expression libre exclusive de toute confusion dans l’esprit de la clientèle, que l’existence ni de la contrefaçon ni d’un préjudice n’est établie, que le simple dépôt du nom de domaine ne suffit pas à les caractériser, et que la protection accordée à la marque ne saurait mettre en échec la liberté d’expression. Enfin elle fait valoir que selon les préconisations de l’Ompi, le dépôt d’un nom de domaine identique ou proche d’une marque ne peut pas être déclaré abusif s’il n’y a pas de mauvaise foi, ce qui est son cas.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2002 et l’affaire a été appelée à l’audience du 13 janvier 2003.

La discussion

La société l’Oréal a pour activité la fabrication et la vente de parfums, produits de beauté et produits connexes.

Il est établi que la dénomination sociale de la société l’Oréal est régulièrement enregistrée comme marque à l’institut national de la propriété industrielle pour tous les produits et services des classes 1 à 34 et que cette marque jouit d’une très grande renommée en France mais aussi dans le monde entier.
De plus la société l’Oréal est titulaire d’au moins deux sites web accessibles sur le réseau internet par les adresses « loreal.com », « loreal-finance.com » et autres « lorealusa.org », « lorealspain.com », « loreal-paris.com » etc…), sites destinés à l’information du public, et elle a déposé d’autres noms de domaine comportant sa marque.

Sur les atteintes à la marque « L’Oréal »

Il résulte du constat dressé le 6 avril 2000 par Me Jacky K., huissier de justice près le tribunal de grande instance de Nanterre, que la société CJH a réservé un nom de domaine « lorealcomplaints.com » qui ne donne accès à aucun site mais aboutit sur un message d’erreur.

Il est incontestable qu’en adoptant ce nom de domaine, la société CJH a utilisé la marque « L’Oréal » sans l’autorisation de son propriétaire ; la présence du mot complaints accolé au mot loreal ne fait pas disparaître la reprise de la marque L’Oréal, mondialement connue, qui est parfaitement reconnaissable bien qu’accolée au mot anglais « complaints » dont elle se détache aisément.

Aux termes de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

En l’occurrence l’utilisation de la marque L’Oréal sur l’internet dans le nom de domaine « lorealcomplaints.com » a porté atteinte à la société l’Oréal dans la mesure où en se connectant à ce domaine les utilisateurs de l’internet sont déçus d’aboutir à un site inactif, engendrant pour la société l’Oréal un préjudice ne serait-ce qu’en terme d’image s’ils croyaient accéder à un site de L’Oréal. Par ailleurs le nom de domaine est facilement compris, même par les français, comme signifiant plainte ou réclamation ; en suggérant que l’on puisse se plaindre au sujet de « L’Oréal », il renvoie donc à une image négative de la marque.

Enfin, malgré les protestations de la société CJH, il est probable qu’elle a cherché à tirer profit de la marque « L’Oréal » et de sa notoriété soit en créant un site pour attirer les critiques sur la société l’Oréal, soit pour monnayer la restitution du nom de domaine. En effet, un an après la réservation le site n’avait toujours pas de contenu, et la consultation de l’annuaire internet Whois démontre que la société CJH a réservé 39 noms de domaine dont certains reprennent des marques connues (wella, matrix…) et beaucoup ont des connotations péjoratives (badhaircolor, matrixcomplaints,…).

En outre, cela ôte tout crédit à l’argument de la société CJH soutenant que le dépôt du nom de domaine serait justifié par le droit de créer un espace de discussion pour les utilisateurs d’internet sur un thème choisi. D’ailleurs un tel but n’imposait pas nécessairement l’emploi de la marque « L’Oréal ».

Ainsi les faits établis à l’encontre de la société CJH constituent un emploi injustifié de la marque « L’Oréal » de nature à causer un préjudice au titulaire de la marque et ils sont contraires aux dispositions de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle ; ils sont également constitutifs d’atteinte à la dénomination sociale de la société l’Oréal en raison du risque de confusion quant à l’origine du site. En tout cas, ils obligent leur auteur à en réparer les conséquences dommageables.

Sur le préjudice

Les atteintes, ci-dessus définies, aux droits de la société l’Oréal sur ses signes distinctifs lui ont causé incontestablement un préjudice, notamment de dévalorisation de son image, ce qui justifie réparation par application de l’article 1382 du code civil.

Compte tenu des éléments qui précèdent ce préjudice doit être réparé par la condamnation de la société CJH à payer à la société l’Oréal une somme de 7000 € de dommages-intérêts pour l’atteinte à la marque et celle de 8000 € pour l’atteinte à sa dénomination sociale (soit au total 15 000 €), et par la publication du jugement dans trois revues ainsi que sur le réseau internet comme précisé dans le dispositif du jugement.

Les demandes d’interdiction de l’usage du terme « lorealcosmetics » et de transfert du nom de domaine sont également justifiées pour confirmer les mesures ordonnées provisoirement en référé afin de faire cesser le préjudice. Par contre il n’est pas nécessaire de prononcer des astreintes, ni une injonction de transfert, ces mesures ayant été exécutées.

La partie perdante doit supporter les dépens par application de l’article 696 du ncpc ; en outre il serait inéquitable de laisser les autres frais de l’instance intégralement à la charge de la demanderesse.

Les circonstances justifient d’assortir le présent jugement de l’exécution provisoire.

La décision

Le tribunal statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

. Dit que la société CJH a porté atteinte à la marque L’Oréal, propriété de la société l’Oréal, et à sa dénomination sociale en réservant et utilisant le nom de domaine « lorealcomplaints.com » ;

. Interdit à la société CJH de reproduire et d’utiliser, à quelque titre que ce soit, et de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, le signe « L’Oréal » ou tout autre signe pouvant constituer un usage préjudiciable ou illicite de cette marque et de cette dénomination sociale ;

. Confirme l’ordre de procéder aux frais de la société CJH aux formalités de transfert du nom de domaine « lorealcomplaints.com » au profit de la société l’Oréal ;

. Condamne la société CJH à payer à la société l’Oréal la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis ;

. Ordonne la publication du présent jugement par extrait, aux frais de la société CJH ;
1° dans trois journaux, périodiques ou revues au choix de la société l’Oréal dans la limite d’un coût total de 10 000 €,
2° en français et en anglais sur la page d’accueil du site « cjhcolor.com » pendant 6 mois ;

. Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement ;

. Condamne la société CJH à payer à la société l’Oréal la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc ;

. Condamne la société CJH aux entiers dépens avec application de l’article 699 du ncpc au profit de Me Iteanu.

Le tribunal : Mme Hélène Jourdier (vice président), Mmes Picard et Poinseaux (vice présidents)

Avocats : Me Olivier Iteanu, Me Gabriel Armand

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.